Texte intégral
IIe FORUM INTERNATIONAL DE LA GESTION PUBLIQUE
- Les Échos
Intervention de M. Laurent FABIUS,
Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie
19 DÉCEMBRE 2000
Mesdames et Messieurs, la modernisation de la gestion publique est une nécessité, la réforme de l'État un impératif. Significativement, votre débat ne porte d'ailleurs pas tant sur " pourquoi réformer ? " que sur " comment réformer ? ". Je me souviens m'être exprimé sur le thème de la gestion publique l'an dernier dans le Forum des Échos lorsque je présidais l'Assemblée Nationale. Je n'ai pas changé de conviction ou d'objectif en traversant le Seine : si le besoin d'État se maintient, ses modes d'intervention doivent évoluer. Dans ce cadre, je souhaite aborder 3 enjeux : 1) au sein de l'État et des administrations, il faut accroître l'efficacité, la transparence et la maîtrise des coûts ; 2) entre Gouvernement et Parlement, nous allons rénover l'architecture institutionnelle en réformant notamment l'ordonnance de 1959 ; 3) au ministère de l'Économie et des finances, la modernisation est en marche.
Traiter le premier chantier, celui de la réforme de l'État, implique notamment de maîtriser les dépenses, de les rendre plus efficaces, de diminuer prélèvements obligatoires et déficits publics. Il ne peut en effet y avoir de croissance durable pour notre économie, donc de création soutenue d'entreprises, d'innovation et d'emplois, sans des finances publiques saines. Il ne s'agit pas de professer dogmatiquement un " toujours moins d'État ", mais de rappeler que les ressources publiques reposent pour l'essentiel sur la recette fiscale, dont la pression en France est élevée et l'utilisation souvent mal expliquée. Par souci de compétitivité internationale, de dynamisation de notre société et compte tenu de la bonne conjoncture, le Gouvernement souhaite moins solliciter cette pression dans le même temps où nous voulons diminuer l'endettement et le besoin de financement public. Je préciserai ces orientations demain en rendant public le programme à moyen terme des finances publiques de la France qui s'étend jusqu'en 2004 et que nous devons transmettre à la Commission Européenne. Les administrations doivent renoncer à un fonctionnement centralisé, et vertical pour faire de la déconcentration, de la proximité et de la subsidiarité des principes directeurs. La deuxième étape de la décentralisation, qui interviendra dès l'an prochain, devra en tenir compte. Les usagers des administrations publiques souhaitent une amélioration du fonctionnement de l'État, ils exigent un service souvent " sur-mesure ", de bonne qualité et dans des délais courts. Ces deux réalités, l'une comptable, l'autre sociétale, nous conduisent à en rechercher une troisième : rendre le même service, voire un meilleur service, à un coût maîtrisé voire allégé pour la collectivité. Le service public est utile. Sphère du public et sphère du privé ne doivent pas s'opposer.
Pour parvenir à ces buts, nous avons besoin de transparence. Transparence des prévisions, facilitée par une meilleure lisibilité des objectifs visés par chaque politique publique et par une neutralisation des changements de périmètre d'un budget à l'autre, avancées qui ont déjà été engagées dans le budget 2001. Transparence des résultats, avec une présentation claire d'indicateurs chiffrés et de témoins de performances, un véritable bilan comparatif entre prévisions et réalisations une fois le budget exécuté, une accélération de la publication des comptes-rendus de gestion. Avec la secrétaire d'État Florence Parly, nous avons souhaité, en ce sens, que la direction générale des impôts s'engage dans le budget 2001 pour plus d'efficacité et une meilleure qualité du service : les agents des impôts répondront désormais dans un délai d'un mois à plus de 90 % des réclamations des particuliers en matière d'impôt sur le revenu et de taxe d'habitation. Ainsi pourra-t-on mieux hiérarchiser les missions de
l'État en s'appuyant sur leur examen attentif en temps réel, ce qui conduira à la refonte de certaines d'entre elles, inadaptées ou devenues inutiles. Un État plus transparent, davantage partenaire sera, nous l'espérons, mieux compris.
