Déclaration de Mme Elisabeth Guigou, ministre de la justice, sur le projet de loi relatif à l'accès au droit et à la résolution amiable des conflits, à l'Assemblée nationale le 9 décembre 1998.

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Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les députés.
J'ai déjà eu l'occasion de vous dire que la demande de nos concitoyens à l'égard de la justice est immense. Elle prend les formes les plus diverses. C'est un signe de l'évolution des mentalités. Le droit est désormais, je dirai même enfin, reconnu dans nos sociétés comme un instrument de régulation sociale.
Pourtant, force est de constater que l'accès au droit, notamment pour les plus démunis et encore plus pour les exclus de notre société, ne s'exerce pas aujourd'hui dans des conditions satisfaisantes.
C'est pourquoi - dans le cadre de la réforme de la justice, que j'ai proposé et engagé au nom du gouvernement, et qui s'articule, je le rappelle, autour de trois axes : une justice au service des citoyens, une justice au service des libertés et une justice indépendante et impartiale.
C'est pourquoi, j'ai fait du projet de loi relatif à l'accès au droit et à la résolution amiable des conflits, une première priorité.
Je considère que ce texte est la clé de voûte du premier volet de la réforme de la justice au service des citoyens.
Je crois en effet que le droit au droit est un principe essentiel du pacte démocratique. Il est en particulier pour les plus modestes, une des premières conditions de l'égalité réelle devant la loi. Pour les exclus, leur permettre, comme le relève Madame Geneviève DE GAULLE-ANTHONIOZ, de faire valoir leurs droits, de se défendre, c'est leur rendre leur dignité.
Le présent projet marque ma volonté d'instaurer une véritable politique publique de régulation sociale par le droit. Il poursuit deux grands objectifs :
*le premier a pour ambition de mettre à la disposition des citoyens un lieu, dans chaque département, où ils puissent disposer d'une information générale sur leurs droits et obligations. Cette mission sera impartie aux conseils départementaux de l'accès au droit dont les créations devront être généralisés.
De même les maisons de justice et du droit doivent être institutionnalisées. Elles jouent en effet un rôle essentiel dans la justice de proximité. Elles concourent, en effet, en assurant une présence judiciaire proche des citoyens, à la prévention de la délinquance et aux politiques d'aide aux victimes et d'accès au droit.
*le second objectif du projet de loi, tend à offrir à chaque citoyen des réponses diversifiées pour le règlement des conflits, sans devoir s'adresser systématiquement aux tribunaux.
J'ai, en effet, acquis la conviction, en écoutant les femmes et les hommes de terrain -magistrats, auxiliaires de justice, membres du mouvement associatif- que les solutions négociées peuvent apporter souvent une réponse plus adaptée à de nombreux litiges et qu'elles doivent, dans le cadre de l'institution judiciaire, trouver leur place à côté de la réponse classique qu'est le jugement.
Je considère que la négociation doit constituer non seulement une alternative au jugement, mais aussi et surtout une alternative au procès lui-même. Il faut cesser de confondre l'accès au droit et l'accès à la justice.
" Une transaction vaut mieux qu'un mauvais procès ".
Les plus modestes ont par conséquent aussi le droit d'accéder à la transaction. L'égalité impose en effet que toute personne, quelques soient ses conditions de ressources, puisse faire valoir ses droits, avec le concours d'un avocat, sans obligatoirement assigner son adversaire devant le tribunal.
C'est là, je crois une grande innovation de ce projet de loi que de permettre le financement du recours à l'avocat par l'aide juridictionnelle.
De même que l'effectivité du concours de l'avocat dans le cadre de la médiation pénale sera assurée par l'instauration d'un régime de financement spécifique.
Au terme de la première lecture parlementaire, les deux Assemblées ont adhéré à l'économie générale du projet. Je m'en réjouis. Elles ont, au-delà de cette acceptation de principe, émis, tout en proposant des améliorations du texte, un vote conforme au projet sur l'essentiel des dispositions de la réforme ( A ).
