Déclaration de M. Brice Lalonde, secrétaire d'Etat chargé de l'environnement et de la prévention des risques technologiques et naturels majeurs, sur la situation des eaux en France et sur les orientations de la politique de l'eau, Paris le 10 mai 1990.

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Circonstance : Journées nationales de l'eau à Paris les 10 et 11 mai 1990, organisées par l'Association des maires de France et l'Association nationale des élus du littoral

Texte intégral

Messieurs les Présidents,
Messieurs les Parlementaires,
Messieurs les Maires,
Mesdames, Messieurs,
Permettez-moi de vous dire mon plaisir d'être parmi vous ce soir pour clôturer cette première journée d'études sur l'eau.
Je voudrais tout d'abord remercier vos présidents Monsieur Michel GIRAUD et Monsieur Antoine RUFENACHT d'avoir pris cette initiative d'organiser autour du thème de l'eau ces deux journées d'études. S'il en était besoin, l'intérêt que marquent de manière permanente les élus locaux à la gestion de l'eau, est ici amplement démontré. Comment d'ailleurs peut-il en être autrement ?
Comment, en effet, pour les élus locaux concernés directement par la gestion de la cité, le problème de l'eau pourrait-il être exclu des questions essentielles qu'ils ont quotidiennement à traiter ?
S'intéresser aux problèmes de l'eau fait partie, si je puis dire, de leur "métier" et, pour poursuivre dans la formule, j'ai pu noter à maintes occasions la conscience professionnelle qui les inspire pour satisfaire du mieux possible les besoins des populations.
Il est juste toutefois de dire aussi que les problèmes de l'eau s'inscrivent aujourd'hui dans une actualité particulière. La sécheresse que nous connaissons cette année et qui prolonge celle que nous avons rencontrée l'année dernière a mis en lumière des situations particulièrement graves. Le Gouvernement vient d'arrêter un plan d'action dont Monsieur le Premier Ministre vous présentera demain le contenu. Ma conviction est que la pénurie que nous connaissons n'a fait qu'amplifier des phénomènes que nous n'avons pas su ou pas pu maîtriser à temps.
A la demande de Monsieur le Premier Ministre, j'ai fait dresser un bilan de la situation et j'ai formulé toute une série de proposions qui ont été examinées par un Comité Interministériel sur les problèmes de l'eau qui s'est tenu le 26 avril dernier. Monsieur. Michel ROCARD viendra demain vous informer des orientations décidées et qui constitueront les axes principaux d'une nouvelle politique de l'eau que le Gouvernement entend mener. Bien évidemment, les collectivités territoriales auront un rôle prépondérant à jouer dans cette nouvelle bataille de l'eau qu'il nous faut à tout prix gagner.
Pour ma part, je voudrais dresser devant vous un bilan de situation. Certains éléments de ce bilan ont été abordés au cours des travaux de cette journée, et je ne doute pas qu'un diagnostic commun pourra être ainsi dressé.
Une constatation générale tout d'abord.
Les événements récents qui ont mobilisé l'opinion et les médias (sécheresse, qualité de l'eau potable, contamination des sources, polémiques autour de l'aménagement de la Loire) ont montré que les ressources en eau étaient désormais au centre d'enjeux socio-économiques et environnementaux beaucoup plus importants qu'il y a encore quelques années.
Répartir au mieux la ressource, sauvegarder un niveau qualitatif en fonction de certains usages n'est plus suffisant. II faut aujourd'hui constater l'émergence, dans la conscience collective, d'un regain de la symbolique de l'eau.
L'eau est de nouveau associée à des valeurs essentielles de bien être social et culturel, de développement économique et de vie en général. Quand l'eau est menacée dans ses fonctions vitales, ce sont ces valeurs essentielles qui sont bousculées et l'opinion exige à bon droit qu'elles soient sauvegardées de la manière la plus ferme.
En dépit des progrès significatifs accomplis, la politique de l'eau menée ces dernières années, présente ici ses limites.
La situation en matière de qualité des eaux est devenue préoccupante.
