Texte intégral
Q- Il en faut des morts pour accélérer des décisions pourtant nécessaires et la colère est quelquefois bonne conseillère. En tout cas pour vous. Les drames récents des immeubles vétustes ravagés par des incendies souvent criminels vous inspirent, paraît-il, des actions urgentes. Vous allez les révéler, en tout cas quelques-unes, ici. Lesquelles, d'abord ?
R- En tous les cas ce sont des propositions. Je trouve qu'il faut absolument que dans la population, sur le territoire national, la répartition du logement social soit mieux assurée. Aujourd'hui, par rapport à la loi SRU de 2000...
Q- Qui fixe à 20% la part de logements sociaux dans les communes.
R- Dans les communes de 3500 habitants. Elle n'est pas appliquée. Je trouve difficile à appliquer l'idée qu'il y ait des communes qui ne veulent pas de pauvres, parce que l'idée d'avoir des pauvres sur sa commune tarit en tous les cas la valeur de son territoire. Donc je crois que, donner la possibilité à ces communes de payer 150 euros par an, par absence de logement social, c'est insuffisant. Il faut augmenter cette pénalité de manière à ce qu'elle soit dissuasive et que le logement social s'installe partout dans les communes de France.
Q- Combien proposez-vous ?
R- Je sais pas... Je ne trouverais pas scandaleux de passer de 150 euros à 1.000 euros par exemple parce que, aujourd'hui nous sommes dans une situation d'urgence. Je trouve absolument scandaleux - je suis allé voir les gens hier qu sont les rescapés de cet immeuble boulevard Vincent Auriol -, je trouve scandaleux, scandaleux, qu'il faille attendre qu'il y
ait des morts, des enfants - 14 enfants morts ! - pour décider de mesures.
Q- D'accord mais c'est vous, les pouvoirs publics, c'est vous qui les représentez. Je comprends que vous le commentiez mais cela c'est notre rôle. Vous découvrez cela... Oui, c'est aux pouvoirs publics d'anticiper, de décider.
R- Voilà. Donc aujourd'hui, en tant que ministre de la Promotion et de l'égalité des chances, qui considère que c'est par le logement que commence l'égalisation des chances et en particulier pour les plus pauvres, il faut absolument prendre des mesures radicales maintenant. Et sur le marché privé par exemple, il y a beaucoup de Français qui, du fait de leur faciès, ne peuvent pas - ou de leur nom, ou des préjugés à leur égard -, accéder aux logements dans les agences de location privée.
Q- Croyez-vous que cela peut changer ?
R- Tous les individus qui, au téléphone, ont accès à un logement, et à qui l'on dit : "effectivement le logement est libre, vous pouvez passer à l'agence pour aller le visiter", quand ils arrivent à l'agence on leur dit - depuis 10 ans, depuis 20 ans - : qu'"il est déjà pris". Je crois qu'il faut garder la mémoire de ces discriminations pour pouvoir mettre la pression sur les bailleurs.
Q- Par la police ?
R- Bien sûr ! Il faut faire appel à l'Etat.
Q- Et la justice ?
R- Exactement. Il faut tacler les discriminations dans le logement de manière à tarir cette source d'inégalité.
Q- Vous dites donc, quand une commune n'a pas envie d'avoir ces logements c'est à dire "la mixité sociale", et qu'aujourd'hui elle préfère l'astuce de la pénalité financière - vous dites on va la multiplier par 5, par 8, par 10, je ne sais pas -, savez-vous quelle est la commune qui a le moins de logements sociaux ?
R- Non je ne suis pas allé vérifier encore...
Q- Neuilly : moins de 3 %. Mais il y a d'autres villes aussi. Les connaissez-vous ? Etes-vous déjà allé à Neuilly ?
R- Non, je ne suis pas encore allé à Neuilly parce que je suis Lyonnais...
Q- Alors quoi ? "Parce que vous êtes Lyonnais..." ?
R- Parce que je crois que le maire de Neuilly, c'est N. Sarkozy. C'est pour cela que...
Q- Il était maire de Neuilly. Non, mais il y a d'autres villes, de droite comme de gauche, qui s'arrangent. Que ferez-vous des amendes punitions plus fortes ?
