Déclaration de Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer, sur l'évolution statutaire de Saint-Martin, Saint-Martin le 2 juillet 2004.

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Circonstance : Déplacement du ministre de l'outre-mer, Mme Brigitte Girardin, à Saint-Martin et à Saint-Barthélémy du 2 au 5 juillet 2004

Texte intégral

Monsieur le maire,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Monsieur le président du Conseil général,
Mesdames et messieurs les élus,
Mesdames, messieurs,
C'est avec beaucoup de plaisir que je m'adresse à vous à l'occasion de ma première visite à Saint-Martin en ma qualité de ministre de l'Outre-Mer.
C'est avec joie que je retrouve une île dans laquelle j'ai déjà eu l'occasion de me rendre à plusieurs reprises dans le cadre de mes fonctions antérieures.
Premier voyage depuis mon accession à des fonctions ministérielles, donc, mais aussi premier déplacement depuis que, le 7 décembre 2003, par une majorité incontestable et significative, les électeurs de Saint-Martin ont choisi d'évoluer dans une voie nouvelle, celle tracée par l'article 74 de la Constitution et le statut de collectivité d'outre-mer.
Le débat statutaire n'est pas une question nouvelle à Saint-Martin. La géographie comme l'histoire auraient pu conduire à ce que la partie française de votre île ne soit pas administrativement rattachée à la Guadeloupe, ni ne se voit appliquer le statut départemental. Toujours est-il que le statu quo, au fil des ans et alors que votre île connaissait des changements importants, a pu susciter une intense réflexion des élus et des milieux socio-professionnels.
Les engagements du Président de la République relatifs à l'outre-mer et la révision de la Constitution opérée avec la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République ont contribué à accélérer le processus politique qui a conduit à la consultation populaire du 7 décembre 2003. Le large accord qui s'est manifesté au sein de votre assemblée, comme au sein des deux assemblées de la Guadeloupe, en faveur d'une évolution statutaire s'est pleinement inscrit dans le cadre posé par la Constitution révisée et par le Gouvernement : d'une part, une forte demande des élus, d'autre part, un accord des électeurs.
Massivement et significativement approuvée par les électeurs, cette évolution verra le jour et le Gouvernement l'accompagnera techniquement et juridiquement.
Le passage du régime défini par l'article 73 vers celui défini par l'article 74, - faut-il le rappeler ? - ne signifie en aucune façon un quelconque désengagement de l'Etat des missions régaliennes qui sont ici les siennes et que la Constitution révisée lui fait plus que jamais l'obligation d'exercer.
Ces missions, l'Etat ne les a pas toujours exercées ici avec une présence et des moyens suffisants, sans doute en raison d'une organisation trop largement centrée sur la Guadeloupe, au détriment, dans certains cas, de toute logique et de la bonne utilisation des deniers publics. Ces insuffisances doivent cesser, et l'évolution statutaire doit d'abord être l'occasion du renforcement local de l'action de l'Etat. Cette action trouvera une nouvelle légitimité dans une efficacité renforcée.
La souplesse offerte par l'article 74 permettra une meilleure adaptation des politiques publiques aux réalités locales. Ainsi, dans un domaine éminemment sensible ici ; celui de l'immigration, le " décrochage " d'avec le droit commun, d'ailleurs partiellement engagé, pourrait être plus important. Le Gouvernement n'est pas hostile à la détermination d'un régime juridique adapté à vos spécificités. Il attend sur ce point les propositions des élus, entendu que la sécurité et l'ordre publics ne sauraient en aucune façon être délégués aux autorités locales. Au-delà de la question de l'immigration, l'Etat pourra toujours procéder aux nécessaires adaptations de son droit, dans les nombreuses matières où il exercera sa compétence. Les pouvoirs d'initiative conférés aux nouvelles institutions, qui pourront saisir le Gouvernement de toute proposition, permettraient une meilleure prise en compte des intérêts de votre île.
Ces nouvelles institutions seront naturellement organisées autour de l'assemblée délibérante élue au suffrage universel, à laquelle la Constitution confère d'importantes prérogatives, et qui réglera les affaires de la collectivité. Les compétences de cette assemblée seront d'autant plus importantes qu'elles comprendront, outre celles du conseil municipal, celles du conseil général et celles du conseil régional, ainsi que des attributions nouvelles, en particulier dans le domaine de la loi, et notamment en matière fiscale.