S'agissant des cours d'eau, le bilan apparaît globalement contrasté : on constate une amélioration des eaux des grandes rivières, mais une détérioration du petit réseau hydrographique. Les eaux souterraines sont particulièrement menacées par les nitrates. Les zones les plus touchées se situent dans la partie Nord du territoire: NORD - BASSIN PARISIEN - ALSACE - BRETAGNE - POITOU - CHARENTES - ainsi que dans les vallées alluviales à forte densité humaine RHÔNE - GARONNE. Cette pollution a une incidence directe sur la qualité de l'eau potable et près d'un million d'habitants est encore alimenté par des eaux dont la teneur peut dépasser 50 mg par litre.
Si les eaux littorales présentent une qualité qui les situent dans leur ensemble à la moyenne des concentrations rencontrées dans les autres pays, la situation reste en revanche préoccupante dans les grands estuaires industrialisés (baie de Seine, Gironde, Fos - Berre). Les phénomènes d'eutrophisation se développent surtout le long du littoral atlantique.
Au plan bactériologique, une plage sur six présente encore des concentrations excessives de germes indicateurs de contamination fécale. Vis-à-vis des sources de pollution, les systèmes de traitement restent notablement insuffisants.
En ce qui concerne la pollution domestique, l'assainissement autonome qui intéresse une population d'environ 11 millions d'habitants n'a pas été suffisamment pris en compte. On estime que la moitié seulement des personnes. dont les effluents domestiques relèvent de l'assainissement autonome est équipée de façon correcte.
Malgré les efforts consentis depuis vingt ans, la situation de l'assainissement collectif n'est. plus acceptable.
- La collecte de la pollution brute vers les stations d'épuration dépasse à peine 50 % de la pollution à recueillir.
- L'équipement en station d'épuration ne couvre que 80 % des besoins potentiels et ces stations n'éliminent que très rarement l'azote et le phosphore.
- Globalement et d'après les derniers chiffres connus, le rendement de l'élimination des matières organiques n'est que de 35 % et celui des matières azotées et phosphorées oscillent de 10 à 20 % selon les bassins.
- Enfin, la pollution apportée liée aux eaux pluviales, constitue aujourd'hui un problème majeur auquel il faut dès maintenant s'attaquer. On sait que lors des premières pluies d'orages, des pollutions très importantes peuvent être provoquées, s'apparentant à des pollutions accidentelles : on en a eu plusieurs exemples après les orages de février 1990.
L'effort financier des Collectivités locales sur la période 1980-1985 a fortement décru en passant de 9 à 6,5 milliards de francs en 1988.
L'encadrement du prix de l'eau -qui n'a pas permis aux communes de répercuter les coûts d'investissement sur les usagers- et des redevances des Agences de bassin expliquent en grande partie cette chute des investissements communaux. La suppression, avec les réformes de décentralisation, . des subventions spécifiques a sans doute perturbé aussi les décisions d'investissements.
Depuis 1985, on observe une certaine reprise. Les investissements ont dépassé 7,6 milliards de francs en 1988, sans toutefois retrouver le niveau des années antérieures à 1980. La mise en place d'une redevance spécifique à la collecte des eaux usées en 1984 et l'intégration de grands programmes de dépollution dans les contrats de plan Etat-Région 1984 1988 en sont à l'origine.
Concernant la pollution d'origine industrielle, les résultats sont globalement plus satisfaisants. Mais il faut remarquer que ce sont les opérations les plus faciles techniquement et les moins coûteuses qui ont été réalisées. Le plus difficile reste à faire, ce qui concerne aussi bien certains grands secteurs comme celui de l'industrie de la cellulose que certains secteurs d'activités traditionnelles gérés par des P.M.E. : mégisseries, tanneries, traitement de surface, caves vinicoles.
Reste la pollution d'origine agricole qui constitue le secteur dans lequel beaucoup est à faire.
L'activité agricole a accompli ces dernières années un développement considérable et c'est tant mieux sur le plan économique. Mais elle n'a pas toujours accompagné ses progrès, j'ai eu l'occasion de le dire, d'une prise en compte suffisante des contraintes qu'elle se devait de respecter vis-à-vis de l'environnement. Les données du problème sont connues.