R- Il faut évidemment les investir dans le logement social. Il n'y a pas d'autres solutions dans ce pays pour éviter la constitution des ghettos urbains et ethniques en particulier, que de répartir sur l'ensemble du territoire national, le logement social. Il n'y a pas d'autres solutions ! Sinon on va au chaos ! Il faut prendre des mesures radicales. Et je pense aussi qu'il s'agit de sensibiliser aujourd'hui. Ce n'est pas l'apanage de la gauche de faire du logement social. Il faut vraiment que cette question dépasse, transcende le clivage gauche droite, de manière à assurer une urgence nationale.
Q- Puis-je dire que vous savez de quoi vous parlez ? Combien d'années avez-vous vécu dans un bidonville à côté de Lyon ?
R- 12 ans. Je suis né dans un bidonville à Lyon et j'y suis resté jusqu'à l'âge de 12 ans.
Q- Et après, vous avez connu des barres d'immeubles de la cité ?
R- Après les HLM, j'ai tout fait. Et croyez-moi, dans ces bidonvilles, à chaque fois qu'il y avait des pluies torrentielles, à chaque qu'il y avait des incendies, il y avait des morts. Je connais très bien ces histoires. Je les ai vécues dans ma chair.
Q- Et un de vos conseillers, le plus proche d'ailleurs, qui est ici, qui était passé par l'ENA etc...
R- P. Cohen, oui.
Q-... Il est du même immeuble.
R- On est les deux rescapés...
Q- Vous vous connaissez depuis ?
R- Depuis l'age de 14 ans, depuis 30 ans.
Q- Aujourd'hui, certains croient qu'A. Begag - que quelquefois on appelle "zouzou" - est passé de l'autre côté. Est-ce vrai ?
R- Je suis passé du côté de la France. C'est-à-dire, du côté des Français, du côté des responsables.
Q- Non mais du pouvoir, avec la cravate, le Conseil des ministres, la Légion d'honneur.
R- Non, au contraire, je crois qu'il est important d'encourager tous les enfants de pauvres à gagner de l'argent, tous les enfants de pauvres à devenir ministre, à devenir prof.
Q- Et vous allez sur le terrain quelquefois ?
R- J'adore le terrain. Bien sur, c'est mon monde cela, le contact direct avec la population. Et j'y vais souvent comme je l'ai fait avec les rescapés de V. Auriol, je le fais sans caméras.
Q- Et comment êtes-vous accueilli ?
R- Très bien, je suis accueilli en héros, bien sûr. Je suis celui qui a montré...
Q- On ne dit pas que vous êtes "l'alibi du Gouvernement" ?
R- L'alibi ? Non, on disait cela pour les femmes il y a quelques années, on a dit cela pour les enfants issus de l'immigration. J'ai l'impression que, même quand j'aurais 90 ans encore, on me dira : dites donc, vous, n'êtes-vous pas l'alibi du Gouvernement ? Non, il y a un moment il faut s'arrêter...
Q- C'est le destin de quelques-uns...
R- J'ai 20 ans ou 25 ans d'action sur le terrain, j'ai 40 livres...
Q- Et de livres, d'enquêtes sociologiques, on connaît, on connaît...
R- Ca va, je sais de quoi je parle...
Q- Deuxième décision : vous voulez créer des BAD - des Brigades anti-discrimination. A quoi ressembleraient-elles ?
R- Elles ressembleraient à des policiers qui sont susceptibles de redorer et de valoriser l'image de la police nationale. Ce n'est pas seulement la répression la police, c'est aussi une police qui protège les citoyens contre les discriminations.
Q- Où iraient-elles ?
R- Dans les commissariats il y a des policiers référents, qui sont formés sur la question des discriminations. Quand il y a des soucis dans les logements, quand il y a des soucis, des discriminations à l'entrée des discothèques, plutôt que de laisser les belligérants se taper dessus, les colères prendre le pas sur les débats, je préfère que tout le monde se calme et qu l'on appelle le 17, la police nationale en disant : "à ce lieu là, devant la discothèque, il y a un petit souci, venez voir ce qui se passe". Il s'agit soit de dire aux jeunes qu'ils ne peuvent pas prétendre à rentrer dans la discothèque, c'est à cause de vous - regardez comment vous êtes habillés, regardez...
Q- Vous avez fait cet été, une expérience dans les discothèques. Cela a t- il marché ?