Cette assemblée élira un organe exécutif collégial distinct qui sera responsable devant elle.
De manière générale, les droits des élus et des administrés comme les prérogatives du représentant de l'Etat, ne sauraient être ici inférieurs à ceux qui existent dans le cadre du droit commun. Ils pourront même être renforcés, afin que la nouvelle collectivité fonctionne de manière transparente, collégiale et pluraliste. Le référendum local et le droit de pétition pourront trouver à s'appliquer ici avec pertinence.
La nouvelle collectivité exercera naturellement ses compétences dans le respect du cadre constitutionnel et législatif défini par la République. Une certaine autonomie normative ne saurait conduire à s'affranchir du respect des lois et règlements. Le représentant de l'Etat disposera donc des outils nécessaires pour exercer ce contrôle avec toute la rigueur requise.
A propos de la fiscalité et des nouvelles compétences qui seront transférées aux autorités locales, je tiens à apporter ici des précisions qui, compte-tenu d'une approche trop souvent caricaturale du sujet, permettront, je l'espère, de faire cesser des commentaires non fondés. La nouvelle collectivité sera compétente pour déterminer le taux et l'assiette des impositions de toute nature, à l'exception des impositions sociales qui continueront de relever de la compétence de l'Etat, ce qui est bien la moindre des choses dès lors que Saint-Martin restera soumise au principe d'identité législative en matière sociale. Il en résulte par exemple que la compétence de la caisse générale de sécurité sociale (C.G.S.S.) de Guadeloupe devra continuer à s'exercer à Saint-Martin. C'est l'intérêt des assurés sociaux.
En revanche, le droit pénal, la constatation et la recherche des infractions, le droit bancaire, le droit des marchés financiers ou le droit commercial continueront de relever de la compétence pleine et entière de l'Etat. Les dispositions législatives et réglementaires qu'il prendra seront applicables de plein droit à Saint-Martin, s'agissant de domaines relevant de l'identité législative. Saint-Martin continuera naturellement d'être soumise à la législation française - que l'on sait particulièrement contraignante - en matière de blanchiment des capitaux, comme aux conventions internationales qui régissent cette question et aux mécanismes de contrôle en découlant. C'est-à-dire que toute allégation selon laquelle l'évolution statutaire favoriserait ici la création d'un " paradis fiscal " ne repose sur aucun fondement.
Bien au contraire, la dévolution du pouvoir fiscal à la collectivité permettra de clarifier une situation caractérisée par des tolérances et des usages mal établis. Une fiscalité mieux admise, parce que décidée localement et adaptée aux besoins de votre île comme à son potentiel fiscal, permettra ainsi de rendre l'impôt plus productif, et de désamorcer certaines critiques dirigées contre la fiscalité. Il appartiendra en tout état de cause aux nouvelles institutions de dégager les marges de manuvre financière nécessaires à l'exercice des compétences nouvelles qui leur seront transférées.
Ces compétences, je l'ai dit, seront importantes, puisque ce seront celles du département et de la région. Le passage dans le régime de l'article 74 entraînera de plein droit le transfert de ces compétences régionales et départementales vers la collectivité nouvelle, car on imagine mal le maintien sur le même territoire d'une collectivité unique régie par l'article 74 et de deux collectivités régies par l'article 73. Pour autant, rien n'interdira - et la sagesse imposera - de prévoir la conclusion de conventions par lesquelles le département et la région de Guadeloupe prêteront leur concours à la nouvelle collectivité pour l'exercice des compétences transférées, notamment pour la mise à disposition de personnels. Ces conventions devront toutefois respecter le double principe de libre administration et de prohibition de toute tutelle d'une collectivité sur une autre. Il appartiendra aux collectivités signataires de déterminer librement entre elles la durée d'effets de ces conventions.
