Déclaration de M. Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France, sur les problèmes d'ordre médical, éthique, juridique et philisophique posés par le projet de loi sur l'allongement du délai autorisé pour l'avortement, à l'Assemblée nationale le 29 novembre 2000.

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Circonstance : Exception d'irrecevabilité posée par Philippe de Villiers sur le projet de loi IVG et contraception, à l'Assemblee nationale le 29 novembre 2000

Texte intégral

Monsieur le Président,
Madame le Ministre,
Mes chers collègues,
Le texte de loi portant sur l'allongement du délai d'avortement à douze semaines intervient juste au moment où la Cour de Cassation, en estimant qu'un jeune handicapé n'aurait pas dû naître.
- fait sauter l'un des verrous menant à l'eugénisme,
- et provoque la juste colère des associations de handicapés et la stupeur du corps médical.
Désormais, en France, un médecin peut être condamné pour ne pas avoir tué.
Cette coïncidence des dates est impressionnante.
La coïncidence des logiques sous-jacentes
celle de l'arrêt scandaleux et celle d'un projet de loi discutable, l'est tout autant.
- Dans les deux cas, on renverse la norme, on piétine le serment d'Hippocrate, on favorise une régression de tous les principes de notre Droit.
- Dans les deux cas, le point d'aboutissement, la ligne de fuite sont les mêmes : la Cour de Cassation et le Parlement lui-même sont en train de mettre en place les conditions d'une sélection de l'enfant à naître.
Après 25 ans d'application de la loi de 1975, on compte aujourd'hui 210 000 avortements annuels pour 720 000 naissances.
Prenant en considération de tels chiffres, en croissance continue, on pourrait s'attendre à ce que le Parlement s'interroge, se remette en cause, se pose des questions graves et surtout décide d'agir.
Agir pour favoriser l'aide aux femmes enceintes en difficulté et promouvoir une alternative à l'avortement, c'est-à-dire répondre à une urgence éthique et sociale.
Ce n'est pas ce que le gouvernement nous propose.
Ce qu'il nous propose, au contraire, c'est une fuite en avant, sur fond de terrorisme intellectuel, au mépris des réflexions de nombreuses sommités qui n'ont cessé, depuis l'été, de mettre en garde les plus hautes autorités de notre pays.
Se posent en effet de graves questions aujourd'hui portées par les innovations de ce projet de loi qui touche aux soubassements de notre édifice juridique et qui nous concerne tous.
- Ce projet de loi concerne bien sûr les femmes, leurs appels au secours, mais il concerne aussi l'équilibre de la société toute entière.
- l'allongement du délai légal pour avorter porté de 10 à 12 semaines concerne l'enfant, c'est-à-dire notre avenir
- la suppression de l'autorité parentale pour les mineurs concerne la famille, c'est-à-dire la première transmission de nos premiers repères ;
- la suppression de la clause de conscience concerne les médecins, c'est-à-dire le rapport nécessaire et singulier entre l'absolue détresse et l'absolue confiance en celui qui soigne, qui rassure et qui sauve ;
- l'autorisation de faire de la " propagande " pour l'avortement concerne la Société, c'est-à-dire notre philosophie de la vie et notre manière de pratiquer la solidarité avec les plus démunis, les sans voix, les sans défense, ceux qui ont déjà des petites mains qui n'ont pas encore d'avocat.
Ce projet de loi pose au moins quatre problèmes redoutables:
I - le premier d'entre eux est un problème d'ordre médical
Il suffit d'écouter les gynécologues pour comprendre ceci :
"Interrompre une grossesse de 12 semaines et une grossesse de 10 semaines, ce n'est pas du tout le même acte."
Le président du collège français d'échographie ftale, s'exprimant dans Libération, nous décrit la différence (Libération, le 3 octobre 2000).
"Que se passe-t-il entre 10 et 12 semaines ? Il s'agit d'un stade de transition tout à fait particulier où se produit le passage de l'embryon au ftus. De rapides et importantes modifications se produisent et, dès ce moment, il est possible d'individualiser nombre des caractéristiques de l'enfant en devenir. Peut-on dès lors choisir ? L'écran de l'échographe peut-il être un catalogue de ftus ?" (Roger Bessis).
En d'autre termes, à 12 semaines,
- il ne s'agit plus d'aspirer un embryon,
- mais de fragmenter un ftus squelette en voie d'ossification.
Ce qui signifie un acte lourd et sans ambiguïté
A trois mois de grossesse, le ftus est donc formé et ses premiers mouvements peuvent déjà être aperçus.