R- Absolument. Soit si les jeunes sont bien habillés, ils sont sympas et qu'ils ont le droit de rentrer, on va demander des explications au gérant de la discothèque.
Q- Et il y aurait des sanctions et en même temps des contraintes, si cela ne va pas ?
R- Mais bien sûr ! La discrimination de ce type est un délit. Ce n'est pas une opinion, c'est un délit. Aujourd'hui, il faut la tacler comme on le fait au rugby.
Q- N. Sarkozy, qui a l'expérience des BAC - les Brigades anti-criminalité , va-t-il vous aider ?
R- Oui j'espère, parce que c'est une idée extrêmement républicaine et citoyenne, que les gens qui décident de sortir de leur quartier, de leur misère, de "s'arracher", pour réussir leur vie, pour gagner des sous, pour jouer au golf, pour aller en France de l'autre coté du périph, que les gens, soient assurés qu'il y a réellement l'égalité des chances, et qu'il y a un maximum de choses faites contre les discriminations.
Q- Imaginez-vous une BAD par région ?
R- Oui, par grandes régions, des policiers qui soient formés et qui soient présents sur les lieux où s'exercent les discriminations. C'est très important pour valoriser la République dans les quartiers.
Q- Vous parlez comme si vous aviez la garantie de renforcer dans le prochain budget 2006 la part consacrée à ces problèmes. Quel poids un ministre à la Promotion de l'égalité des chances a t-il dans un gouvernement de "costauds politiques", face à ces poids politiques ?
R- J'ai l'énorme poids de la liberté, de l'expérience, de l'authenticité. Tout le monde sait d'où je viens, et j'ai l'énorme poids de la parole. Aujourd'hui, mon travail c'est d'aller voir les trente collègues ministres et d'insuffler la question de la diversité, d'insuffler la question contre les discriminations, d'insuffler la question légitime dans cette France de 1789 de "l'égalité des chances". C'est mon travail. Je "booste" tous les jours, j'essaye de faire avancer cette idée, de manière à ce que dans deux ans, cette nécessité, de faire en sorte que la France de la politique, la France de la télévision ressemble à la France de l'équipe de "foot" - qui va gagner ce soir en Irlande -, cette idée de la France multicolore, de la diversité, soit inscrite dans la banalité.
Q- Il y a plusieurs remarques. Pourquoi dites-vous dans deux ans ?
Cela continue après deux ans, non ? Parce qu'il n'y a pas que la
présidentielle...
R- Mon travail, c'est un contrat "nouvelles embauches".
Q- Un ministre CDD...
R- "Nouvelles embauches", voilà, pendant deux ans.
Q- Vous dites que vous voudriez "voir plus de Noirs" à la télévision". Combien y a-t-il de Noirs dans le Gouvernement ?
R- Pour l'instant je ne compte que L. Bertrand, mon ami le ministre du Tourisme. Et effectivement, je pense aujourd'hui qu'à la télévision, quand je regarde la télévision, le service public et l'équipe de France de foot, je demande : quelle différence
Q- Il faudrait qu'ils marquent des buts ou qu'ils rapportent du "pognon" !
R- Pourtant en 2001, le service public de la télévision avait pour obligation de veiller à ce que la diversité soit faite jusqu'à 2005. Et on n'a aucun moyen aujourd'hui de contrôler cette diversité.
Q- Dans les immeubles incendiés, il y a beaucoup de locataires qui sont ou ont été en situation irrégulière. La plupart étaient des clandestins ou des sans papiers. C'est un sujet un peu tabou et difficile, mais comment loger des familles qui comprennent, outre le mari, trois ou quatre épouses, et une dizaine d'enfants ?
R- La famille qu'on est allés voir, du Mali hier, le papa était bigame, il avait deux femmes. Il a donc accepté de les séparer et de prendre deux appartements. Et il nous disait : "je suis obligé de faire l'aller retour, cela me coûte beaucoup en énergie". En tous les cas, pour ceux qui sont là, ces Maliens, depuis 20 ans ou 30 ans, on peut trouver des
arrangements avec la République.
Q- Pourquoi ne vous a-t-on pas vu sur le terrain à L'Haÿ-les-Roses ? Parce que vous,le ministre sociologue, pourriez-vous nous expliquer pourquoi et comment, des adolescentes de 16, 17 ans peuvent déclencher un incendie meurtrier simplement par jalousie ? Expliquez-nous cela.
