Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur la relance de la décentralisation et la réforme de la fiscalité locale, Paris le 16 septembre 2003.

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Circonstance : Congrès de l'assemblée des départements de France à Paris les 16 et 17 septembre 2003-discours d'ouverture le 16

Texte intégral

Monsieur le Président des Présidents de Conseil général, cher ami et collègue Jean PUECH,
Madame et messieurs les Présidents de Conseil général, chers amis et collègues,
Mesdames, messieurs,
D'emblée, je voudrais vous dire, mes chers collègues, combien je suis heureux et honoré de vous souhaiter la plus cordiale et chaleureuse bienvenue ici au Sénat, pour ces deux journées d'échanges, de réflexions et de propositions.
Soyez assurés que je n'oublie pas, même dans ces lieux, que je suis avant tout l'un des vôtres.
Vous êtes ici chez vous, dans votre maison, car le Sénat, au delà de son rôle d'assemblée parlementaire à part entière, dotée d'une compétence législative générale, est aussi - c'est un plus, un bonus- le représentant des collectivités territoriales de la République.
C'est d'ailleurs un Sénat requinqué, revigoré, revivifié et auto-réformé - fait extrêmement rare dans l'histoire de nos institutions -, qui vous accueille aujourd'hui, vous, nous les exécutifs départementaux.
Un Sénat qui a retrouvé toute sa place au sein des pouvoirs publics, un Sénat qui a reconquis tout son rôle au sein de notre République bicamérale. Un Sénat, sans complexes, qui a vu sa mission de représentant des collectivités territoriales renforcée par la récente révision de notre Constitution, puisqu'il sera désormais saisi en priorité - c'est un droit de primeur et non une primauté - des projets de loi relatifs à l'organisation des collectivités territoriales.
Cette consécration constitutionnelle est la reconnaissance logique de l'engagement et de l'expertise du Sénat au service des collectivités territoriales et de la décentralisation.
C'est un hommage mérité, car le Sénat, toutes tendances politiques confondues, est l'avocat avisé des collectivités locales et l'apôtre convaincu de la décentralisation.
Car pour le Sénat, la décentralisation constitue, à l'évidence, une réforme bénéfique.
Une réforme qui libère les initiatives et les énergies locales, une réforme qui améliore l'efficience de l'action publique grâce aux bienfaits de la gestion de proximité, une réforme qui donne tout son sens et sa consistance à la démocratie locale, creuset de la réconciliation entre les Français et la politique.
Penser global, agir local !
Relancer la décentralisation représente donc une ardente obligation pour notre pays qui a épuisé les nécessités dépassées d'un centralisme asphyxiant, paralysant et étouffant. A l'inverse, la décentralisation apparaît comme " l'oxygène de la République ".
La décentralisation, c'est faire vivre les collectivités locales pour que vive la France !
Nous ne pouvons donc, toutes tendances confondues, qu'approuver et applaudir la ferme volonté du Premier ministre, Jean-Pierre RAFFARIN, de bâtir une République des territoires, véritable colonne vertébrale d'une France prospère et solidaire.
L'indispensable relance de la décentralisation, objectif aussi ambitieux que vital, va bénéficier de deux avancées significatives.
- La première, c'est l'ancrage constitutionnel de la décentralisation, largement inspiré par le Sénat, qui érige l'avènement d'une République des territoires au rang de projet de société. C'est une véritable révolution culturelle pour un pays encore imprégné de " l'effort multiséculaire de centralisation ".
En outre, l'inscription dans notre Constitution de principes fondamentaux, comme l'autonomie fiscale ou la compensation des transferts de compétences, va permettre au juge constitutionnel de les faire respecter par le législateur.
- La seconde avancée réside, à mon sens, dans la " pacification " du paysage institutionnel de la décentralisation.
En effet, il me semble que la querelle de " l'échelon local de trop " a fait long feu.
Pour preuve, le projet de loi de décentralisation renforce sensiblement les compétences du département.
Quel bel hommage rendu par un Premier ministre, réputé régionaliste, au département, ce jeune bi-centenaire, qui administre chaque jour la preuve de sa modernité, de sa vitalité et de sa proximité !
Cette reconnaissance du caractère indispensable et incontournable du département renforce la légitimité de notre institution et lui insuffle une énergie nouvelle.
A nous donc de mettre à profit la consécration du droit à l'expérimentation pour bâtir un partenariat renouvelé avec, par exemple, les communautés d'agglomération.
Madame et messieurs, vous l'avez compris, la tâche qui nous incombe, à nous Présidents de Conseil général, est immense mais exaltante.
Il s'agit, ni plus ni moins, de réussir l'acte deux de la décentralisation pour bien montrer à nos concitoyens que cette réforme bénéfique est le gage de prestations adaptées et la source de services publics rénovés et performants.
Cependant, force est de constater que ce résultat ne dépend pas uniquement de nous ou de notre action aussi avisée soit-elle.
