Interview de M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire et président de l'UMP, à "France Guyane" le 29 juin 2006, sur le renforcement des moyens policiers contre la délinquance et l'immigration clandestine en Guyane.

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Circonstance : Déplacement à Saint-Laurent-du-Maroni (Guyane) le 29 juin 2006

Média : France Guyane

Texte intégral

Q- Le taux de criminalité en Guyane est devenu le plus élevé de France.
Les Guyanais attendent des mesures urgentes. Qu'êtes-vous en mesure de
leur proposer ?
Si l'on examine les infractions, hors celles liées à l'immigration
irrégulière, le taux de criminalité est de 69 pour mille, ce qui situe
la Guyane dans la moyenne nationale. Si l'on intègre les infractions au
séjour irrégulier (il y a en eu 4800 sur les cinq premiers mois), alors
le taux augmente mais cela dénature complètement les choses. On ne peut
pas reprocher aux forces de police d'être actives en la matière! En
revanche, il est vrai que la délinquance en Guyane se caractérise par
la gravité des violences commises. Cette situation n'est pas acceptable
et nourrit un sentiment d'insécurité que je comprends.
Outre les moyens humains supplémentaires déjà consentis:
- je viens de ramener des gendarmes de St Pierre et Miquelon sur la
Guyane, ce qui fait que nous avons maintenant cinq escadrons au complet
dans le département ;
- 14 gendarmes supplémentaires viendront renforcer les pelotons mobiles
et 9 autres la compagnie de Saint-Laurent-du-Maroni ;
- 20 policiers viendront créer la 3ème section de la compagnie
départementale d'intervention, 24 iront renforcer les services de la
PAF, étant entendu que je veillerai au remplacement, nombre pour
nombre, des personnels quittant le département.
J'ai aussi décidé la création d'un Groupe d'Intervention Régional (GIR)
qui sera opérationnel dès cet été, la création d'un poste de
gendarmerie à Matouri (en attendant la réalisation d'une brigade) et la
création d'un centre opérationnel de la gendarmerie qui permettra une
couverture permanente du territoire.
Je vais, par ailleurs, signer un accord avec le Ministre de la police
et de la justice du Surinam pour intensifier la coopération sur le
contrôle de la frontière. J'ai demandé à la Ministre de la défense de
renforcer la participation des forces armées à nos missions de
souveraineté et cela sera acté dans un protocole opérationnel.
J'ai également fait adopter de nouvelles dispositions pour renforcer
encore la législation en matière de lutte contre l'immigration
clandestine.
J'ai, enfin, fixé des objectifs très concrets au préfet et aux forces
de l'ordre pour mettre en oeuvre une politique de fermeté.
Q- Un procès d'assises vient de s'achever à Cayenne : un homme a été
condamné à cinq ans de prison avec sursis pour avoir tué un squatter
voisin. Face à la délinquance, la réaction exacerbée des habitants,
l'auto-défense, est-elle justifiable ?
Les décisions de justice sont souveraines et je n'ai pas à commenter un
jugement d'un jury populaire. En revanche, je suis très clair : il
n'est pas concevable d'imaginer que nos concitoyens puissent se faire
justice eux mêmes. Je n'accepterai aucune dérive de quelque nature que
ce soit dans ce domaine. C'est à l'Etat d'assurer la sécurité de tous.
Q- Lors de votre dernière venue, des manifestants ont ouvertement
soutenu la « méthode Kärcher ». La méthode forte de la mairie de
Cayenne qui a détruit, en avril, sans autorisation, le squat où venait
d¹être tué le policier Robinson, est-elle acceptable ?
Il y a dans notre pays des procédures de droit qui s'imposent à tous, à
commencer par les détenteurs de l'autorité publique. Nous devons être
exemplaires, ce qui n'empêche pas de faire preuve de grande fermeté
dans le respect de la Loi. J'ajoute que si la loi, à un moment donné,
ne permet plus d'appréhender les problèmes qui se posent concrètement
dans une société, alors le législateur peut l'aménager. C'est ce que
nous avons fait, par exemple, avec le volet outre-mer de la loi
immigration et intégration, récemment votée.
Q- Selon vous, les démolitions d¹habitations illégales, par l¹Etat,
doivent-elles reprendre en juillet, après la trêve de trois mois ?
Dès lors que les procédures de droit ont été respectées, je demande au
Préfet de faire appliquer sans délai les décisions de Justice en
prenant en compte les réalités de terrain.
Q- Le dernier congrès des élus guyanais a demandé la construction de
commissariats dans les communes de plus de 10 000 habitants (quatre
sont concernées en Guyane). Etes-vous d¹accord ?
J'ai pris connaissance avec intérêt des propositions des élus Guyanais.
Je rappelle qu'il y a aujourd'hui, en Guyane, un taux de forces de
sécurité beaucoup plus élevé qu'en métropole. Il n'y a aucune raison de
substituer des forces de police aux forces de gendarmerie qui