Deuxième objectif concret, la révision de l'ordonnance organique du 2/1/1959, véritable Constitution de nos finances publiques, inchangée depuis 40 ans, et qui a peu à peu sclérosé l'examen du budget jusqu'à en faire un exercice largement formel. Une commission spéciale s'est attelée à la réécriture de ce texte. Il est normal de réserver à ses membres la primeur de mes propositions le 9 janvier ; mais on connaît déjà mes convictions, que je veux réaffirmer ici : rééquilibrage des pouvoirs pour une démocratie plus forte, transparence budgétaire pour une dépense publique plus efficace, contrôle parlementaire pour un pouvoir réel des Assemblées. Ces principes m'avaient conduit à proposer il y a deux ans la création au sein de l'Assemblée nationale de la Mission d'évaluation et de contrôle, la MEC, qui fait un travail utile. Avec la révision de l'ordonnance de 1959, notre pratique budgétaire va changer, se simplifier, gagner en lisibilité. Plusieurs lignes de force ont été tracées dans une utile proposition de loi organique déposée par le rapporteur général Didier Migaud, notamment la présentation du budget par missions ou par programmes, s'appuyant sur une identification des acteurs que nous avons commencé à esquisser dans le budget 2001. C'est une première étape. J'évoquerai rapidement la logique d'ensemble de cette réforme d'envergure.
L'État devra donner davantage de cohérence à l'expression économique de ses projets en regroupant autour de crédits globalisés ses interventions majeures, pour l'instant disséminées dans les fascicules de différents ministères. Nous allons donc passer - et là est l'essentiel -d'une culture de moyens à une culture de résultats. Ces progrès permettront aux parlementaires et à l'opinion d'avoir une vue exacte de l'effort de la Nation au profit de telle ou telle action - sécurité, solidarité, environnement -ou de tel ou tel secteur : éducation, défense, agriculture. Pour mener à bien une mission particulière, chaque ministère se verra allouer un plafond de ressources, dont il pourra disposer avec souplesse, à charge évidemment pour lui d'atteindre les résultats sur lesquels il se sera engagé. Hier, ce schéma était impensable, le vote du budget étant éclaté sur 800 chapitres ; demain, un nombre restreint de programmes publics, de l'ordre de 150, plus cohérents, formeront le socle de la discussion budgétaire. Hier, si on fait exception des corps d'inspection et des juridictions, la prééminence du contrôle a priori ne permettait d'examiner que l'aspect formel et quantitatif des enveloppes allouées ; demain, le développement de contrôles a posteriori au sein des Assemblées permettra de confronter réellement résultats et prévisions. Hier, l'annualité conduisait au fractionnement ; demain, un même suivi pourra s'effectuer sur plusieurs années, l'année civile ne correspondant évidemment pas toujours à la durée d'exécution d'une dépense. Qu'il s'agisse de dépenses, de coûts ou d'indicateurs de performance, la programmation pluriannuelle trouvera une place accrue dans cette présentation rénovée du budget. C'est une sorte de révolution tranquille que nous allons mener à bien en 2001.
Pour tenir cet objectif de lisibilité, nous devons nous doter d'outils toujours plus performants. Comme pour une entreprise, le cur de la gestion de l'État passe par un système d'information budgétaire et comptable performant. Pour simplifier, le schéma que nous connaissons aujourd'hui est un système de caisse. La comptabilité de l'État - je ne parle pas des collectivités locales, ni des organismes sociaux - enregistre les recettes et les dépenses au moment de leur encaissement ou de leur décaissement. Ce mécanisme possède un avantage : il garantit que l'autorisation de recette ou de dépense accordée par le Parlement est respectée. En revanche, il a 2 sérieux inconvénients : il ne permet pas de calculer les coûts réels, et il ne donne pas une visibilité à moyen terme de la performance de notre gestion publique. C'est pourquoi nous avons choisi de développer une comptabilité proche de celle en vigueur dans les entreprises, tout en respectant les spécificités de l'action publique. Pour concrétiser cette ambition, un projet informatique de grande ampleur, baptisé ACCORD, débutera dès le printemps et s'achèvera en 2004. Un budget total dépassant le milliard de francs et 30 000 fonctionnaires utilisant quotidiennement ce système sont concernés. D'ores et déjà, les spécialistes ont noté dans la présentation du bilan et du compte de résultat de l'État pour 1999 et pour les comptes de l'État 2000, un progrès vers une présentation plus transparente, exhaustive, de la situation financière, la comptabilisation des recettes en droits constatés et l'apparition d'un hors-bilan.
