Déclaration de Mme Elisabeth Guigou, ministre de la justice, sur la notion des délits non intentionnels, leur sanction par la justice, la jurisprudence en la matière, la responsabilité des élus et le droit des victimes à la réparation, à l'Assemblée nationale le 5 avril 2000.

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Circonstance : Discussion de la proposition de loi adoptée par le Sénat tendant à préciser la définition des délits non intentionnels à l'Assemblée nationale le 5 avril 2000

Texte intégral

Monsieur le Président
Mesdames et Messieurs les députés
Nous discutons d'une proposition de loi que le Gouvernement a accepté d'examiner.
Cette proposition de loi a pour objet de mieux définir les délits non intentionnels afin que le droit pénal remplisse pleinement sa fonction et sa seule fonction, punir ce qui doit être puni dans les limites fixées par le code, c'est à dire les violations des valeurs fondamentales de notre société.
A cet égard les délits non intentionnels posent une question particulière: comment et jusqu'où doit-on les sanctionner?
Pour traiter ce problème nous devons faire face à trois interrogations?
-Comment faire pour que l'activité humaine ne soit pas paralysée au détriment de tous les bénéficiaires par le risque de condamnation pénale.
- Comment faire pour que les victimes puissent provoquer la recherche de la vérité et obtenir non seulement réparation mais condamnation quand elle est nécessaire.
- Comment faire pour que les faits les plus graves restent condamnables ?
I. Une pénalisation excessive
Les citoyens ont tendance à imaginer qu'une société très élaborée comme la nôtre a tous les moyens de prévenir tous les accidents ou toutes les catastrophes. A la limite, il n'y a plus ni accident ni catastrophe naturelle puisque, tout étant prévisible, tout pourrait être empêché. Une société parfaitement organisée produirait un risque zéro.
Par conséquent, si quelque tragédie survient, il faudrait en rechercher les auteurs, les responsables, voire les coupables, qui doivent assumer les conséquences tragiques des événements. Ce point de vue, je le dis très nettement, qui est essentiellement celui des victimes, est absolument légitime. Il a d'ailleurs contribué à renforcer considérablement la sécurité de nos concitoyens.
Il est évident qu'une société comme la nôtre qui prend des risques doit réparer les dommages qu'elle engendre. Mais doit-elle pour autant pénaliser des comportements non intentionnels qui ont généré des préjudices?
La question des infractions pénales non intentionnelles a toujours été très délicate. Par principe, le droit pénal ne réprime que les comportements les plus graves, les plus blâmables, ce qui est le cas des infractions intentionnelles, celles dont on peut dire qu'elles sont faites de mauvaise foi.
Le nouveau code pénal résultant de la commission de révision présidée par Robert BADINTER a très clairement posé le problème, en spécifiant dans son article 121-3 que les crimes et délits étaient en principe des infractions intentionnelles.
Il demeure que ce même article a aussitôt apporté une exception à ce principe en rappelant que lorsque la loi le prévoit, des délits pouvaient être constitués par une faute d'imprudence ou de négligence. Car lorsque sont en cause des valeurs primordiales, comme la vie ou l'intégrité physique des personnes, les comportements mêmes commis de bonne foi, qui portent atteinte à ces valeurs, doivent dans certaines circonstances être sanctionnées pénalement.
Comme je l'ai fait observer devant le Sénat, il me semble alors que le droit pénal s'enrichit d'une fonction nouvelle.
Il n'est plus seulement là pour sanctionner des intentions subjectives coupables mais pour prévenir objectivement des comportements qui peuvent porter atteinte à la vie et à l'intégrité physique. Cette évolution du droit pénal doit être approuvée notamment dans les domaines du droit du travail , de la santé, de l'environnement et de la sécurité routière pour lesquels la répression ne saurait faiblir.
Si dans leur principe, les dispositions de notre droit pénal paraissent justifiés, leur application pratique a cependant soulevé d'importantes difficultés pour au moins deux raisons que votre rapporteur, Réné DOSIERE a bien mis en évidence :
A/ En premier lieu, les textes réprimant les infractions non intentionnelles et notamment les article 221-6 et 222-19 du code pénal sur les homicides et les blessures involontaires n'ont pas précisé la nature du lien de causalité entre la faute et le dommage. Il en est résulté une conception large.
