Texte intégral
Q- O. Truchot -. J.-P. Raffarin a déclaré hier que le maire de Bègles, N. Mamère, s'exposait à des sanctions prévues par la loi, s'il célébrait comme prévu, samedi, le mariage homosexuel. Quelles sont les sanctions possibles ?
R- "D'abord, pourquoi des sanctions éventuellement ? Parce que M. Mamère, dans cette affaire, est certes maire, mais il intervient dans un mariage comme officier d'état civil. Qu'est-ce que c'est qu'un officier d'état civil ? C'est quelqu'un qui applique la loi au nom de l'Etat. Et donc, c'est à ce titre que, bien entendu, son premier devoir est de respecter la loi telle qu'elle est. Bien sûr, on peut ouvrir un débat politique sur le mariage homosexuel, ce n'est pas ça le débat aujourd'hui. Le débat aujourd'hui est de savoir si un officier d'état civil, qui agit au nom de l'Etat, peut transgresser la loi telle qu'elle existe. C'est ça le débat, c'est ce qu'a rappelé le Premier ministre hier, à l'Assemblée nationale, en disant : attention, un officier d'état civil ne peut pas faire n'importe quoi, il doit respecter la loi ; s'il ne le fait pas, il encourt des sanctions. Il encourt des sanctions à caractère pénal ou civil, et des sanctions administratives. En particulier, il encourt la suspension en tant que maire, puisque le maire est aussi officier d'état civil."
Q- La suspension d'un maire est quelque chose d'exceptionnel...
R- "C'est quelque chose d'exceptionnel, bien sûr. Aujourd'hui, on parle d'un officier d'état civil qui ne respecte pas la loi s'agissant du mariage, parce que les personnes sont du même sexe. Mais il pourrait y avoir d'autres cas où un officier d'état civil ne respecterait les règles concernant le mariage, par exemple le mariage entre un beau-père et une belle-fille, le mariage entre des cousins trop proches, etc. Quelque part, l'Etat de droit doit être respecté, en particulier par celui qui porte l'autorité de l'Etat par délégation."
Q- Et les deux époux peuvent-ils être sanctionnés ?
R- "Pour les deux époux, ce qui va arriver, c'est la nullité de ce mariage, c'est-à-dire qu'en réalité, c'est une cérémonie qui n'est pas un mariage, puisque le procureur de la République a fait opposition, il a écrit sur le registre d'état civil qu'il s'opposait à ce mariage qui était, à ses yeux, illégal, puisque le procureur de la République est là aussi pour appliquer la loi. Si la cérémonie a donc quand même lieu, il enclenchera une démarche judiciaire, qui aboutira devant le tribunal de grande instance de Bordeaux."
Q- N. Mamère ne croit pas du tout aux sanctions et dit que c'est du flan...
R- "Ecoutez, il verra bien... Je ne sais pas ce qui sera finalement décidé. Je crois que cela dépendra un peu du contexte. Ce qui est un petit peu dommage, c'est que sur un sujet sérieux - le débat est estimable, il y a des opinions différentes là-dessus, chacun peut avoir son point de vue, une démocratie est par définition un pays dans lequel on peut débattre de tout sujet -, il est un peu dommage qu'on en arrive à un système de provocation et de grand spectacle, avec une médiatisation qui fait presque commercial, pour dire les choses..."
Q- Cela vous choque que ce couple se soit par exemple entouré d'avocats et que, semble-t-il, l'exclusivité des propos de ce couple soit vendue ?
R- "Je pense qu'il est intéressant que l'ensemble des Françaises et des Français sachent qu'effectivement, il semble qu'il y a aussi derrière tout cela une opération commerciale."
Q- Vous avez des informations sur ce sujet ?
R- "Vous venez de faire allusion à une exclusivité pour un magazine, j'en ai entendu parler comme vous..."
Q- C'est VSD...
R- "Voilà."
Q- Il y a d'autres mariages prévus cet été, d'autres couples homosexuels qui se déclarent prêts à se marier. Et certains élus, notamment du côté de Lyon que vous connaissez bien, se disent prêts également à célébrer ces mariages. Irez-vous jusqu'à modifier le code civil pour repréciser les choses concernant le mariage ?
