Texte intégral
Mes chers amis,
J'aurais aimé vous parler de tant de choses et on a tellement de choses à se dire, vous qui nous donnez chaud au c?ur, du c?ur à l'ouvrage pour les batailles à l'Assemblée nationale, au Sénat ou au Parlement européen. Dans les dix minutes qui me sont imparties, rassurez-vous, je ne vous parlerai pas une fois de plus de l'égalité des chances comme aux derniers conseils nationaux. Mais je voudrais simplement vous faire observer que notre analyse sur ce sujet, bien avant la crise des banlieues, nous a malheureusement donné raison.
Oui, nous avions raison quand nous disions qu'une partie de nos compatriotes ne supporteraient pas indéfiniment qu'aucune place ne leur soit faite dans la société française, et qu'il fallait rompre avec les politiques actuelles pour mener des politiques résolument nouvelles, résolument audacieuses. Nous avions tracé des pistes sur l'accès aux universités et aux grandes écoles pour les enfants issus des milieux modestes et défavorisés. Nous avions parlé de politiques de discrimination fondées non pas sur des critères raciaux ou ethniques, mais fondés sur des critères socio-économiques.
Sur tout cela, nous avions raison et nous n'avons pas été écoutés ; d'ailleurs, on ne nous a jamais écoutés depuis quatre ans.
Et il a fallu la crise des banlieues pour que ce sujet devienne absolument prioritaire, qu'il soit évoqué à longueur de discours, comme la grande urgence nationale. Rassurez-vous, on en a beaucoup parlé, on en parle déjà moins et surtout on ne fera réellement et concrètement rien ou pas grand-chose.
Je voudrais vous parler d'un seul sujet : l'Etat, le système public, ou peut-être plus encore le comportement de l'Etat et le comportement du pouvoir. Pour rétablir un lien de confiance entre le « système », entre ceux d'en haut, pour reprendre une formule tristement célèbre, et nos compatriotes, il faut rompre résolument avec la pratique du pouvoir qui depuis vingt-cinq ans donne la nausée à nos compatriotes.
Ils ont tout connu, assistant un peu amusés et terriblement désabusés à la déréliction du système : le détournement des fonds de la grande association de lutte contre le cancer, le trucage des marchés publics, les faux bulletins de santé du président de la République, les écoutes téléphoniques organisées pour protéger des secrets d'alcôve, les arrangements en tout genre, les gouffres d'entreprises publiques, sans qu'à aucun moment les responsabilités ne soient pointées, une justice dite indépendante mais manipulée, des nominations dont le critère est le degré de connivence avec le pouvoir, les moyens occultes de financement des partis politiques, les chaussures de M. Dumas, les frais de bouche de la Ville de Paris, enfin les « golden parachutes » de quelques dizaines de millions d'euros de grands patrons dont la vertu principale, pour certains, est d'avoir été nommés par le pouvoir et qui vous expliquent que la globalisation de l'économie impose la souplesse et l'adaptabilité de l'ensemble des facteurs de production, donc la flexibilité des salariés, mais qui s'accordent à eux-mêmes le maximum de protection.
Et les Français ont surtout assisté à l'impuissance du système public, de l'administration, des majorités, des gouvernements, de l'Etat à traiter des maux dont souffrent la France et les Français.
Aujourd'hui, nous, les élus, sommes vécus comme le plus souvent inutiles, à peine honnêtes, voire nuisibles. L'image que l'on nous renvoie en dépit de nos efforts, de nos 70 heures par semaine, est terrible.
La reconstruction de l'esprit public, de la confiance, passe d'abord à coup sûr par la reconstruction du système public, d'un Etat qui soit incontestable, efficace et exemplaire.
Plus en France qu'ailleurs, la réhabilitation de l'Etat est nécessaire, car au centre du modèle français, il y a l'Etat. C'est lui qui a façonné la France, qui l'a bâtie, c'est lui qui depuis des siècles a été investi de tout, de l'enseignement à l'économie, de la culture au sport, de l'environnement à la santé. Aucun autre pays en Europe n'a donné à l'Etat de telles missions, aucun pays ne l'a placé autant au-dessus du reste. L'Etat a tout construit ou presque, même nos succès économiques et industriels : Ariane, Airbus, Alsthom et le TGV, les centrales nucléaires, les grands groupes d'environnement comme Suez, l'industrie d'armement, l'automobile même ? tout cela on le doit de près ou de loin à l'Etat ou au système public.
En France, le service public n'est pas qu'un mode de gestion, c'est un modèle de société, c'est une philosophie politique. On peut le regretter ou l'approuver, mais c'est ainsi. Et c'est donc notamment par la restauration d'un comportement irréprochable de l'Etat que passe le rétablissement de notre pays. C'est parce que notre système public marchera, que notre économie et nos entreprises fonctionneront, c'est parce que notre système public marchera ? compte tenu de sa place dans la conscience des Français ? que nos compatriotes retrouveront confiance dans l'avenir. Aujourd'hui, nos entreprises ont des moteurs de Formule 1, mais une carrosserie de 4L.
Je vous le dis, mes chers amis, c'est l'esprit, le souffle, la passion de 1789 qu'il nous faudra pour remettre les choses d'aplomb, et je voudrais vous donner quelques pistes.
C'est d'abord un Etat qui respecte la loi.
Un Etat qui respecte la loi, c'est d'abord un Etat qui respecte celui qui fait la loi, c'est-à-dire le Parlement. Or il n'y a pas un jour qui passe sans que les pouvoirs et les attributions du Parlement ne soient piétinés. Vous le savez, nous voulons changer les institutions, car la France ne peut pas continuer à vivre dans un régime aussi déséquilibré que le nôtre et qui fait de la Vème République une monarchie républicaine, pire encore une monarchie impuissante. On respecte si peu le Parlement que le gouvernement peut déposer un amendement fondamental de 7 pages sur la protection du droit d'auteur sur internet à 18 heures, pour être discuté à 21 heures, alors que cela fait quatre ans que la France doit transposer la directive européenne.
