Déclaration de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, sur le bilan du nettoyage des côtes altlantiques après la marée noire, l'évaluation des risques cancérigènes liés à la manipulation du fioul et sur la mise en place d'un système européen de contrôle des organismes chargés de la sécurité maritime, Vannes le 21 février 2000.

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Circonstance : 3ème visite de Mme Voynet sur le littoral atlantique, le 21 février 2000 après le naufrage du pétrolier Erika

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Comme vous le savez j'achève maintenant, à la demande du Premier ministre, une journée de travail avec les élus, les associations, les scientifiques et les services de l'Etat : nous avons dressé un premier bilan, dans la perspective de la tenue du CIADT du 28 février à Nantes, de la situation du littoral deux mois après le naufrage du pétrolier ERIKA et après les deux tempêtes.
Je souhaite d'abord rendre hommage à la mobilisation et à la solidarité dont les habitants des régions touchés par la marée noire et les tempêtes ont fait preuve. Les élus locaux, les services de l'Etat et des collectivités locales, les bénévoles et les associations de protection de la nature ont uni leurs efforts dans un élan de solidarité nationale sans précédent qui se poursuit aujourd'hui.
S'agissant de la marée noire, force est de constater que notre action s'inscrit dans la durée. Certes, les efforts acharnés des communes, les moyens techniques et financiers de POLMAR ont permis de collecter en six semaines une grande partie de la pollution ayant atteint les rivages et d'en stocker la majorité en trois dépôts sûrs. Mais tous ceux qui travaillent sur le terrain le savent bien : au gré des vents et des marées de nouveaux hydrocarbures arrivent encore.
Les experts ont identifié quatre sources pour ces pollutions récurrentes : le redépôt de plaques non encore nettoyées ; des " boudins " de fuel flottant entre deux eaux ; des fuites à partir de l'épave de l'Erika ; et des déballastages sauvages.
C'est seulement sur les deux dernières sources que nous pouvons intervenir. La préfecture maritime m'a confirmé ce matin qu'elle accroîtrait sa surveillance dans toute la zone.
L'épave gît par 120 m de fond en deux morceaux et contient encore sans doute 12 à 17 000 tonnes de fuel lourd. Il ne serait pas raisonnable d'attaquer sa neutralisation tant que les conditions météorologiques ne seront pas favorables, c'est-à-dire avant fin avril.
Ce délai qu'impose la saison doit être mis à profit pour adopter la meilleure technique et retenir les entreprises les plus aptes. Ces choix sont difficiles, car quelle que soit la solution retenue, elle constituera, pour une très large part, une première. Jean-Claude GAYSSOT devrait annoncer prochainement la solution retenue.
L'expérience de ces dernières semaines appelle donc à la prudence, même si les actions menées grâce aux plans POLMAR ont permis de répondre, dans l'ensemble, à la crise.
Le fonds POLMAR avait déjà bénéficié de 120 millions de francs délégués aux préfets pour faire face aux besoins. Il a été décidé le 3 février d'abonder ce fonds de 140 millions de crédits supplémentaires : 100 millions pour le nettoyage proprement dit, 40 pour le renouvellement du matériel. 215 millions de francs ont maintenant été délégués aux préfets.
Compte-tenu de l'évolution de la pollution, qui continue de souiller les plages, le fonds POLMAR devra encore être abondé et une décision en ce sens sera prise le 28 février lors du CIADT.
POLMAR a également financé des emplois d'encadrement des bénévoles. 228 contrats à durée déterminée de 3 mois ont déjà été financés, d'autre le seront dans les prochains jours. Au total, nous consacrerons 10 millions de francs à ce volet.
S'agissant de la dépollution du littoral, j'ai demandé, fin décembre, la mise en place de cellules d'évaluation environnementale ayant pour objet de mesurer l'impact de la marée noire sur la diversité biologique et la réalisation systématique d'une expertise des sites souillés préalablement aux opérations de nettoyage.
Malgré la bonne volonté des intervenants et en raison de la précipitation, il faut cependant reconnaître que des erreurs ont été commises sur certains sites et notamment les plages et les dunes ou l'enlèvement des plaques d'hydrocarbure a été précipité et mal organisé, provoquant parfois des dégâts importants.
S'agissant des oiseaux, on compte aujourd'hui 61 000 oiseaux recueillis dans les centres de soins dont près de 58 000 sont morts sans compter les cadavres ramassés sur les plages. Plus de 1200 ont été relâchés au 16 février. L'espèce la plus touchée est le Guillemot de troîl qui représente 80% des spécimens recensés.