R- "Je crois que le code civil est précis. Le tribunal de Bordeaux, qui sera sans doute saisi le premier, le dira. Ce que je regrette - et je le dis en homme politique, je le dis en ministre de la Justice -, nous devons être une démocratie adulte. Une démocratie adulte, c'est une démocratie qui prend en compte les débats de société, qui les organise. Pour cela, il y a des moyens, et le débat, aujourd'hui, au fond, est ouvert. Il appartient à chacun de s'exprimer. Mais ne transgressons pas la loi pour faire avancer des débats démocratiques. Ce sont des méthodes de démocratie infantile ! Et c'est cela, au fond, que je reproche vraiment à M. Mamère : je trouve qu'il fait quelque part régresser l'esprit démocratique, en faisant de la provocation au lieu de faire du débat. Par exemple, sera installé dans mon ministère, un groupe de travail sur l'évaluation du Pacs et éventuellement son évolution législative. Il y aura là des professionnels, il y aura là des associations. Débattons des choses ! Et ensuite, il y a une majorité qui se dégage, il y a une opposition qui se dégage et une démocratie prend ses décisions..."
[...]
Q- La droite était opposée au Pacs ; maintenant, vous nous dites qu'il faut améliorer le Pacs ; elle est contre la mariage homosexuel. On va encore dire, au pire, qu'elle est homophobe ; au mieux, qu'elle est ringarde...
R- "A l'évidence, elle n'est pas homophobe. Dans quelques jours, je rendrai public un projet de loi qui, pour la première fois, permettra de lutter contre les injures ou les déclarations homophobes. Donc, il y a là une volonté, de notre part et je suis convaincu que nous aurons avec nous non seulement l'ensemble de la droite mais aussi, je crois, l'ensemble de la gauche, pour lutter."
Q- C'est pour avant l'été, cette loi contre l'homophobie ?
R- "Bien sûr, je rendrai public le projet dans quelques jours maintenant, de façon à ce qu'on puisse marquer là un coup d'arrêt. J'ai été bouleversé parce qui est arrivé au jeune Nouchet ; j'ai reçu sa mère et son compagnon, et je considère que nous devons tout faire pour éviter que cette espèce de nouvelle forme de racisme se développe. Lutter contre l'homophobie, c'est une évidence. S'agissant du Pacs, cet après-midi même, un groupe de travail de professionnels du droit, mais aussi des représentants d'une certain nombre d'associations vont se réunir pour la première fois au ministère, pour faire un peu l'évaluation des choses et pour éventuellement améliorer le fonctionnement de ce contrat qui a été créé, il y a quelques années. Voilà quelle est notre attitude. Sur les problèmes de société, il faut à la fois l'esprit d'ouverture mais aussi avoir conscience des enjeux qui peuvent se présenter. Nous évoquions tout à l'heure les questions de mariage entre homosexuels, et évidemment le débat est aussi ouvert sur la parentalité. Mais il faut aussi penser, bien sûr aux adultes, aux enfants, au processus éducatif. Sur tous ces sujets, il ne faut pas caricaturer les débats. Il faut essayer d'aller le plus loin possible. Il faut parler avec ceux qui peuvent apporter une contribution, les psychologues, les médecins, les représentants des grandes familles philosophiques. Ce qui est important, c'est que sur ces grands sujets de société, qui nous bousculent tous, quelles que soient nos orientations politiques, nous ayons conscience des enjeux, que nous prenions le temps de la réflexion et qu'on ne simplifie pas les choses de façon outrancière. Et de grâce, arrêtons les provocations !"
[...]
Q- A propos du procès d'Outreau, la justice est humaine et elle ne repose finalement sur un seul homme [le juge d'instruction], ne faudrait-il pas revoir la façon dont elle instruit ce genre d'affaire ? On ne va pas mettre en cause les compétences du juge d'instruction Burgot qui était tout jeune lorsqu'il a instruit cette affaire. Peut-être était-il trop jeune, manquait-il d'expérience pour pouvoir instruire une affaire aussi complexe, aussi médiatique ?
R- "Je ne veux pas aller plus loin dans l'analyse de ce dossier, puisqu'il est en cours. Je veux simplement dire : ne simplifions pas à l'excès. Certes, il y a un juge d'instruction, mais il y a aussi des juges des libertés et de la détention qui décident de la mise en détention ; il y a la chambre d'instruction qui contrôle la procédure d'instruction. Donc, ne disons pas trop vite que le juge est tout seul."
