Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur la décentralisation et la place du département, Reims le 13 septembre 2006.

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Circonstance : 76ème Congrès de l'Assemblée des Départements de France, à Reims le 13 septembre 2006

Texte intégral

Monsieur le Président, cher Claudy LEBRETON,
Monsieur le Président du Conseil général de la Marne, cher René-Paul SAVARY,
Mesdames et Messieurs les présidents de Conseils généraux,
Chers amis,
Permettez-moi de vous dire, mes chers collègues, combien je suis heureux de vous retrouver, à Reims, dans ce beau département de la Marne, à l'occasion du 76ème congrès de l'Assemblée des départements de France.
En ma qualité de Président du Sénat, assemblée parlementaire à part entière investie d'une mission exigeante de représentation des collectivités territoriales, je me réjouis de participer, une nouvelle fois, à ce rendez-vous institutionnel et républicain.
Pour moi, ce congrès demeure un instant privilégié de la vie de l'ADF.
Ce congrès, je le conçois comme un outil de dialogue, comme un espace de débats, comme un lieu d'échange, comme une occasion de partager notre expérience commune de la décentralisation au quotidien, à la tête de nos départements.
Vous l'avez compris, je considère que notre rencontre annuelle doit être totalement déconnectée des échéances électorales.
La décentralisation est, en effet, un bien trop précieux pour être l'otage de joutes partisanes souvent stériles, car prisonnières de l'instant et du court terme.
Pressentie par le général de GAULLE, instituée par Pierre MAUROY et Gaston DEFFERRE, relancée par Jean-Pierre RAFFARIN, la décentralisation fait désormais partie intégrante de notre patrimoine commun, de notre patrimoine républicain.
La décentralisation n'est ni de gauche, ni de droite... Elle est une nécessité structurelle.
Alors ensemble, tournons-nous résolument vers l'avenir. Engageons, sans tabous ni complaisance, un dialogue serein sur la décentralisation et la place du département au sein de notre « République des territoires ».
« Le département, collectivité des solidarités sociales et territoriales », -thème retenu pour ce 76ème congrès-, me rappelle un mémorandum de l'association de 1998. Celui-ci précisait que le département était « la seule collectivité locale qui ait une mission générale de solidarités territoriale et humaine et qui exerce en fait et en droit une fonction de péréquation ».
A l'évidence, le temps n'a pas profondément changé la donne ! Bien au contraire !
Chaque étape de la décentralisation, en 1982 comme en 2003, a conforté la place, renforcé le rôle et consolidé la légitimité du département comme premier acteur du lien social.
Ceux qui misaient sur le délitement du département, ceux qui écrivaient déjà la chronique de sa mort annoncée, ont donc perdu leur pari.
Le département incarne aujourd'hui une institution bien vivante, une institution qui a le vent en poupe, une institution dont l'avenir s'avère prometteur.
N'en déplaise à ses détracteurs, le département ne joue pas les seconds rôles. Il est au coeur de l'action.
Insertion, handicap, aide à l'enfance et aux personnes âgées constituent autant de champs d'intervention prioritaires que les départements ont investit avec efficacité.
Ils sont devenus, au fil du temps, des acteurs sociaux incontournables.
En effet, force est de constater que le département dispose, en matière de solidarités, d'une expérience éprouvée et d'un savoir-faire reconnu, toujours orientés vers un meilleur service de nos concitoyens.
C'est la raison pour laquelle ses compétences sociales seront encore renforcées. Le projet de loi « réformant la protection de l'enfance », voté en première lecture par le Sénat, place, en effet, le département au coeur du dispositif de prévention et de protection de la petite enfance.
Soyez assurés que le Sénat sera vigilant pour éviter toute confusion des compétences en matière sociale à l'occasion du débat sur le projet de loi relatif à la « prévention de la délinquance » qui s'ouvre aujourd'hui même au Sénat.
Par ailleurs, les départements contribuent aussi à la résorption des inégalités territoriales, notamment par le truchement des subventions d'investissement versées aux communes.
Au total, l'action des départements en faveur du lien social comme leur rôle en matière de développement territorial constitue un indéniable atout pour conforter les soubassements de notre « vouloir-vivre ensemble ».
Mes chers collègues, le département incarne, à l'évidence, cet espace d'expression des solidarités garantes de la préservation de notre pacte républicain.