R- Parce qu'aujourd'hui, je pense qu'on est de plus en plus dans un système de déresponsabilisation. Moi, j'ai 16 ans, je mets le feu dans une boite aux lettres parce qu'il y a le nom de Nadia devant cette boite aux lettres, donc j'imagine que c'est symboliquement Nadia que je touche et je n'ai aucune idée que c'est 20 étages qui vont être, par le feu que je vais déclencher, atteints.
Q- Même l'appartement de ma propre mère !
R- Mais c'est dingue ! Vous voyez ce système de déresponsabilisation...
Q- Et qu'est-ce que vous pouvez faire ?
R- C'est de l'éducation évidemment, c'est mon travail aujourd'hui, en incarnant ma réussite, d'aller autant que possible dans les quartiers, pour expliquer d'où je viens et ce que j'ai fait pour être là.
Q- Le logement et tous ces problèmes dont on parle, est-ce que cela ne devrait pas être une cause nationale ?
R- Oui, c'est la cause nationale qui devait être la cause de 1789. Il n'y a pas d'égalité des chances sans logements dignes, sans une répartition, sans la mixité sociale dans le logement. Il n'y a pas de possible débat sur l'égalité des chances sans cela.
Q- "Pour faire progresser l'égalité, avez-vous dit, je fais le crabe entre les ministères". Le "crabe" ? Mais un crabe ministre, qu'est-ce qu'il peut faire pour éviter le communautarisme avec ses pinces ?
R- Quel communautarisme ? Celui des riches. Mais il y a du communautarisme partout. Aujourd'hui, mon idée est de dire à tous les enfants qui vivent de l'autre coté du périph, les enfants de pauvres, les enfants de familles défavorisés, qu'ils ne sont pas obligés de faire allégeance à une communauté, à un groupe, à une religion dans ce pays. Qu'ils peuvent exister en tant qu'individu, dire "je veux, je vais faire cela". Et c'est l'individualité qui est la règle du citoyen né en 1789. Il faut s'inventer une personnalité, il faut exister en tant que personne dans ce pays...
Q- Et c'est possible ou pas ?
R- C'est possible à conditions qu'on donne les garanties qu'il n'y a pas de discrimination à l'encontre de ceux qui acceptent d'exister en tant qu'individus et déjouer le jeu de l'égalité. Il faut garantir qu'il n'y aura pas de discrimination à son encontre.
Q- Et comment aider les jeunes de toutes ces banlieues à réussir ? Ou alors comme vous l'écriviez, je crois il y a trois ans, à "se barrer, à se casser, à dérouiller" ? Qu'est-ce que cela veut dire, "dérouiller" ?
R- Dérouiller, c'est apprendre à conjuguer le verbe "réussir" avec l'auxiliaire "être" et non pas avec l'auxiliaire "avoir". J'en ai marre de dire "j'ai réussi, je préfère entendre les gens qui me disent "je me suis réussi", c'est-à-dire qu'ils ont trouvé dans le métier de la pâtisserie, la tapisserie, la plomberie, de l'Education nationale, des moyens qui leur permettent de s'épanouir, de s'accomplir dans ce temps de 70 ou 80 ans.
Q- "Dérouiller", vous l'avez dit, c'est le contraire de "rouiller" auprès de son immeuble ou, comme le dit Fellag, le comique algérien, "de ternir les murs".
R- Dérouiller, ça veut dire, bouger, ça veut dire être mobile, ça veut dire aller à la rencontre des autres, ça veut dire se laisser altérer par les rencontres avec les autres. Ca veut dire avancer vers la rencontre de soi-même.
Q- Vous en parlez quelquefois avec M. Boutih ?
R- Rarement... C'est le garçon du Parti socialiste ?!
Q- On va vous donner l'occasion de parler avec lui, si vous ne le connaissez pas, parce que cette volonté d'ouverture que vous voulez exprimer, pourquoi ne pas l'avoir avec quelqu'un comme M. Boutih ?
R- Parce qu'aujourd'hui, j'ai beaucoup de travail à faire avec les handicapés physiques, j'ai beaucoup de travail à faire avec les seniors de plus de 50 ans qui n'arrivent plus à trouver du boulot. Je suis pas contraint toute ma vie de discuter avec M. Boutih et avec les gens qui sont supposés être de la même origine que moi. La France m'attend !
