Déclaration de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, sur le concept de citoyenneté européenne, Epernay, le 25 octobre 2003.

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Circonstance : Entretiens européens d'Epernay, Epernay, le 25 octobre 2003

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Ce matin, le Premier ministre a réaffirmé devant vous sa confiance dans le projet européen et la détermination du gouvernement d'accompagner les changements à l'oeuvre pour faire de l'Europe notre grand chantier citoyen du début de ce siècle. Permettez-moi, à mon tour, de saisir cette occasion qui m'est offerte d'ouvrir la seconde partie de vos travaux pour souligner à quel point nous, Européens, sommes à un tournant. Les Entretiens d'Epernay, organisés depuis 1997 à l'initiative du grand européen qu'est Bernard Stasi, sont pour moi d'autant plus importants qu'ils offrent la possibilité de prendre le temps de la réflexion pour mieux comprendre l'histoire que nous vivons et que nous façonnons en Europe. Ces Entretiens sont un moment privilégié qui nous donne en quelque sorte le temps de notre "examen de destin" en tant qu'Européens. De ce point de vue, cette troisième édition est loin d'être en reste, puisque nous sommes à la veille d'un double événement : l'élargissement de l'Union à dix nouveaux Etats membres en mai, puis en juin les élections au Parlement européen auxquelles vont participer pour la première fois les peuples des vingt-cinq Etats de l'Europe occidentale, centrale et orientale formant l'Union élargie.
"L'Europe est un continent porteur de civilisation" déclare solennellement la première phrase du préambule de la future Constitution. Ce jugement se réfère à des valeurs, et dans ces valeurs il y a celle de la démocratie que l'Europe a inventé au temps de la Grèce et de Rome. Car l'organisation politique de l'Europe telle que définie par les traités entend bien se rattacher à un système démocratique en l'occurrence fondé sur une double légitimité :
- celle des Etats, qui ont été jusqu'à présent les principaux artisans de la construction de l'Europe, dans une dynamique volontariste se donnant la paix comme exigence et la prospérité comme attente ;
- celle des citoyens, autrement dit d'une communauté d'hommes et de femmes qui se donnent pour objectif de se créer un cadre pour mieux vivre ensemble.
L'Europe est donc bien une fédération d'Etats et de nations. En ce sens, elle se doit désormais de devenir pleinement, en droit et en fait, l'Europe des citoyens.
Un constat tout d'abord : la citoyenneté, à la base de la légitimité démocratique de l'Union européenne, n'est qu'un demi-succès car le sentiment d'appartenance à l'Europe s'avère insuffisant pour assurer la pérennité de la construction européenne.
Un objectif ensuite : le tournant que l'Europe va prendre en 2004 est l'occasion unique, à ne pas rater, d'ancrer la citoyenneté européenne dans sa dimension originale, à la fois pluraliste et universaliste.
La citoyenneté à la base de la légitimité démocratique de l'Union européenne
La citoyenneté européenne : une idée neuve en Europe
L'Europe a toujours été une construction politique : il lui manque cependant la conscience d'elle-même. Or cette conscience ne se fabrique pas par la seule abolition des frontières douanières et l'unification du marché. Elle ne peut passer que par la citoyenneté.
La citoyenneté européenne est officiellement née, voici plus de dix ans, avec le traité de Maastricht. Or il est frappant de constater que sa création a été concomitante de l'effondrement du bloc soviétique. Les Etats membres de l'Union ont ainsi pris conscience, en instituant cette citoyenneté européenne, des conséquences de la chute du mur de Berlin qui a modifié fondamentalement le paysage politique du continent. L'horizon de l'élargissement dominait donc déjà le moment lorsque fut inventée cette nouvelle forme juridique de la citoyenneté européenne ; une forme étrange pour certains, porteuse d'avenir pour d'autres, dont nous devons prendre aujourd'hui toute la mesure.