II - Le second problème est précisément un problème d'ordre éthique
Il s'agit de savoir quelles dérives préparent ainsi les apprentis sorciers (que vous êtes).
De nombreux experts, tels que les professeurs Israël Nisand ou René Frydman, ont exprimé leurs craintes à ce sujet avec beaucoup de clarté.
"Je peux affirmer que si on devait allonger les délais, un certain nombre de femmes demanderaient une IVG non pas parce que la grossesse ne leur convient pas, mais parce que c'est cette grossesse-là qu'elles refuseraient."
Les progrès de l'échographie obstétricale et des techniques de diagnostics prénataux seraient ainsi détournés pour ouvrir toute grande la voie de la recherche de "l'enfant parfait", c'est-à-dire de l'eugénisme.
Les performances du diagnostic prénatal en France, et en particulier de l'échographie 2D (et bientôt en 3D) réalisée très tôt et pratiquement chez toutes les femmes dès la onzième semaine de grossesse, permettent de déceler des anomalies mineures, telles qu'une hernie ombilicale. Ce sont des anomalies que l'on peut guérir sans difficulté.
Mais chacun sait que l'annonce de telles malformations peut inciter certaines femmes à demander un avortement pour convenance personnelle.
Cet examen permet aussi de déterminer le sexe de l'enfant. Or, les médecins sont dores et déjà confrontés à des demandes d'avortements liées au sexe de l'enfant à naître.
Ainsi la ligne est franchie :
Celle qui sépare :
- "un enfant, si je veux"
- ou encore "un enfant, quand je veux"
de : - "un enfant tel que je le veux".
Dans ce monde-là, tout bascule.
Le progrès se retourne contre lui-même.
C'est ainsi que :
- "le dépistage précoce est, en France, le gage des meilleures chances pour la vie,
- il sera demain un arrêt de mort (Roger Bessis, Libération, 3 octobre 2000).
Le professeur Frydman s'alarme de cette dérive contraire à l'éthique :
Au nom du droit de la femme, au nom de la liberté, faudra-t-il accepter toute demande d'avortement pour bec-de-lièvre, pour pied-bot, ou pour toute imperfection curable ?
Et qui définira la norme ?
Nous approchons là de la rive dangereuse d'une société pré-totalitaire portée par le rêve libertaire d'une fécondité humaine devenue produit de consommation, et finalement tentée par l'expérience de l'amélioration de la race, de l'espèce, la Société du Bébé Parfait selon la norme du moment.
C'est cela, l'eugénisme,
c'est le tri des enfants à naître,
c'est l'émergence d'un nouveau droit,
le droit à l'euthanasie prénatale.
III - Le troisième problème est un problème d'ordre juridique
Ce texte opère un renversement juridique complet.
De l'exception ont fait une Règle.
Ce qui devait être un dernier recours, une douloureuse exception - il suffit de relire les attendus de la loi Veil - devient un acte de convenance, acceptable en toutes circonstances et soigneusement détaché de toutes conséquences.
Dans la pensée dominante, l'avortement devient ainsi, d'un moindre mal, un droit absolu.
Pourtant, la législation française actuelle rappelle très explicitement qu'elle ne reconnaît pas l'avortement comme un droit des femmes. Bien au contraire, elle souligne le principe intangible du respect de la vie qui constitue l'axe de notre droit.
La possibilité d'avorter dans notre droit est encore aujourd'hui considérée comme une exception, la réponse à une situation de détresse particulière.
Non seulement l'équilibre voulu par la loi de 1975 a été perdu de vue, mais votre texte tend précisément à le renverser, aggravant la situation qu'il déplore.
Implacable logique que celle qui autorise désormais la publicité pour des actes dont nos principes juridiques mêmes refusent la systématisation.
Ce nouveau " droit à la propagande " est d'autant plus critiquable que, vous vous préparez à faire condamner par la loi, ceux qui promeuvent d'autres solutions que l'élimination radicale d'un enfant, en versant au rang des délits leurs actions de promotion de la vie.
IV - Enfin, votre projet soulève un quatrième problème, d'ordre philosophique
Il soustrait de façon parfaitement irresponsable les adolescentes au rôle et à l'autorité des parents, en leur permettant d'avorter sans l'autorisation de ces derniers,
grâce à l'assistance d'un adulte choisi de façon arbitraire. Nous nous trouvons face à un problème éducatif grave :
votre intention, comme dans le texte sur la pilule du lendemain, d'émanciper avec précocité les mineures, de les couper radicalement de leurs familles sur des questions de vie privée essentielles, est scandaleuse.