Mais il est vrai aussi que certaines des dispositions relatives aux conseils départementaux de l'accès au droit ont été amendées par le Sénat (B).
A - Le vote conforme au projet
1- L'accès au droit
La loi de 1991, que nous devons à la volonté réformatrice de Henri NALLET, avait franchi un premier pas en permettant à ceux qui étaient dépourvus de moyens financiers, non seulement de faire valoir leurs droits devant les tribunaux avec l'assistance d'un avocat rémunéré, mais aussi en leur permettant d'accéder aux consultations juridiques.
Mais aussi essentielles que soient l'assistance au cours des procédures non juridictionnelles et la consultation juridique, ces prestations, prévues par la loi de 1991, n'englobent pas toutes les missions susceptibles d'être menées au titre de l'accès au droit.
L'accès au droit doit notamment répondre aux attentes des femmes et des hommes les plus en difficultés dans leur existence quotidienne. Une assistance et un accompagnement personnalisé doivent leur être assurés dans les démarches administratives les plus élémentaires de la vie courante. De même que l'orientation vers les organismes chargés de la mise en oeuvre de droits dont bien souvent ils sont ignorants.
Il est, je crois, de notre responsabilité de leur donner les moyens de briser la spirale de l'exclusion.
Cette émergence de besoins nouveaux doit figurer dans la politique d'accès au droit, tout comme doit y être incluse la diversification des modes de règlement des conflits.
2- La transaction
Nous posons tous un même constat : la demande de justice de nos concitoyens ne cesse d'augmenter.
Nous devons nous en réjouir. C'est le signe d'une démocratie forte au sein de laquelle la loi du plus fort ne saurait s'imposer au plus faible.
Mais prenons garde à ce que ne s'instaure, pour répondre à cette demande, un seul processus, celui du recours au " tout judiciaire ".
C'est pourquoi la réforme entreprise, et à laquelle votre commission des lois apporte son soutien, et je tiens encore une fois à l'en remercier, tend à moderniser le service public de la justice en adaptant ses modes de réponse aux demandes de nos concitoyens.
Le recours au mode négocié du règlement des différends doit constituer, je l'ai déjà dit, non seulement une alternative aux jugements mais aussi et surtout une alternative au procès lui-même.
Je sais que certains ont exprimé la crainte de voir s'instaurer une justice à double vitesse au seul préjudice de nos concitoyens les plus démunis.
Cette crainte, sur laquelle nous devons porter une grande attention, me paraît vaine. Chacune des parties à un litige aura en effet la possibilité de se faire assister par un avocat. L'aide juridictionnelle sera donc élargie pour que la transaction avant procès soit rétribuée à ce titre.
Le principe de l'égalité des armes dans la conduite de la négociation sera donc instauré. Il s'agit là d'une avancée considérable.
Je soulignerai, une nouvelle fois, la force de l'engagement de l'Etat qui apportera, et c'est une grande innovation, un concours financier significatif à des modes de régulation des litiges en dehors de l'enceinte judiciaire.
Je rappellerai que le projet de loi de finances pour 1999 prévoit pour l'aide juridictionnelle, une dotation budgétaire de 1 443 millions de francs contre 1 228 millions de francs en 1998, ce qui correspond à une augmentation de 17,5 % en un an.
Cette augmentation financera en partie la rémunération de l'avocat dans le cadre de la transaction.
Je préciserai enfin que le champ d'application de l'aide juridictionnelle a été étendu aux instances devant les juridictions compétentes en matière de pensions militaires et à l'intervention de l'avocat dans le cadre des mesures prévues par l'article 12-1 de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.
3- Les dispositions du projet relatives à la médiation pénale et aux maisons de justice et du droit ont également été votées par les deux assemblées.
Les médiations pénales, je le rappelle, sont passées de 11.000 en 1992 à 60.000 fin 1997. Ainsi, et à titre d'exemple, dans le seul ressort du Tribunal de Grande Instance de Lyon, les formations correctionnelles jugent dans l'année 8.000 affaires, alors que dans la même période de temps et dans le même ressort 4.000 affaires font l'objet d'une médiation pénale au sein d'une maison de justice et du droit. Nous ne sommes donc plus dans un phénomène marginal.
