Interview de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, dans "La Gazette des communes" du 13 novembre 2004, sur la décentralisation, les transfert des charges aux dépends des collectivités locales, la suppression du foncier non bâti et sur le maintien des services publics en milieu rural.

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Média : La Gazette des communes

Texte intégral

Q - Dès votre nomination, vous aviez lancé le chantier de la décentralisation dans un climat politique plutôt consensuel. Aujourd'hui, le sujet est devenu un objet de débats polémiques. A quoi attribuez-vous cette évolution ?
R - Nous sommes dans la même situation que dans la période 1981-83. Ces années avaient été très tendues. Souvenez-vous des clivages forts lors des débats parlementaires. Souvenez-vous aussi des bras de fer entre les présidents des conseils généraux et les préfets pour le partage des moyens des préfectures. Il a fallu attendre les élections cantonales et régionales de 1986 pour que les différents niveaux de collectivités s'organisent petit à petit. Ensuite, la mise en uvre du nouveau dispositif a été relativement apaisée.
Toute nouvelle donne en matière de décentralisation connaît une tension initiale, comprise comme une prise du pouvoir avant qu'arrive l'exercice effectif des responsabilités. La période actuelle n'échappe pas à cette règle. Pendant la campagne des élections régionales et cantonales, il y a eu des promesses irréfléchies, des discours partisans, qui ont pu donner un sentiment de tension. Rapidement, les nouvelles équipes vont se mettre au travail, les partenariats et les procédures vont s'installer, les querelles s'apaiser. On passe de la prise du pouvoir à l'exercice des responsabilités, cela prend quelques temps à se caler.
Q - Pour autant, la majorité des départements et des régions, aujourd'hui à gauche, annoncent des hausses d'impôts en 2005 au nom de la décentralisation en cours.
R - Dans les années 2000-2002, j'ai vécu en tant que président de conseil régional la décentralisation des transports ferroviaires. Les régions ont dû alors acheter du matériel très coûteux, mais n'ont pas pour autant augmenté les impôts. Le débat d'aujourd'hui est un débat partisan, ce n'est pas un débat financier. C'est une mauvaise foi fiscale. Certains élus sont gourmands en matière d'impôts. D'autres mettent un point d'honneur à les maîtriser. L'impôt n'est pas un mistigri qu'on se repasse, ceux qui le votent doivent l'assumer.
Q - La compensation des transferts de charges par l'Etat s'est toujours faite aux dépens des collectivités locales. Comment pouvez-vous assurer que cela ne sera pas le cas cette fois-ci ?
R - Le dispositif de compensation n'a jamais été aussi clair. Pour les lycées, pour les TER, pour un grand nombre des précédents transferts, nous n'avions pas les règles qui s'appliquent aujourd'hui, et notamment celles que nous avons inscrites dans la Constitution. Nous avons protégé les finances locales avec la règle de droit qui est la plus puissante, la Constitution. C'est une grande nouveauté. Lorsque le gouvernement précédent a décidé de mettre en place les 35 heures, il a procédé à un transfert de charges considérables vers les collectivités locales sans prévoir aucune compensation. Aujourd'hui, au contraire, nous sommes dans un régime juridique de haute protection. Toutes les évaluations nécessaires vont être mises sur pied. L'Etat tiendra tous ses engagements.
Q - Les annonces de la suppression de la taxe sur le foncier non bâti et de taxe professionnelle ont paru contradictoires avec le principe d'autonomie fiscale. En quoi ces décisions sont-elles l'occasion d'une remise à plat de la fiscalité ?
R - Je souhaite un nouveau système fiscal pour les collectivités locales. C'est un sujet difficile que tout le monde avait jusqu'à présent soigneusement évité. Aujourd'hui, la fiscalité locale est décalée par rapport à nos objectifs économiques puisqu'elle pénalise l'emploi. Je suis attaché à l'autonomie fiscale des collectivités locales, sinon je n'aurais pas fait modifier en ce sens la Constitution. Mais je voudrais que celles-ci bénéficient d'une fiscalité à la fois dynamique et responsabilisante. Avec la TIPP, nous allons pouvoir répondre à ces deux exigences.
Q - La suppression du foncier non bâti suscite de fortes inquiétudes parmi les maires ruraux. Quelles sont les pistes de remplacement ?
R - Que les choses soient claires. Je ne supprimerai pas la taxe sur le foncier non bâti tant que je ne disposerai pas d'un meilleur système pour les communes rurales. Par ailleurs, pas une seule d'entre elles ne sera pénalisée par le système que nous proposerons.
Pour l'instant, le gouvernement réfléchit à plusieurs hypothèses de substitution. Cette réforme exige encore du travail. Elle est importante, mais nous devons impérativement veiller à ce qu'en aucune façon, les ressources des collectivités rurales ne soient pénalisées.
Q - Du fait des retards constants pris par l'Etat dans l'exécution des contrats de plan, ne faudrait-il pas tout simplement les supprimer et inventer un autre système ?