En effet, la réussite de la décentralisation, que j'appelle de mes voeux, dépend surtout de la réalisation de deux conditions essentielles.
- Première condition : la relance de la décentralisation doit s'effectuer sur des bases financières saines, sûres et si j'ose dire, sereines.
La décentralisation ne saurait se résumer à un simple transfert de prélèvements obligatoires et encore moins à une " opération de délestage de l'État ".
C'est pour conjurer ce risque que le Sénat a tenu à inscrire dans la Constitution des garanties et des principes protecteurs de l'autonomie locale.
Je ne citerai que le principe de la compensation à due concurrence des transferts de charges et celui du remplacement d'un impôt local supprimé par une autre ressource fiscale.
Il est évident que le contexte économique et budgétaire actuel n'est pas très favorable.
Raison de plus pour mettre à plat l'ensemble du financement des collectivités locales !
- D'abord, il y a urgence à réformer la fiscalité locale qui est aussi archaïque qu'injuste.
En ce sens, la perspective, dont je me félicite, du transfert d'une part du produit de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) doit être assortie de la possibilité pour les régions et pour les départements, de voter un taux additionnel, dans des limites préfixées. Il en va du respect du principe constitutionnel d'autonomie fiscale.
En effet, transférer le produit d'un impôt, sans qu'il soit possible d'en moduler le taux, équivaudrait à l'octroi d'une dotation.
Aujourd'hui, toutes les pistes doivent être explorées sans tabous : taxe sur la valeur ajoutée (TVA), contribution sociale généralisée (CSG), aucune de ces impositions n'appartient, par essence, définitivement et en totalité à l'État !
- Ensuite, la refonte des concours financiers de l'État doit être engagée sans délais. Car, le système, qui s'apparente à une gigantesque usine à gaz, est à bout de souffle. C'est ainsi que la dotation globale de fonctionnement (DGF) est au bord de l'implosion !
Cette réforme devra, pour être pleinement efficace, trouver le juste équilibre entre autonomie et péréquation, deux principes désormais inscrits dans notre Constitution.
- La seconde condition de la réussite de l'acte deux de la décentralisation, réside dans la nécessaire réforme de l'État, souvent promise, toujours remise, et véritable serpent de mer de la vie publique.
A cet égard, une évidence s'impose : la décentralisation ne saurait tenir lieu, à elle seule, de réforme de l'État. L'Etat doit opérer sa mue.
La contraction de la sphère de compétences de l'État, son recentrage autour de ses indispensables missions régaliennes et de son nécessaire rôle de garant de l'égalité des chances entre les hommes et entre les territoires, devraient accompagner l'expansion du domaine d'activité des collectivités locales.
Il s'agit là d'une ardente obligation si l'État veut retrouver, en attendant le retour de la croissance, des marges de manoeuvre financières.
Mesdames, messieurs, une nouvelle ère vient de s'ouvrir, celle de la " République des territoires ", seule à même de réconcilier l'État, les élus locaux et nos concitoyens. Nous devons nous en réjouir !
Alors ensemble, dépassons nos querelles partisanes comme nous savons le faire à l'Assemblée des Départements de France, pour nous rassembler autour d'un idéal commun qui nous transcende tous : réussir la décentralisation pour faire gagner notre pays !
Un idéal qui devrait nous unir même si je ne suis plus suffisamment novice en politique, -expérience oblige-, pour ne pas ignorer que les contingences politiciennes conservent leurs exigences, surtout à l'approche d'échéances électorales.
Mais, il faut enfin le reconnaître : la décentralisation n'est ni de droite ni de gauche !
Certes, elle a été initiée, à bon escient, par le gouvernement de Pierre MAUROY ; mais elle appartient aujourd'hui au patrimoine commun des républicains.
Alors, à nous de transformer, ensemble, l'essai marqué en 1982 !
A nous de prendre nos " bâtons de pèlerins " pour faire acte de pédagogie et expliquer à nos concitoyens les enjeux de la décentralisation, réforme bénéfique s'il en est.
A nous de conjurer la récente diabolisation du terme même de décentralisation.
En aucune façon, nous ne pouvons accepter qu'elle soit assimilée à une forme de régression !
En aucune façon, nous ne pouvons accepter que notre action irremplaçable de gestionnaires de proximité fasse l'objet de caricatures ou de procès en sorcellerie !
Ensemble, nous devons aller de l'avant pour réussir l'acte deux de la décentralisation.
Je ne doute pas que le Premier ministre, qui viendra clôturer vos travaux, saura entendre votre appel.
Nous comptons sur lui. Il peut compter sur nous, car la relance de la décentralisation ouvre de nouveaux " champs des possibles " et décuple les espérances.
A nous Présidents de Conseil général, de ne pas les décevoir pour gagner le pari du local et de la proximité, et bâtir une République plus moderne, plus dynamique et plus solidaire.
(source http://www.senat.fr, le 26 septembre 2003