Q- En tout cas, une fois le procès terminé, si vous constatez qu'il y a eu effectivement des dysfonctionnements graves dans cette affaire, il y aura des sanctions ?
R- "Il y aura d'abord des indemnisations, parce que s'il s'avère, au vu de la décision finale de la Cour, que des personnes ont été détenues sans motif confirmé par la justice, il y a d'abord cela, c'est-à-dire prendre en compte autant qu'il est possible - bien sûr, c'est impossible de prendre complètement en compte la souffrance injuste. Mais il y aurait d'abord cela, et puis ensuite, il faut surtout faire en sorte que cette expérience difficile nous serve. Un point, par exemple, très important - et tous ceux qui suivent ces affaires y sont très attentifs - : comment mieux prendre en compte la parole de l'enfant dans des conditions psychologiques satisfaisantes, et en même temps, dans des conditions de "certitude" - entre guillemets -, de ce qui dit l'enfant, qui soit satisfaisantes ? C'est un point très important, qui ne relève pas directement de la procédure judiciaire, mais qui peut être amélioré à condition d'y mettre les moyens et de faire en sorte que l'organisation matérielle des enquêtes le permette."
Q- Pensez-vous qu'il y aura vraiment un avant et un après Outreau ?
R- "De toute façon, quelle que soit la décision que prendra la Cour, bien entendu, dans sa liberté de jugement, nous devons, les uns et les autres, les professionnels, tenir compte de ce qui se sera passé là."
Q- En tout cas, la justice, pour l'instant - le procès n'est pas terminé - ne sort pas grandi de ce qui se passe à Saint-Omer. J'ai l'impression que les Français ont de moins en moins confiance en la justice. Est-ce pour cela que vous organisez cette opération destinée à former les futurs citoyens, avec un programme, "Voyage au coeur de la justice", qui concerne les collégiens ? On a vraiment besoin d'expliquer aujourd'hui aux français et aux petits Français que la justice n'est pas contre eux ?
R- "Bien entendu ! C'est une des missions qui m'appartient en tant que ministre, c'est faire mieux connaître la justice. De même qu'il est très important que les grands médias puissent parler de la justice avec exactitude, montrer comment se passe la justice, y compris à travers des fictions. J'ai organisé cette année, en classe de 4ème, une découverte de la justice, "Voyage au coeur de la justice", qui va permettre à plus d'une trentaine de classes de 4ème de "juger" - entre guillemets - un cas particulier, le cas du jeune Damien. Le verdict est effectivement aujourd'hui, c'est aujourd'hui que ce travail très en profondeur qui a été fait à un âge important, qui est l'âge du collège, sur la justice, qui est un peu l'école du civisme, c'est la découverte qu'il doit y avoir des règles dans la vie en société. Et puis, c'est la découverte de cette immense difficulté qui est de juger les autres."
[...]
Q- C'est un mal bien français, ces détentions provisoires, ces gens qui restent en prison sans jugement...
R- "Oui, il faut que ce soit limité à la nécessité de l'enquête. Et là, effectivement, on a, les uns et les autres, un travail un peu pédagogique à faire. Mais je dis bien : les uns et les autres. Quand il se passe un drame, s'il n'y a pas emprisonnement immédiat du responsable supposé, cela provoque un scandale dans l'opinion publique. Donc, nous avons, vous journalistes, moi homme politique, et beaucoup d'autres, une certaine responsabilité là-dedans. On a le sentiment que le cours de la justice ne s'enclenche pas s'il n'y a pas d'abord l'incarcération avant même qu'il y ait jugement. Donc, soyons, les uns et les autres, bien conscients que nous avons tous une part de responsabilité dans ce qui peut être bien souvent excessif en termes d'emprisonnement préventif. L'augmentation de la population des détenus en prison résulte aujourd'hui exclusivement ou quasi exclusivement de l'augmentation du nombre de personnes condamnées. Donc, heureusement, le nombre total de gens qui sont prévenus, c'est-à-dire qui ne sont pas encore jugés, n'augmente pas. Mais pour autant, nous avons encore, c'est sûr, un travail à faire dans ce domaine."