Même si l'utilisation des engrais est stationnaire depuis plusieurs années, on constate une augmentation des teneurs en nitrates des eaux dans les régions de grandes cultures.
Le nombre d'élevages porcins a été multiplié par 6 de 1970 à 1987 avec une très grande concentration en Bretagne qui regroupe la moitié de la production française: 11 millions de porcins. On estime que les rejets d'azote en provenance de l'agriculture dans les milieux récepteurs représentent les deux tiers des apports -le reste se répartissant entre la pollution industrielle et la pollution domestique-.
Ces apports, qui sont d'environ 1 million. de tonnes, arrivent à peu près à part égale dans les eaux de surface et les eaux souterraines. En même temps, les quantités de produits phytosanitaires utilisés en agriculture ont pratiquement doublé en 1976 et 1987.
Voilà la situation. Fallait-il la laisser sous silence et réduire la solidarité qui s'exprime notamment dans les comités de bassin à seulement ceux qui ont compris qu'il leur appartenait d'agir ?
Je veux, pour ma part, être le garant de la solidarité des usagers de l'eau et en particulier veiller à la cohérence du système des agences et comités de bassin. Les associations professionnelles ont, je crois, bien compris le message. J'en veux pour preuve les contacts que j'entretiens avec elles : je puis dire que le monde agricole est bien décidé aujourd'hui à agir et qu'en liaison avec mon collègue Monsieur NALLET, tout va être mis en uvre pour combler les retards.
L'eau est devenue un bien trop fragile : elle justifie un effort de l'ensemble de la communauté nationale.
Mais l'eau est devenue aussi un bien rare. Nous le constatons avec la sécheresse actuelle qui ne fait qu'amplifier la forte tendance à des besoins croissants.
La situation n'est pas, là non plus, satisfaisante et va imposer des décisions difficiles. Les prélèvements industriels ont diminué ces dernières années, malgré un accroissement de production. C'est le fait d'une démarche volontaire des industriels pour augmenter le recyclage et s'affranchir des aléas dûs aux ressources.
S'agissant de l'eau potable, la priorité comme je l'ai dit est de préserver les ressources disponibles et donc d'entamer une action ambitieuse contre la pollution.
Autre action qui devra être tout aussi forte : réduire le gaspillage.
On estime qu'en moyenne 40 % de l'eau produite est perdue sous forme de fuites, pour moitié sur le réseau et pour moitié chez l'usager. En volume annuel, et pour toute la France, ces fuites représenteraient un volume de près de 1200 millions de mètres cube.
II en résulte de multiples conséquences:
- frais de fonctionnement dépensés inutilement,
- nécessité de sur dimensionner les installations,
- arrivée dans les stations d'épuration d'eaux excédentaires trop diluées, ce qui rend le traitement moins performant,
- prélèvements inutiles sur la ressource en eau
Cette situation n'est plus acceptable.
Elle l'est d'autant moins que d'autres secteurs ont des besoins à satisfaire. A priori ceux-ci sont légitimes même s'ils demandent parfois à être justifiés. C'est le cas des besoins d'irrigation qui constituent le facteur principal d'augmentation de la demande en eau.
Depuis 1970, les régions Midi-Pyrénées et Aquitaine ont par exemple vu passer leurs surfaces. irriguées de l'ordre de 60 000 hectares à plus de 200 000 hectares chacune. Plus au Nord, en Vienne ou en Charente, cette. multiplication des surfaces par un facteur proche de 4 s'est produite encore plus rapidement dans les dix dernières années.
Au total, la surface irriguée, inférieure à 500 000 hectares en 1960, atteignait 800 000 hectares en 1980 et 1 200 000 ha en 1990.
L'augmentation de ces surfaces irriguées a essentiellement été liée ces dernières années à la migration des cultures de maïs grain du Nord vers le Sud et l'Ouest de 1a France.
Cette explosion de l'irrigation correspond à des tendances profondes de l'évolution des exploitations agricoles qui ne sauraient être méconnues. Le Sud-Ouest de la France, malgré cette forte augmentation, reste significativement moins équipé que des régions connaissant un climat analogue dans les pays du Sud de l'Europe (notamment en Espagne).