remplissent bien leur mission dans un contexte très spécifique. Par
ailleurs, je rappelle que j'ai fait le redéploiement dans 66
départements de métropole et d'outre-mer et que je me suis attaché, à
chaque fois, à donner plus cohérence en matière de sécurité aux
territoires concernés. Il n'y a aucune raison de ne pas agir de la même
façon en Guyane.
Q- Quand obtiendra-t-on l'hélicoptère de la Sécurité civile promis il y
a trois ans ?
L'hélicoptère EC 145 de la gendarmerie arrivera sur le département dès
sa livraison, dans le deuxième semestre 2007. Des retards imputables à
des raisons budgétaires ont été pris, je le regrette. Pour pallier
l'insuffisance en moyens héliportés, j'ai veillé à ce que le Préfet
puisse affréter un appareil civil. Pour la sécurité civile, il n'y a
pas de moyens prévus dans l'immédiat et la perte accidentelle en
service de 2 machines ôte, dans l'immédiat, toute marge de manoeuvre.
Cela étant, la situation n'est pas figée.
Q- Si les forces de l'ordre bénéficient de davantage de moyens, ceux de
la justice suivront-ils, alors qu¹il y a quelques jours, un homme a été
remis en liberté simplement parce que les interprètes du tribunal, non
payés, étaient en grève ?
La cohérence de la chaîne pénale est cruciale à mes yeux. C'est la
raison pour laquelle le Garde des Sceaux et moi-même avons envoyé une
mission mixte forces de sécurité/justice. Il nous paraît indispensable
que la Justice dispose de moyens lui permettant de faire face à
l'augmentation de l'activité policière dans le département.
Q- Après l'assassinat de deux piroguiers de la réserve des Nouragues,
des voix s'élèvent de nouveau, réclamant la Légion comme seul moyen de
lutte efficace contre l'orpaillage clandestin, estimant la Guyane « en
état de guerre ». Qu' en pensez-vous ?
Je réfute la notion "d'état de guerre". Il faut garder aux mots leur
sens. En revanche, je suis pleinement d'accord pour dire que l'exercice
de notre souveraineté nationale exige d'apporter des réponses à la
hauteur des enjeux aujourd'hui. C'est la raison pour laquelle j'ai
souhaité que l'on intensifie l'implication des forces armées dans la
surveillance du territoire et la lutte contre l'immigration
clandestine. Ce concours se fera naturellement dans le respect de nos
principes républicains.
Q- Expulsés, les étrangers en situation irrégulière du Brésil et du
Surinam peuvent facilement revenir en Guyane, en vingt-quatre ou
quarante-huit heures. Comment est-il possible de contrôler les
frontières du territoire ?
Le contrôle d'un territoire aussi vaste que celui de la Guyane
nécessite une triple approche. Tout d'abord, il faut se donner les
capacités de contrôler efficacement les passages frontière sur le plan
policier. La nouvelle loi sur l'immigration renforce, à cet égard, les
moyens de contrôle. Il faut, ensuite, approfondir la coopération
internationale. C'est ce que je vais faire, par exemple, en signant un
accord de coopération policière avec le Surinam. Enfin, il faut agir
sur le principal moteur de cette immigration qu'est le travail
clandestin. Et ça, je tiens à préciser que c'est l'affaire de tous.
Q- Combien coûtent à l'Etat 7500 reconduites à la frontière, votre
objectif pour cette année ?
Le coût de l'effort historique de 7500 reconduites est réel et est
assumé par l'Etat. Il est certainement inférieur aux coûts économiques
et sociaux de l'inertie.
Q- Le centre de rétention, qui accueille les clandestins, est inadapté.
Des rapports l'accablent. Comment remédier à cette situation ?
Le centre de rétention de Rochambeau sera, dès la fin de l'année, aux
normes requises. Par ailleurs, il fera l'objet d'une extension l'année
prochaine.
Q- L'aide au développement des pays voisins n'est-elle pas la meilleure
solution au problème de l' immigration clandestine ?
L'aide au développement est indéniablement un des outils de régulation
des flux migratoires sur le long terme. J'ai eu l'occasion de le dire
très clairement lors d'un récent voyage en Afrique, et je travaille
actuellement à mettre au point des outils renouvelés de développement.
Cela ne doit pas cependant nous dispenser d'une action déterminée à
court terme.
Q- Doit-on remettre en cause le droit du sol dans les Dom-Tom, comme
l'avait suggéré François Baroin l'an dernier ?
La remise en cause de ce principe du droit français n'est pas
d'actualité comme l'a montré le récent débat au Parlement.
Q- Lors de votre visite, pourquoi avoir choisi Saint-Laurent plutôt que
l¹est du pays ?
Devant signer un accord avec le Surinam, il était indispensable que je
me rende à Saint-Laurent-du-Maroni. Par ailleurs, ayant du réduire le
format de ma visite en raison de contraintes incontournables, je n'ai
pu, comme cela était initialement prévu, me rendre à Saint-Georges de
l'Oyapock. Je le regrette vraiment. Mais j'aurai l'occasion de revenir.

Source http://www.u-m-p.org, le 3 juillet 2006