Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur le rôle des petites villes pour l'avenir des territoires et la réussite de la décentralisation, Paimpol le 3 octobre 2002.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Septièmes assises des petites villes de France à Paimpol (Côtes d'Armor) le 3 octobre 2003

Texte intégral

Monsieur le Président, cher Martin MALVY,
Monsieur le Président du Conseil général des Côtes d'Armor, cher Claudy LEBRETON,
Mesdames et Messieurs les Maires,
Chers amis,
D'emblée, je veux vous dire le plaisir qui est le mien de me retrouver aujourd'hui à Paimpol, un peu comme " en famille ", avec vous les maires des " petites villes " de France.
Longtemps des vôtres en tant que maire de Remiremont, je n'ai rien oublié de cette expérience " fondatrice " et exaltante.
Ceux qui me connaissent savent qu'il n'est pas dans mes habitudes de " renier " mes origines et encore moins d'oublier d'où je viens !
Cher Martin MALVY, même si nous n'appartenons pas à la même " chapelle ", nous partageons, au-delà des contingences de la vie politique, un certain nombre de valeurs républicaines.
Ce " respect " trouve tout son sens dans le combat que mène, en votre nom, votre Président, en faveur d'une relance ambitieuse de la décentralisation. Ce combat, c'est aussi le mien !
Alors cessons de nous opposer ! Unissons-nous pour " gagner le pari du local " et " transformer l'essai " de l'acte deux de la décentralisation. Car la décentralisation n'est ni de droite, ni de gauche.
C'est tout simplement un " projet de société ", seul capable de " revivifier " notre République, de lui insuffler de l'oxygène et de réconcilier l'État, les élus et nos concitoyens.
Merci à vous de me donner l'occasion de saluer à sa juste valeur l'engagement qui est le votre chaque jour dans vos mairies. Car, on ne le dit jamais assez, sans votre passion, sans votre dévouement, sans votre abnégation, où en serait notre pays, où en seraient nos villes et nos campagnes ?
Merci à vous de me donner l'occasion, d'abord de vous délivrer un message d'espoir, ensuite de tracer quelques lignes pour l'avenir de nos territoires.
Cet espoir, c'est d'abord le chemin parcouru depuis Léognan, il y a presque quatre ans !
Rappelez-vous, à l'époque, vous étiez en train de devenir, vous les maires, les " boucs émissaires " et les " victimes expiatoires " d'une société en voie de " judiciarisation ".
Alors, après " Léognan " et les États généraux des élus locaux du Nord-Pas-de-Calais organisés, avec mon collègue Pierre MAUROY, nous avons décidé, au Sénat, d'engager, sans délais, une profonde modification de la responsabilité pénale des élus locaux.
La loi dite " Fauchon ", loi d'origine sénatoriale, sur les délits non intentionnels est venue mettre un terme, dès juillet 2000, à cette dérive inquiétante qui menaçait le fondement même de notre démocratie locale.
Je crois que nous avons fait là uvre utile en trouvant le juste équilibre et en évitant l'écueil d'une justice à deux vitesses.
- Cet espoir, c'est ensuite, celui de la révision constitutionnelle ratifiée en mars 2003.
Pour les décentralisateurs convaincus que nous sommes, elle constitue une véritable "révolution culturelle".
Il s'agit là d'un réel motif de réjouissance dont nous devons prendre la pleine mesure.
Car enfin, notre loi fondamentale consacre l'autonomie locale par la définition de principes protecteurs des collectivités territoriales et donc de votre action, au quotidien.
Je vais vous faire un aveu : il était temps !
En vingt ans de gestion de proximité, vous avez démontré, si besoin était, que les collectivités locales faisaient plus, plus vite et surtout mieux que l'État incapable de se réformer.
Encore une fois, le Sénat n'a pas ménagé sa peine pour faire aboutir cette réforme, qui était loin de faire l'unanimité, il y a seulement quelques années.
C'était tout le sens des deux propositions de loi constitutionnelles que j'ai déposées en 2000 et en juillet 2002, qui ont permis d'influencer, en amont, l'action du gouvernement.
Si j'entends, ici ou là, quelques craintes, je crois qu'il ne faut pas se tromper de débat !
L'inscription dans notre loi fondamentale de principes comme l'autonomie fiscale, le remplacement d'une ressource fiscale par une autre ressource fiscale, ou la compensation à due concurrence des transferts de compétences, doit nous permettre d'envisager l'avenir avec sérénité.