Dès lors que la faute a causé le dommage, même indirectement, et même si d'autres fautes plus graves ont concouru au dommage, l'infraction peut être reprochée à chacune des personnes dont le comportement a été jugé fautif.
C'est la fameuse théorie de l'équivalence des conditions, qui s'oppose à la théorie de la causalité adéquate. Elle a été retenue par la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation depuis des décennies.
B/ En second lieu, la nature même de la faute a été définie très largement par le code pénal, puisqu'elle vise l'imprudence, la négligence, la maladresse, l'inattention et le manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou les règlements. La jurisprudence a estimé au vu de ces formulations, très proches de celle de l'article 1383 du code civil, qu'il y a avait identité entre la faute civile et la faute pénale.
Toutes les fautes, même les plus légères, pouvaient ainsi caractériser une infraction. L'arrêt de la Cour de cassation du 18 décembre 1912 n'a jamais été remis en question depuis lors, sur ce point.
Il résulte de ces deux principes - équivalence des conditions et identité des fautes civile et pénale - que la répression des délits non intentionnels présente une particulière sévérité, notamment lorsqu'elle concerne les personnes qui n'ont pas causé directement le dommage, mais dont le comportement a pu créé les circonstances qui ont permis ou facilité la réalisation du dommage.
Tel est en particulier le cas de ceux qui, parmi les diverses responsabilités qui leurs incombent, ont pour mission de prévenir, grâce aux actes qu'ils sont susceptibles de prendre ou à la réglementation qu'ils peuvent édicter, des atteintes à la sécurité des personnes ou des biens.
Cette situation n'est pas nouvelle. Depuis longtemps, la doctrine et les responsables politiques ou administratifs critiquent la sévérité excessive des textes et de la jurisprudence, mais sans proposer un dispositif alternatif plus précis qui évite l'excès de pénalisation tout en garantissant les droits des victimes.
Déjà en 1995, le Sénat avait consacré un rapport à la responsabilité pénale des élus qui avait mis en évidence que la pénalisation des élus locaux, notamment pour des faits involontaires, comportait des risques certains pour la démocratie locale. Ces travaux, vous le savez, ont débouché sur la loi du 13 mai 1996 qui a imposé au juge d'apprécier in concreto les infractions non intentionnelles compte tenu des moyens et des compétences dont disposait l'auteur de la faute.
J'ai moi-même apporté une réponse le 28 avril dernier à une question du Sénateur HAENEL au terme de laquelle je m'étais engagée à ce qu'une mise à plat de l'ensemble des phénomènes soient faite afin de dresser un état des lieux complet et objectif et de formuler des propositions concrètes.
Vous le savez ce travail a été mené par un groupe d'études présidé par M. le Conseiller d'Etat Jean MASSOT, composé de magistrats, d'agents publics et d'élus qui m'a remis son rapport le 15 décembre dernier.
Enfin Monsieur le sénateur FAUCHON a déposé une proposition de loi dont les principes convergeaient avec ceux retenus par le rapport de M. MASSOT. C'est cette proposition qui vient devant vous. Elle a fait l'objet d'un travail remarquable de votre rapporteur M. DOSIERES, destiné à en préciser les objectifs et les termes.
II. la proposition de loi votée par le Sénat.
La proposition de loi de Monsieur le Sénateur FAUCHON, rectifiée avant d'être adoptée par le Sénat dans sa séance du 27 janvier 2000, essaye de trouver des solutions aux problèmes difficiles dont je viens de parler.
Je veux saluer tout d'abord deux postulats explicites de la proposition de loi que votre commission a approuvés :
* En premier lieu, il n'est question que des délits non intentionnels dans cette proposition et non des autres infractions qu'il convient de réprimer sans faiblesse si l'on veut que l'entreprise de transparence de la vie publique continue de produire ses effets.
* En deuxième lieu, l'approche suggérée par le Sénat et sur laquelle je vais revenir, ne remet pas en cause l'égalité de tous les justiciables devant la loi pénale.