Il n'appartient à personne de se substituer aux familles dans des situations aussi graves pour les adolescentes que pour leurs parents.
Ainsi, vous allez à l'encontre de la législation sur l'autorité familiale,
"Pourquoi introduire froidement de façon légale le non-dit, le secret, voire le mensonge entre les jeunes et leurs parents, - en supprimant l'autorisation pour les mineures-, alors que les psychologues ne cessent de nous mettre en garde contre les ravages provoqués par les mêmes attitudes dans les relations familiales ?
Pourquoi contribuer ainsi à renforcer une impuissance parentale que l'on regrette par ailleurs ?"( La Croix, le mardi 7 novembre 2000).
Une fois de plus, on s'aperçoit que l'idéologie socialiste, sous couvert de liberté, est une idéologie porteuse de germes totalitaires :
on substitue l'Etat aux familles, au corps médical, aux valeurs.
Cette loi est la porte ouverte à l'eugénisme d'Etat.
On éliminera les faibles, les "anormaux",
On sélectionnera une "race" d'hommes "normaux", conformes aux vues circonstancielles d'une époque ou à une mode, à une "esthétique" du moment. C'est "le meilleur des mondes" imaginé par Huxley : nous aurons les plus beaux bébés du monde, par décret d'Etat.
Votre texte est non seulement irresponsable dans ses propositions, mais il l'est aussi dans ses manques, dans ses oublis.
Pourquoi une baisse significative du nombre d'avortements au cours des prochaines années ne serait-elle pas une grande cause de santé publique ?
Ce serait une victoire contre la détresse, la souffrance, le remords, une vraie victoire de la vie.
En ignorant le volet déjà présent dans la loi de 1975 relatif à l'aide aux femmes enceintes en difficulté, vous imposez l'avortement comme recours unique à ces détresses.
Ce serait pourtant une belle cause de proposer un accompagnement psychologique et matériel à ces femmes en situation de détresse. C'est le sens de la proposition de loi que j'ai cosignée avec d'autres parlementaires, et vous auriez dû en tenir compte dans la rédaction de votre projet.
Cet accompagnement peut sauver bien des vies. Je le sais d'autant mieux que j'ai mis en place dans mon département une maison d'accueil pour les femmes enceintes en situation de détresse, "la Maison d'Ariane". L'aide que nous apportons aux futures mères qui viennent y chercher un soutien joue un rôle décisif dans leur choix ou non de donner le jour à leur enfant.
- La science génétique moderne a montré, que dès le premier instant de la fécondation, se trouve fixé le programme de ce que sera la personne, la personne individuelle avec ses caractéristiques bien déterminées.
- Notre rôle, à nous le politique, dépositaire du bien public et de l'intérêt général, est de veiller au respect de la vie et à la protection des plus faibles. C'est notre mission primordiale.
- Votre texte, Madame le Ministre, nie cette mission inhérente à votre fonction,
- Et il nie le premier des droits de l'homme, le droit de naître.
- C'est pourquoi, j'invite la représentation nationale à le déclarer irrecevable.
- Il est irrecevable, au sens de tous les principes de notre droit constitutionnel et de son préambule.
Il est très inquiétant que les plus hautes autorités de notre pays se laissent aller à des décisions hautement discutables et aux conséquences imprévisibles.
L'arrêt Perruche de la Cour de Cassation, votre projet de loi, l'avant-projet de loi relatif à la révision des lois bioéthiques dont nous connaissons le contenu depuis hier vont conduire notre pays à ne plus reconnaître que trois types d'êtres humains :
- ceux qui ont le droit de vivre et qui pourront compter sur la recherche appliquée à d'autres êtres humains pour vivre plus longtemps ;
- ceux qui n'ont pas le droit à la vie parce qu'ils sont handicapés et ne correspondent pas à l'image de l'enfant parfait que développe notre société ;
- ceux qui sont destinés à mourir au cours d'expériences scientifiques.
C'est pourquoi, avant que ce texte ne soit adopté, je demande par avance au Président de la République d'exiger, le moment venu, une deuxième lecture, une nouvelle délibération avant toute promulgation d'une loi dangereuse, inique
- qui blesse la conscience morale de tout un peuple
- et viole les lois les plus fondamentales de notre civilisation.
(source http://www.mpf-villiers.org, le 1 décembre 2000)