R - Je ne conteste pas les retards de l'Etat. C'est pour les combler que je viens de décider, dans le cadre de la loi de finances rectificative, une enveloppe budgétaire supplémentaire de 300 millions d'euros d'autorisations de programme et 150 millions de crédits de paiement. Cette première initiative permettra de tenir les engagements pris en matière d'infrastructures. La signature de l'Etat sera honorée.
Plus généralement, je pense que nous arrivons au terme de la formule actuelle des contrats de plan Etat-régions. Je m'interroge d'abord sur leur durée : sept ans, comme ceux de la génération en cours, c'est trop long. Les effets d'affichage sont plus importants que les effets opérationnels. Par ailleurs, pour une meilleure efficacité, il faut une concentration plus forte sur des projets mieux identifiés. Les conclusions du rapport d'Emile Blessig, député du Bas-Rhin, seront éclairantes en la matière. D'ici à la fin de la législature, une nouvelle formule de contrats de plan sera mise au point ; elle devra laisser une place plus claire à l'intercommunalité et aux départements. Mon idée est d'avoir pour chaque contrat des projets identifiés avec des chefs de file également identifiés.
Q - Avec la réorganisation de La Poste, la question du maintien des services publics en milieu rural est de nouveau posée. La Poste doit-elle revoir sa stratégie ou bien est-ce aux élus locaux de s'adapter à une nouvelle donne en matière de services publics ?
R - Je reste très attentif à l'avenir de La Poste. Je constate aussi une certaine incompréhension entre les élus locaux et les services administratifs, notamment en raison du surcroît de procédures, de normes et de réglementations. Des dossiers comme l'assainissement ou les permis de construire, sont devenus administrativement complexes. Les maires qui ne disposent pas de services suffisamment développés n'ont pas les moyens de faire face à toute cette bureaucratie. Cette incompréhension provoque parfois de la colère. Nous devons tous travailler à un apaisement des relations entre ceux qui, dans des fonctions différentes, poursuivent le même but, le service public et l'intérêt général. Les services de l'Etat doivent savoir qu'il ne suffit pas de créer une commission de concertation pour être à l'écoute des acteurs locaux. Dialoguer, c'est aussi entendre.
Je souhaite donc que les maires de nos petites communes, notamment celles qui comptent moins de 1.000 habitants, soient réellement épaulés dans leurs démarches et dans leurs projets. Souvent, les conseils généraux savent le faire, mais l'Etat a des obligations au moins aussi fortes en la matière. C'est pourquoi, je demande au Ministre de l'Intérieur de prendre toutes les dispositions afin que, dans chaque préfecture, une cellule spécifique d'aide et de conseil soit parfaitement disponible, en étroite liaison avec les sous-préfets.
Je sais que les préfectures et les sous-préfectures sont dans l'écoute et le dialogue, au cur d'une de leurs missions traditionnelles. Je leur demande de s'investir à la hauteur des attentes des maires ruraux.
Pour la République il n'y a pas de petites communes. Chacune est utile comme espace premier de la République c'est pour cela que même dans l'intercommunalité je ne suis pas favorable à la disparition des communes où à l'élection de " supermaires ".
Q - Seriez-vous favorable à un moratoire sur les services publics ?
R - Je ne suis pas favorable à l'immobilisme ! Le moratoire, c'est le gel, la glaciation. En revanche, nous devons impérativement rétablir la confiance dans la parole donnée, entre les élus locaux et les responsables des services publics, qu'ils s'agisse d'administrations ou d'entreprises. On ne peut et on ne doit pas entraver la modernisation de nos grands réseaux. Mais on doit, une fois pour toutes, entendre la voix de nos territoires et de leurs élus.
Je suis donc, avec une grande attention la discussion en cours devant le Parlement du projet de loi sur la ruralité. Ce texte qui prévoit des dispositions en plaçant le préfet et les collectivités territoriales au cur d'un dialogue préalable, s'imposant aux gestionnaires des services publics. Laissons se dérouler le débat, mais soyez certains de mon accord pour que soient rétablies, y compris par la loi, les conditions du dialogue et de l'écoute, sans renoncer à la nécessaire modernisation. L'Etat doit être au service des élus locaux pour les aider à réussir leur mandat.
Q - Où en est le projet de loi annoncé réformant la fonction publique territoriale pour introduire notamment plus de fluidité dans le marché de l'emploi territorial ?
R - Des négociations s'ouvrent avec les partenaires sociaux sur l'ensemble de ces sujets. Notre volonté est toujours de mieux adapter le système, mais nous sommes là dans une discussion sociale complexe qui concerne les trois fonctions publiques : de l'Etat, des collectivités territoriales et des secteurs hospitaliers.
Propos recueillis par Frédéric Valletoux
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 15 novembre 2004)