Q- Dernière question : hier, il y avait cette conférence de presse entre N. Sarkozy et A. Juppé ; il est rare de les voir comme cela, ensemble, assis cote à cote, souriants. A. Juppé a sifflé, en quelque sorte, la fin de la récréation : il reste président d l'UMP jusqu'à l'automne, et donc jusqu'à son procès en appel. "La question de [sa] succession, a-t-il dit, n'est pas à l'ordre du jour." Mais N. Sarkozy en a profité pour mettre quand même le pied dans le plat, puisqu'il a souhaité que J.-P. Raffarin assume un éventuel échec aux élections européennes, comme lui-même l'a fait en 1999 - on se souvient du score pas terrible de Sarkozy en 1999. Qu'est-ce que cela veut dire ? Il menace J.-P. Raffarin qui s'est dit peut-être candidat pour la présidence de l'UMP ?
R- "Il faut lui poser la question. J'ai vu cela rapidement en lisant la presse. Ce qui est important dans cette affaire, ce sont les élections européennes ; c'est le rendez-vous dans les quelque dix jours."
Q- On a l'impression que l'UMP les joue perdantes, ces élections ?
R- "Non, nous ne le jouons pas perdantes. Personnellement, je suis très favorable à la construction européenne, parce que je crois vraiment que c'est une nouvelle frontière pour les Français, que c'est vraiment, en particulier pour les jeunes, fabuleux de pouvoir se dire que grâce à l'Europe, ils vont pouvoir faire une partie de leur études à l'étranger, qu'on peut avoir une expérience professionnelle dans différents pays, que l'on peut bouger. Cette ouverture culturelle sur d'autres pays, je voudrais vraiment que ces élections européennes soient un moment d'enthousiasme créatif. La France a tout à gagner dans la construction de l'Europe. Comme ministre de la Justice, je vois que c'est très important aussi."
Q-Vous n'avez pas répondu à ma question concernant l'UMP...
R- "L'UMP a une position sur l'Europe, qui est très constructive. Nous sommes pour la Constitution européenne, nous voulons construire l'Union de l'Europe. Nous sommes positifs par rapport à cela."
Q- Et pour la présidence de l'UMP ?
R- "On verra cela à l'automne."
Q- J.-P. Raffarin est votre candidat ?
R- "Pour l'instant, il n'y a aucun candidat ; pour l'instant, A. Juppé est encore président. Je crois vraiment qu'il est bien préférable d'attendre l'automne, de passer l'été, pour se poser la question de savoir comment les choses vont se passer. Le dernier mot, de toute façon, appartiendra aux militants, puisque ce sont eux qui élisent le président de notre mouvement politique."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 juin 2004)
R- "D'abord, pourquoi des sanctions éventuellement ? Parce que M. Mamère, dans cette affaire, est certes maire, mais il intervient dans un mariage comme officier d'état civil. Qu'est-ce que c'est qu'un officier d'état civil ? C'est quelqu'un qui applique la loi au nom de l'Etat. Et donc, c'est à ce titre que, bien entendu, son premier devoir est de respecter la loi telle qu'elle est. Bien sûr, on peut ouvrir un débat politique sur le mariage homosexuel, ce n'est pas ça le débat aujourd'hui. Le débat aujourd'hui est de savoir si un officier d'état civil, qui agit au nom de l'Etat, peut transgresser la loi telle qu'elle existe. C'est ça le débat, c'est ce qu'a rappelé le Premier ministre hier, à l'Assemblée nationale, en disant : attention, un officier d'état civil ne peut pas faire n'importe quoi, il doit respecter la loi ; s'il ne le fait pas, il encourt des sanctions. Il encourt des sanctions à caractère pénal ou civil, et des sanctions administratives. En particulier, il encourt la suspension en tant que maire, puisque le maire est aussi officier d'état civil."
Q- La suspension d'un maire est quelque chose d'exceptionnel...
R- "C'est quelque chose d'exceptionnel, bien sûr. Aujourd'hui, on parle d'un officier d'état civil qui ne respecte pas la loi s'agissant du mariage, parce que les personnes sont du même sexe. Mais il pourrait y avoir d'autres cas où un officier d'état civil ne respecterait les règles concernant le mariage, par exemple le mariage entre un beau-père et une belle-fille, le mariage entre des cousins trop proches, etc. Quelque part, l'Etat de droit doit être respecté, en particulier par celui qui porte l'autorité de l'Etat par délégation."
Q- Et les deux époux peuvent-ils être sanctionnés ?
