Déclaration de M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie, sur le contenu du projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique, à Paris le 25 mai 2004.

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Circonstance : Forum des Droits sur l'internet à Paris le 25 mai 2004

Texte intégral

Madame la Présidente, Mesdames et messieurs,
Je veux tout d'abord féliciter le Forum des Droits sur l'Internet (FDI), et particulièrement sa présidente, Mme Isabelle Falque-Pierrotin, d'avoir pris l'initiative de cette réunion conviviale d'échanges autour de l'économie numérique.
Il me semble que notre échange vient à un moment particulièrement choisi puisque, comme vous le savez, une partie importante du travail législatif entrepris depuis deux ans dans le domaine des nouvelles technologies de l'information et de la communication, touche à sa fin avec l'adoption récente par le Parlement de la loi pour la Confiance dans l'Économie Numérique et la prochaine CMP sur les paquets télécoms.
Le FDI, par ses avis, a contribué à éclairer le Gouvernement au cours de ce processus. Je suis sûr que le nouveau dispositif législatif permettra de conforter la très forte dynamique de la révolution numérique qui est en cours actuellement et dont je crois utile de rappeler quelques données essentielles.
I. Le développement des NTIC en France est particulièrement dynamique
l. La France a aujourd'hui la plus forte croissance en Europe dans l'Internet Haut Débit.
Il y avait 700 000 abonnés en mai 2002, il y en a près de 4,5 millions aujourd'hui ! L'objectif de 10 millions d'abonnés à haut débit en 2007, qui avait été fixé en 2002, sera probablement dépassé!
- L'essor d'Internet à haut débit a dopé fortement le commerce électronique qui croît avec un rythme annuel de 60 % qui ne faiblit pas. Je serai d'ailleurs heureux d'échanger sur les perspectives de développement avec les nombreux représentants de ce secteur présents aujourd'hui.
- S'agissant des déclarations d'impôt par Internet, en 2004, ce sont plus de 1,25 millions de foyers qui ont fait leur déclaration par Internet. Ce chiffre était de 600 000 en 2003 et de 120 000 en 2002.
2. Dans ce contexte très dynamique, la loi pour la confiance dans l'économie numérique est le premier texte français d'ensemble sur Internet
Son adoption clarifiera les règles du jeu pour les fournisseurs, protègera plus efficacement les utilisateurs, et contribuera aussi à atteindre deux objectifs majeurs :
* la confiance des utilisateurs dans le réseau Internet, par la protection des mineurs et la lutte contre le "spam".
* la lutte contre les contenus illicites et les atteintes aux droits de propriété intellectuelle à laquelle il convient d'accorder la plus grande attention.
- Je rappelle également que la directive du 8 juin 2000 sur le Commerce Électronique aurait dû être transposée avant le 17 janvier 2002
La loi met enfin un terme à ce retard pour lequel la France a reçu un avis motivé de la Commission Européenne.
II. Quels sont les principaux apports de la nouvelle loi ?
1. Je crois utile de rappeler que l'une des grandes avancées du texte, qui a fait l'objet de débats passionnés au cours des différentes lectures parlementaires est l'introduction dans notre droit d'une définition globale de la communication au public par voie électronique.
Dans cette définition, s'insèrent la communication publique en ligne, qui relèvera de la loi pour la Confiance dans l'Économie Numérique, et la communication audiovisuelle, laquelle continuera de relever de la loi de 1986. Sont ainsi conciliées la défense de l'exception culturelle française et la création d'un texte réellement fondateur pour l'Internet.
2. De plus, vous le savez, plusieurs dispositions concernant les télécommunications ont été intégrées au texte.
- Elles doivent être analysées en complément du " paquet télécoms " et le texte sur les obligations de service public des télécommunications et sur France Télécom.
- L'Intervention des collectivités territoriales dans les télécoms est consacrée et sécurisée sur le plan juridique
- Il faut saluer l'accord auquel l'Assemblée nationale et le Sénat étaient parvenus en deuxième lecture pour préciser les conditions d'intervention des collectivités territoriales qui pourront désormais contribuer efficacement dans un cadre juridique clarifié à la réduction de la fracture numérique dont le gouvernement a fait une priorité, en veillant naturellement à ne pas se lancer dans des projets hasardeux.