Entre 25 000 hectares supplémentaires par an, rythme constaté en moyenne ces trente dernières années, et 60 000 hectares par an, rythme connu ces dernières années, on conçoit bien que l'évolution réelle de ces surfaces irriguées à moyen terme, dans un contexte complexe et incertain, est l'enjeu majeur d'une politique de maîtrise de la demande et de développement des approvisionnements en eau des dix prochaines années.
A ces contraintes qui portent sur le qualitatif ou le quantitatif s'ajoutent désormais des demandes plus globales, mais tout autant exigeantes.
On constate tout d'abord, un renouveau de l'attrait des cours d'eau.
Depuis plus de 50 ans, l'entretien des cours d'eau est délaissé par ceux qui en ont la responsabilité, qu'il s'agisse de l'Etat pour les 16 950 km de cours d'eau domaniaux (8 000 km de voies navigables et 8 950 km de voies non navigables), ou des riverains pour les 260 000 km de cours d'eau non domaniaux.
La carence chronique de l'Etat dans ce domaine est liée à d'autres priorités en matière d'infrastructures de transports et à la perte progressive d'importance des voies navigables dans l'économie des transports.
Celles des riverains est liée à la diminution de l'utilité particulière qu'ils trouvaient antérieurement à la proximité des rivières et de l'exploitation qu'ils pouvaient faire du produit de cet entretien.
D'un autre côté, les usages de l'eau et du cours d'eau sont devenus, de plus en plus, "d'intérêt général" : prélèvement d'eau, rejets, énergie, protection du patrimoine, du milieu, du site, utilisation pour les loisirs ; le riverain, tout en en conservant les charges, se trouve, d'une certaine façon, dépossédé de l'exercice de ses responsabilités -dont il ne détenait souvent déjà qu'une parcelle minime en raison du morcellement des propriétés riveraines- pour cause d'utilité publique ; tout cela contribue à son désintérêt pour l'entretien et pour la gestion de son cours d'eau.
Les utilisateurs de la rivière à des fins de loisirs ou de sports évoluent eux-mêmes. Les pêcheurs acquittant la taxe piscicole ne sont plus que deux millions environ, alors qu'ils étalent 2,8 millions en 1970. Le tourisme fluvial, le canoë-kayak, connaissent en revanche un essor nouveau depuis moins de dix ans.
La fréquentation des baignades en rivière a connu également un développement intense dans le Sud de la France, accompagnant le doublement de la fréquentation touristique dans cette région en quinze ans.
Ces usagers plus nombreux, mais également moins fidèles et moins investis dans le maintien de ses équilibres, demandeurs d'une amélioration des conditions d'accès à ce patrimoine collectif envahissent les abords des rivières comme à d'autres époques ils ont envahi la montagne ou le littoral.
C'est donc le bouleversement profond des relations des hommes avec la rivière que l'on connaît actuellement.
Les riverains, s'ils conservent des obligations légales relatives à l'entretien, ne sont plus les seules parties prenantes, et les conflits d'usages, traditionnellement liés à la répartition quantitative des eaux, sont maintenant plus complexes, et opposent différentes approches qualitatives de ces rivières, notamment dans l'équilibre à trouver entre la fréquentation liée aux loisirs et la volonté de préservation des milieux naturels.
L'eau doit aussi être plus présente dans les villes.
Environ 80 % de la population française vit en milieu urbain. L'eau est, pour cette population, perçue soit comme un produit de consommation (l'eau du robinet ou l'eau en bouteille), soit comme un élément de décor urbain (fontaines, bassins). Mais, bien qu'elle soit "artificialisée" à travers ces conditionnements courants ou ces représentations civilisées, l'eau reste un élément naturel d'attrait et de détente. Or, force est de constater que la plupart des grandes villes françaises tournent le dos aux cours d'eau qui les traversent. Progressivement les berges ont été accaparées par des infrastructures de liaison et de transport et les populations urbaines ont perdu l'accès à un milieu naturel qu'elles ne peuvent rencontrer qu'en dehors des villes.