Cette " ligne jaune " va permettre au juge constitutionnel de faire respecter ces principes protecteurs par le législateur. J'y veillerai personnellement.
Il s'agit là d'une garantie fondamentale qui doit pleinement vous rassurer.
- Cet espoir, c'est enfin l'engagement du Premier ministre de mener à bien cette réforme essentielle pour l'avenir de notre pays, d'ici à la fin de l'année.
Je lui fais confiance, accordez-lui aussi la vôtre !
Ensemble, démontrons que la décentralisation n'est pas la " régression sociale " évoquée par certains il y a quelques mois. Vous le savez bien vous qui chaque jour mettez votre cur, votre énergie et votre intelligence au service du développement des territoires et de la solidarité.
Mesdames, messieurs, je voudrais maintenant dépasser l'actualité et esquisser avec vous certaines réflexions sur l'avenir de nos territoires au sein desquels les " petites villes " jouent un " grand rôle ".
En ce sens, l'enquête réalisée par l'IFOP auprès de vos concitoyens pourrait s'apparenter à un véritable " plébiscite " pour les petites villes. 93 % de ceux qui y résident apprécient leur cadre de vie et leur environnement, 82 % s'y sentent en sécurité.
Mais, à y regarder de plus près, vivre dans une petite ville semble devenir un inconvénient pour la recherche d'un emploi (68 %) ou l'accès aux commerces (43 %).
En revanche, et ce n'est pas le moindre des paradoxes, 68 % d'entre eux seraient plutôt satisfaits du niveau d'accès aux services publics.
Ces résultats contrastés démontrent l'attachement de nos concitoyens aux services publics, en priorité aux bureaux de postes, aux établissements scolaires et à la présence des forces de l'ordre.
Ils illustrent encore plus la nécessité d'engager, sans délais, une réflexion globale à la fois sur l'attractivité économique et la cohésion de nos territoires.
Cette exigence, qui va de pair avec la relance de la décentralisation, passe par la définition d'une politique ambitieuse d'aménagement du territoire.
Il est temps, en effet, de retrouver l'esprit volontariste, le souffle et la créativité de la politique d'aménagement du territoire des années soixante, tout en l'adaptant à " l'organisation décentralisée de la République ".
Seule une stratégie de reconquête, fondée sur une volonté politique forte et accompagnée de véritables moyens financiers, peut mettre un terme à la " fracture territoriale ", qui pénalise toujours les plus démunis.
Cette " nouvelle frontière " est d'autant plus urgente et impérieuse que l'élargissement de l'Union européenne devrait se traduire, d'ici à 2007, par la raréfaction de la " manne " des politiques régionales communautaires.
Alors, ensemble, cessons d'être frileux et tournons nous vers l'avenir !
A mon sens, cette ambition territoriale passe par la résolution déterminée de trois exigences :
- Première exigence, nous devons parvenir à concilier autonomie locale et péréquation, deux principes apparemment antagonistes mais désormais tous deux constitutionnels.
Car, les disparités de richesse fiscale n'ont jamais été aussi criantes. Je ne vous citerai qu'un chiffre : 10 % des communes concentrent aujourd'hui 90 % des bases de taxe professionnelle. Ces pourcentages se passent de commentaires
Il est donc temps de remettre à plat les nombreux mécanismes de péréquation existants, dont la complexité est inversement proportionnelle à leur efficacité. Ils ont vécu. En ce sens, je me réjouis de l'annonce de la refonte de la DGF avec la création d'une DGF régionale, mais il faut aller plus loin !
Ainsi, la concurrence entre péréquation et intercommunalité doit cesser !
Car, vous le savez bien, la coopération intercommunale constitue en soi une forme de péréquation par la " mutualisation " des charges et des ressources.
L'enveloppe de l'intercommunalité doit donc être clairement " sanctuarisée ".
Au-delà, pourquoi ne pas définir un mécanisme de " convergence " de la richesse fiscale ? Ce " lissage ", par collectivité et pour chaque taxe, passerait par la " réattribution " de bases "fictives" aux collectivités les moins " favorisées ".
Elles pourraient, ainsi, pleinement exercer leur " libre arbitre fiscal " et recouvrer des marges de manoeuvre.
La répartition de ces bases pourrait être déterminée au niveau local en fonction de critères de richesse fiscale rénovés.
Il s'agit là d'une condition essentielle, tout comme la réforme de la fiscalité locale, si l'on veut offrir aux élus les moyens d'exercer leurs nouvelles responsabilités.