3. Plusieurs questions ont par ailleurs retenu l'attention au cours du débat
Sachant que de nombreux juristes sont présents aujourd'hui et participent aux travaux du Forum, permettez-moi d'y revenir brièvement.
a) La responsabilité des hébergeurs reposera sur des bases clairement identifiées
- Comme vous le savez, la mise en cause de la responsabilité des hébergeurs est limitée au seul cas où, ayant effectivement connaissance d'activités ou d'informations illicites hébergées, ils n'auraient pas agi promptement pour rendre impossible l'accès aux informations. C'est une responsabilité limitée, à la différence de celle de l'éditeur de contenu qui est totale. Ces responsabilités sont expressément prévues par la directive communautaire.
- Le mécanisme conduisant à l'intervention du juge et à l'engagement éventuel de la responsabilité de l'hébergeur est au coeur de nombreuses discussions autour du texte. Il doit donc retenir notre attention. Lorsqu'un signalement d'un contenu illicite lui est fait, l'hébergeur prend alors ses responsabilités. Il peut décider de ne pas donner suite à la demande formulée. Comme le signalement lui aura été fait, c'est le juge qui, le cas échéant, décidera de la responsabilité de l'hébergeur.
- Il est bien évident que le juge l'appréciera dans la continuité de la jurisprudence, en appréciant notamment la bonne foi de l'hébergeur. Dans le cas de signalements abusifs ou fondés sur des critères flous, l'hébergeur n'encourra aucune répression devant le tribunal, sa bonne foi étant acquise. C'est en dernier lieu le juge qui, après une fine analyse juridique, décidera s'il y a lieu ou pas de donner suite.
- Ce dispositif ne transforme pas l'hébergeur en juge, mais crée un préalable : pour pouvoir saisir le juge, il faut d'abord notifier à l'hébergeur. L'hébergeur apprécie et agit comme il l'entend ; il peut s'adresser à l'éditeur ou à l'émetteur avant de prendre sa décision. En cas d'ambiguïté ou de litige, il faudra en tout état de cause passer devant le juge.
- Enfin, n'oublions pas que l'hébergeur est lié par un contrat commercial (parfois à titre gratuit) à un éditeur de contenu. S'il procède à un retrait non motivé du contenu hébergé, alors il s'expose à un litige avec l'éditeur, qui est son client.
- Vous pourrez apporter sur ces sujets par définition difficiles un éclairage qui sera particulièrement utile.
b) Les délais de prescription prennent en compte les effets spécifiques générés par Internet
- Le texte adopté par le Parlement prend en compte les effets particuliers sur les droits des victimes du caractère continu de la publication sur Internet. Limiter la capacité d'une victime d'agir dans un délai de trois mois suivant la première publication ne lui permettait pas d'obtenir réparation du préjudice qu'elle subit et ce d'autant plus que la quantité d'informations disponibles sur Internet rend très difficile la détection des contenus causant un préjudice, une diffamation par exemple. La directive ne permettant pas d'instaurer une obligation générale de surveillance des contenus à la charge des hébergeurs, il est d'autant plus nécessaire de veiller à préserver le droit des victimes à obtenir réparation des préjudices qu'elles ont subis. Tel est le sens du texte qui vise la date à laquelle cesse la mise à disposition du public du message susceptible de déclencher l'action publique ou l'action civile.
Ce dispositif maintient le régime de la presse. Le régime de prescription prévu par la loi du 29 juillet 1881 restera applicable à la reproduction d'une publication sur un service de communication au public en ligne des lors que le contenu est le même sur le support informatique et sur le support papier.
Un important travail a été accompli pour organiser le droit de réponse sur les services de communication au public en ligne. Il y avait manifestement dans ce domaine une lacune qui devait être comblée.
c) La lutte contre les contenus pédophiles, antisémites et racistes est au coeur du dispositif
- La discussion sur le projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique a donné lieu à d'importants débats de société sur la lutte contre la propagation sur Internet des contenus particulièrement odieux.
- Le Parlement est parvenu à un accord sur la difficile question de l'obligation de surveillance des contenus hébergés en recherchant ceux qui sont à caractère pédophile, négationniste, antisémite ou raciste. Je m'en félicite car le dispositif équilibré auquel elle a abouti permet de respecter la directive européenne tout en rehaussant le niveau d'engagement, avec des sanctions le cas échéant, des fournisseurs d'accès à lnternet dans le signalement des sites pédophiles ou incitant à la haine raciale. Je crois qu'il s'agit d'un dispositif efficace pour lequel le ministère de l'Industrie veillera à la finalisation rapide de la charte des fournisseurs d'accès à lnternet.