Comme le fait remarquer votre rapporteur, " toute autre approche serait contraire à l'évolution générale de notre droit et serait perçue comme un retour en arrière lorsque les agents publics ne pouvaient pas faire l'objet d'une poursuite devant le juge pénal sans une autorisation du Conseil d'Etat ". Aussi je m'opposerais à tout amendement qui voudrait revenir à une situation instituant un privilège au bénéfice des décideurs publics.
Au-delà de ces deux postulats, la proposition de loi entend, redéfinir le champ des délits non intentionnels.
A/ La redéfinition du champ des délits non intentionnels
La nouvelle définition des délits non intentionnels fait l'objet de l'article premier et essentiel de la proposition de loi. En réécrivant le troisième alinéa de l'article 121-3 du code pénal, elle intervient tant sur la faute que sur le lien de causalité qui l'unit au dommage.
* En premier lieu, il faut remarquer que la nouvelle définition des délits non intentionnels ne s'applique qu'aux personnes physiques et non aux personnes morales. L'intérêt de restreindre ainsi les effets de la réforme permet de sauvegarder les droits des victimes.
Elles pourront toujours mettre en cause la responsabilité de la personne morale, que le lien de causalité soit directe ou indirecte ou que la faute soit caractérisée ou non .
* En deuxième lieu, le lien de causalité entre la faute et le dommage est évidemment essentiel pour qualifier le délit non intentionnel. Sur ce point, la jurisprudence est particulièrement extensive et n'a jamais exigé que ce lien soit direct, immédiat, déterminant ou exclusif. Par conséquent tous ceux qui ont concouru à un titre ou à un autre au dommage peuvent être tenus pour responsables pénalement.
Le Sénat propose donc de distinguer, en matière de délits non intentionnels la cause directe du dommage et la cause indirecte,
de manière à caractériser de façon différente, dans un cas et dans l'autre, la faute pénale non intentionnelle.
Si la cause est directe une poussière de fautes demeurera suffisante comme la jurisprudence l'établissait jusqu'à aujourd'hui. En revanche lorsque la cause est indirecte, le Sénat comme votre commission des lois proposent que les personnes physiques ne soient tenues pour responsables qu'en cas de faute caractérisée.
* Par conséquent, et en troisième lieu, pour caractériser cette faute, le Sénat ajoute à la notion de causalité indirecte la notion de violation manifestement délibérée d'une règle de prudence ou de sécurité. Cela revient ainsi à exiger une faute assez grave dans le cas d'une cause indirecte et à mettre fin à l'équivalence des conditions. Ce qui veut dire aussi que certains fautes non caractérisées ou d'une insuffisante gravité ne seront pas de nature à entraîner une responsabilité pénale. En somme, certaines fautes susceptibles d'entraîner un préjudice pourront faire l'objet d'une réparation sur le plan civil mais ne permettront pas d'entrer dans la voie d'une condamnation pénale. Il est dès lors mis fin à l'identité de la faute civile et pénale dont nous parlions pour commencer.
Je l'ai dit devant le Sénat, les orientations de la proposition de loi vont dans le bon sens.
Mais j'ai souligné aussi qu'elles pouvaient générer un certain nombre de difficultés auxquelles votre commission a été sensible. Votre rapporteur, me semble-t-il a trouvé les bonnes solutions pour y remédier.
III Les choix faits par la Commission des lois de l'Assemblée nationale
Votre commission a cherché à améliorer le texte du Sénat sur deux plans, d'une part en précisant ce qu'il fallait entendre par lien direct ou indirect et, d'autre part, en apportant un très important complément à la caractérisation de la faute.
A/ L'idée de lien indirect.
Comme l'explique votre rapporteur, qui a beaucoup contribué à éclaircir des débats complexes, il est vrai que la distinction entre causalité directe et causalité indirecte peut sembler très claire. Mais en pratique, il sera parfois difficile de tracer une frontière nette entre les deux types de situations.
Et s'il arrivait que les tribunaux qualifient de direct ce que certains auraient plutôt qualifiés d'indirect, la loi pénale demeurerait trop imprécise pour assurer la sécurité juridique que nous recherchons tous.
Votre rapporteur écrit ainsi qu'il est " significatif que dans un jugement rendu le 2 novembre 1999, le tribunal correctionnel de Brest ait considéré que le fait, de la part d'un maire, de n'avoir pas apposé de panneaux aux abords d'une falaise de laquelle un enfant a fait une chute mortelle, à vélo, au cours d'une sortie scolaire, constituait
" une omission coupable en relation directe avec l'accident dans la mesure où un affichage des dangers aurait manifestement dissuadé les enseignants d'emprunter un tel itinéraire ".
