Texte intégral
L'élargissement : une chance pour les territoires
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Monsieur le Secrétaire général,
Messieurs les Directeurs généraux,
Monsieur le Délégué,
Mesdames et Messieurs,
Il me revient - après les propos introductifs de Messieurs Nicolas Jacquet, Donald Johnston et Francis Mayer, co-organisateurs de ces troisièmes entretiens internationaux de l'aménagement du territoire et l'intervention du président Valéry Giscard d'Estaing - de lancer vos travaux qui se placent cette année sous le signe d'une Europe élargie.
Le président a tracé les perspectives qui s'ouvrent à cette nouvelle Europe grâce, en particulier, au projet de Constitution, auquel il a tant contribué à la tête de la Convention. Vous connaissez par ailleurs la volonté du président de la République et du gouvernement de parvenir à un accord sur ce texte constitutionnel, lors du Conseil européen des 17 et 18 juin.
1 - L'Europe se met en ordre de marche pour assurer la convergence économique des nouveaux Etats membres
L'Union européenne a accueilli, le 1er mai, dix nouveaux Etats membres, forts de 75 millions d'habitants. C'est une grande diversité de situations qui caractérise nos nouveaux partenaires. Leur niveau de développement économique et leur richesse nationale sont inégaux et, pour certains, encore très éloignés des performances des pays de l'Union. Le modèle européen d'intégration économique et politique, qui a jusqu'ici fait ses preuves, est donc confronté à un défi. Jamais, en effet, les écarts de richesse n'auront été aussi forts dans l'Union. Aux disparités entre les Etats membres s'ajoutent les disparités interrégionales. Pour certains de nos nouveaux partenaires, cet écart peut aller de 1 à 3.
Fruit des travaux de la Convention, la future Constitution de l'Union européenne ajoutera la cohésion territoriale aux objectifs de cohésion économique et sociale. C'est donc désormais l'ensemble des politiques communes qui se voient dotées d'une dimension territoriale.
La politique de cohésion est l'une des politiques européennes les plus proches des citoyens, dans la mesure où ceux-ci peuvent en mesurer très concrètement l'impact. Il n'est pas inutile d'en souligner les succès : l'Irlande et l'Espagne, qui en ont beaucoup bénéficié, ont connu une forte croissance et dépassent désormais le seuil de 90% de la richesse communautaire par habitant. Cette politique, cependant, ne doit pas être génératrice de rentes de situation : l'évolution économique des régions et des Etats appelle un réexamen en profondeur des priorités géographiques.
Dans quelques jours se tiendra à Bruxelles un forum sur la cohésion, qui constituera un jalon important dans l'élaboration par la Commission d'une proposition de règlement pour la période 2007-2013. Les débats sur la future politique de cohésion sont indissociables de ceux qui touchent aux perspectives financières de l'Union : ils sont au coeur de la définition du projet politique de l'Europe. Le financement d'un objectif de convergence ambitieux pour les nouveaux Etats membres ne devrait pas faire débat ; cependant, une stricte discipline budgétaire d'ensemble s'impose. La France, comme d'autres pays, a marqué son attachement au respect d'un plafond de 1% du revenu national brut pour les dépenses de l'Union. A l'intérieur de cette enveloppe, nous souhaitons que soit préservées deux priorités : le financement, d'une part, d'une politique régionale se donnant pour objectif la compétitivité régionale et l'emploi ; un programme, d'autre part, de coopération interrégionale.
Ce calendrier présente un avantage : il permet d'organiser la discussion et de préparer les décisions avec soin et sans précipitation. Il conviendra cependant de s'assurer qu'un accord politique soit trouvé à temps pour éviter un télescopage des programmes en 2007 - on se souvient en effet du précédent de l'an 2000. Il en va de la capacité à utiliser les crédits dans les délais, conformément aux principes d'une saine gestion.
Enfin, la solidarité doit s'ancrer dans une perspective de relance de la croissance de nos économies. Pour ce faire, l'Europe se propose de conjuguer une politique de compétitivité et de croissance avec une politique de convergence et de cohésion.
Les mutations économiques auxquelles nous seront confrontés demain sont d'une nature différente de celles qui ont remodelé le paysage industriel hérité des "Trente Glorieuses". Plus diffuses sur le territoire, impliquant des PME tout autant que des grandes entreprises, elles requièrent une plus grande capacité d'anticipation. Plus qu'un risque de délocalisation d'activités, les nouveaux Etats membres présentent des possibilités d'investissement et de croissance, que plus de 1500 entreprises françaises ont déjà saisies.
Il est un signe qui ne trompe pas. A l'heure où cesse de fonctionner la dernière mine de charbon française, l'Union européenne négocie avec ses partenaires les conditions de l'accueil en France du grand projet de coopération internationale sur l'énergie du futur, ITER : on mesure dès lors les décennies qui nous séparent de la création de la Communauté économique du charbon et de l'acier (CECA). Avec des projets comme ITER ou GALILEO, ce sont de nouvelles perspectives économiques et scientifiques s'offrent à nous, et cela à la seule échelle où leur réalisation est envisageable : celle de l'Europe.