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 septembre 2005)
R- En tous les cas ce sont des propositions. Je trouve qu'il faut absolument que dans la population, sur le territoire national, la répartition du logement social soit mieux assurée. Aujourd'hui, par rapport à la loi SRU de 2000...
Q- Qui fixe à 20% la part de logements sociaux dans les communes.
R- Dans les communes de 3500 habitants. Elle n'est pas appliquée. Je trouve difficile à appliquer l'idée qu'il y ait des communes qui ne veulent pas de pauvres, parce que l'idée d'avoir des pauvres sur sa commune tarit en tous les cas la valeur de son territoire. Donc je crois que, donner la possibilité à ces communes de payer 150 euros par an, par absence de logement social, c'est insuffisant. Il faut augmenter cette pénalité de manière à ce qu'elle soit dissuasive et que le logement social s'installe partout dans les communes de France.
Q- Combien proposez-vous ?
R- Je sais pas... Je ne trouverais pas scandaleux de passer de 150 euros à 1.000 euros par exemple parce que, aujourd'hui nous sommes dans une situation d'urgence. Je trouve absolument scandaleux - je suis allé voir les gens hier qu sont les rescapés de cet immeuble boulevard Vincent Auriol -, je trouve scandaleux, scandaleux, qu'il faille attendre qu'il y
ait des morts, des enfants - 14 enfants morts ! - pour décider de mesures.
Q- D'accord mais c'est vous, les pouvoirs publics, c'est vous qui les représentez. Je comprends que vous le commentiez mais cela c'est notre rôle. Vous découvrez cela... Oui, c'est aux pouvoirs publics d'anticiper, de décider.
R- Voilà. Donc aujourd'hui, en tant que ministre de la Promotion et de l'égalité des chances, qui considère que c'est par le logement que commence l'égalisation des chances et en particulier pour les plus pauvres, il faut absolument prendre des mesures radicales maintenant. Et sur le marché privé par exemple, il y a beaucoup de Français qui, du fait de leur faciès, ne peuvent pas - ou de leur nom, ou des préjugés à leur égard -, accéder aux logements dans les agences de location privée.
Q- Croyez-vous que cela peut changer ?
R- Tous les individus qui, au téléphone, ont accès à un logement, et à qui l'on dit : "effectivement le logement est libre, vous pouvez passer à l'agence pour aller le visiter", quand ils arrivent à l'agence on leur dit - depuis 10 ans, depuis 20 ans - : qu'"il est déjà pris". Je crois qu'il faut garder la mémoire de ces discriminations pour pouvoir mettre la pression sur les bailleurs.
Q- Par la police ?
R- Bien sûr ! Il faut faire appel à l'Etat.
Q- Et la justice ?
R- Exactement. Il faut tacler les discriminations dans le logement de manière à tarir cette source d'inégalité.
Q- Vous dites donc, quand une commune n'a pas envie d'avoir ces logements c'est à dire "la mixité sociale", et qu'aujourd'hui elle préfère l'astuce de la pénalité financière - vous dites on va la multiplier par 5, par 8, par 10, je ne sais pas -, savez-vous quelle est la commune qui a le moins de logements sociaux ?
R- Non je ne suis pas allé vérifier encore...
Q- Neuilly : moins de 3 %. Mais il y a d'autres villes aussi. Les connaissez-vous ? Etes-vous déjà allé à Neuilly ?
R- Non, je ne suis pas encore allé à Neuilly parce que je suis Lyonnais...
Q- Alors quoi ? "Parce que vous êtes Lyonnais..." ?
R- Parce que je crois que le maire de Neuilly, c'est N. Sarkozy. C'est pour cela que...
Q- Il était maire de Neuilly. Non, mais il y a d'autres villes, de droite comme de gauche, qui s'arrangent. Que ferez-vous des amendes punitions plus fortes ?