Votre commission et son rapporteur ont préféré à la notion ,
peut-être un peu vague de cause directe ou cause indirecte, l'idée plus précise d'auteur indirect, c'est à dire de celui qui n'a pas heurté ou frappé lui même la victime mais qui a commis une faute ayant crée la situation à l'origine du dommage . Cette formule est celle que l'on trouve également dans le rapport du Conseil d'Etat de 1996 qui avait été consacré à la responsabilité pénale des agents publics.
Par exemple, est auteur indirect d'un dommage l'automobiliste qui a garé son véhicule sur le trottoir, ce qui a obligé un piéton à descendre sur la chaussée où il a été renversé.
Est également auteur indirect d'un accident le gérant d'une SCI qui fait visiter un immeuble en cours de construction sans s'être assuré que le chantier était correctement protégé et cause indirectement la mort d'une personne qui fait une chute dans la cage d'ascenseur.
A cette idée qu'on peut avoir contribué à créer la situation à l'origine du dommage, votre commission a voulu en ajouter une autre.
En effet, une personne peut ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour empêcher la survenance d'un dommage. C'est celle que la jurisprudence appelle auteur médiat d'un dommage. Par exemple, un maire qui n'aurait pas fait respecter la réglementation relative à la protection contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public, ou pour ne pas avoir ordonné la fermeture d'une piste de ski avant qu'une avalanche prévisible ne finisse par ensevelir deux skieurs.
Cette volonté de préciser le texte conduit ainsi votre assemblée à parler " des personnes physiques qui n'ont pas causé elles-mêmes le dommage, mais qui ont crée la situation qui en est à l'origine ou n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter ".
Je pense également qu'une telle formulation est plus claire que celle que le Sénat avait retenue.
Je dirais simplement qu'il faudrait peut-être parler des personnes qui n'ont pas causé " directement " le dommage plutôt que des personnes qui n'ont pas causé " elles-mêmes " le dommage, car si c'était le cas, elles ne seraient plus du tout responsables pénalement. La formule " les personnes qui n'ont pas directement causé elles-mêmes le dommage ", me paraît la plus exacte.
B/ La qualification de la faute
La seconde amélioration de votre commission des lois concerne la définition de la faute caractérisée en cas de causalité indirecte. Le rapport MASSOT proposait de recourir au concept de "faute grave".
Le Sénat a préféré retenir le concept de mise en danger délibéré, ou, pour reprendre précisément les termes de la proposition, la notion de "violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité".
J'ai dit devant la Haute assemblée que ce concept présentait plusieurs avantages.
En premier lieu, il existe déjà dans notre droit pénal depuis 1994, puisqu'il est utilisé dans la définition du délit de risque causé à autrui prévu par l'article 223-1 du code pénal et comme circonstance aggravante des délits d'homicide et de blessures involontaires.
En second lieu, il s'agit d'un critère objectif, qui suppose la démonstration d'une imprudence consciente de la personne.
C'est parce que la personne aura été personnellement alertée (en pratique par une autorité supérieure, par un subordonné, par un usager ou par les circonstances particulières de l'affaire) de l'existence d'un risque déterminé et de la nécessité de prendre certaines précautions pour en éviter la réalisation, que sa responsabilité pénale pourra être engagée.
Par exemple, le maire d'une commune qui a été personnellement alerté du danger qu'il y aurait à laisser ouvert un établissement accueillant du public, alors que des travaux sont en cours pourrait être jugé responsable en cas d'accident...
Mais je m'étais aussi interrogée sur le fait de savoir si ce critère n'était pas trop réducteur.
En effet il faut se rappeler que la nouvelle définition du délit non intentionnel s'appliquera dans les domaines sensibles comme celui de la sécurité routière, du droit de l'environnement, du droit du travail et de la santé publique.
Et il faut bien être conscient que certains comportements, même non délibérés, peuvent être la cause indirecte d'un dommage et présenter un caractère particulièrement grave qui justifierait une condamnation pénale.