R- "Pour les deux époux, ce qui va arriver, c'est la nullité de ce mariage, c'est-à-dire qu'en réalité, c'est une cérémonie qui n'est pas un mariage, puisque le procureur de la République a fait opposition, il a écrit sur le registre d'état civil qu'il s'opposait à ce mariage qui était, à ses yeux, illégal, puisque le procureur de la République est là aussi pour appliquer la loi. Si la cérémonie a donc quand même lieu, il enclenchera une démarche judiciaire, qui aboutira devant le tribunal de grande instance de Bordeaux."
Q- N. Mamère ne croit pas du tout aux sanctions et dit que c'est du flan...
R- "Ecoutez, il verra bien... Je ne sais pas ce qui sera finalement décidé. Je crois que cela dépendra un peu du contexte. Ce qui est un petit peu dommage, c'est que sur un sujet sérieux - le débat est estimable, il y a des opinions différentes là-dessus, chacun peut avoir son point de vue, une démocratie est par définition un pays dans lequel on peut débattre de tout sujet -, il est un peu dommage qu'on en arrive à un système de provocation et de grand spectacle, avec une médiatisation qui fait presque commercial, pour dire les choses..."
Q- Cela vous choque que ce couple se soit par exemple entouré d'avocats et que, semble-t-il, l'exclusivité des propos de ce couple soit vendue ?
R- "Je pense qu'il est intéressant que l'ensemble des Françaises et des Français sachent qu'effectivement, il semble qu'il y a aussi derrière tout cela une opération commerciale."
Q- Vous avez des informations sur ce sujet ?
R- "Vous venez de faire allusion à une exclusivité pour un magazine, j'en ai entendu parler comme vous..."
Q- C'est VSD...
R- "Voilà."
Q- Il y a d'autres mariages prévus cet été, d'autres couples homosexuels qui se déclarent prêts à se marier. Et certains élus, notamment du côté de Lyon que vous connaissez bien, se disent prêts également à célébrer ces mariages. Irez-vous jusqu'à modifier le code civil pour repréciser les choses concernant le mariage ?
R- "Je crois que le code civil est précis. Le tribunal de Bordeaux, qui sera sans doute saisi le premier, le dira. Ce que je regrette - et je le dis en homme politique, je le dis en ministre de la Justice -, nous devons être une démocratie adulte. Une démocratie adulte, c'est une démocratie qui prend en compte les débats de société, qui les organise. Pour cela, il y a des moyens, et le débat, aujourd'hui, au fond, est ouvert. Il appartient à chacun de s'exprimer. Mais ne transgressons pas la loi pour faire avancer des débats démocratiques. Ce sont des méthodes de démocratie infantile ! Et c'est cela, au fond, que je reproche vraiment à M. Mamère : je trouve qu'il fait quelque part régresser l'esprit démocratique, en faisant de la provocation au lieu de faire du débat. Par exemple, sera installé dans mon ministère, un groupe de travail sur l'évaluation du Pacs et éventuellement son évolution législative. Il y aura là des professionnels, il y aura là des associations. Débattons des choses ! Et ensuite, il y a une majorité qui se dégage, il y a une opposition qui se dégage et une démocratie prend ses décisions..."
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Q- La droite était opposée au Pacs ; maintenant, vous nous dites qu'il faut améliorer le Pacs ; elle est contre la mariage homosexuel. On va encore dire, au pire, qu'elle est homophobe ; au mieux, qu'elle est ringarde...
R- "A l'évidence, elle n'est pas homophobe. Dans quelques jours, je rendrai public un projet de loi qui, pour la première fois, permettra de lutter contre les injures ou les déclarations homophobes. Donc, il y a là une volonté, de notre part et je suis convaincu que nous aurons avec nous non seulement l'ensemble de la droite mais aussi, je crois, l'ensemble de la gauche, pour lutter."
Q- C'est pour avant l'été, cette loi contre l'homophobie ?