Des opérations exemplaires de désenclavement des berges devraient pouvoir être encouragées auprès des villes qui souhaiteraient adhérer à cette démarche.
Face à l'ensemble de ces nouvelles exigences qui correspondent à une demande sociale impérative, notre système réglementaire et institutionnel reste-t'-il adapté ?
Je ne le pense pas. II présente de nombreux mérites, mais demande à être complété.
J'en prendrais trois exemples :
- celui de la gestion quantitative des eaux,.
- celui de la tarification de l'eau,
- celui de l'organisation des services de l'Etat.
Dans le domaine quantitatif, les insuffisances des régimes juridiques des eaux souterraines d'une part et des cours d'eau non domaniaux d'autre part, constituent un obstacle réel à une gestion efficace, et à une juste répartition des eaux. Pour ne prendre que l'exemple des cours d'eau non domaniaux, peut-on véritablement parler de l'exercice d'une police des eaux alors que :
* les autorisations délivrées portent sur les ouvrages réalisés et non pas sur les prélèvements qui ne peuvent être quantifiés en débits ou en volumes ;
* les autorisations ne sont pas limitées dans le temps ;
* les agents chargés de la police des eaux ne sont pas habilités à accéder aux installations pour en assurer le contrôle ;
* aucune sanction véritable n'est associée à la constatation des infractions.
La loi de 1964, dans un contexte où le manque d'eau était perçu comme lié à des circonstances locales particulières, avait instauré des régimes juridiques d'exception destinés à permettre à l'Etat, d'intervenir ponctuellement plus fortement :
- dans les zones spéciales d'aménagement ;
- par la création d'une troisième catégorie de cours d'eau dits "mixtes".
Malgré les besoins, ces deux innovations juridiques n'ont pas trouvé d'application. II y a plusieurs raisons à cela :
* contrairement à ce qui était imaginé, les problèmes de déficits se sont posés à des échelles géographiques plutôt globales, et la situation est devenue progressivement plus difficile sur des ensembles de bassin : les mesures exceptionnelles prévues se sont révélées mal adaptées, voire inapplicables ;
* n'améliorant aucunement les insuffisances des principes généraux du droit des eaux actuel, ces dispositions d'exception nécessitent une procédure très lourde. Par exemple, dans le statut des cours d'eau mixtes, il est prévu de ne pas porter atteinte aux droits acquis ; mais comment les définir sérieusement, alors que justement le régime des autorisations en vigueur se caractérise par une trop grande imprécision ?
Ces dispositions prises pour ordre, dans un souci de préserver l'avenir, étaient trop timides pour être réellement opérantes.
La tarification de l'eau est devenue excessivement complexe et particulièrement obscure pour le consommateur : au coût d'adduction d'eau et de traitement de l'eau potable s'ajoutent en effet la taxe d'assainissement censée être représentative du coût de la collecte du traitement des eaux usées (mais non du pluvial), la redevance de pollution versée à l'agence de bassin, et la taxe du FNDAE. Ajouter à cela des systèmes anti-économiques de tarification comme le forfait, et il est compréhensible que les consommateurs aient quelque méfiance vis-à-vis du prix de l'eau et de l'usage qu'il est fait de son produit.
Enfin, malgré les taxes domaniales versées à l'Etat pour occupation du domaine public, notamment pour les ouvrages de prélèvement et de rejet installés sur les rivières domaniales ou les canaux, alimentant le budget de l'Etat, les lignes budgétaires destinées à l'entretien du domaine public ne sont pas suffisantes au moment où une politique de relance doit être mise en uvre.
S'agissant des Agences de bassin, le système des redevances mis en place par la loi sur l'eau a été conçu non seulement pour constituer une source de financement nouvelle mais aussi pour modifier dans le sens de l'intérêt collectif le comportement individuel : moins prélever ou moins polluer. Cette volonté de donner à ces redevances un caractère incitatif fort s'est traduite dans les éléments physiques qui servent d'assiette à ces redevances: le volume d'eau prélevé ou la quantité de pollution déversée. Les taux qui leur sont affectés viennent compléter le caractère incitatif des assiettes ainsi définies. On paie plus cher par exemple le déversement de tel élément de pollution parce que le traitement de cet élément coûte à la collectivité plus cher que le traitement de tel autre.