Un des éléments important des opérations de nettoyage est bien sûr également de prévenir l'apparition de nouvelles pollutions qui pourraient résulter d'un stockage hâtif.
Comme vous le savez, le nettoyage du littoral a nécessité la mise en place, dans l'attente du traitement ultérieur et définitif de ces déchets, d'un système de stockage à trois niveaux : stockages dits de " haut de plage ", " stockages intermédiaires ", et " stockages lourds ".
A la fin des opérations de dépollution du littoral, il est indispensable que seuls les stockages lourds subsistent et que les sites ayant accueilli d'autres types de stockages soient réhabilités.
Plus de trente sites étaient en exploitation à la mi-janvier : aujourd'hui, pratiquement, seuls les sites de stockages des îles reçoivent encore des déchets, les autres étant vidés ou en phase d'évacuation des déchets. Il y avait à la mi-janvier plus de 30 000 tonnes de déchets stockés en sites intermédiaires pour moins de 10 000 aujourd'hui.
Concernant le traitement des déchets, j'ai fixé à TOTALFINA un calendrier afin que les opérations de traitement débutent en juin pour s'achever fin 2001.
J'en vient mainteant à une question essentielle : la toxicité du produit. Le produit transporté par l'Erika est un fuel n°2, c'est-à-dire un résidu de distillation du pétrole brut. Ce fuel contient, comme tous les produits pétroliers, des composés toxiques et notamment des hydrocarbures aromatiques polycycliques. Conformément à la réglementation européenne, il est répertorié cancérogène de deuxième catégorie, ce qui signifie qu'il existe une forte présomption qu'il soit effectivement cancérogène.
S'il s'agit d'un produit dangereux, le risque dépend du degré d'exposition par contact direct, par inhalation, ou par ingestion.
C'est pourquoi, en ce qui concerne les opérations de ramassage des déchets pétroliers ou de nettoyage des oiseaux des recommandations ont été faites, dès décembre 1999, auprès des opérateurs et des bénévoles. Ces recommandations portent sur l'équipement (gants pour hydrocarbures, bottes, lunettes en cas de risque de projection, masque pour l'utilisation de karcher) et incluent également des consignes en cas de souillure de la peau.
Le respect de ces consignes est nécessaire.
J'ai confié à l'INERIS et à un organisme indépendant des Pays-Bas, le RIVM, un étude d'évaluation des risques liés aux opérations de ramassage des déchets et de nettoyage des oiseaux. Cette étude est en cours et ses premiers résultats seront rendus publics dès qu'ils seront connus, dans une semaine.
Les résultats préliminaires de cette étude confirment que le risque par inhalation est faible, car les déchets pétroliers contiennent peu de composés organiques volatils. Il convient par contre d'éviter les expositions cutanées, et donc de suivre strictement les recommandations qui ont été faites concernant le port de protections tout particulièrement pour les opérations de nettoyage au Karcher, du fait de la projection du polluant, ou celle de nettoyage des oiseaux, du fait de l'utilisation de solvants qui facilitent la pénétration cutanée.
Le secrétariat d'Etat à la Santé a demandé à l'Institut de Veille Sanitaire d'établir un bilan épidémiologique de l'impact sanitaire éventuel des chantiers de dépollution sur les opérateurs, notamment les bénévoles. Ce bilan sera rendu public.
Pour tirer le meilleur profit des compétences du monde associatif et pour saluer la mobilisation des associations, mon ministère a soutenu la création d'un observatoire associatif d'évaluation et de suivi de la catastrophe.
Structure indépendante, cet observatoire n'a évidemment pas vocation à se substituer ni à l'Etat, ni aux collectivités locales, ni aux organismes de recherche mais jouera un rôle incitatif auprès des pouvoirs publics auprès desquels il formulera des demandes particulières en matière d'expertise, de suivi et de bilan.
Le fonds FIPOL indemnisera les victimes à hauteur de 1,2 milliard de francs. Ce fonds international joue pour des dommages objectivement constatés et évalués, et tous ne peuvent l'être dès maintenant. Je souhaite que les règles d'évaluation du FIPOL soient appliquées mais sans formalisme excessif.
Le FIPOL a déjà dégagé 140 millions de francs pour régler les problèmes les plus urgents.
