Déclaration de Mme Elisabeth Guigou, ministre de la justice, sur le projet de loi sur la lutte contre la corruption, à l'Assemblée nationale le 29 février 2000.

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Circonstance : Deuxième lecture du projet de loi relatif à la lutte contre la corruption, à l'Assemblée nationale le 29 février 2000

Texte intégral

1- Le projet de loi relatif à la lutte contre la corruption revient devant vous en seconde lecture, après avoir été amendé par le Sénat.
Je voudrais immédiatement dire avec force que le Gouvernement mène une politique déterminée de prévention et de répression de tous les phénomènes de délinquance financière, que ce soit contre le blanchiment de l'argent sale ou bien contre la corruption de la vie publique, tant dans le cadre national qu'au plan européen et international.
Je rappelerai ici la constitution des pôles économiques et financiers, mais aussi les résultats du Sommet de Tampere et les travaux actuels au sein des Nations-Unies ou bien au sein du G.A.F.I., où la France a un rôle-moteur, par exemple dans la condamnation de l'utilisation abusive du secret bancaire, de la fiducie ou des territoires off-shore non-coopératifs.
Je ne vous exposerai pas à nouveau l'économie générale du texte relatif à la lutte contre la corruption, que votre Commission a déjà examiné de façon approfondie.
Je voudrais toutefois souligner que ce texte dont nous débattons aujourd'hui revêt une importance particulière.
L'enjeu est en effet de taille : face à une corruption qui s'internationalise, qui génère des coûts financiers et sociaux croissants, il est de la responsabilité des Etats démocratiques, il est de la responsabilité de la France, d'organiser, en concertation avec la communauté internationale, une réaction des plus fermes contre cette forme de délinquance financière.
L'objet de mon propos n'est pas de revenir en détail sur les différentes dispositions de ce projet de loi, que votre rapporteur, Monsieur Jacky DARNE, a soigneusement analysées dans son rapport.
Pour ma part, je voudrais insister sur la double logique qui a présidé à la rédaction du texte gouvernemental : il s'agit d'adapter notre droit à l'ensemble des engagements internationaux souscrits par la France, et de le faire dans le respect de ses principes fondamentaux.
2- En ce qui concerne les amendements de votre Commission des lois relatifs à la définition du délit de corruption, tant nationale qu'internationale, ils ont pour but de permettre le répression des versements faits à des fonctionnaires "à tout moment".
Je remarque que c'est un sujet qui va au-delà de la simple transposition des engagements de la France.
Ces amendements traduisent en effet une conception nouvelle, en tout cas la volonté que le juge répressif puisse appréhender, au fur et à mesure du déroulement de cette infraction complexe, tous les éléments constitutifs de la corruption.
Je constate que votre Commission souhaite, dans un souci de cohérence, que cette volonté marque tant l'incrimination des faits se déroulant au plan national qu'au plan international. Je suis favorable à cette série d'amendements, comme à tous ceux qui démontrent une détermination ferme de lutter contre la corruption.
Je note que votre Commission a entendu mes arguments de première lecture, en renonçant à supprimer les termes "sans droit" dans la définition du délit de corruption sur le plan international. Cette suppression aurait pu, en effet, créer une confusion.
3- Sur le plan de la procédure, le même souci me conduit à approuver l'amendement de votre Commission qui supprime la disposition sénatoriale tendant à conférer à la juridiction parisienne une compétence nationale pour connaître des faits de corruption commis dans le cadre du commerce international.
Ainsi que je m'en suis déjà expliquée devant vous, le Gouvernement mène une politique déterminée de professionnalisation et de renforcement des moyens des juridictions, notamment par la mise en place de pôles économiques et financiers dans les principaux tribunaux. Il me semble, dans ces conditions, inopportun de dessaisir les juridictions de province de ces contentieux.
4- De même, je ne puis qu'approuver les amendements de votre Commission rétablissant à dix ans la peine d'emprisonnement encourue par les personnes physiques, ainsi que l'éventail des peines prévues pour les personnes morales, en cas de corruption d'un agent public étranger dans le cadre des transactions commerciales internationales.
La Convention O.C.D.E. nous impose, en effet, de prévoir que l'éventail des sanctions applicables à la corruption internationale soit comparable à celui des sanctions applicables à la corruption des agents publics nationaux.
Notre pays ne sera pas de ceux qui, par un traitement différencié de la corruption interne et de la corruption internationale, laissera planer un doute sur sa volonté de lutter contre la corruption à l'échelle internationale.
5- Par ailleurs, je voudrais revenir sur l'alinéa 2 de l'article 2 du projet de loi, relatif à l'application de la loi dans le temps.
Tel qu'il a été rétabli en seconde lecture par le Sénat, cet article explicite le principe constitutionnel de non rétroactivité de la loi pénale plus sévère, en l'appliquant à des situations commerciales complexes.
Soyons clair : l'objet de cet article n'est pas de permettre aux entreprises françaises de s'affranchir des engagements internationaux souscrits par la France.
La raison d'être de l'insertion de cet article dans le projet de loi était de tracer une frontière claire entre ce qui est licite et illicite, à l'intention des acteurs nationaux et étrangers de la vie économique.
Néanmoins, j'ai été sensible aux arguments avancés dans le rapport de votre Commission en faveur de la suppression de cet alinéa. Il est vrai que cette disposition a donné prétexte à des critiques de certains de nos partenaires de l'O.C.D.E., alors même que ces pays ont, au sein-même de leur loi d'adaptation, de nombreuses dispositions posant des problèmes, problèmes dont est d'ailleurs saisie cette enceinte internationale.
Je ne souhaite pas que cette disposition, d'ordre purement didactique, puisse masquer le fait que la France, par l'adoption de ce projet de loi, sera l'un des pays les mieux armés pour lutter contre la corruption internationale.
Je me prononcerai donc en faveur de l'amendement de la Commission des lois de votre Assemblée tendant à la suppression de l'alinéa 2 de l'article 2, non sans réaffirmer nettement que les entreprises et les citoyens ont droit au respect du principe constitutionnel de non-rétroactivité du droit pénal plus sévère.
Il appartiendra aux juridictions souveraines d'assurer le respect de ce principe, que le souci légitime de répression des infractions de corruption internationale ne doit pas battre en brèche.
6- Enfin, j'approuve également l'amendement reprenant de la première lecture devant votre Assemblée l'interdiction de toute déductibilité fiscale des commissions versées postérieurement à l'entrée en vigueur sur le territoire de la République de la Convention O.C.D.E.
7- Notre future loi sera ainsi exemplaire, et je tiens une fois encore à remercier votre Commission et Monsieur Jacky DARNE, votre rapporteur, pour son utile contribution à l'élaboration de ce dispositif législatif.
Cette loi sera en effet exemplaire, d'abord par son effet dissuasif, car elle interdira aux entreprises, par le quantum des peines prévues, d'intégrer le bilan coût-avantage de la corruption dans leurs stratégies commerciales.
Elle sera exemplaire aussi parce qu'elle s'appliquera avec la même rigueur à l'encontre des entreprises françaises et des entreprises étrangères. Nul ne pourra trouver en son sein des clauses d'intérêt national.
Enfin, de par sa cohérence avec le droit interne positif, la clarté de ses incriminations, elle ne générera pas d'insécurité juridique.
Elle traduira ainsi le souci de la France de combattre sans relâche ce fléau économique et social que constitue la corruption nationale et internationale.
(Source http://www.justice.gouv.fr, le 3 mars 2000)