Pourquoi cette étrangeté, qui en fait une notion si difficile à assimiler ? Parce que la citoyenneté européenne ne vient pas se substituer à la citoyenneté nationale : elle la complète. Ainsi que le réaffirme l'article 8 de la future Constitution : "La citoyenneté de l'Union s'ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas". Cette particularité d'une citoyenneté qui découle d'une autre n'est pas un simple raffinement constitutionnaliste qui ne concernerait qu'un cercle fermé de juristes initiés. Il faut y voir au contraire la condition d'une possible Europe des citoyens qui se souvient que l'Europe est faite de vieilles nations conscientes d'elles-mêmes, dont le volontarisme est le moteur de la construction européenne.
La réalité la plus tangible de l'Europe est, pour l'instant, la monnaie unique. Mais si chaque citoyen - ou presque - en Europe a des euros dans une poche, il ne doit pas oublier que dans l'autre, il trouvera aussi son bulletin de vote.
Un rapide état des lieux de cet ensemble de droits civils et politiques que l'on appelle citoyenneté européenne est révélateur en effet du degré d'intégration que connaît l'Europe :
- Cette citoyenneté, c'est tout d'abord le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales et européennes reconnu à tout citoyen européen. Dans la pratique, ce droit ne concerne que 5 millions de citoyens de l'Europe des Quinze. Sa portée politique est cependant considérable car il fait émerger à terme un véritable espace politique européen.
- La citoyenneté européenne, c'est aussi le pouvoir de contrôler les institutions. Le citoyen européen se voit en effet garantir l'accès aux documents administratifs et au contenu des débats des institutions européennes à travers la publicité télévisée des Conseils des ministres en tant que législateurs. Le rôle que la future Constitution européenne attribue aux Parlements nationaux dans le contrôle de la subsidiarité constitue un autre pilier sur lequel se construit une citoyenneté européenne et démocratique.
- La citoyenneté, c'est enfin un droit de réclamation. Le citoyen européen dispose de plusieurs moyens pour dénoncer les dysfonctionnements des institutions européennes : soit par la saisine du médiateur européen -dont je salue la présence parmi nous -, soit par le droit de pétition auprès du Parlement européen.
- Last but not least, le projet de Constitution européenne propose d'y ajouter un "droit d'initiative citoyenne" qui permettra aux citoyens de l'Union de prendre directement l'initiative d'une proposition législative, si au moins 1 million de signatures sont réunies. Cette possibilité laisse augurer d'une participation beaucoup plus conséquente des mouvements sociaux européens, dans l'esprit d'une expérience tout à fait nouvelle de démocratie directe.
Tels sont les contours juridiques d'une citoyenneté européenne encore en devenir. Car la réalité du moment, malheureusement, réduit sensiblement la portée juridique de cette citoyenneté. Pour l'heure, la participation citoyenne à l'Europe, spécialement en France, reste en effet globalement faible. Les élections européennes notamment demeurent marquées par des taux d'abstentions records. Par ailleurs, certains sondages indiquent que les Français se sentent non pas insuffisamment, mais mal informés sur l'Europe et que ce sont les femmes et les jeunes qui sont les plus réticents à l'idée européenne. Ce qui n'est guère rassurant.
Le tournant de 2004
Certes les Européens - et parmi eux les Français comme les autres - se sentent de plus en plus directement concernés par une entité communautaire qu'ils voient interférer en permanence avec leur vie sous tous les aspects. Mais cela cause un déphasage entre leur prise de conscience de la dimension européenne qui sous-tend leurs problèmes quotidiens et le sentiment d'éloignement qu'ils ressentent face à une Europe dont ils ne se perçoivent pas citoyens. J'en ai la conviction : Avec l'élargissement qui marque les retrouvailles des peuples de notre continent, nous avons une opportunité pour passer à la vitesse supérieure dans la voie de la démocratisation de l'Union.
Ne perdons pas de vue en effet le fait que l'élargissement qui deviendra effectif en 2004 a été conduit avec les peuples, à la suite de mouvements populaires de libération et de démocratisation. Quand l'Espagne a demandé son adhésion, la nation était certes encore en train de se remettre du franquisme. Mais la transition a pu se faire dans des conditions relativement aisées, car elle avait commencé à être préparée progressivement sous ce régime. A l'Est, la levée de la mainmise soviétique et l'entrée dans une économie de marché se sont en revanche accompagnées d'énormes sacrifices qui n'ont été acceptés par les populations que dans la perspective de l'adhésion à l'Europe. Il est remarquable que, dans un tel contexte, la dynamique de libération ait finalement prévalu, ce dont témoigne de façon éclatante l'adhésion populaire au projet européen manifestée par les succès remportés par le "oui" lors des référendums d'adhésion : 92,46 % en Slovaquie, par exemple, où je me trouvais hier.