Dans un esprit voisin de réforme et de modernisation, la réforme du code des marchés publics, promise depuis 15 ans, sera adoptée en janvier 2001. Elle constituera une autre évolution, importante, de notre droit financier public, pour un meilleur accès à la commande publique à destination des entreprises, notamment des PME. Cette réforme doit permettre d'assurer une meilleure transparence des procédures tout en opérant une simplification nécessaire des règles applicables. Le code des marchés publics passera ainsi de 399 à 150 articles. Cette réforme permettra également à la culture de l'efficacité de la commande publique et du mieux disant de s'imposer par rapport à celle du moins disant trop longtemps dominante.
Personnellement, c'est pour moi une grande satisfaction, après avoir dans le passé beaucoup réfléchi à ces réformes, de pouvoir concrètement les mettre en uvre.
Troisième enjeu, la modernisation interne de l'appareil d'État et particulièrement du Minefi, sans laquelle une réforme institutionnelle serait peu opérante. Réformer les règles du jeu législatif ou budgétaire sans modifier le fonctionnement interne des administrations, sans s'interroger sur le futur du service public, sans se préoccuper d'abord de ses acteurs, de leurs conditions de travail et de leur perspective d'évolution, serait inefficace. Le comité interministériel à la réforme de l'État, réuni le 12 octobre, a annoncé la généralisation du contrôle de gestion dans l'administration d'ici 2003, passant d'une situation où tous les ministères disposent, à des degrés divers et en ordre dispersé, de mécanismes de contrôle de gestion, à une démarche d'ensemble fondée sur la prévision et l'engagement sur des objectifs. Sous l'impulsion du MINEFI et du Ministère de la Fonction Publique et de la Réforme de l'État, un groupe interministériel a rédigé un guide d'auto-évaluation, qui permettra aux décideurs de faire le point dans leur sphère de compétence. Cet engagement signifie que la contractualisation interne dans nos administrations, les politiques de qualité, la part faite à l'évaluation, la simplification des documents et formulaires, vont se développer.
Pour favoriser ces avancées, nous devons professionnaliser la gestion publique qui, issue de l'héritage napoléonien, demeure encore très généraliste. Chaque ministère a été invité à proposer un plan de professionnalisation de sa fonction de gestion immobilière, fonction importante pour l'État compte tenu de la dimension de son parc dont la valeur est estimée à 300 MdF. La gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences constitue un autre axe décisif de cette professionnalisation. Les attentes sont nombreuses : usagers qui réclament davantage de réactivité, agents publics qui veulent avoir une vision à moyen terme de leurs carrières, organisations syndicales qui doivent accompagner ou anticiper ce mouvement. Une plus grande professionnalisation suppose également une meilleure formation : celle des agents publics doit être exemplaire. Elle doit tirer le meilleur parti des NTIC. Elle doit, dans notre monde complexe et de savoirs, s'actualiser et s'exercer tout au long de la vie. Dans les 10 ans qui viennent, 40 % de nos personnels vont quitter le MINEFI. Dans ce contexte, consolider la formation est stratégique : meilleure adaptation des compétences, diversification des missions, démultiplication des tâches, réflexions sur l'évolution de nos procédures. A ces avancées, il fallait un cadre : c'est pourquoi j'ai annoncé voici 3 mois l'élargissement des missions du CFPP, l'Institut de formation professionnelle du MINEFI, par la création d'un Institut de gestion publique ouvert sur ces nouveaux métiers et sur ces nouvelles pratiques. Il fonctionnera pleinement dès 2001.
Mesdames et Messieurs, par la mondialisation et le numérique, par le marché et par l'Europe, par l'économie et l'entreprise, notre société évolue. L'État ne peut rester évidemment à l'écart, ni demeurer à l'ère du livre de comptes, aussi rigoureux soit-il. Le Ministère que je dirige est au confluent de tous ces défis. Il a donc une responsabilité particulière, à la fois d'aiguillon et d'exemple, dans le processus de modernisation des administrations publiques. Il peut compter sur des fonctionnaires de grande qualité. Le rôle de l'État, singulièrement des directions de Bercy, ne peut être exactement identique à ce qu'il était il y a 30, 20 ou 10 ans. L'État prescripteur doit se faire désormais davantage vigie, incitateur et stratège, favorisant les conditions d'un développement économique durable, solidaire, équitable, qu'il n'a pas à administrer directement, mais qu'il doit rendre possible et vivable en l'organisant et en le régulant, en agissant en réseau, en laissant les décisions se prendre horizontalement entre autorités de même niveau.