R- Il faut évidemment les investir dans le logement social. Il n'y a pas d'autres solutions dans ce pays pour éviter la constitution des ghettos urbains et ethniques en particulier, que de répartir sur l'ensemble du territoire national, le logement social. Il n'y a pas d'autres solutions ! Sinon on va au chaos ! Il faut prendre des mesures radicales. Et je pense aussi qu'il s'agit de sensibiliser aujourd'hui. Ce n'est pas l'apanage de la gauche de faire du logement social. Il faut vraiment que cette question dépasse, transcende le clivage gauche droite, de manière à assurer une urgence nationale.
Q- Puis-je dire que vous savez de quoi vous parlez ? Combien d'années avez-vous vécu dans un bidonville à côté de Lyon ?
R- 12 ans. Je suis né dans un bidonville à Lyon et j'y suis resté jusqu'à l'âge de 12 ans.
Q- Et après, vous avez connu des barres d'immeubles de la cité ?
R- Après les HLM, j'ai tout fait. Et croyez-moi, dans ces bidonvilles, à chaque fois qu'il y avait des pluies torrentielles, à chaque qu'il y avait des incendies, il y avait des morts. Je connais très bien ces histoires. Je les ai vécues dans ma chair.
Q- Et un de vos conseillers, le plus proche d'ailleurs, qui est ici, qui était passé par l'ENA etc...
R- P. Cohen, oui.
Q-... Il est du même immeuble.
R- On est les deux rescapés...
Q- Vous vous connaissez depuis ?
R- Depuis l'age de 14 ans, depuis 30 ans.
Q- Aujourd'hui, certains croient qu'A. Begag - que quelquefois on appelle "zouzou" - est passé de l'autre côté. Est-ce vrai ?
R- Je suis passé du côté de la France. C'est-à-dire, du côté des Français, du côté des responsables.
Q- Non mais du pouvoir, avec la cravate, le Conseil des ministres, la Légion d'honneur.
R- Non, au contraire, je crois qu'il est important d'encourager tous les enfants de pauvres à gagner de l'argent, tous les enfants de pauvres à devenir ministre, à devenir prof.
Q- Et vous allez sur le terrain quelquefois ?
R- J'adore le terrain. Bien sur, c'est mon monde cela, le contact direct avec la population. Et j'y vais souvent comme je l'ai fait avec les rescapés de V. Auriol, je le fais sans caméras.
Q- Et comment êtes-vous accueilli ?
R- Très bien, je suis accueilli en héros, bien sûr. Je suis celui qui a montré...
Q- On ne dit pas que vous êtes "l'alibi du Gouvernement" ?
R- L'alibi ? Non, on disait cela pour les femmes il y a quelques années, on a dit cela pour les enfants issus de l'immigration. J'ai l'impression que, même quand j'aurais 90 ans encore, on me dira : dites donc, vous, n'êtes-vous pas l'alibi du Gouvernement ? Non, il y a un moment il faut s'arrêter...
Q- C'est le destin de quelques-uns...
R- J'ai 20 ans ou 25 ans d'action sur le terrain, j'ai 40 livres...
Q- Et de livres, d'enquêtes sociologiques, on connaît, on connaît...
R- Ca va, je sais de quoi je parle...
Q- Deuxième décision : vous voulez créer des BAD - des Brigades anti-discrimination. A quoi ressembleraient-elles ?
R- Elles ressembleraient à des policiers qui sont susceptibles de redorer et de valoriser l'image de la police nationale. Ce n'est pas seulement la répression la police, c'est aussi une police qui protège les citoyens contre les discriminations.
Q- Où iraient-elles ?
R- Dans les commissariats il y a des policiers référents, qui sont formés sur la question des discriminations. Quand il y a des soucis dans les logements, quand il y a des soucis, des discriminations à l'entrée des discothèques, plutôt que de laisser les belligérants se taper dessus, les colères prendre le pas sur les débats, je préfère que tout le monde se calme et qu l'on appelle le 17, la police nationale en disant : "à ce lieu là, devant la discothèque, il y a un petit souci, venez voir ce qui se passe". Il s'agit soit de dire aux jeunes qu'ils ne peuvent pas prétendre à rentrer dans la discothèque, c'est à cause de vous - regardez comment vous êtes habillés, regardez...
Q- Vous avez fait cet été, une expérience dans les discothèques. Cela a t- il marché ?
R- Absolument. Soit si les jeunes sont bien habillés, ils sont sympas et qu'ils ont le droit de rentrer, on va demander des explications au gérant de la discothèque.