L'adoption de la future Constitution européenne vient donc à son heure. Elle sonne le glas de l'ère de Yalta et marque en même temps l'avènement d'une Europe qui n'hésite plus à associer les citoyens à sa marche en avant. Cette Europe a été symbolisée par la procédure totalement démocratique suivie par la Convention sur l'avenir de l'Europe. Celle-ci a su réunir, à côté de la Commission et des représentants des gouvernements, les parlementaires de tous les grands partis des différents Etats et du Parlement européen et les faire débattre en pleine lumière. On était loin de la diplomatie intergouvernementale et de ses négociations à huis-clos. Et même si cette diplomatie a repris son cours depuis le début de ce mois au sein de la Conférence intergouvernementale (CIG), les choses ne sont malgré tout pas comme avant.
Les élections au Parlement européen, le 13 juin prochain, se doivent d'être une concrétisation de cette nouvelle donne. Car elles sont l'expression, comme le dit l'article premier du projet de Constitution, de "la volonté" non seulement "des Etats" mais aussi "des citoyens d'Europe de bâtir leur avenir commun". Ainsi, pour que ce rendez-vous électoral ne soit pas manqué, le gouvernement va-t-il engager une vaste campagne de sensibilisation - que je suis chargée de mener - à l'importance historique de ces élections. Les citoyens sont parfaitement aptes à comprendre l'ampleur des défis à relever par l'Europe : garantir la sécurité et la justice à une échelle désormais véritablement continentale ; défendre un modèle social européen tout en redynamisant l'économie grâce à l'investissement dans la recherche et l'industrie et à la valorisation du travail ; définir, enfin, un rôle international pour l'Europe.
Ne soyons pas inquiets des turbulences que connaît l'Europe. Qu'il s'agisse des controverses au sein de la CIG ou encore des divergences entre Etats sur l'analyse de la crise irakienne et les moyens d'y remédier, ce qui se joue, c'est l'émergence d'un espace public européen.
Ne soyons pas non plus utopistes : pour que cet espace public se dessine, beaucoup d'obstacles restent à vaincre. Le principal résulte du fait que si notre législation, d'un point de vue global, est de plus en plus européenne, notre débat politique reste, lui, essentiellement national et perçu comme tel. Mais une mutation s'opère. Le discours européen n'est plus marginal : l'Europe s'est maintenant imposée aux acteurs politiques que nous sommes et nous savons tous qu'au-delà du vote aux élections européennes, il est urgent de structurer l'espace public européen par des réalisations concrètes qui parlent aux citoyens, et non seulement aux dirigeants de leurs Etats. Les débats en cours sur le contenu politique du projet européen et sur les politiques communes européennes sont de ce point de vue particulièrement porteurs. C'est pourquoi le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin s'attache à participer de façon constructive, en s'efforçant de le rendre le plus intelligible à nos concitoyens. Expliquer l'Europe, aller quérir les attentes exprimées par les citoyens vis à vis de l'Europe, telle est la tâche que je m'assigne tout au long de mes "Rencontres sur l'Europe" dans les villes et territoires de France.
Quelle citoyenneté pour l'Europe ?
Citoyenneté et diversité des cultures
Le temps presse. Si l'Europe ne suscite pas aujourd'hui cette affectio societatis sans laquelle il n'est pas de sentiment d'appartenance à une communauté, c'est en effet toute la construction européenne qui risque de se déliter. Pour éviter ce scénario, il faut donner sens à la citoyenneté européenne.