2 - Les Régions concourent au succès de l'Europe des Etats
Vos travaux s'attachent tout particulièrement aux rapports entre l'Union, les Etats membres et les régions. Dans un ouvrage publié en 2003 par la Fondation Robert Schuman sous la plume de M. Alain Lamassoure, il était proposé de considérer "l'Europe comme une collectivité territoriale : originale, certes, d'une taille quelque peu démesurée, mais à qui nos Etats ont délégué des compétences comme ils l'ont fait pour leurs villes ou leurs régions respectives, et qui, comme celles-ci, peut et doit obéir à des règles de fonctionnement sans mettre en cause la souveraineté".
Si je cite cette analogie, c'est qu'elle nous permet de dépasser le vieux débat sur l'Europe des régions. L'Union européenne est en effet constituée par des Etats qui chacun ont la maîtrise de leur organisation territoriale interne. Mais cette réalité se conjugue avec le renforcement des acteurs régionaux - et la France n'est pas la seule à connaître ce processus :
- Une proportion croissante des programmes communautaires est gérée par les administrations des collectivités territoriales des Etats membres : la France a ainsi expérimenté cette formule pour les fonds structurels en Alsace dès 2003.
- Près des trois quarts de la législation communautaire concernent, plus ou moins directement, l'activité des collectivités territoriales.
- Dans de nombreux Etats de l'Union, existent désormais des régions dotées de compétences législatives propres.
Dans l'architecture institutionnelle qui est la nôtre, avec notamment la nouvelle loi de décentralisation, les régions représentent désormais l'échelon adéquat des politiques de développement économique et de formation professionnelle, tant pour la prise d'initiatives que pour leur mise en cohérence.
Qu'il s'agisse du rôle consultatif du Comité des régions, du développement de la coopération décentralisée, de la programmation de projets interrégionaux ou transfrontaliers, chacun reconnaît que la contribution des collectivités territoriales à la construction de l'espace communautaire revêt désormais une importance cruciale.
Dans la mise en oeuvre de la stratégie de compétitivité et de croissance lancée au Conseil européen de Lisbonne en 2000, l'Union et ses Etats membres doivent donc prendre appui sur des partenaires régionaux, notamment dans les domaines de l'emploi, de la formation et de la recherche.
3 - L'invention du territoire européen ?
Le territoire européen, par définition, relève d'une responsabilité commune. Il y a 5 ans, le Conseil informel des ministres en charge de l'aménagement du territoire adoptait un document d'orientation, le Schéma directeur de l'espace communautaire (le SDEC). Ce cadre politique non contraignant vise à mieux coordonner les politiques communautaires qui ont un impact significatif sur le territoire, notamment les politiques sectorielles, dans le domaine des transports et de l'agriculture, entre autres. Pour que ce schéma directeur puisse continuer à accomplir pleinement son rôle d'orientation, sa mise à jour s'impose avant 2007.
Parallèlement, des espaces transnationaux, que l'on pourrait qualifier de "petites Europe", sont en train de naître ; fruits de 13 programmes INTERREG, ils constituent une forme de coopération qui, une fois de plus, implique simultanément les autorités nationales, régionales et locales : ce sont l'espace alpin, l'arc atlantique, l'Europe du Nord-Ouest, le Sud-Ouest européen, la Méditerranée occidentale, etc.
Dans le même esprit, les collectivités territoriales et notamment les régions françaises ont, depuis plusieurs années, noué de nombreux partenariats de coopération avec leurs homologues dans les pays de l'élargissement. J'ai personnellement pris la mesure de l'ampleur de ces actions à l'occasion de la préparation du Forum sur la coopération décentralisée que nous organisons avec les associations concernées en novembre prochain. Ces partenariats permettent ainsi aux collectivités territoriales d'accompagner l'intégration de l'acquis communautaire et le développement des services d'intérêt général. Ils offrent également aux territoires concernés de nouvelles perspectives grâce à l'expérience des meilleures pratiques. Enfin, ils favorisent les partenariats économiques et commerciaux entre entreprises.
Pour toutes ces raisons, le gouvernement a redéfini ses priorités d'aménagement du territoire en les inscrivant dans la perspective de l'intégration européenne, dans la mesure où l'Europe constitue désormais la seule échelle pertinente pour la planification de notre espace commun. Au cours de ces deux dernières années, des choix importants ont été opérés afin de mieux orienter la planification et la programmation des grandes infrastructures de transport. Dans le même esprit, parmi ces priorités nouvellement définies, je citerai également le recentrage des politiques d'aménagement urbain sur les grandes métropoles régionales afin d'intensifier leur rayonnement ; la constitution de pôles de compétitivité à l'échelle européenne ; l'appui, enfin, aux espaces sensibles, sachant par ailleurs que la diversité de l'espace rural appelle nécessairement des réponses multiples.
Loin de marquer la fin de la politique régionale de l'Union européenne, l'élargissement lui ouvre de nouveaux horizons. La dimension territoriale doit désormais être prise en compte dans l'ensemble de politiques communes, sans être confinée aux seuls instruments de cohésion.
Les travaux que vous allez conduire revêtent, dans ce contexte, un intérêt tout particulier. Des échanges sur les meilleures pratiques et des recherches de convergence découleront les futures politiques publiques dont l'Europe des territoires a besoin. La France doit, dans les débats qui s'ouvrent, jouer un rôle moteur. Vous pouvez compter sur mon engagement et celui de Michel Barnier
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 mai 2004)