Mais ne nous voilons pas la face ! L'obtention de ce label de « collectivité des solidarités » représente, pour les départements, un coût financier important, parfois même excessif !
Parce que je suis l'un des vôtres, je sais que vous êtes pleinement disposés à assumer votre mission de promoteur des solidarités sociales et territoriales, à condition toutefois de bénéficier de moyens financiers à la hauteur des enjeux.
C'est pour cela que le Sénat s'est battu afin que soient clarifiées les relations financières entre l'État et les collectivités locales.
Les travaux du Sénat ont ainsi très largement inspiré, en amont, la loi constitutionnelle relative à « l'organisation décentralisée de la République » de mars 2003.
Désormais, les collectivités locales disposent de réelles garanties financières et fiscales inscrites dans le marbre de la Constitution. Elles reposent sur le principe d'équivalence des transferts de ressources et de charges et sur celui de l'autonomie financière des collectivités locales.
Ces nouvelles garanties constituent autant de garde-fous pour éviter que les gouvernements successifs, quels qu'ils soient, ne cèdent à la tentation d'imposer aux collectivités de nouvelles charges sans leur attribuer de nouvelles ressources en contrepartie.
La décentralisation version 2003 nous met donc à l'abri des dérives du passé.
Mais ceux qui me connaissent savent qu'il n'est pas dans mes habitudes de manier la langue de bois !
Alors je le dis sans ambages : le verrou constitutionnel est essentiel mais pas suffisant.
Il est en effet patent que l'évolution du coût des charges transférées aux collectivités locales suit une courbe ascendante forte et soutenue.
Nous constatons donc, très rapidement, un décalage important entre le montant de la compensation financière versée par l'État et la charge réellement supportée par la collectivité.
C'est précisément le cas auquel les départements sont confrontés s'agissant du revenu minimum d'insertion (RMI).
Dans ces conditions, seule l'attribution de ressources modernes, justes, évolutives et dynamiques est de nature à répondre de manière suffisante, satisfaisante et durable à l'exigence de compensation.
Il en va de la réussite de la décentralisation !
- Pour y parvenir nous avons, en premier lieu, l'obligation de procéder à une réforme ambitieuse de la fiscalité locale, aujourd'hui à bout de souffle.
Il est de notre devoir de responsables politiques de moderniser notre fiscalité locale.
Dans cette perspective, toutes les pistes doivent être explorées, sans tabous.
Je pense d'abord à la spécialisation des impôts locaux par niveau de collectivité. Je pense ensuite à la création de nouveaux impôts locaux -par substitution aux précédents, que nos concitoyens se rassurent !-. Je pense enfin au transfert ou partage d'impôts existant avec l'État.
En effet, taxe sur la valeur ajoutée (TVA), contribution sociale généralisée (CSG), aucune de ces impositions n'appartient, par essence, définitivement et en totalité à l'État !
Quelle que soit la réforme fiscale envisagée, elle devra satisfaire une exigence : le maintien du pouvoir de lever l'impôt. Un pouvoir qui constitue une composante fondamentale du principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales et un attribut consubstantiel de la responsabilité que nous confère l'élection. Un pouvoir qui participe au respect de l'autonomie financière des collectivités locales !
- Pour que la décentralisation ne s'assimile pas à un facteur d'aggravation des inégalités entre les collectivités et entre les hommes, nous devons, en second lieu, comme l'impose désormais la Constitution, définir de nouveaux mécanismes de péréquation.
Garant de la solidarité nationale, l'État doit aussi prendre toute sa part dans la résorption des inégalités territoriales.
Cela implique notamment une péréquation renforcée par le jeu des concours financiers de l'État.
A cet égard, je suis de ceux qui considèrent que la récente réforme de la dotation globale de fonctionnement va dans le bon sens mais demeure encore perfectible.
Mes chers collègues, je voudrais, en conclusion, vous réitérer ma foi en cette France décentralisée qu'il nous appartient de faire vivre, au-delà de nos différences, en assumant la plénitude de nos responsabilités.
Vous pouvez compter sur moi, vous pouvez compter sur le Sénat, « avocat éclairé » des collectivités locales, pour poursuivre son action en faveur de la décentralisation et démontrer toute l'énergie, toute la vivacité et toute la vitalité de nos départements au coeur de notre « République des territoires ».
Je vous remercie et souhaite un plein succès à ce 76ème congrès.Source http://www.senat.fr, le 15 septembre 2006