Le droit du travail offre de nombreux exemples de fautes d'une exceptionnelle gravité qui ne sont pas pour autant délibérées:
- Par exemple, dans une usine papetière, un ouvrier se tue en changeant les rouleaux alors que la presse qu'ils alimentent tourne encore au ralenti. Les juges condamnent le chef d'entreprise parce " qu'il n'existait ni dispositif de protection, ni panneaux signalant la zone dangereuse, ni dispositif d'éclairage permanent, ni bouton d'arrêt d'urgence " (Cass. 8/O9/98).
- Par exemple la faute d'un chirurgien négligent qui omet de prévenir les membres d'une équipe soignante des risques de complication, ce qui les conduit à commettre des erreurs. Il commet une faute d'une exceptionnelle gravité. Il en va de même d'un chasseur qui abandonne son fusil chargé près d'une école. Un enfant s'en saisit et tue un de ses camarades. Le chasseur sera poursuivi pour avoir commis une faute d'une exceptionnelle gravité.
J'ai dit devant le Sénat que la solution pourrait donc consister à retenir alternativement les deux critères, de " faute manifestement délibérée " ou " de faute d'une particulière gravité " ce qui permettrait d'engager la responsabilité pénale de la personne physique en cas de faute inadmissible ou intolérable, alors même qu'elle ne présente pas un caractère délibéré.
Votre commission est ainsi convenue qu'il fallait ajouter à la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité " la faute d'une exceptionnelle gravité exposant autrui à un danger qu'elles [les personnes] ne pouvaient ignorer. ".
Je précise, - et ce point est important pour les débats parlementaires qui seront lus avec attention par les praticiens - que cette rédaction permettra également de condamner les auteurs d'imprudence délibérées ne portant pas sur une obligation de sécurité prévue par la loi ou par le règlement au sens strict et juridique du terme.
En effet, s'agissant de la première branche de l'alternative, la faute de mise en danger délibérée, le texte de votre commission exige que soit concernée une obligation de sécurité "prévue par le loi ou le règlement", ce que ne faisait pas le texte du Sénat.
Les obligations de sécurité qui ne sont pas prévues par un décret ou un arrêté, mais par exemple, par une circulaire (ainsi une circulaire du ministère de l'éducation nationale réglementant les sorties scolaires), comme les obligations de simple bon sens qui ne sont prévues par aucun texte, pourront toujours, si leur violation constitue une faute d'une exceptionnelle gravité exposant autrui à un danger qu'on ne pouvait ignorer, donner lieu à condamnation.
Cette expression qui reprend la définition jurisprudentielle de la faute inexcusable mérite également d'être approuvée.
C/ Renforcer les droits des victimes
Votre commission a souhaité compléter le texte de la proposition de loi pour y ajouter un article 4-1 au Code de procédure pénale de façon à indiquer très clairement aux victimes que ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de faute pénale, en cas de causalité indirecte et d'absence de faute caractérisée, qu'elles ne peuvent pas obtenir réparation sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil .
Un tel ajout me semble essentiel puisque précisément le texte met fin à l'équivalence de la faute civile et de la faute pénale.
Il convient donc d'écrire noir sur blanc que ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de faute pénale qu'il n'y a pas de faute civile. Cela va dans le sens de ce que j'ai toujours soutenu sur la nécessité de mieux distinguer dans le contentieux de la responsabilité, ce qui est pénal, ce qui est civil et ce qui est administratif.
D/ Le rejet de l'extension de la responsabilité pénale des personnes morales.
Enfin, votre commission n'a pas souhaité suivre la démarche du Sénat tendant à étendre la responsabilité pénale des collectivités locales, en cas de manquement non délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence à des activités qui ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'une délégation de service public.
J'ai moi-même fait valoir devant le Sénat toutes les objections auxquelles me semblait se heurter cette extension.
- L'extension de la responsabilité des personnes morales pourrait être comprise comme une fuite des élus devant leurs responsabilités .
En tout état de cause, la représentation de la personne morale lors de la procédure judiciaire serait le plus souvent assurée par le responsable de l'exécutif de la collectivité, ce qui ne modifierait pas véritablement le traumatisme de la mise en examen. La plupart des sanctions du droit pénal ne sont guère adaptées aux personnes morales.