Les ressources de la collectivité comprendront les dotations attribuées aux communes, aux départements et à la région par l'exercice habituel de leurs compétences ; ces dotations seront prélevées, au prorata de la population concernée, sur celles versées au département et à la région de Guadeloupe. Mais la collectivité devra également dégager des ressources au moyen de la fiscalité qu'elle mettra en place, selon les choix qu'elle opérera. Car il est vain d'espérer faire face aux besoins d'investissement de Saint-Martin sur la base des prélèvements qui seront effectués sur les dotations d'Etat versées aux Conseils général et régional de la Guadeloupe.
Ces ressources devront d'abord contribuer au renflouement des finances de la commune, qui connaissent aujourd'hui des graves difficultés, dont l'origine se trouve dans les pertes d'exploitation du service de production d'eau potable, mais aussi dans la structure et les dépenses de personnels, qui se caractérisent par de graves dérives. Un effort très rigoureux de remise en ordre des finances et de l'administration de la collectivité nouvelle, qui succèdera à la commune actuelle dans ses droits et obligations, s'impose désormais. La reconnaissance d'un pouvoir fiscal propre à la collectivité lui permettra de fixer l'assiette et le taux des impositions. Mais en tout état de cause les règles applicables à la perception de ces impôts et taxes resteront définies par les procédures fiscales nationales.
Leur perception sera assurée par les services de l'Etat, dont le coût de fonctionnement devra être pris en charge sur les recettes de la collectivité, dès lors que l'Etat ne percevra plus à Saint-Martin aucun impôt au profit de son propre budget.
L'effort de redressement des finances héritées de la commune s'imposera d'abord aux élus de la future collectivité. Ils pourront s'appuyer sur l'expertise juridique et technique de l'Etat, dont j'ai dit qu'il accompagnerait de manière très attentive la réforme statutaire. Il importe en effet de bien avoir à l'esprit l'importance de l'enjeu : l'évolution statutaire engagée présente, à bien des égards, et pour longtemps, un caractère irréversible. Il convient donc de donner à la collectivité nouvelle toutes les chances de succès dès ses premières années de fonctionnement. L'Etat ne saurait donc se désintéresser de ces années cruciales, pendant lesquelles la collectivité devra relever d'importants défis.
C'est pourquoi il apparaît au Gouvernement que le représentant de l'Etat doit être très étroitement associé à l'exercice de la fonction exécutive de la collectivité, pour la durée du premier mandat. Ainsi, les mesures nécessaires au redressement de la collectivité nouvelle pourront-elles être prises dans les conditions les meilleures.
Voici donc les principales orientations que contiendra le futur statut de Saint-Martin.
Ce statut, mes services y travaillent activement. Il prendra la forme d'un projet de loi organique et d'un projet de loi ordinaire qui seront déposés avant la fin de l'année sur le bureau du Sénat.
Il s'agit donc d'une construction juridique complexe, d'autant que ce texte comportera également le statut de Saint-Barthélémy et l'actualisation du statut des autres collectivités d'outre-mer pour les mettre en harmonie avec la Constitution révisée.
Les projets de loi modifieront de nombreux codes pour y prévoir l'ensemble des dispositions relatives au fonctionnement de la collectivité nouvelle.
La rédaction de ces textes suppose encore des arbitrages interministériels, la saisine pour avis de votre assemblée, la saisine du Conseil d'Etat, la délibération en Conseil des ministres, leur adoption par le Parlement puis leur examen par le Conseil constitutionnel.
Il s'agit du parcours classique d'un projet de loi. Je souhaite que l'ordre du jour du Parlement nous permette de le faire aboutir d'ici au printemps 2005, afin que les nouvelles institutions puissent être installées à cette époque.
Voici, Mesdames et Messieurs, les informations que je souhaitais porter à votre connaissance.
L'évolution institutionnelle décidée par la population, à votre initiative, le 7 décembre 2003, se trouve donc engagée sur la bonne voie. Elle nécessitera encore de nombreux efforts. Je suis persuadée que vous saurez relever le défi qui vous est posé, celui du redressement administratif et financier, préalable nécessaire à l'application d'un statut nouveau porteur de responsabilité et d'espoir.
Le Gouvernement vous accompagnera dans cette démarche, soucieux du respect de la Constitution et des intérêts nationaux. Je ne doute pas que votre collectivité sera à la hauteur des espoirs placés en elle.
Vive Saint-Martin.
Vive la République.
Vive la France.
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 29 juillet 2004)