Il n'y a qu'en France où, par exemple, la politique européenne soit encore considérée comme un domaine de politique étrangère, pour écarter et évincer le parlement. Partout ailleurs, la politique européenne appartient à la politique nationale et est donc débattue au Parlement. Nous en avons eu probablement la plus triste expérience avec la question de l'intégration de la Turquie au sein de l'Union européenne. Et on sait combien tout cela finit par écarter un peu plus nos compatriotes du projet européen.
Il faut aussi redonner au Parlement un vrai pouvoir de contrôle : contrôler l'action du gouvernement, contrôler l'usage de l'argent public, ce n'est pas empêcher l'action du gouvernement. Le contrôle, ce n'est pas l'impuissance, c'est au contraire la légitimation de l'action. C'est parce que l'action de l'exécutif est contrôlée, qu'elle devient crédible auprès de nos compatriotes et que l'impôt devient acceptable.
Je n'insiste pas sur ce sujet que nous avons déjà développé, mais qui me semble fondamental.
Un Etat qui respecte la loi, c'est ensuite un Etat qui respecte la loi qu'il fait, qui l'impose aux autres, mais qui se l'impose aussi à lui-même.
Vous avez souvent remarqué que l'Etat impose à l'ensemble de la société des normes et des conditions toujours plus contraignantes, sans se les appliquer à lui-même. Pour ne prendre qu'un seul exemple, les entreprises ne peuvent renouveler un CDD que deux fois et la conclusion d'un CDD est soumise à des conditions. L'Etat et les organismes qui dépendent de lui se permettent au contraire, sans aucune vergogne, de multiplier à l'infini les CDD. Si l'Etat considère que le CDD doit être encadré dans le secteur privé, il n'y a aucune raison pour qu'il s'en estime exonéré. Sauf si l'intérêt général l'exige, l'Etat doit respecter les règles qu'il impose aux autres.
Un Etat qui respecte la loi, c'est un Etat qui respecte la solennité de la loi, qui respecte son caractère éminent. Pour ne prendre qu'un seul exemple, le fameux article 4 de la loi sur les rapatriés, sur le caractère positif de la colonisation, n'aurait jamais vu le jour si la loi n'avait pas été autant dévalorisée depuis des années.
Au-delà des principes que pose cet article 4 sur la colonisation elle-même et au-delà du fait qu'il n'appartient pas à la loi de dire l'Histoire, c'est parce qu'on a permis au fil des 20 dernières années une telle dérive d'une loi qui touche à tout, qu'on a accepté ce genre de choses. Si l'on considère que la loi, c'est important, qu'elle ne doit s'occuper que des grands sujets, si on la met au sommet de la hiérarchie des normes, on ne laisserait jamais écrire des textes pour satisfaire telle ou telle clientèle électorale. C'est parce que la loi ne vaut plus grand-chose qu'on légifère sur ce qui ne relève pas de la loi.
Un Etat qui respecte la loi, c'est un Etat qui garantit la stabilité juridique et l'intangibilité des textes.
Pour ne prendre qu'un seul exemple, on ne cesse de modifier le code du travail. Le plan de cohésion sociale a créé ou modifié pas moins de 10 contrats de travail. Vous avez ainsi le contrat d'insertion lié au revenu minimum qui lui-même avait déjà été modifié en 2003, vous avez le contrat d'initiative emploi, le contrat jeune en entreprise, aujourd'hui le contrat nouvelle embauche, demain le contrat premier emploi, vous avez aussi le contrat d'apprentissage, le contrat de professionnalisation, le Pacte et j'allais oublier le CIVIS, vous avez enfin le contrat d'avenir et le contrat d'accompagnement dans l'emploi. Mes chers amis, si le taux de chômage était lié au nombre de contrats de travail existants, je suis certain qu'il ne devrait plus y avoir un seul chômeur dans notre société. Qui dans la salle, qui parmi nos parlementaires les plus chevronnés, pourrait expliquer les conditions de conclusion de tous ces contrats ? Comment voulez-vous qu'un artisan ou un chef d'entreprise, s'il n'est pas doté de moyens de conseil considérables, puisse se retrouver dans un tel maquis et puisse avoir confiance dans la parole de l'Etat ?
Mes chers amis, un pays dont le journal officiel a comporté 20 965 pages en 2005 est un pays qui ne va pas bien.
Enfin, respecter la loi, c'est avoir un pouvoir vertueux. Plus personne aujourd'hui ne s'indigne des frasques du pouvoir, du comportement de nos gouvernants. J'ai été frappé, lors de l'anniversaire du décès de François Mitterrand, que tout le monde ait trouvé normal qu'un président de la République crée des forces de sécurité spéciales pour protéger ses secrets de famille, qu'il piétine avec les écoutes téléphoniques des libertés aussi fondamentales que le respect de la vie privée, que personne ne s'émeut de l'engagement de plusieurs millions d'euros pour restaurer un château afin d'y abriter ses week-ends, parce qu'en fait nos compatriotes n'ont plus d'illusions.
Le délitement de l'esprit public est tel que peu de personnes s'en indignent, alors que, dans toutes les autres démocraties occidentales, il en faudrait mille fois moins pour faire tomber un gouvernement.
Les Français veulent un Etat qui respecte la loi, mais ils veulent aussi un Etat efficace et courageux, un Etat qui va au bout des choses, au bout des réformes.