R- "Bien sûr, je rendrai public le projet dans quelques jours maintenant, de façon à ce qu'on puisse marquer là un coup d'arrêt. J'ai été bouleversé parce qui est arrivé au jeune Nouchet ; j'ai reçu sa mère et son compagnon, et je considère que nous devons tout faire pour éviter que cette espèce de nouvelle forme de racisme se développe. Lutter contre l'homophobie, c'est une évidence. S'agissant du Pacs, cet après-midi même, un groupe de travail de professionnels du droit, mais aussi des représentants d'une certain nombre d'associations vont se réunir pour la première fois au ministère, pour faire un peu l'évaluation des choses et pour éventuellement améliorer le fonctionnement de ce contrat qui a été créé, il y a quelques années. Voilà quelle est notre attitude. Sur les problèmes de société, il faut à la fois l'esprit d'ouverture mais aussi avoir conscience des enjeux qui peuvent se présenter. Nous évoquions tout à l'heure les questions de mariage entre homosexuels, et évidemment le débat est aussi ouvert sur la parentalité. Mais il faut aussi penser, bien sûr aux adultes, aux enfants, au processus éducatif. Sur tous ces sujets, il ne faut pas caricaturer les débats. Il faut essayer d'aller le plus loin possible. Il faut parler avec ceux qui peuvent apporter une contribution, les psychologues, les médecins, les représentants des grandes familles philosophiques. Ce qui est important, c'est que sur ces grands sujets de société, qui nous bousculent tous, quelles que soient nos orientations politiques, nous ayons conscience des enjeux, que nous prenions le temps de la réflexion et qu'on ne simplifie pas les choses de façon outrancière. Et de grâce, arrêtons les provocations !"
[...]
Q- A propos du procès d'Outreau, la justice est humaine et elle ne repose finalement sur un seul homme [le juge d'instruction], ne faudrait-il pas revoir la façon dont elle instruit ce genre d'affaire ? On ne va pas mettre en cause les compétences du juge d'instruction Burgot qui était tout jeune lorsqu'il a instruit cette affaire. Peut-être était-il trop jeune, manquait-il d'expérience pour pouvoir instruire une affaire aussi complexe, aussi médiatique ?
R- "Je ne veux pas aller plus loin dans l'analyse de ce dossier, puisqu'il est en cours. Je veux simplement dire : ne simplifions pas à l'excès. Certes, il y a un juge d'instruction, mais il y a aussi des juges des libertés et de la détention qui décident de la mise en détention ; il y a la chambre d'instruction qui contrôle la procédure d'instruction. Donc, ne disons pas trop vite que le juge est tout seul."
Q- En tout cas, une fois le procès terminé, si vous constatez qu'il y a eu effectivement des dysfonctionnements graves dans cette affaire, il y aura des sanctions ?
R- "Il y aura d'abord des indemnisations, parce que s'il s'avère, au vu de la décision finale de la Cour, que des personnes ont été détenues sans motif confirmé par la justice, il y a d'abord cela, c'est-à-dire prendre en compte autant qu'il est possible - bien sûr, c'est impossible de prendre complètement en compte la souffrance injuste. Mais il y aurait d'abord cela, et puis ensuite, il faut surtout faire en sorte que cette expérience difficile nous serve. Un point, par exemple, très important - et tous ceux qui suivent ces affaires y sont très attentifs - : comment mieux prendre en compte la parole de l'enfant dans des conditions psychologiques satisfaisantes, et en même temps, dans des conditions de "certitude" - entre guillemets -, de ce qui dit l'enfant, qui soit satisfaisantes ? C'est un point très important, qui ne relève pas directement de la procédure judiciaire, mais qui peut être amélioré à condition d'y mettre les moyens et de faire en sorte que l'organisation matérielle des enquêtes le permette."
Q- Pensez-vous qu'il y aura vraiment un avant et un après Outreau ?
R- "De toute façon, quelle que soit la décision que prendra la Cour, bien entendu, dans sa liberté de jugement, nous devons, les uns et les autres, les professionnels, tenir compte de ce qui se sera passé là."
Q- En tout cas, la justice, pour l'instant - le procès n'est pas terminé - ne sort pas grandi de ce qui se passe à Saint-Omer. J'ai l'impression que les Français ont de moins en moins confiance en la justice. Est-ce pour cela que vous organisez cette opération destinée à former les futurs citoyens, avec un programme, "Voyage au coeur de la justice", qui concerne les collégiens ? On a vraiment besoin d'expliquer aujourd'hui aux français et aux petits Français que la justice n'est pas contre eux ?
R- "Bien entendu ! C'est une des missions qui m'appartient en tant que ministre, c'est faire mieux connaître la justice. De même qu'il est très important que les grands médias puissent parler de la justice avec exactitude, montrer comment se passe la justice, y compris à travers des fictions. J'ai organisé cette année, en classe de 4ème, une découverte de la justice, "Voyage au coeur de la justice", qui va permettre à plus d'une trentaine de classes de 4ème de "juger" - entre guillemets - un cas particulier, le cas du jeune Damien. Le verdict est effectivement aujourd'hui, c'est aujourd'hui que ce travail très en profondeur qui a été fait à un âge important, qui est l'âge du collège, sur la justice, qui est un peu l'école du civisme, c'est la découverte qu'il doit y avoir des règles dans la vie en société. Et puis, c'est la découverte de cette immense difficulté qui est de juger les autres."