Q- Et il y aurait des sanctions et en même temps des contraintes, si cela ne va pas ?
R- Mais bien sûr ! La discrimination de ce type est un délit. Ce n'est pas une opinion, c'est un délit. Aujourd'hui, il faut la tacler comme on le fait au rugby.
Q- N. Sarkozy, qui a l'expérience des BAC - les Brigades anti-criminalité , va-t-il vous aider ?
R- Oui j'espère, parce que c'est une idée extrêmement républicaine et citoyenne, que les gens qui décident de sortir de leur quartier, de leur misère, de "s'arracher", pour réussir leur vie, pour gagner des sous, pour jouer au golf, pour aller en France de l'autre coté du périph, que les gens, soient assurés qu'il y a réellement l'égalité des chances, et qu'il y a un maximum de choses faites contre les discriminations.
Q- Imaginez-vous une BAD par région ?
R- Oui, par grandes régions, des policiers qui soient formés et qui soient présents sur les lieux où s'exercent les discriminations. C'est très important pour valoriser la République dans les quartiers.
Q- Vous parlez comme si vous aviez la garantie de renforcer dans le prochain budget 2006 la part consacrée à ces problèmes. Quel poids un ministre à la Promotion de l'égalité des chances a t-il dans un gouvernement de "costauds politiques", face à ces poids politiques ?
R- J'ai l'énorme poids de la liberté, de l'expérience, de l'authenticité. Tout le monde sait d'où je viens, et j'ai l'énorme poids de la parole. Aujourd'hui, mon travail c'est d'aller voir les trente collègues ministres et d'insuffler la question de la diversité, d'insuffler la question contre les discriminations, d'insuffler la question légitime dans cette France de 1789 de "l'égalité des chances". C'est mon travail. Je "booste" tous les jours, j'essaye de faire avancer cette idée, de manière à ce que dans deux ans, cette nécessité, de faire en sorte que la France de la politique, la France de la télévision ressemble à la France de l'équipe de "foot" - qui va gagner ce soir en Irlande -, cette idée de la France multicolore, de la diversité, soit inscrite dans la banalité.
Q- Il y a plusieurs remarques. Pourquoi dites-vous dans deux ans ?
Cela continue après deux ans, non ? Parce qu'il n'y a pas que la
présidentielle...
R- Mon travail, c'est un contrat "nouvelles embauches".
Q- Un ministre CDD...
R- "Nouvelles embauches", voilà, pendant deux ans.
Q- Vous dites que vous voudriez "voir plus de Noirs" à la télévision". Combien y a-t-il de Noirs dans le Gouvernement ?
R- Pour l'instant je ne compte que L. Bertrand, mon ami le ministre du Tourisme. Et effectivement, je pense aujourd'hui qu'à la télévision, quand je regarde la télévision, le service public et l'équipe de France de foot, je demande : quelle différence
Q- Il faudrait qu'ils marquent des buts ou qu'ils rapportent du "pognon" !
R- Pourtant en 2001, le service public de la télévision avait pour obligation de veiller à ce que la diversité soit faite jusqu'à 2005. Et on n'a aucun moyen aujourd'hui de contrôler cette diversité.
Q- Dans les immeubles incendiés, il y a beaucoup de locataires qui sont ou ont été en situation irrégulière. La plupart étaient des clandestins ou des sans papiers. C'est un sujet un peu tabou et difficile, mais comment loger des familles qui comprennent, outre le mari, trois ou quatre épouses, et une dizaine d'enfants ?
R- La famille qu'on est allés voir, du Mali hier, le papa était bigame, il avait deux femmes. Il a donc accepté de les séparer et de prendre deux appartements. Et il nous disait : "je suis obligé de faire l'aller retour, cela me coûte beaucoup en énergie". En tous les cas, pour ceux qui sont là, ces Maliens, depuis 20 ans ou 30 ans, on peut trouver des
arrangements avec la République.
Q- Pourquoi ne vous a-t-on pas vu sur le terrain à L'Haÿ-les-Roses ? Parce que vous,le ministre sociologue, pourriez-vous nous expliquer pourquoi et comment, des adolescentes de 16, 17 ans peuvent déclencher un incendie meurtrier simplement par jalousie ? Expliquez-nous cela.