Ce n'est pas vrai que rien n'a été fait depuis 20 ans. Beaucoup de choses ont été tentées, mais en réalité on n'ose jamais aller jusqu'au bout, car le bras finit toujours par trembler. Et il tremble pour toutes sortes de raisons. Mais je voudrais insister sur une raison, qui me semble capitale : c'est parce que la vie politique en France n'est pas une aventure, un risque, c'est une carrière. Dans les autres démocraties occidentales, les générations politiques se renouvellent tous les dix ans : on est élu, on exerce le pouvoir et, lorsqu'on est désavoué par l'opinion, on est remplacé par une nouvelle génération. Et, bien entendu, une telle situation vous impose de prendre des risques, parce que de toutes façons le plat ne repassera pas. En revanche, en France, même quand vous avez exercé le pouvoir, et même quand vous avez été désavoué par nos concitoyens, vous savez que, le coup d'après, vous aurez une nouvelle chance. Bien entendu, cela vous donne un autre comportement quand vous exercez le pouvoir, car vous pensez déjà à ménager l'éventuel coup d'après.
Mes chers amis, il faut absolument intégrer dans notre législation une règle sur le cumul des mandats dans le temps, afin que les générations politiques puissent se renouveler. Avez-vous en tête que Jacques Chirac était déjà Premier ministre de la France, quand Leonid Brejnev régnait sur l'Union soviétique ? J'en ai terminé avec ma parenthèse.
Et, pour que l'Etat soit efficace, il faut avoir le courage de dire la vérité aux Français sur la situation du pays. Ils savent bien que cela ne va pas, mais on continue à leur dire que cela va mieux et que cela ira bientôt bien. Si vous ne dites pas la vérité sur la situation dramatique des finances publiques, sur la perte de compétitivité de l'économie française et sur sa mauvaise spécialisation, sur le fait que la France est le pays qui travaille le moins des pays occidentaux, sur le fait que le coût du travail chargé nuit au pouvoir d'achat et empêche l'installation à la fois des sièges sociaux et des centres de décision en France ? car pour un revenu après impôt identique pour un cadre supérieur, il en coûte trois fois plus en France qu'en Grande-Bretagne, et deux fois plus en France qu'en Allemagne ?, sur le fait que ce même coût du travail empêche le développement des emplois à faible valeur ajoutée, si vous ne dites pas la vérité aux Français, alors vous empêcherez l'émergence d'une majorité de Français prêts à accepter la réforme.
L'Etat doit faire l'effort permanent de la pédagogie et il doit aussi avoir une fonction stratégique d'éclairage sur l'avenir. Or, moins l'Etat pense, plus il crée de commissions. J'ai découvert un chiffre formidable dans un récent rapport : le nombre d'organismes d'aide à la décision du gouvernement est passé de 311 en 1997 à 634 en 2003? Et en même temps on veut supprimer le seul organe, le Commissariat au Plan, où la société civile et la société politique se retrouvaient pour réfléchir à l'avenir.
Or le pays, mes chers amis, a besoin d'être éclairé sur son avenir.
Il faut redonner du sens au temps. L'effacement du temps et de l'avenir est un drame pour la politique, car il conduit à la multiplication permanente des effets d'annonce, qui ne sont pas suivis d'effets concrets et qui discréditent encore un peu plus le politique. Le ministre qui vient au journal de 20 heures pour faire un effet d'annonce, devrait être immédiatement viré par le président de la République. Un gouvernement devrait systématiquement préférer le constat de l'action à l'annonce de l'intention.
Ce besoin de sens, d'explication, est d'autant plus nécessaire que notre pays a vécu sur un mythe qui s'est effondré, un mythe que le général de Gaulle avait maintenu grâce à son talent : celui d'une France grande puissance, capable de défier les Etats-Unis, se nourrissant de l'exception française, la France de Clovis, cette espèce de France métaphysique, la France qui montre le chemin aux nations du monde entier, celle de 1789 et de la Déclaration des droits de l'Homme.
Or les Français réalisent aujourd'hui que notre pays demeure un grand pays, mais n'est qu'une puissance moyenne affaiblie sur la scène européenne, de moins en moins écoutée sur la scène internationale, et qui peine à s'adapter à l'économie du XXIème siècle. Or la politique étrangère, c'est d'abord de la politique nationale, puisqu'elle est liée à la prospérité intérieure.
Eclairer le pays, donner un sens à son action, lui dire en permanence où on veut l'emmener, c'est donner aux citoyens les moyens d'être responsables de leur destin. La plupart des Français sont responsables de leur famille, ils sont responsables dans leur entreprise, pourquoi voudriez-vous qu'ils ne le soient pas pour leur pays ?
Mais, pour cela, nous avons besoin désormais d'un système de pouvoir où le chef d'Etat est en relation permanente et directe avec les Français pour leur expliquer ses choix. Il n'est plus acceptable d'avoir un président de la République marchant sur les eaux, et s'adressant selon les vieilles ficelles de la politique une fois de temps en temps aux Français.
Les Français ne veulent plus d'hommes politiques aux abris aux premiers coups de canon ; ils ne veulent plus de politiques qui changent de rive comme les canards sur l'étang au premier coup de pétard. Ils veulent des hommes engagés, qui prennent des risques, qui acceptent l'idée de l'échec, mais qui tentent. En France, ce n'est pas d'action dont nous mourons, mais d'inaction.
Toutes les démocraties occidentales fonctionnent sur ces principes. Nous sommes les seuls à demeurer sur des modes de fonctionnement de l'ancien monde, qui veut un président de la République restant dans la stratosphère et apparaissant de temps à autre comme le Saint-Esprit sur la terre.
