Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur la décentralisation, la nécessaire réforme de la fiscalité locale et l'annonce de la création d'un "Observatoire de la décentralisation" au Sénat, Bordeaux le 13 octobre 2004.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : 74ème congrès de l'Assemblée des Départements de France à Bordeaux (Gironde), le 13 octobre 2004

Texte intégral

Monsieur le Président de l'Assemblée des Départements de France, cher Claudy LEBRETON,
Madame et Messieurs les présidents de conseils généraux,
Mes chers collègues,
Chers amis,
Permettez-moi de vous dire combien je suis heureux de vous retrouver aujourd'hui, dans cette belle ville de Bordeaux, dont le renouveau doit beaucoup à Alain JUPPÉ. Heureux et fier de vous retrouver, en tant que Président du Sénat, pour la fête annuelle des départements.
A mes collègues sénateurs, je veux dire combien la confiance qu'ils m'ont renouvelée le premier octobre m'a sincèrement touché.
A vous tous, je suis reconnaissant de m'accueillir, une nouvelle fois, comme en famille !
Car, au-delà de nos sensibilités, au-delà de nos " chapelles ", ce qui nous réunit aujourd'hui, autour de votre nouveau président, Claudy LEBRETON et du bureau de l'Assemblée des départements de France, c'est notre passion commune des territoires, dont la diversité fonde la richesse de notre pays.
Comme vous, en effet, je milite chaque jour en faveur du développement des territoires et du renforcement du lien social. Et, il faut le reconnaître, les départements ont su trouver leur place et démontrer leur savoir-faire au service de nos concitoyens.
Ceux qui ont misé un peu rapidement sur sa déliquescence, pour ne pas dire anticipé sa mort programmée, la chronique d'une mort annoncée, se sont lourdement trompés. Chaque étape de la décentralisation, en 1982 comme aujourd'hui, a consolidé, conforté et renforcé le département.
Face aux jacobins de tout poil et autres nostalgiques d'une centralité dépassée, le département, fils spirituel de la Révolution française, a retrouvé toute son énergie, toute sa vitalité, toute son utilité de " jeune bicentenaire ", mettant ainsi un point définitif à un procès hors d'âge.
Car, on ne le dit jamais assez, où en seraient nos villes et nos campagnes sans l'engagement résolu de milliers de conseillers généraux et des exécutifs départementaux ? Traits d'union naturels entre l'urbain et le rural, le département incarne aujourd'hui une institution bien vivante, dont l'avenir s'avère prometteur.
Alors, à vous tous, Madame et Messieurs les présidents de conseils généraux, je tiens à tirer mon chapeau pour votre passion, votre investissement, votre sacerdoce de tous les instants.
Au total, je ne sais si les départements sont les grands gagnants de l'acte deux de la décentralisation. Ce que je crois, en revanche, c'est que leur vocation de catalyseurs de projets, d'acteurs sociaux et d'aménageurs des territoires ruraux a largement été confortée au sein de l'édifice de notre nouvelle République décentralisée.
Alors, tous ensemble, communions dans cette foi du local comme " oxygène " de la République, comme garant de l'efficacité de la gestion de proximité, comme aiguillon d'une démocratie revivifiée.
L'attachement quasi viscéral que j'éprouve pour la décentralisation est aussi le vôtre. Vous qui mettez tant de force et d'énergie pour faire vivre vos départements et faire battre le cur de la démocratie de proximité.
En tant que Président du Sénat, assemblée parlementaire à part entière, mais aussi - c'est un plus, un bonus - représentant constitutionnel des collectivités locales, la vitalité retrouvée de nos territoires me fait chaud au cur !
Vous le savez, le Sénat n'a pas ménagé sa peine pour faire aboutir cette réforme, ô combien bénéfique, qu'est la décentralisation.
" Point d'orgue " de l'engagement inlassable du Sénat, la réforme constitutionnelle de mars 2003 a défini des principes forts et protecteurs de l'autonomie locale, garants d'une confiance restaurée et de relations pacifiées entre l'Etat et les collectivités locales.
Ainsi, l'inscription dans notre loi fondamentale de principes comme l'autonomie financière des collectivités locales, la compensation financière des transferts de compétences à due concurrence ou encore la péréquation constituent autant de verrous, de garanties et de garde-fous qui doivent nous permettre d'envisager l'avenir avec sérénité.
Pour autant, ceux qui me connaissent savent que je n'ai pas pour habitude de pratiquer la " politique de l'autruche " et encore moins la " langue de bois ".
Ainsi, si j'entends, ici ou là, quelques inquiétudes s'exprimer, je voudrais m'employer à les dissiper.
En effet, l'ancrage constitutionnel de la décentralisation constitue un motif de rassurance déterminant pour ne pas dire prépondérant ...
A cet égard, la perspective du transfert aux départements de la taxe sur les conventions d'assurance en contrepartie des nouvelles responsabilités qui leurs sont confiées doit pleinement vous rassurer.
Mes chers amis, le Président du Sénat n'est néanmoins pas venu à Bordeaux pour vous délivrer un message du gouvernement, dont vous recevrez demain deux éminents représentants, Messieurs Dominique de VILLEPIN et Jean-Louis BORLOO.
Non, il est ici une oreille attentive, à l'écoute de vos préoccupations, de vos doléances et de vos propositions.
Il est, à Paris, une voix écoutée, qui défend avec force, vigueur et détermination vos légitimes revendications.
Mon " tour de France ", depuis 1998, aux six coins de l'hexagone et en outre-mer, m'a d'ailleurs permis de mesurer combien vos attentes étaient encore nombreuses, notamment au sujet des moyens financiers dont vous disposez dans l'exercice de vos missions.