De manière générale, la citoyenneté tente d'allier, dans un même concept, à la fois les spécificités de l'individu privé, membre de la société civile, et l'universalisme du citoyen. En cela, elle est dotée d'une dimension à la fois strictement juridique - le citoyen est un sujet de droit - et politique - le citoyen est détenteur d'une part de la souveraineté exercée par le corps politique. C'est cette double dimension qu'il nous faut aujourd'hui concrétiser en Europe. Souvenons-nous, en effet, des critiques du contre-révolutionnaire Edmund Burke dans ses "Réflexions sur la Révolution française". Il y dénonçait l'abstraction de la notion de citoyen utilisée dans la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789. Le citoyen de cette Déclaration, pour lui, n'existait pas, alors que l'Allemand, le Français, l'Anglais représentaient à ses yeux des entités politiques tangibles. L'avantage de construire, comme nous le faisons, le projet européen dans sa forme transnationale, c'est de pouvoir anticiper sur les critiques du passé. C'est clair : il n'est pas question de faire de la citoyenneté européenne une essence donnée une fois pour toutes, qu'il importerait de maintenir et de transmettre ; car comme toute citoyenneté, elle est construction historique, en constante évolution.
C'est pourquoi la référence au passé ne suffit pas pour définir cette citoyenneté d'un genre nouveau. Celle-ci ne saurait être en effet conçue comme exclusivement abstraite et universaliste, sur le modèle français. Elle n'est pas non plus la citoyenneté telle qu'issue de la tradition juridique anglaise, une citoyenneté essentiellement ancrée sur les droits civils, sur lesquels viendraient se greffer progressivement les droits politiques. Le référent américain, aussi tentant soit-il, n'est pas non plus pertinent : la Convention de Philadelphie partait en effet de l'affirmation de l'existence d'un peuple pour fonder une nation. Dans le cas de l'Europe, le chemin est inverse : nous construisons une Union sur des identités nationales, sans qu'il y ait substitution.
Le défi de la citoyenneté européenne, c'est donc celui de la conciliation entre universalisme et pluralisme.
- Sa dimension universaliste reflète, tout d'abord, la nécessité pour les Européens de pouvoir se référer à des valeurs universelles qui donnent sens à leur destin commun. Mais il s'agit d'un universalisme d'une nature différente de l'universalisme de la citoyenneté nationale. Le philosophe allemand Jürgen Habermas parle à ce sujet de "patriotisme constitutionnel" en faisant reposer la citoyenneté européenne sur l'adhésion à l'Etat de droit et aux Droits de l'Homme, détachée de l'adhésion à une culture, une langue et une histoire nationale. C'est là l'une des deux dimensions de la citoyenneté européenne.
- Mais la citoyenneté européenne - et c'est sa nouveauté - est aussi fondée sur le pluralisme et la "diversité culturelle et linguistique" expressément reconnue par la future Constitution européenne comme l'un des objectifs de l'Union. Aristote, dans la "Politique", insistait déjà sur cette caractéristique essentielle de la cité, en se démarquant nettement de l'unicité de la Cité platonicienne : "La cité est composée non seulement d'une pluralité d'individus, mais encore d'éléments spécifiquement distincts () une cité est composée de différentes sortes d'hommes ; une cité ne saurait exister si elle était composée exclusivement de semblables". C'est dans cette ligne que l'Europe s'est donné comme défi de se construire en sachant prendre en compte les identités nationales, la diversité des sensibilités culturelles et religieuses, et même les différentes formes d'Etat et de traditions institutionnelles jusqu'aux relations entre l'Etat central et les pouvoirs locaux ou régionaux.
Pour faire jouer ces deux facettes de la citoyenneté européenne, l'Europe ne peut que s'inscrire dans une culture du compromis. Si chaque Etat de l'Union s'astreint, à sa manière, à la pratiquer, il est certain qu'elle est plus nouvelle pour notre pays que pour d'autres. De plus, la question se pose à nous de savoir comment réconcilier cette logique du pluralisme avec notre vision essentiellement universaliste de la citoyenneté. Sur ce point, la décentralisation menée à bien sous l'impulsion de Jean-Pierre Raffarin vient jouer un rôle essentiel. Une preuve de ce lien établi par le gouvernement entre décentralisation et construction d'une Europe plus démocratique est, par exemple, la première conférence Régions-Länder que le Premier Ministre et le Chancelier fédéral allemand ont pris l'initiative d'organiser, à la fin de ce mois. C'est dans cette perspective également que le rapport que vient de me remettre Michel Hunault, parlementaire en mission, propose plusieurs initiatives intéressantes pour faciliter les coopérations entre nos collectivités territoriales et celles des pays de l'élargissement. Le message est clair : C'est aux élus qu'il appartient sur le terrain de mettre l'Europe et ce qu'elle nous apporte à leur actif. C'est à nous, responsables politiques, de remettre aux citoyens les clés d'une meilleure compréhension de l'Europe pour que chacun puisse participer à son évolution et en infléchir, si besoin en était, le cours.