Cet effort de pédagogie est d'autant plus indispensable dans un pays qui doute autant que le nôtre, car il n'y a pas plus anxiogène que de continuer à bénéficier de droits dont on sait très bien à l'avance qu'ils sont condamnés, mais sans qu'à aucun moment on ne vous propose une voie nouvelle. Cette obligation de vérité, d'éclairage de l'avenir, est la clé de la capacité de réforme d'un gouvernement.
Un Etat efficace, c'est enfin un Etat qui n'intervient pas tous azimuts, qui fixe 36 priorités tout autant fondamentales et urgentes. Au contraire, un bon gouvernement, c'est un gouvernement qui se fixe une ou deux grandes réformes majeures par période et qui va jusqu'au bout, en y mettant toute la puissance de communication nécessaire pour faire preuve de pédagogie. Si vous fixez 36 priorités, la politique du gouvernement devient illisible et elle empêche le mouvement.
Un Etat respectueux de la société civile, c'est un Etat qui gère sa propre complexité, qui ne l'impose pas aux autres, qui se rend accessible à nos compatriotes qui ne comprennent plus rien d'un fonctionnement qui leur échappe.
Combien voyons-nous dans nos permanences de concitoyens cherchant seulement à comprendre la décision qui les frappe, qui veulent être guidés dans les méandres d'une administration qui leur donne trop souvent l'impression de tourner sur elle-même ? Il nous faudra revoir en profondeur l'architecture de notre administration. Communes, établissements de coopération intercommunale, syndicats mixtes divers, pays, départements, régions, Etat, Etat central et Etat déconcentré, Europe : tout cela est infernal, tout cela duplique à l'infini les administrations qui gèrent les mêmes dossiers. Chaque échelon de collectivité a son propre service économique, son propre service culturel, et tous ces services gèrent in fine le même dossier. On a, à juste titre, fait confiance à la décentralisation, mais on n'a pas eu le courage de faire deux réformes. Premièrement, faire le nettoyage dans les échelons de collectivités locales, comme par exemple fusionner département et région comme nous le proposions. Deuxièmement, fixer une règle simple : quand on confie une responsabilité à une collectivité, plus personne d'autre ne peut l'exercer. Cela simplifiera le système, le rendra visible pour nos concitoyens, et moins coûteux pour le pays, car d'un coup d'un seul une telle réforme dégage des sources d'économies considérables.
Un Etat qui respecte la société civile, c'est un Etat qui respecte la parole donnée et qui ne change pas de politique en permanence en fonction du climat, de l'actualité ou de je ne sais quelle lubie. L'actualité récente nous en donne deux exemples : un dramatique, les condamnés d'Outreau. 14 personnes ont été condamnées injustement, ont fait plusieurs dizaines de mois de prison, alors qu'elles étaient totalement innocentes. Quelles que soient les fautes du juge Burgaud, nous avons tout fait collectivement pour en arriver là. A chaque fois qu'un dangereux criminel psychopathe commet des crimes en série, la majorité réclame encore un peu plus de sévérité, réclame des peines encore plus lourdes. Début 2004, je faisais le compte, il y a eu 23 réformes du code de procédure pénale en 22 ans, 15 réformes en 10 ans. En 23 ans, on a modifié à 11 reprises les règles de détention provisoire. Ainsi, comment voulez-vous ensuite que notre système judiciaire ne commette pas des erreurs relâchant de grands criminels pour une erreur de procédure ?
Comment voulez-vous que la justice puisse avoir la sérénité nécessaire pour exercer son métier, quand à chaque grand crime on réclame des peines supplémentaires ? Comment voulez-vous qu'à peine interpellés, les gens ne soient pas immédiatement condamnés, quand la présomption d'innocence est systématiquement bafouée par le pouvoir politique et le pouvoir médiatique ?
Vous l'avez peut-être oublié, mais souvenez-vous : en août 2005, dans le nord de la France, un Marocain et son fils français ont été arrêtés par la DST devant les caméras de télévision, les journalistes de l'AFP et de la presse régionale, et immédiatement condamnés comme étant de dangereux terroristes liés aux réseaux islamistes, pour que quelques jours plus tard, on s'aperçoive qu'ils étaient totalement innocents. Tout cela conduit aux dérives que les Français découvrent avec l'affaire d'Outreau.
Et le même Garde des Sceaux qui, il y a quelques mois, réclamait un assouplissement des conditions de la détention provisoire pour incarcérer un peu plus, vous explique depuis huit jours qu'il faut mieux encadrer les règles de la détention provisoire pour respecter la présomption d'innocence, car les Français viennent de constater que, sous la pression du tout répressif, la justice finit par s'emballer.
Et vous voudriez ensuite que la justice ne soit pas faillible ; et vous voudriez que la justice soit sereine pour faire ce qu'il y a de plus difficile sur cette basse terre, c'est-à-dire juger ; et vous voudriez que la justice ne rentre pas dans la surenchère ?
- L'affaire du CPE est aussi exemplaire du manquement de parole de l'Etat
Il nous faudra de la passion et de la fureur pour convaincre, pour convaincre nos concitoyens désormais si sceptiques face à la politique. Mais c'est la passion qui conduit à l'action.
C'est à la rébellion que je vous invite, au refus de la pensée unique. L'UDF doit incarner la rébellion contre un système qui est à bout de souffle. Nos compatriotes nous demandent de ne pas faire moins de politique, mais plus de politique, pour lutter contre l'inertie et les conservatismes.