La réforme vise à impulser une politique volontariste de la médiation pénale soucieuse, pour éviter en ce domaine également la critique d'une justice à double vitesse, de garantir les droits des parties.
Pour assurer l'effectivité du concours de l'avocat, au même titre que pour la transaction civile ou commerciale, un régime de financement spécifique sera mis en place.
La médiation pénale a pris son essor au fur et à mesure de l'implantation de nouvelles maisons de justice et du droit qui, par ailleurs, développent de nombreuses initiatives, auxquelles je rends hommage, notamment en direction des mineurs et pour favoriser l'accès au droit.
J'ai pu, M. le Rapporteur, apprécier très concrètement de telles initiatives sur le terrain à l'occasion de ma visite, lundi dernier, de la structure qui vous avez mise en place à Gennevilliers et dans laquelle vous êtes fortement impliqué en votre qualité de Maire de cette commune.
Je voudrai, M. Jacques BRUNHES, de cette tribune vous remercier pour cela aussi.
Les maisons de justice et du droit correspondent, à l'évidence, à un besoin. Elles ont rencontré - si je puis m'exprimer ainsi - leur public.
Le stade de l'expérimentation doit être dépassé. La reconnaissance juridique des maisons de la justice et du droit devrait être de nature à favoriser leur intégration dans le dispositif de la politique judiciaire que j'entends mener au service des citoyens.
B - C'est vrai que, sans remettre en cause l'économie générale de la réforme, le Sénat a apporté des modifications aux dispositions du projet relatives au conseil départemental de l'accès au droit.
1 - S'agissant de l'appellation du conseil, je pensais, pour ma part, qu'elle se devait d'être le reflet de la politique que j'ai défendue devant vous à la fois d'accès au droit mais aussi de la résolution amiable des conflits. D'où le titre que j'avais initialement retenu de " conseil départemental de l'accès au droit et de la résolution amiable des conflits ". Je reconnais que celui-ci est un peu long.
Le Sénat a raccourci cette appellation dans un souci de commodité et de simplicité, comme l'avait d'ailleurs suggéré, en première lecture, votre commission des lois.
2 - Mais s'agissant des missions du conseil départemental de l'accès au droit , j'entends réaffirmer avec force à cette tribune qu'il aura aussi pour mission, en dehors des missions classiques dévolues à l'actuel conseil départemental de l'aide juridique :
- de conduire des actions de manière à favoriser le règlement amiable des litiges,
- d'adapter les modalités de l'aide à l'accès au droit aux besoins des personnes en situation de grande précarité,
- de mener des campagnes de sensibilisation et de formation auprès des personnes qui peuvent être chargées de mettre en oeuvre l'aide à l'accès au droit.
Je voulais formuler ce rappel solennel, dès lors que le Sénat, qui n'est pas en opposition sur la nécessité pour le conseil départemental de conduire de telles actions, a, pour des raisons de stricte orthodoxie juridique, adopté des amendements de suppression relatifs aux missions que je viens d'énumérer et qui étaient expressément mentionnées dans le projet de loi.
La Haute Assemblée a en effet estimé que ces dispositions, dès lors qu'elles ne présentaient pas un caractère normatif n'avaient pas leur place dans un texte législatif.
Votre commission des lois en proposant également un vote conforme sur cette question adhère à cette analyse. J'en prends acte.
Je demanderai aux conseils de veiller à conduire ces actions. Elles sont essentielles pour que la politique d'accès au droit que je défends, et qui rejoint vos propres préoccupations Mesdames et Messieurs les députés, entrent effectivement dans les faits.
Je regrette personnellement que, sur un autre point, à mes yeux important, le Sénat ait amendé le projet.
3 - Je fais référence, vous l'aurez compris, à la composition des conseils départementaux de l'accès au droit.