R- Parce qu'aujourd'hui, je pense qu'on est de plus en plus dans un système de déresponsabilisation. Moi, j'ai 16 ans, je mets le feu dans une boite aux lettres parce qu'il y a le nom de Nadia devant cette boite aux lettres, donc j'imagine que c'est symboliquement Nadia que je touche et je n'ai aucune idée que c'est 20 étages qui vont être, par le feu que je vais déclencher, atteints.
Q- Même l'appartement de ma propre mère !
R- Mais c'est dingue ! Vous voyez ce système de déresponsabilisation...
Q- Et qu'est-ce que vous pouvez faire ?
R- C'est de l'éducation évidemment, c'est mon travail aujourd'hui, en incarnant ma réussite, d'aller autant que possible dans les quartiers, pour expliquer d'où je viens et ce que j'ai fait pour être là.
Q- Le logement et tous ces problèmes dont on parle, est-ce que cela ne devrait pas être une cause nationale ?
R- Oui, c'est la cause nationale qui devait être la cause de 1789. Il n'y a pas d'égalité des chances sans logements dignes, sans une répartition, sans la mixité sociale dans le logement. Il n'y a pas de possible débat sur l'égalité des chances sans cela.
Q- "Pour faire progresser l'égalité, avez-vous dit, je fais le crabe entre les ministères". Le "crabe" ? Mais un crabe ministre, qu'est-ce qu'il peut faire pour éviter le communautarisme avec ses pinces ?
R- Quel communautarisme ? Celui des riches. Mais il y a du communautarisme partout. Aujourd'hui, mon idée est de dire à tous les enfants qui vivent de l'autre coté du périph, les enfants de pauvres, les enfants de familles défavorisés, qu'ils ne sont pas obligés de faire allégeance à une communauté, à un groupe, à une religion dans ce pays. Qu'ils peuvent exister en tant qu'individu, dire "je veux, je vais faire cela". Et c'est l'individualité qui est la règle du citoyen né en 1789. Il faut s'inventer une personnalité, il faut exister en tant que personne dans ce pays...
Q- Et c'est possible ou pas ?
R- C'est possible à conditions qu'on donne les garanties qu'il n'y a pas de discrimination à l'encontre de ceux qui acceptent d'exister en tant qu'individus et déjouer le jeu de l'égalité. Il faut garantir qu'il n'y aura pas de discrimination à son encontre.
Q- Et comment aider les jeunes de toutes ces banlieues à réussir ? Ou alors comme vous l'écriviez, je crois il y a trois ans, à "se barrer, à se casser, à dérouiller" ? Qu'est-ce que cela veut dire, "dérouiller" ?
R- Dérouiller, c'est apprendre à conjuguer le verbe "réussir" avec l'auxiliaire "être" et non pas avec l'auxiliaire "avoir". J'en ai marre de dire "j'ai réussi, je préfère entendre les gens qui me disent "je me suis réussi", c'est-à-dire qu'ils ont trouvé dans le métier de la pâtisserie, la tapisserie, la plomberie, de l'Education nationale, des moyens qui leur permettent de s'épanouir, de s'accomplir dans ce temps de 70 ou 80 ans.
Q- "Dérouiller", vous l'avez dit, c'est le contraire de "rouiller" auprès de son immeuble ou, comme le dit Fellag, le comique algérien, "de ternir les murs".
R- Dérouiller, ça veut dire, bouger, ça veut dire être mobile, ça veut dire aller à la rencontre des autres, ça veut dire se laisser altérer par les rencontres avec les autres. Ca veut dire avancer vers la rencontre de soi-même.
Q- Vous en parlez quelquefois avec M. Boutih ?
R- Rarement... C'est le garçon du Parti socialiste ?!
Q- On va vous donner l'occasion de parler avec lui, si vous ne le connaissez pas, parce que cette volonté d'ouverture que vous voulez exprimer, pourquoi ne pas l'avoir avec quelqu'un comme M. Boutih ?
R- Parce qu'aujourd'hui, j'ai beaucoup de travail à faire avec les handicapés physiques, j'ai beaucoup de travail à faire avec les seniors de plus de 50 ans qui n'arrivent plus à trouver du boulot. Je suis pas contraint toute ma vie de discuter avec M. Boutih et avec les gens qui sont supposés être de la même origine que moi. La France m'attend !
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 septembre 2005)