Nous sommes si jeunes dans un monde si vieux. Alors, je vous invite à la passion, car seule la passion renverse les montagnes. Source http://www.udf.org, le 31 janvier 2006
J'aurais aimé vous parler de tant de choses et on a tellement de choses à se dire, vous qui nous donnez chaud au c?ur, du c?ur à l'ouvrage pour les batailles à l'Assemblée nationale, au Sénat ou au Parlement européen. Dans les dix minutes qui me sont imparties, rassurez-vous, je ne vous parlerai pas une fois de plus de l'égalité des chances comme aux derniers conseils nationaux. Mais je voudrais simplement vous faire observer que notre analyse sur ce sujet, bien avant la crise des banlieues, nous a malheureusement donné raison.
Oui, nous avions raison quand nous disions qu'une partie de nos compatriotes ne supporteraient pas indéfiniment qu'aucune place ne leur soit faite dans la société française, et qu'il fallait rompre avec les politiques actuelles pour mener des politiques résolument nouvelles, résolument audacieuses. Nous avions tracé des pistes sur l'accès aux universités et aux grandes écoles pour les enfants issus des milieux modestes et défavorisés. Nous avions parlé de politiques de discrimination fondées non pas sur des critères raciaux ou ethniques, mais fondés sur des critères socio-économiques.
Sur tout cela, nous avions raison et nous n'avons pas été écoutés ; d'ailleurs, on ne nous a jamais écoutés depuis quatre ans.
Et il a fallu la crise des banlieues pour que ce sujet devienne absolument prioritaire, qu'il soit évoqué à longueur de discours, comme la grande urgence nationale. Rassurez-vous, on en a beaucoup parlé, on en parle déjà moins et surtout on ne fera réellement et concrètement rien ou pas grand-chose.
Je voudrais vous parler d'un seul sujet : l'Etat, le système public, ou peut-être plus encore le comportement de l'Etat et le comportement du pouvoir. Pour rétablir un lien de confiance entre le « système », entre ceux d'en haut, pour reprendre une formule tristement célèbre, et nos compatriotes, il faut rompre résolument avec la pratique du pouvoir qui depuis vingt-cinq ans donne la nausée à nos compatriotes.
Ils ont tout connu, assistant un peu amusés et terriblement désabusés à la déréliction du système : le détournement des fonds de la grande association de lutte contre le cancer, le trucage des marchés publics, les faux bulletins de santé du président de la République, les écoutes téléphoniques organisées pour protéger des secrets d'alcôve, les arrangements en tout genre, les gouffres d'entreprises publiques, sans qu'à aucun moment les responsabilités ne soient pointées, une justice dite indépendante mais manipulée, des nominations dont le critère est le degré de connivence avec le pouvoir, les moyens occultes de financement des partis politiques, les chaussures de M. Dumas, les frais de bouche de la Ville de Paris, enfin les « golden parachutes » de quelques dizaines de millions d'euros de grands patrons dont la vertu principale, pour certains, est d'avoir été nommés par le pouvoir et qui vous expliquent que la globalisation de l'économie impose la souplesse et l'adaptabilité de l'ensemble des facteurs de production, donc la flexibilité des salariés, mais qui s'accordent à eux-mêmes le maximum de protection.
Et les Français ont surtout assisté à l'impuissance du système public, de l'administration, des majorités, des gouvernements, de l'Etat à traiter des maux dont souffrent la France et les Français.
Aujourd'hui, nous, les élus, sommes vécus comme le plus souvent inutiles, à peine honnêtes, voire nuisibles. L'image que l'on nous renvoie en dépit de nos efforts, de nos 70 heures par semaine, est terrible.
La reconstruction de l'esprit public, de la confiance, passe d'abord à coup sûr par la reconstruction du système public, d'un Etat qui soit incontestable, efficace et exemplaire.
Plus en France qu'ailleurs, la réhabilitation de l'Etat est nécessaire, car au centre du modèle français, il y a l'Etat. C'est lui qui a façonné la France, qui l'a bâtie, c'est lui qui depuis des siècles a été investi de tout, de l'enseignement à l'économie, de la culture au sport, de l'environnement à la santé. Aucun autre pays en Europe n'a donné à l'Etat de telles missions, aucun pays ne l'a placé autant au-dessus du reste. L'Etat a tout construit ou presque, même nos succès économiques et industriels : Ariane, Airbus, Alsthom et le TGV, les centrales nucléaires, les grands groupes d'environnement comme Suez, l'industrie d'armement, l'automobile même ? tout cela on le doit de près ou de loin à l'Etat ou au système public.
En France, le service public n'est pas qu'un mode de gestion, c'est un modèle de société, c'est une philosophie politique. On peut le regretter ou l'approuver, mais c'est ainsi. Et c'est donc notamment par la restauration d'un comportement irréprochable de l'Etat que passe le rétablissement de notre pays. C'est parce que notre système public marchera, que notre économie et nos entreprises fonctionneront, c'est parce que notre système public marchera ? compte tenu de sa place dans la conscience des Français ? que nos compatriotes retrouveront confiance dans l'avenir. Aujourd'hui, nos entreprises ont des moteurs de Formule 1, mais une carrosserie de 4L.
Je vous le dis, mes chers amis, c'est l'esprit, le souffle, la passion de 1789 qu'il nous faudra pour remettre les choses d'aplomb, et je voudrais vous donner quelques pistes.
C'est d'abord un Etat qui respecte la loi.
Un Etat qui respecte la loi, c'est d'abord un Etat qui respecte celui qui fait la loi, c'est-à-dire le Parlement. Or il n'y a pas un jour qui passe sans que les pouvoirs et les attributions du Parlement ne soient piétinés. Vous le savez, nous voulons changer les institutions, car la France ne peut pas continuer à vivre dans un régime aussi déséquilibré que le nôtre et qui fait de la Vème République une monarchie républicaine, pire encore une monarchie impuissante. On respecte si peu le Parlement que le gouvernement peut déposer un amendement fondamental de 7 pages sur la protection du droit d'auteur sur internet à 18 heures, pour être discuté à 21 heures, alors que cela fait quatre ans que la France doit transposer la directive européenne.