- Deuxième exigence, l'État doit opérer sa mue et se recentrer sur ses missions régaliennes, et son nécessaire rôle de garant de l'égalité des chances entre les citoyens et entre les territoires.
Les derniers contrats de plan ont démontré une certaine " impuissance " des représentants de l'Etat. Encore trop souvent, les arbitrages sont rendus dans le secret des administrations centrales, sans vision globale et bien éloignées des réalités locales.
Dès lors, peut-on vraiment parler de contractualisation lorsque les préfets sont condamnés à gérer des enveloppes préétablies ?
C'est tout de même paradoxal. Moins l'État a de moyens financiers, plus il réglemente, plus il encadre l'action des collectivités locales, et plus il tend la main en continuant à vouloir tout régenter !
C'est donc d'une véritable réforme de l'organisation territoriale de l'État fondée sur la subsidiarité, la déconcentration et l'interministérialité dont nous avons aujourd'hui besoin.
L'évaluation des contrats de plan à mi parcours doit être pour nous l'occasion de définir de nouvelles règles. Dans le cadre du droit à l'expérimentation, nos responsabilités d'élus locaux doivent aussi être reconnues. Je suis, moi-même, en train de réfléchir à une réorganisation de la politique de la Montagne dans les Vosges. Fondée sur un partenariat renouvelé entre l'État et les collectivités locales, cette démarche pragmatique pourrait être généralisée, après évaluation, à d'autres massifs.
Vous l'avez compris, la réforme de l'État est devenue une " ardente obligation ", une impérieuse nécessité.
- Troisième exigence, qui découle de la précédente, nous devons nous mobiliser pour parvenir à une juste répartition des services publics sur les territoires. Quand une école ferme ou qu'un bureau de poste tire son rideau, c'est tout simplement la vie qui disparaît.
Encore une fois, nous devons unir nos forces pour mettre un terme à cette " spirale infernale ".
C'est tout le sens de la " table ronde " que j'ai organisée en mars 2003 avec les associations d'élus. C'est toute la signification du débat qui s'est tenu au Sénat, en séance publique, avec M. Jean-Paul DELEVOYE, en mai dernier.
Notre objectif est d'élaborer une méthode de concertation en amont, afin d'éviter que les élus locaux ne découvrent, dans la presse, la fermeture de tel ou tel service public.
Il s'agit pour nous de trouver le bon équilibre entre la nécessaire mutation des services publics, pour qu'ils deviennent encore plus performants, et le respect d'un maillage pertinent du territoire, auquel nos concitoyens sont attachés.
La résolution de cette équation, délicate dans le contexte budgétaire actuel, pourrait passer par l'adossement de la restructuration du réseau des services publics à l'amélioration de la qualité du service rendu.
Agences postales, écoles, commissariats, gendarmeries, hôpitaux ruraux, trésoreries, succursales de la Banque de France, ... autant de chantiers qui méritent un " tir groupé " et un renforcement de la concertation en amont.
Cet effort de coordination est essentiel si l'on veut parvenir à une répartition équitable de ces services sur le territoire, dont la diversité et l'ouverture à la concurrence européenne rendent de plus en plus difficile le maintien.
Il l'est encore plus si l'on veut conforter l'attractivité des territoires et enrayer la dévitalisation des zones rurales.
Je sais que M. Jean-Paul DELEVOYE a tout récemment engagé, dans quatre de nos départements, une démarche " pilote " de partenariat entre l'État, les collectivités locales et les entreprises publiques. Cela va dans le bon sens !
Monsieur le Président, mesdames et messieurs, vous l'avez compris : nous sommes au pied du mur !
De la capacité de l'État à se réformer dépend à la fois la réussite de la décentralisation et l'avenir de nos territoires dont les " petites villes " sont des pôles structurants.
Je ne doute pas que vos Assises contribueront à alimenter la réflexion du gouvernement, avant la discussion du projet de loi relatif à l'acte II de la décentralisation, qui va s'ouvrir au Sénat, à la fin du mois d'octobre.
Je compte aussi sur vous pour nous aider à gagner l'acte deux de la décentralisation et concrétiser cette nouvelle ambition territoriale, seule à même d'offrir aux jeunes générations l'espoir d'une France moderne, d'une France dynamique, d'une France solidaire, d'une France humaine.

(source http://www.senat.fr, le 1 décembre 2003)