Mes nombreuses rencontres avec les acteurs du terrain, ceux qui font vivre au quotidien les actuels conseils, m'avaient convaincu de l'utilité, pour faciliter leur création, de resserrer le nombre des membres fondateurs.
Le projet avait été élaboré en ce sens. Je tiens là à dissiper toutes ambiguïtés. Il ne s'agissait nullement d'écarter certains professionnels du droit, dont nous savons, les uns et les autres, qu'ils jouent un rôle majeur dans la politique de l'accès au droit.
Mais, c'est vrai que la pratique a révélé, que la création d'un conseil départemental était parfois freinée par un trop grand nombre d'acteurs devant présider à cette création. C'est pourquoi, le projet prévoyait de réduire à 5 les membres fondateurs.
Le Sénat a élargi la composition de ce " noyau dur " aux associations départementales des maires, aux notaires, aux huissiers de justice et aux avoués.
Votre commission des lois vous propose d'entériner ce nouveau dispositif.
Je voudrai dire là que puisqu'il s'agit d'un vote conforme des deux assemblées, je veux bien donner une chance à une organisation élargie.
Je ferai un bilan dans un an et je verrai s'il faut revenir sur ce dispositif.
Je crois que nous pouvons peut-être, au-delà des textes, parvenir à la création de nouveaux conseils. Il nous appartient, à vous comme à moi, de mobiliser dans les départements l'ensemble des acteurs concernés par la création des conseils.
En effet, aujourd'hui, c'est-à-dire sept ans après l'entrée en vigueur de la loi de 1991, seuls 27 conseils départementaux ont été créés, dont sept cette année, et quatre sont en cours de constitution dans les départements de Haute-Garonne, du Val- de- Marne, de Loire-Atlantique et de la Charente.
J'entends bien entendu amplifier cette dynamique.
Je dégagerai donc les moyens nécessaires à cette fin.
Ainsi, 5 millions de francs de crédits d'intervention et 6 millions de francs de crédits de fonctionnement supplémentaires sont inscrits dans le projet de budget pour l'année 1999, afin de faciliter la création des conseils départementaux d'accès au droit.
Je fixe pour objectif la création, au cours de l'année 1999, de 27 conseils départementaux, dont 18 dans des départements relevant de la carte des sites prioritaires de la politique de la ville.
Mon administration centrale devra également se mobiliser pour apporter son expertise et son concours à la réalisation de cet objectif.
Chacun doit bien sûr avoir présent à l'esprit l'importance de l'enjeu. Il s'agit de développer une véritable politique d'accès au droit sur l'ensemble du territoire, dans un délai rapide, car tout citoyen, je le répète à nouveau devant vous, quelque soit le département où il réside a le droit à la connaissance de ses droits.
Je me suis donnée, en proposant cette réforme, l'objectif de renforcer la référence au droit - fondement de notre société démocratique - et de restaurer l'image d'une justice au service des citoyens.
Je vous remercie Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Monsieur le Rapporteur, Madame la Présidente de la commission des lois, d'avoir, par une collaboration exemplaire avec le Sénat, accompagné et soutenu ma démarche. Vos contributions respectives et le soutien que vous avez manifesté à ce projet, ont été précieux.
Je saluerai encore la qualité des débats et je relèverai tout particulièrement leur sérénité : nous avons su être à l'écoute des uns et des autres. C'est là à la fois ma conception de la vie démocratique, c'est aussi comme cela que l'on fabrique de bonnes lois.
Je conclurai en soulignant que, grâce au travail mené en commun - Gouvernement et Parlement -, et dont il me plaît à souligner à nouveau le caractère exemplaire, vous allez adopter un texte qui a été examiné en Conseil des ministres au mois de mai dernier . Seulement 7 mois auront été nécessaires pour conduire à son terme une réforme fondamentale pour la justice au service des citoyens. Et de cela aussi je voulais vous remercier.
(source http://www.justice.gouv.fr, le 16 octobre 2001)