Il n'y a qu'en France où, par exemple, la politique européenne soit encore considérée comme un domaine de politique étrangère, pour écarter et évincer le parlement. Partout ailleurs, la politique européenne appartient à la politique nationale et est donc débattue au Parlement. Nous en avons eu probablement la plus triste expérience avec la question de l'intégration de la Turquie au sein de l'Union européenne. Et on sait combien tout cela finit par écarter un peu plus nos compatriotes du projet européen.
Il faut aussi redonner au Parlement un vrai pouvoir de contrôle : contrôler l'action du gouvernement, contrôler l'usage de l'argent public, ce n'est pas empêcher l'action du gouvernement. Le contrôle, ce n'est pas l'impuissance, c'est au contraire la légitimation de l'action. C'est parce que l'action de l'exécutif est contrôlée, qu'elle devient crédible auprès de nos compatriotes et que l'impôt devient acceptable.
Je n'insiste pas sur ce sujet que nous avons déjà développé, mais qui me semble fondamental.
Un Etat qui respecte la loi, c'est ensuite un Etat qui respecte la loi qu'il fait, qui l'impose aux autres, mais qui se l'impose aussi à lui-même.
Vous avez souvent remarqué que l'Etat impose à l'ensemble de la société des normes et des conditions toujours plus contraignantes, sans se les appliquer à lui-même. Pour ne prendre qu'un seul exemple, les entreprises ne peuvent renouveler un CDD que deux fois et la conclusion d'un CDD est soumise à des conditions. L'Etat et les organismes qui dépendent de lui se permettent au contraire, sans aucune vergogne, de multiplier à l'infini les CDD. Si l'Etat considère que le CDD doit être encadré dans le secteur privé, il n'y a aucune raison pour qu'il s'en estime exonéré. Sauf si l'intérêt général l'exige, l'Etat doit respecter les règles qu'il impose aux autres.
Un Etat qui respecte la loi, c'est un Etat qui respecte la solennité de la loi, qui respecte son caractère éminent. Pour ne prendre qu'un seul exemple, le fameux article 4 de la loi sur les rapatriés, sur le caractère positif de la colonisation, n'aurait jamais vu le jour si la loi n'avait pas été autant dévalorisée depuis des années.
Au-delà des principes que pose cet article 4 sur la colonisation elle-même et au-delà du fait qu'il n'appartient pas à la loi de dire l'Histoire, c'est parce qu'on a permis au fil des 20 dernières années une telle dérive d'une loi qui touche à tout, qu'on a accepté ce genre de choses. Si l'on considère que la loi, c'est important, qu'elle ne doit s'occuper que des grands sujets, si on la met au sommet de la hiérarchie des normes, on ne laisserait jamais écrire des textes pour satisfaire telle ou telle clientèle électorale. C'est parce que la loi ne vaut plus grand-chose qu'on légifère sur ce qui ne relève pas de la loi.
Un Etat qui respecte la loi, c'est un Etat qui garantit la stabilité juridique et l'intangibilité des textes.
Pour ne prendre qu'un seul exemple, on ne cesse de modifier le code du travail. Le plan de cohésion sociale a créé ou modifié pas moins de 10 contrats de travail. Vous avez ainsi le contrat d'insertion lié au revenu minimum qui lui-même avait déjà été modifié en 2003, vous avez le contrat d'initiative emploi, le contrat jeune en entreprise, aujourd'hui le contrat nouvelle embauche, demain le contrat premier emploi, vous avez aussi le contrat d'apprentissage, le contrat de professionnalisation, le Pacte et j'allais oublier le CIVIS, vous avez enfin le contrat d'avenir et le contrat d'accompagnement dans l'emploi. Mes chers amis, si le taux de chômage était lié au nombre de contrats de travail existants, je suis certain qu'il ne devrait plus y avoir un seul chômeur dans notre société. Qui dans la salle, qui parmi nos parlementaires les plus chevronnés, pourrait expliquer les conditions de conclusion de tous ces contrats ? Comment voulez-vous qu'un artisan ou un chef d'entreprise, s'il n'est pas doté de moyens de conseil considérables, puisse se retrouver dans un tel maquis et puisse avoir confiance dans la parole de l'Etat ?
Mes chers amis, un pays dont le journal officiel a comporté 20 965 pages en 2005 est un pays qui ne va pas bien.
Enfin, respecter la loi, c'est avoir un pouvoir vertueux. Plus personne aujourd'hui ne s'indigne des frasques du pouvoir, du comportement de nos gouvernants. J'ai été frappé, lors de l'anniversaire du décès de François Mitterrand, que tout le monde ait trouvé normal qu'un président de la République crée des forces de sécurité spéciales pour protéger ses secrets de famille, qu'il piétine avec les écoutes téléphoniques des libertés aussi fondamentales que le respect de la vie privée, que personne ne s'émeut de l'engagement de plusieurs millions d'euros pour restaurer un château afin d'y abriter ses week-ends, parce qu'en fait nos compatriotes n'ont plus d'illusions.
Le délitement de l'esprit public est tel que peu de personnes s'en indignent, alors que, dans toutes les autres démocraties occidentales, il en faudrait mille fois moins pour faire tomber un gouvernement.
Les Français veulent un Etat qui respecte la loi, mais ils veulent aussi un Etat efficace et courageux, un Etat qui va au bout des choses, au bout des réformes.