- Ce dispositif constitue une avancée dans la lutte contre ces agissements intolérables à caractère antisémite. Dans ce domaine, je me félicite qu'à la suite de la conférence ministérielle de décembre 2003, l'OSCE ait adopté une déclaration appelant l'attention des États Membres sur la nécessité de combattre les délits liés à la haine et à la propagande raciste et antisémite sur Internet. L'OSCE organisera une réunion spéciale à Paris en juin 2004, consacrée à l'interaction entre la propagande sur lnternet et la réalité des délits antisémites ou racistes, dont l'une des tables rondes doit être animée par le Forum des Droits sur l'Internet.
- Nous sommes sur un sujet complexe sur lequel les pouvoirs publics doivent disposer des moyens de lutte les plus puissants et les plus adaptés. Je ne peux donc que souhaiter ardemment que le Forum travaille sur ce sujet et fasse des propositions, qui pourraient entrer dans le champ de la régulation de l'Internet par les acteurs publics ou privés, ou être de nature réglementaire.
d) La publicité par voie électronique est aussi mieux encadrée
- Sur ce sujet épineux du spam, la CMP a souhaité limiter le champ de l'article 12 à la prospection à caractère commercial. S'il est vrai que la directive vise les communications commerciales non sollicitées, il conviendra d'être attentif à ce que les internautes ne pâtissent pas exagérément des autres formes de communications non sollicitées et de procéder à une évaluation ultérieure de l'efficacité de ce dispositif de lutte contre le spam.
- La loi modifiant le régime applicable aux publicités par voie électronique, je souhaite apporter, notamment à l'attention des représentants des commerçants électroniques ici présents, une précision sur la question des conditions d'utilisation des bases de données existantes. La loi prévoit une exception à la règle du consentement préalable lorsqu'une entreprise souhaite prospecter des clients à qui des produits ou services analogues ont été fournis. Dès lors, les entreprises pourront continuer à utiliser leurs fichiers existants de clients, mais cette règle ne s'applique pas aux prospects, sans recueillir leur consentement. Elles devront naturellement toujours offrir la possibilité de s'opposer à tout envoi ultérieur.
e) Enfin, la lutte contre la contrefaçon numérique disposera d'armes efficaces
- Nous ne pouvons accepter la mise en cause de la propriété intellectuelle sur Internet. Comme vous le savez que le Gouvernement a fait de la lutte contre la contrefaçon et la piraterie sur Internet une priorité. Dans ce domaine, qui constitue un enjeu majeur pour nos industries, le droit doit en permanence veiller à s'adapter pour répondre efficacement à des pratiques elles-mêmes très évolutives. C'est pourquoi les réflexions du Forum, auxquelles participent les sociétés de gestion de droits de propriété intellectuelle et les fournisseurs d'accès, seront particulièrement utiles pour contribuer à lutter contre ce fléau. Je précise que le projet de loi sur les droits d'auteurs dans la société de l'information devrait être examiné prochainement par le Parlement.
- Il n'est pas inutile de revenir sur l'étendue des pouvoirs qui sont conférés au juge par la loi dans la lutte contre le dommage causé par les contenus illicites. Dans le cadre des procédures de référé, le juge pourra prendre toutes décisions qu'il estime nécessaire pour faire cesser le dommage, y compris pour faire cesser l'accès aux contenus illicites.
- Le juge pourra s'adresser à l'éditeur, à l'hébergeur ou au fournisseur d'accès. Il pourra demander à l'hébergeur de limiter la mise à disposition du contenu à une certaine catégorie de publics. Il pourra aussi demander à un fournisseur d'accès à Internet de résilier le compte d'un de ses abonnés qui proposerait des services de communication publique en ligne et, s'il l'estime nécessaire, il pourra également demander de faire cesser l'accès à un contenu illicite, source de dommage.
- Je crois donc qu'il y a là un dispositif efficace que le juge devra tirer tout le parti pour ordonner les mesures de nature à faire cesser effectivement des dommages dont la persistance apparaît comme particulièrement inacceptable.
En conclusion, nous sommes à un moment important de la construction du droit de l'Internet en France avec les lois pour la Confiance dans l'Économie Numérique et sur les droits d'auteur dans la société de l'information. Ces textes complexes nécessiteront certainement d'être révisés avec le temps, en fonctions des futures directives communautaires et des nombreux problèmes qui ne manqueront pas de surgir.
Il est donc important que des enceintes comme le FDI puissent à la fois les anticiper et éclairer les travaux gouvernementaux.
Je vous remercie.
(Source http://www.foruminternet.org, le 1er juillet 2004)