- Enfin et surtout, je crois que la possibilité d'engager plus largement la responsabilité pénale des collectivités locales conduirait inévitablement à un accroissement de la pénalisation de la vie publique. Ce n'est vraiment pas ce que nous cherchons. La décision de prendre telle ou telle réglementation, celle de choisir de réparer d'abord la salle polyvalente plutôt que de réaliser tout de suite une station d'épuration aux nouvelles normes devrait-elle faire l'objet d'une évaluation par le juge pénal? Ne pourrait-on pas dire que le juge pénal deviendrait alors celui de l'opportunité des décisions des collectivités publiques?
Et par là, ne serait-il pas conduit à remettre en cause le principe fondamental de la séparation des autorités administratives et judiciaires du moins lorsque les premières exercent des prérogatives de puissance publique?
Pour toutes ces raisons, j'approuve votre commission qui a décidé de ne pas suivre la haute Assemblée sur le terrain de la pénalisation accrue des personnes morales.
Conclusions.
En conclusion , je voudrais dire qu'il doit être tout à fait clair que cette proposition de loi s'applique à l'ensemble des citoyens. Je réaffirme à cette occasion, d'une part que ce texte ne supprime nullement les délits non intentionnels; d'autre part, qu'il ne cherche à exonérer aucune catégorie particulière de justiciables, ni les élus locaux, ni les décideurs publics ni les décideurs privés.
Il a pour but de rechercher concrètement, et avec le souci constant de l'égalité de tous devant la loi pénale, ce qu'a été la responsabilité des uns et des autres en précisant la notion d'auteur direct et d'auteur indirect d'une faute. Cette précision est même une exigence fondamentale de la loi pénale.
L'auteur indirect d'une faute n'échappe pas à sa responsabilité pénale lorsqu'il y a violation manifestement délibérée d'une règle de prudence ou de sécurité ou lorsqu'une faute d'une exceptionnelle gravité a été commise sans pour autant qu'elle soit manifestement délibérée.
Ainsi, il serait profondément erroné de dire que le texte supprime le délit non intentionnel en cas de faute indirecte. Il a pour vocation à préciser dans quel cas on peut poursuivre pénalement quelqu'un alors qu'il n'avait pas l'intention de commettre un délit!
Enfin, je voudrais ajouter que la question de la pénalisation de la vie publique comporte beaucoup d'autres dimensions qu'il ne faudrait pas négliger.
Par conséquent le texte dont nous débattons aujourd'hui n'est ni un début, - il s'inscrit dans une réflexion qui a commencé voilà quelques années -, ni une fin - puisque certaines propositions du rapport MASSOT devront faire encore l'objet d'une mise en oeuvre soit législative soit réglementaire.
Je suis convaincue notamment que les voies civile et administrative doivent être développées pour devenir des moyens efficaces d'obtenir réparation des dommages causés involontairement sans intention de nuire.
A cet égard, nous continuerons demain la discussion entamée sur le projet de loi relatif au référé administratif devant les juridictions administratives.
Je crois que cet important projet témoigne de la volonté du Gouvernement de renforcer l'efficacité de la juridiction administrative de façon à la rendre plus rapide et plus contraignante à l'égard des administrations fautives.
D'autre part, la discussion qui a eu lieu devant le Sénat en deuxième lecture du projet de loi renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes contient également de nombreuses dispositions qui ne sont pas sans lien avec le problème de la pénalisation de notre vie publique: amende civile en cas de constitution de partie civile ou de citation directe abusives, indemnisations des détentions provisoires et des frais engagés pour les personnes qui obtiennent un non lieu, une relaxe ou un acquittement, élargissement du statut de témoin assisté, conjugué avec l'exigence d'indices graves ou concordants pour la mise en examen, etc....
Je crois enfin, et je l'ai dit à plusieurs reprises, qu'il convient de " mieux armer juridiquement les décideurs publics " pour reprendre le titre du chapitre VIII du rapport de M. MASSOT. Il faut certainement améliorer la formation des élus et des agents publics.
Il faut à ce sujet, se poser la question de l'intercommunalité et développer les capacités d'expertise juridique des collectivités locales et renforcer le contrôle de légalité..
Je vous remercie.
(source http://www.justice.gouv.fr, le 7 avril 2000)