C'est selon cette logique qu'avec les excellents Secrétaires d'État qui m'entourent, nous nous efforçons d'agir pour moderniser le MINEFI, qui est avant tout le Ministère du Développement Économique. Le retrait, en mars dernier, de la réforme dite " 2003 " avait traduit son échec. Dans beaucoup d'esprits, cet échec avait symbolisé de façon plus large l'impuissance globale de l'État à se moderniser. C'est notamment pourquoi on ne pouvait pas en rester là, d'autant plus que le processus qui avait été enclenché, s'il a suscité des oppositions, avait aussi éveillé de fortes attentes. La réforme-modernisation du Minefi, que nous avons lancée en avril dernier sur d'autres bases, n'en devenait que plus indispensable. Elle a commencé.
En concertation avec les élus, les syndicats et les représentants des usagers, les principaux volets de cette réforme modernisation ont été en effet rapidement mis en place : interlocuteur fiscal unique, nouveaux services tels que le centre d'appel téléphonique de la DGI aux horaires d'ouverture adaptés aux besoins des usagers dont l'expérimentation démarre aujourd'hui même à Lille, interlocuteur économique unique offrant informations et conseils aux entreprises, meilleur accueil du public et rédaction des courriers administratifs dans le sens de la simplicité et de la courtoisie, maisons de service public économique et financier regroupant les différents guichets déconcentrés qu'étudie actuellement un parlementaire en mission, Jean Launay, télédéclaration et téléréglement de la TVA par Internet expérimentés à partir du 1er janvier et généralisés au cours du premier trimestre 2001, présentation le mois prochain de 2 nouveaux portails Internet celui du MINEFI, entièrement rénové, et celui de l'Euro, à destination de tous les publics. Les réformes ne peuvent réussir que si elles sont discutées, acceptées, partagées : c'est ma méthode et ma conviction.
Les innovations, vous le voyez, ne manquent pas. J'en citerai deux en particulier. D'une part, dès janvier 2002, une direction des grandes entreprises verra le jour à Pantin, elle constituera un interlocuteur précieux pour quelque 17 000 sociétés et leurs établissements. D'autre part, le nouveau système d'information fiscale de la DGI et de la DGCP, COPERNIC, permettra de réaliser à terme un " compte fiscal simplifié " du contribuable, qui lui donnera une vision globale de sa situation et la possibilité de gérer, avec l'administration naturellement, ses impôts à tout moment et à distance. Afin de tester ces nouveaux services, des expérimentations sont lancées sur 170 sites. La coordination de l'ensemble du dispositif est confiée au Secrétaire Général du MINEFI, Bernard Pécheur, que je veux féliciter pour son action. Je pense d'ailleurs qu'à l'instar de la Défense nationale, des Affaires étrangères et du Minefi, les plus grands ministères devraient recourir à un secrétaire général, veillant à la cohérence et au fonctionnement interne de chaque grande administration. Le mouvement est donc lancé, les innovations amorcées, la concertation engagée, notre action résolue. Une stratégie claire est d'autant plus indispensable que la fonction publique va devoir prochainement s'appliquer à elle-même les 35 heures.
Mesdames et Messieurs, la réforme de la gestion publique est un devoir national. L'enjeu doit mobiliser tous les partenaires, qu'ils soient issus de la fonction publique ou du monde de l'entreprise. Ce souci de moderniser l'État est une exigence de démocratie. Ce sera une des évolutions les plus importantes de la France du 21e siècle. Elle a beaucoup tardé. Elle prendra du temps. Mais désormais, notamment au MINEFI, elle est en marche et, dans le dialogue et la concertation, je suis déterminé à la mener à bien.
(Source http://www.finances.gouv.fr, le 28 décembre 2000)