Je suis cependant bien consciente de la difficulté qu'il y a monter les dossiers de demande d'indemnisation. L'évaluation des préjudices environnementaux subis et du coût de leur réparation est particulièrement délicate. J'ai demandé à mes services de se mobiliser pour fournir très rapidement l'appui méthodologique nécessaire.
Enfin, je vous confirme que le gouvernement à décidé que l'Etat se placerait en avant-dernier créancier, juste avant TOTALFINA, vis à vis du FIPOL.
S'agissant de la sécurité maritime, le Premier ministre a annoncé le 15 février un plan d'action. Celui-ci s'articule autour de trois priorités.
Prévenir, d'abord, en tenant les navires dangereux à distance des côtes européennes. En particulier, les navires qui transportent des matières dangereuses ne devront plus, à l'avenir, entrer dans les ports européens sans une autorisation préalable.
Contrôler, ensuite, en durcissant les règles de sécurité et en assurant mieux leur application. Nous proposeront à nos partenaires européens que nous n'acceptions plus dans nos ports, d'ici 2008 -au lieu de 2019 au titre de la convention MARPOL-, de navires à simple coque transportant des produits dangereux ou polluants. Un échéancier contraignant devrait permettre d'éliminer dès 2005 les plus gros navires.
Nous proposerons également de renforcer l'inspection du travail en Europe et d'harmoniser les contrôles. Un système européen de contrôle des organismes chargés de la sécurité -inspecteurs de l'Etat du port et de l'Etat du pavillon, sociétés de classification- devrait notamment être mis en place. Il assurerait dans toute l'Union l'application uniforme de règles et de procédures communes.
Responsabiliser, enfin, en faisant en sorte que les acteurs du transport maritime assument pleinement leurs responsabilités.
Il faut améliorer l'indemnisation et pénaliser le recours à des navires de qualité médiocre. La France proposera de modifier ces règles internationales : pour relever le plafonds d'indemnisation à 1 milliard d'euros ; pour prendre en compte l'ensemble des préjudices subis, notamment par l'environnement ; pour responsabiliser les chargeurs et les armateurs en adoptant un mode de calcul des contributions au FIPOL qui tienne compte de l'état matériel des navires utilisés. La responsabilité du propriétaire de la cargaison pourrait en outre être reconnue.
Je terminerai en évoquant trois sujets qui devraient faire l'objet d'une attention particulière lors du CIADT littoral du 28 février.
La mobilisation des centres de recherche et d'expertise, d'abord. La difficulté de mobiliser les capacités d'expertise scientifique dans le domaine des pollutions maritimes par des hydrocarbures a été réelle, notamment en ce qui concerne la prévision de la dispersion du polluant, l'évaluation de ses impacts sur la santé et l'environnement et l'évaluation économique des impacts environnementaux de la pollution.
Les défenses contre la mer ensuite, auxquelles les tempêtes ont infligé de nombreux dégâts. Le Gouvernement a annoncé le 12 janvier que l'Etat concourra au taux de 50 % aux dépenses engagées par les collectivités pour les travaux d'enrochement et de reconstruction des digues. Ces dépenses sont évaluées à 150 millions de francs pour l'année 2000, au delà des premières mesures de colmatage prises avant les grandes marées de janvier. Les crédits correspondants sont en cours de délégation aux préfets. Compte-tenu de l'urgence, ceux-ci ont pu autoriser le commencement immédiat des travaux.
Le tourisme enfin, et, comme il s'y est engagé, le Gouvernement agira pour que le rayonnement touristique soit aussi peu affecté que possible par les conséquences des tempêtes et de la pollution. Des crédits spécifiques seront dégagés afin notamment de restaurer l'image de vos territoires. 15 millions de francs y sont aujourd'hui affectés.
Enfin je souhaite qu'une mission de retour d'expérience soit mise en place pour améliorer les réponses que nous pouvons apporter pour prévenir les conséquences de ce type de catastrophe maritime. Cette mission devra s'attacher à évaluer les conséquences du naufrage de l'Erika en termes de dommages écologiques et économiques, notamment sur la conchyliculture, la pêche et le tourisme.
Elle devra s'intéresser aux dispositifs de prévision, de protection et de prévention mis en place, tant en milieu marin qu'après l'arrivée de la marée noire. Elle devra faire des propositions d'amélioration pour la préparation et la mise en uvre des plans POLMAR, pour l'appréhension des risques associés à la marée noire et pour les techniques de ramassage et d'élimination des déchets.
Je vous remercie

(source http://www.environnement.gouv.fr. le 22 mars 2000)