Ce n'est pas vrai que rien n'a été fait depuis 20 ans. Beaucoup de choses ont été tentées, mais en réalité on n'ose jamais aller jusqu'au bout, car le bras finit toujours par trembler. Et il tremble pour toutes sortes de raisons. Mais je voudrais insister sur une raison, qui me semble capitale : c'est parce que la vie politique en France n'est pas une aventure, un risque, c'est une carrière. Dans les autres démocraties occidentales, les générations politiques se renouvellent tous les dix ans : on est élu, on exerce le pouvoir et, lorsqu'on est désavoué par l'opinion, on est remplacé par une nouvelle génération. Et, bien entendu, une telle situation vous impose de prendre des risques, parce que de toutes façons le plat ne repassera pas. En revanche, en France, même quand vous avez exercé le pouvoir, et même quand vous avez été désavoué par nos concitoyens, vous savez que, le coup d'après, vous aurez une nouvelle chance. Bien entendu, cela vous donne un autre comportement quand vous exercez le pouvoir, car vous pensez déjà à ménager l'éventuel coup d'après.
Mes chers amis, il faut absolument intégrer dans notre législation une règle sur le cumul des mandats dans le temps, afin que les générations politiques puissent se renouveler. Avez-vous en tête que Jacques Chirac était déjà Premier ministre de la France, quand Leonid Brejnev régnait sur l'Union soviétique ? J'en ai terminé avec ma parenthèse.
Et, pour que l'Etat soit efficace, il faut avoir le courage de dire la vérité aux Français sur la situation du pays. Ils savent bien que cela ne va pas, mais on continue à leur dire que cela va mieux et que cela ira bientôt bien. Si vous ne dites pas la vérité sur la situation dramatique des finances publiques, sur la perte de compétitivité de l'économie française et sur sa mauvaise spécialisation, sur le fait que la France est le pays qui travaille le moins des pays occidentaux, sur le fait que le coût du travail chargé nuit au pouvoir d'achat et empêche l'installation à la fois des sièges sociaux et des centres de décision en France ? car pour un revenu après impôt identique pour un cadre supérieur, il en coûte trois fois plus en France qu'en Grande-Bretagne, et deux fois plus en France qu'en Allemagne ?, sur le fait que ce même coût du travail empêche le développement des emplois à faible valeur ajoutée, si vous ne dites pas la vérité aux Français, alors vous empêcherez l'émergence d'une majorité de Français prêts à accepter la réforme.
L'Etat doit faire l'effort permanent de la pédagogie et il doit aussi avoir une fonction stratégique d'éclairage sur l'avenir. Or, moins l'Etat pense, plus il crée de commissions. J'ai découvert un chiffre formidable dans un récent rapport : le nombre d'organismes d'aide à la décision du gouvernement est passé de 311 en 1997 à 634 en 2003? Et en même temps on veut supprimer le seul organe, le Commissariat au Plan, où la société civile et la société politique se retrouvaient pour réfléchir à l'avenir.
Or le pays, mes chers amis, a besoin d'être éclairé sur son avenir.
Il faut redonner du sens au temps. L'effacement du temps et de l'avenir est un drame pour la politique, car il conduit à la multiplication permanente des effets d'annonce, qui ne sont pas suivis d'effets concrets et qui discréditent encore un peu plus le politique. Le ministre qui vient au journal de 20 heures pour faire un effet d'annonce, devrait être immédiatement viré par le président de la République. Un gouvernement devrait systématiquement préférer le constat de l'action à l'annonce de l'intention.
Ce besoin de sens, d'explication, est d'autant plus nécessaire que notre pays a vécu sur un mythe qui s'est effondré, un mythe que le général de Gaulle avait maintenu grâce à son talent : celui d'une France grande puissance, capable de défier les Etats-Unis, se nourrissant de l'exception française, la France de Clovis, cette espèce de France métaphysique, la France qui montre le chemin aux nations du monde entier, celle de 1789 et de la Déclaration des droits de l'Homme.
Or les Français réalisent aujourd'hui que notre pays demeure un grand pays, mais n'est qu'une puissance moyenne affaiblie sur la scène européenne, de moins en moins écoutée sur la scène internationale, et qui peine à s'adapter à l'économie du XXIème siècle. Or la politique étrangère, c'est d'abord de la politique nationale, puisqu'elle est liée à la prospérité intérieure.
Eclairer le pays, donner un sens à son action, lui dire en permanence où on veut l'emmener, c'est donner aux citoyens les moyens d'être responsables de leur destin. La plupart des Français sont responsables de leur famille, ils sont responsables dans leur entreprise, pourquoi voudriez-vous qu'ils ne le soient pas pour leur pays ?
Mais, pour cela, nous avons besoin désormais d'un système de pouvoir où le chef d'Etat est en relation permanente et directe avec les Français pour leur expliquer ses choix. Il n'est plus acceptable d'avoir un président de la République marchant sur les eaux, et s'adressant selon les vieilles ficelles de la politique une fois de temps en temps aux Français.
Les Français ne veulent plus d'hommes politiques aux abris aux premiers coups de canon ; ils ne veulent plus de politiques qui changent de rive comme les canards sur l'étang au premier coup de pétard. Ils veulent des hommes engagés, qui prennent des risques, qui acceptent l'idée de l'échec, mais qui tentent. En France, ce n'est pas d'action dont nous mourons, mais d'inaction.
Toutes les démocraties occidentales fonctionnent sur ces principes. Nous sommes les seuls à demeurer sur des modes de fonctionnement de l'ancien monde, qui veut un président de la République restant dans la stratosphère et apparaissant de temps à autre comme le Saint-Esprit sur la terre.