[...]
Q- C'est un mal bien français, ces détentions provisoires, ces gens qui restent en prison sans jugement...
R- "Oui, il faut que ce soit limité à la nécessité de l'enquête. Et là, effectivement, on a, les uns et les autres, un travail un peu pédagogique à faire. Mais je dis bien : les uns et les autres. Quand il se passe un drame, s'il n'y a pas emprisonnement immédiat du responsable supposé, cela provoque un scandale dans l'opinion publique. Donc, nous avons, vous journalistes, moi homme politique, et beaucoup d'autres, une certaine responsabilité là-dedans. On a le sentiment que le cours de la justice ne s'enclenche pas s'il n'y a pas d'abord l'incarcération avant même qu'il y ait jugement. Donc, soyons, les uns et les autres, bien conscients que nous avons tous une part de responsabilité dans ce qui peut être bien souvent excessif en termes d'emprisonnement préventif. L'augmentation de la population des détenus en prison résulte aujourd'hui exclusivement ou quasi exclusivement de l'augmentation du nombre de personnes condamnées. Donc, heureusement, le nombre total de gens qui sont prévenus, c'est-à-dire qui ne sont pas encore jugés, n'augmente pas. Mais pour autant, nous avons encore, c'est sûr, un travail à faire dans ce domaine."
Q- Dernière question : hier, il y avait cette conférence de presse entre N. Sarkozy et A. Juppé ; il est rare de les voir comme cela, ensemble, assis cote à cote, souriants. A. Juppé a sifflé, en quelque sorte, la fin de la récréation : il reste président d l'UMP jusqu'à l'automne, et donc jusqu'à son procès en appel. "La question de [sa] succession, a-t-il dit, n'est pas à l'ordre du jour." Mais N. Sarkozy en a profité pour mettre quand même le pied dans le plat, puisqu'il a souhaité que J.-P. Raffarin assume un éventuel échec aux élections européennes, comme lui-même l'a fait en 1999 - on se souvient du score pas terrible de Sarkozy en 1999. Qu'est-ce que cela veut dire ? Il menace J.-P. Raffarin qui s'est dit peut-être candidat pour la présidence de l'UMP ?
R- "Il faut lui poser la question. J'ai vu cela rapidement en lisant la presse. Ce qui est important dans cette affaire, ce sont les élections européennes ; c'est le rendez-vous dans les quelque dix jours."
Q- On a l'impression que l'UMP les joue perdantes, ces élections ?
R- "Non, nous ne le jouons pas perdantes. Personnellement, je suis très favorable à la construction européenne, parce que je crois vraiment que c'est une nouvelle frontière pour les Français, que c'est vraiment, en particulier pour les jeunes, fabuleux de pouvoir se dire que grâce à l'Europe, ils vont pouvoir faire une partie de leur études à l'étranger, qu'on peut avoir une expérience professionnelle dans différents pays, que l'on peut bouger. Cette ouverture culturelle sur d'autres pays, je voudrais vraiment que ces élections européennes soient un moment d'enthousiasme créatif. La France a tout à gagner dans la construction de l'Europe. Comme ministre de la Justice, je vois que c'est très important aussi."
Q-Vous n'avez pas répondu à ma question concernant l'UMP...
R- "L'UMP a une position sur l'Europe, qui est très constructive. Nous sommes pour la Constitution européenne, nous voulons construire l'Union de l'Europe. Nous sommes positifs par rapport à cela."
Q- Et pour la présidence de l'UMP ?
R- "On verra cela à l'automne."
Q- J.-P. Raffarin est votre candidat ?
R- "Pour l'instant, il n'y a aucun candidat ; pour l'instant, A. Juppé est encore président. Je crois vraiment qu'il est bien préférable d'attendre l'automne, de passer l'été, pour se poser la question de savoir comment les choses vont se passer. Le dernier mot, de toute façon, appartiendra aux militants, puisque ce sont eux qui élisent le président de notre mouvement politique."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 juin 2004)