Pour une citoyenneté active.
La position de citoyen - spectateur n'est plus à l'ordre du jour. Aujourd'hui, la citoyenneté européenne doit être active.
- Au niveau électoral, tout d'abord, il est urgent de faire des élections européennes un rendez-vous de proximité. Aux élections municipales de mars 2001, seuls 170.000 Européens s'étaient inscrits en France, sur plus d'un million d'électeurs européens potentiels. Face à l'échéance du 13 juin 2004, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin - je l'ai dit - est en train de mettre au point un ensemble de mesures pour encourager les électeurs à s'inscrire et à manifester par là leur volonté de peser sur les processus de décision européens.
- Au niveau du processus de délibération, l'Europe ne peut échapper aux obligations d'une démocratie participative. Dans une société que l'on définit de plus en plus comme une société de l'information, le gouvernement en effet ne doit pas seulement se faire pour le peuple et par le peuple ; il doit se faire également avec le peuple. Si l'on veut être en mesure de définir un vrai sujet politique européen, dont le rôle actif ne se limitera pas à l'élection de représentants, il faut construire de nouveaux modes de participation. Collectivités locales et régionales, lobbies, ONG, associations, syndicats, chacun a son rôle et chacun a sa place. La visibilité des interventions des acteurs de la "société civile" et de la démocratie locale sont déjà fortes au niveau des institutions européennes. Mais il reste encore à créer un véritable dialogue social dans le cadre européen, voire une véritable opinion publique européenne. L'accroissement des pouvoirs du Parlement européen, prévu par le projet de Constitution européenne, va dans la bonne direction, mais il faut aller plus loin. Raymond Aron soulignait : "les Constitutions n'ont jamais suffi à créer les sentiments. Celles-ci peuvent précéder ceux-ci, mais une avance excessive risquerait de précipiter l'échec de l'entreprise toute entière". C'est pour cette raison que l'Union européenne doit, à mon avis, être aussi présentée comme une "boîte à outils", permettant non seulement aux Etats, mais à tous les acteurs de la société d'agir ensemble lorsque cela les renforce en les rendant plus solidaires.
Un dernier mot sur les Droits de l'Homme en Europe. La construction européenne est fondée sur la prééminence du droit et elle s'identifie largement aux Droits de l'Homme et du citoyen. Par exemple, elle a fait de la non-discrimination l'un de ses principes cardinaux. Avec la Charte des droits fondamentaux inscrite au coeur du projet de Constitution, ce sont tous les droits attachés à la citoyenneté européenne qui se trouvent désormais au fondement de l'Union. Adoptée à Nice sous présidence française en décembre 2000, cette Charte est intégrée dans le projet de Constitution qui devient ainsi, au delà d'un Traité sur les objectifs et le fonctionnement de l'Union, la loi fondamentale de tous les Européens. En enracinant la citoyenneté européenne dans des valeurs comme la dignité, la liberté, l'égalité, la solidarité ou encore la justice, c'est la démocratie et ses valeurs qui sont placées au coeur du projet européen.
En conclusion, j'aimerais insister sur un point : la citoyenneté européenne est la grande chance offerte à la construction européenne de changer de dimension. N'oublions pas, comme le dit Dominique Schnapper, que la citoyenneté, malgré sa fragilité et ses figures changeantes, est "la seule idée dont nous disposions pour organiser la vie des hommes en société de manière humaine". A nous de la rendre vivante à l'image d'une Europe "Unie dans la diversité", comme le proclame sa nouvelle devise.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 octobre 2003)