Cet effort de pédagogie est d'autant plus indispensable dans un pays qui doute autant que le nôtre, car il n'y a pas plus anxiogène que de continuer à bénéficier de droits dont on sait très bien à l'avance qu'ils sont condamnés, mais sans qu'à aucun moment on ne vous propose une voie nouvelle. Cette obligation de vérité, d'éclairage de l'avenir, est la clé de la capacité de réforme d'un gouvernement.
Un Etat efficace, c'est enfin un Etat qui n'intervient pas tous azimuts, qui fixe 36 priorités tout autant fondamentales et urgentes. Au contraire, un bon gouvernement, c'est un gouvernement qui se fixe une ou deux grandes réformes majeures par période et qui va jusqu'au bout, en y mettant toute la puissance de communication nécessaire pour faire preuve de pédagogie. Si vous fixez 36 priorités, la politique du gouvernement devient illisible et elle empêche le mouvement.
Un Etat respectueux de la société civile, c'est un Etat qui gère sa propre complexité, qui ne l'impose pas aux autres, qui se rend accessible à nos compatriotes qui ne comprennent plus rien d'un fonctionnement qui leur échappe.
Combien voyons-nous dans nos permanences de concitoyens cherchant seulement à comprendre la décision qui les frappe, qui veulent être guidés dans les méandres d'une administration qui leur donne trop souvent l'impression de tourner sur elle-même ? Il nous faudra revoir en profondeur l'architecture de notre administration. Communes, établissements de coopération intercommunale, syndicats mixtes divers, pays, départements, régions, Etat, Etat central et Etat déconcentré, Europe : tout cela est infernal, tout cela duplique à l'infini les administrations qui gèrent les mêmes dossiers. Chaque échelon de collectivité a son propre service économique, son propre service culturel, et tous ces services gèrent in fine le même dossier. On a, à juste titre, fait confiance à la décentralisation, mais on n'a pas eu le courage de faire deux réformes. Premièrement, faire le nettoyage dans les échelons de collectivités locales, comme par exemple fusionner département et région comme nous le proposions. Deuxièmement, fixer une règle simple : quand on confie une responsabilité à une collectivité, plus personne d'autre ne peut l'exercer. Cela simplifiera le système, le rendra visible pour nos concitoyens, et moins coûteux pour le pays, car d'un coup d'un seul une telle réforme dégage des sources d'économies considérables.
Un Etat qui respecte la société civile, c'est un Etat qui respecte la parole donnée et qui ne change pas de politique en permanence en fonction du climat, de l'actualité ou de je ne sais quelle lubie. L'actualité récente nous en donne deux exemples : un dramatique, les condamnés d'Outreau. 14 personnes ont été condamnées injustement, ont fait plusieurs dizaines de mois de prison, alors qu'elles étaient totalement innocentes. Quelles que soient les fautes du juge Burgaud, nous avons tout fait collectivement pour en arriver là. A chaque fois qu'un dangereux criminel psychopathe commet des crimes en série, la majorité réclame encore un peu plus de sévérité, réclame des peines encore plus lourdes. Début 2004, je faisais le compte, il y a eu 23 réformes du code de procédure pénale en 22 ans, 15 réformes en 10 ans. En 23 ans, on a modifié à 11 reprises les règles de détention provisoire. Ainsi, comment voulez-vous ensuite que notre système judiciaire ne commette pas des erreurs relâchant de grands criminels pour une erreur de procédure ?
Comment voulez-vous que la justice puisse avoir la sérénité nécessaire pour exercer son métier, quand à chaque grand crime on réclame des peines supplémentaires ? Comment voulez-vous qu'à peine interpellés, les gens ne soient pas immédiatement condamnés, quand la présomption d'innocence est systématiquement bafouée par le pouvoir politique et le pouvoir médiatique ?
Vous l'avez peut-être oublié, mais souvenez-vous : en août 2005, dans le nord de la France, un Marocain et son fils français ont été arrêtés par la DST devant les caméras de télévision, les journalistes de l'AFP et de la presse régionale, et immédiatement condamnés comme étant de dangereux terroristes liés aux réseaux islamistes, pour que quelques jours plus tard, on s'aperçoive qu'ils étaient totalement innocents. Tout cela conduit aux dérives que les Français découvrent avec l'affaire d'Outreau.
Et le même Garde des Sceaux qui, il y a quelques mois, réclamait un assouplissement des conditions de la détention provisoire pour incarcérer un peu plus, vous explique depuis huit jours qu'il faut mieux encadrer les règles de la détention provisoire pour respecter la présomption d'innocence, car les Français viennent de constater que, sous la pression du tout répressif, la justice finit par s'emballer.
Et vous voudriez ensuite que la justice ne soit pas faillible ; et vous voudriez que la justice soit sereine pour faire ce qu'il y a de plus difficile sur cette basse terre, c'est-à-dire juger ; et vous voudriez que la justice ne rentre pas dans la surenchère ?
- L'affaire du CPE est aussi exemplaire du manquement de parole de l'Etat
Il nous faudra de la passion et de la fureur pour convaincre, pour convaincre nos concitoyens désormais si sceptiques face à la politique. Mais c'est la passion qui conduit à l'action.
C'est à la rébellion que je vous invite, au refus de la pensée unique. L'UDF doit incarner la rébellion contre un système qui est à bout de souffle. Nos compatriotes nous demandent de ne pas faire moins de politique, mais plus de politique, pour lutter contre l'inertie et les conservatismes.
Nous sommes si jeunes dans un monde si vieux. Alors, je vous invite à la passion, car seule la passion renverse les montagnes. Source http://www.udf.org, le 31 janvier 2006