La mise en uvre de ce mécanisme et les aides distribuées par les agences de bassin ont permis des progrès significatifs en particulier dans le domaine de la pollution industrielle et de la pollution domestique. Le principe "qui pollue paie -qui épure est aidé", a montré son efficacité. II devra être renforcé pour donner aux redevances un caractère plus incitatif et dégager des ressources financières à la hauteur de l'effort à entreprendre.
Mais ce dispositif a été conçu pour. des prélèvements ou des rejets à la fois ponctuels et permanents. Il se trouve moins bien adapté pour prendre en compte les phénomènes de pollutions diffuses (pollutions dues aux pratiques agricoles) et/ou très variables dans le temps (pollutions dues au déversement des eaux pluviales, pollutions accidentelles).
Enfin, il ne suffit pas à répondre à des exigences nouvelles comme l'entretien des cours d'eau, la lutte contre l'érosion ou la sauvegarde de certaines ressources particulièrement sensibles (eaux souterraines, zones humides). Face à .la globalité des problèmes de gestion de la ressource en eau, le système des redevances reste incomplet.
Enfin, l'organisation administrative reste insuffisante. Il n'est qu'à dresser l'inventaire des missions de réflexions conduites sur ce thème, à la demande des Ministres successifs de l'Environnement, et qui n'ont trouvé que très partiellement d'application concrète jusqu'à ce jour, pour mesurer l'insatisfaction permanente des autorités vis-à-vis de l'organisation actuelle.
Les tâches de gestion de l'eau assumées par les services de l'Etat restent trop dispersées.
La délivrance des autorisations de prélèvements, de rejets, ou de construction des ouvrages, qui doit être conçue comme une composante essentielle de la gestion et de la préservation des eaux, est dispersée entre divers services et ne fait pas l'objet de documents clairs d'orientation au niveau de chaque bassin ou sous-bassin : les demandes sont instruites au coup par coup.
Le contrôle des installations et la constatation des infractions doivent être faits par des agents assermentés spécifiquement pour chaque catégorie d'autorisation : police de la pêche, contrôle de la potabilité des eaux, surveillance des stations d'épuration, police des prélèvements et des rejets, contrôle des installations classées sont ainsi gérés séparément.
La situation actuelle montre des insuffisances flagrantes.
* une grande part (25 % à 35 %) des ouvrages, prises d'eau et rejets se pratique de façon sauvage ;
* le contrôle du respect des prescriptions des autorisations, est extrêmement réduit : pour les prélèvements, ceci s'explique notamment par la faiblesse des dispositions réglementaires du droit existant, mais de façon plus générale, c'est une insuffisance notoire de moyens qui en est à l'origine ;
* la dispersion des interventions entre de très nombreux services conduit plus de la moitié de ceux-ci à prendre moins de 20 décisions par an, c'est-à-dire à n'exercer cette responsabilité qu'à titre tout à fait accessoire.
Des réformes s'imposent donc. Tant vis-à-vis du public que des élus, l'administration de l'eau doit apparaître plus lisible et plus cohérente. Elle doit en même temps rechercher les conditions d'une plus grande efficacité. Elle les trouvera, j'en suis sûr, dans des modes d'organisation nouvelle et dans une motivation plus grande aux priorités qui désormais s'imposent dans la relance d'une politique de l'eau.
Tel est, Mesdames et Messieurs, le constat de la situation que j'ai voulu dresser de manière très directe devant vous. Les valeurs essentielles qui s'attachent à la sauvegarde de l'eau demanderont des décisions difficiles, coûteuses et peut-être impopulaires. II faudra revoir certaines de nos habitudes ou de nos conceptions de l'usage de l'eau. II faudra en assumer le prix. L'enjeu est à la mesure du défi. Nous devons dès maintenant, être prêts, ensemble, à le relever.