En l'espèce, le constat est sans appel : ils ne sont pas à la hauteur des enjeux de la décentralisation.
S'agissant des finances et de la fiscalité locale, le diagnostic est saisissant : les finances locales constituent un " meccano " opaque dont l'efficacité est inversement proportionnelle à la complexité. La fiscalité locale est archaïque, injuste et obsolète. Il y a donc urgence à agir !
De même, la péréquation, qui a désormais rang constitutionnel, demeure insuffisante, insignifiante, pour ne pas dire inexistante.
Alors, ensemble, redoublons d'efforts pour redonner du sens, de la lisibilité et de la performance à un système de dotations aujourd'hui " à bout de souffle ".
Le projet de loi de finances pour 2005 avec la définition de nouveaux indicateurs de richesse fiscale, la rénovation des critères d'attribution des dotations et le renforcement de leur effet péréquateur va dans le bon sens.
Cette réforme prolonge la globalisation et la simplification de l'architecture des concours financiers de l'Etat, avec une dotation globale de fonctionnement (DGF) identique pour les communes, les départements et les régions.
Il nous faut, je le crois, persévérer dans cette voie pour une meilleure compréhension et pour davantage de lisibilité, d'efficacité et de solidarité.
Mais, il faut le reconnaître, le chemin qu'il nous reste à parcourir est encore long !
J'en veux pour preuve la difficile genèse de la réforme de la fiscalité locale, dont on peine toujours à distinguer les contours.
En matière fiscale, nous avons besoin de courage, de détermination et d'imagination.
Plusieurs mois après l'annonce de la suppression de la taxe professionnelle, les interrogations, les inquiétudes et les attentes demeurent nombreuses.
Vécues par les entreprises comme un frein à l'investissement et à l'emploi, sa mort était inéluctable, une foi scellé, en 1999, le sort de la part salariale de son assiette.
Pourtant, nous sommes tous d'accord sur un point : le maintien d'un impôt économique local, un nouvel impôt mieux accepté que la taxe professionnelle.
Ce nouvel impôt devra, à mon sens, satisfaire un triple objectif :
- préserver un lien entre les collectivités territoriales et leur environnement économique,
- inciter au développement de l'intercommunalité,
- renforcer la péréquation.
Je ne doute pas que la " commission Fouquet ", chargée de réfléchir au remplacement de la taxe professionnelle, saura donner une consistance à ces objectifs. Je serai personnellement attentif aux propositions qu'elle devrait formuler d'ici à la fin de l'année.
En tout état de cause, cette réflexion devrait être étendue à l'ensemble de la fiscalité locale. Nous devons, en effet, remettre l'ouvrage sur le métier et engager, sans délai, une réflexion imaginative afin de doter les collectivités locales d'impôts dynamiques, équitables et modernes.
Vous l'avez compris, nous sommes " à la croisée des chemins ". Mais je ne doute pas que la " phase aval " de la décentralisation qu'il nous reste à écrire ensemble saura conforter les moyens dont les départements ont besoin.
Dans cette perspective, je puis vous assurer que le Sénat, fort de sa légitimité territoriale et de sa connaissance " intime " des enjeux locaux, demeurera l'aiguillon vigilant de la relance de la décentralisation.
- D'une part, il sera à vos côtés afin d'accompagner sereinement les nouvelles expérimentations rendues possibles par la loi organique de 2003. Car, à mon sens, il s'agit là d'une innovation majeure.
Alors, de grâce, ne soyons pas frileux ! Ne tombons pas dans le piège de ceux qui " crient au loup ", en agitant le spectre trop facile d'une hypothétique remise en cause du principe républicain d'égalité.
A l'évidence, il n'en est rien ! Car les expérimentations seront strictement encadrées, l'égalité clairement sanctuarisée. Le contrôle du Parlement, représentant du peuple citoyen, constitue une garantie suffisante face au risque d'effritement de ce soubassement républicain.
- D'autre part, le Sénat, fort de son expertise reconnue, a décidé de créer en son sein un " Observatoire de la décentralisation " chargé de veiller à sa mise en uvre dans le respect des garanties constitutionnelles.
D'ores et déjà, j'ai personnellement obtenu que la compensation des transferts de charges de financement s'effectue sur la base de la moyenne des dépenses consacrées par l'Etat les trois années précédant le transfert, au lieu de la seule dernière année.
Mais l'important aujourd'hui, c'est de procéder à une évaluation à la fois précise, transparente et contradictoire des transferts de charges. Notre objectif est simple : éviter les dérives financières qui avaient pu pénaliser les collectivités locales lors du premier acte de la décentralisation, dans les années 80.
Cet Observatoire réunira toutes les sensibilités politiques. Il illustre, une fois encore, l'implication permanente du Sénat, " maison des collectivités locales ", en faveur des élus locaux et de la France décentralisée.
Madame, Messieurs, vous l'avez compris, les chantiers sont encore nombreux et les enjeux complexes. A l'évidence, la réussite de la décentralisation ne se fera pas sans vous, encore moins contre vous, mais bien avec votre plein et entier soutien.
Alors, ensemble, unissons-nous pour gagner le pari exaltant du local, pour conforter encore un peu plus l'institution départementale au cur de l'organisation décentralisée de la République.
Vous avez largement fait vos preuves ! Alors, de grâce, si proches de l'objectif, ne butons pas sur des querelles et des dissensions qui, au final, feraient le jeu de ceux qui veulent que rien ne change.
Je compte sur vous !
Vous pouvez compter sur moi pour que le Sénat contribue pleinement à la réussite de ce projet de société, fidèle à sa vocation de " laboratoire d'idées ", à l'écoute et au service de nos concitoyens, pour bâtir une France moderne, une France dynamique et une France solidaire.
(Source http://www.senat.fr, le 15 octobre 2004)