Texte intégral
Madame la Présidente,
Monsieur le rapporteur,
Madame la rapporteure
Mesdames et messieurs les députés,
Je suis très heureuse d'être devant vous aujourd'hui à l'occasion de l'étude de la proposition de loi relative aux droits du conjoint survivant portée par le groupe socialiste.
Je remercie dès maintenant les auteurs de cette proposition, et particulièrement le rapporteur de la commission des lois Alain VIDALIES, d'avoir permis que le débat parlementaire s'instaure sur ce sujet.
En effet, vous le savez, conformément à la volonté du premier ministre, le ministère de la justice travaille, en coordination avec les autres ministères concernés, à élaborer un projet de réforme de la famille.
Cette modernisation du droit de la famille est nécessaire en raison des évolutions importantes de la société française : ces modifications relèvent de plusieurs ordres ; elles sont sociales, démographiques, biologiques, juridiques.
Or, le droit de la famille concerne les français dans leur vie quotidienne, depuis leur naissance, jusque par-delà leur mort, et concerne les questions relatives à la filiation, l'autorité parentale, le mariage, le divorce, les régimes matrimoniaux, les successions
L'objectif ambitieux de cette réforme sera de rendre le droit de la famille plus simple, plus lisible, plus adapté aux murs.
Elle devra unifier, simplifier, pacifier les procédures et les relations des individus entre eux dans leurs situations familiales, qui sont diverses et qui peuvent évoluer très vite dans le temps.
Afin de déterminer les orientations de cette réforme, la Chancellerie s'appuie sur différents travaux :
ceux de Mme Irène THERY concernant le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée, dont elle a fait rapport à Mesdames Martine AUBRY alors ministre de l'emploi et de la solidarité et à Madame Elisabeth GUIGOU alors Garde des Sceaux ;
ceux de Madame Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ qui a remis son rapport " Rénover le droit de la famille " le 14 septembre 1999 à Madame GUIGOU ;
ceux de monsieur Alain BRUEL sur les bases de l'autorité parentale et l'avenir de la paternité.
Sur la base de ces rapports, la Chancellerie a procédé à une large consultation des associations familiales, des professions judiciaires, des élus, des grandes familles de pensée, des parlementaires de la majorité et de l'opposition.
Puis, le 04 mai 2000 Madame E. GUIGOU, en présence de Madame Ségolène ROYAL, ministre déléguée à la famille et à l'enfance, a invité des juristes, des sociologues, des représentants des courants de pensée ou de différentes associations à participer à un colloque intitulé "Quel droit pour quelles familles ?" tenu au Louvre .
Ce colloque a permis de discuter les bases de la future loi de réforme du droit de la famille.
La Chancellerie a alors travaillé à la conception des textes de réforme.
Je poursuis actuellement ce travail.
Je serai en mesure de présenter les orientations arrêtées dès la fin de ce trimestre.
Je souhaite que ces orientations soient soumises à la plus large consultation publique, ainsi que je l'avais annoncé lors de mon discours de vux à la presse le 21 janvier 2001.
Pour cela, j'organiserai avec la ministre déléguée à la famille et à l'enfance des réunions régionales à l'occasion desquelles je rencontrerai au delà des experts professionnels et acteurs associatifs, le public le plus large afin de permettre à chacun de s'exprimer sur le projet déterminé.
Il me paraît en effet indispensable qu'un grand débat citoyen s'instaure à propos des règles qui régiront la vie quotidienne des français et qui marquent l'organisation de la société.
A l'issue de ces rencontres, la Chancellerie finalisera le projet de réforme qui sera annoncé à l'occasion de la conférence de la famille qui se tiendra à la fin du premier semestre de cette année.
Sur le fond, la réforme s'articulera sur trois grands axes : la filiation, l'autorité parentale, le divorce.
Je suis convaincue qu'il est nécessaire de penser la réforme dans sa globalité et de travailler sur ces trois axes afin de définir un ensemble cohérent.
Si les exigences du calendrier parlementaire risquent de ne pas permettre au cours de cette législature la discussion d'un grand et unique projet de loi, la réforme pourra être adoptée par textes séparés.
Tel est le cas de la présente proposition de loi relative aux droits du conjoint survivant, discutée aujourd'hui.
La Chancellerie a été étroitement associée à la conception de ce texte d'origine parlementaire qui a donné lieu à une réflexion interministérielle.
En France, il y a plus de 500 000 décès par an et un foyer sur quatre en état de veuvage.
Dans environ 80 % des cas, le conjoint survivant est une femme.
L'état de veuvage voit sa durée augmenter, car l'espérance de vie est passée, pour les femmes, de 72 ans en 1960 à 82 ans en 1999.
Le taux annuel de remariage est faible : il ne représente que 3 % de l'ensemble des unions ; seules 0,2 % des veuves âgées de 60 ans contractent un nouveau mariage.
Ainsi, en France, nombreuses sont les femmes qui restent veuves de plus en plus longtemps.
Un certain nombre d'entre elles n'ont pas eu d'activité professionnelle ou ont secondé leur mari dans des conditions ne leur permettant pas de bénéficier d'une retraite ou de revenus suffisants.
A la souffrance du deuil, s'ajoutent alors des difficultés financières, matérielles, sociales.
Face à cette situation, nos règles successorales sont devenues inadaptées.
Quel sort notre droit successoral réserve-t-il au conjoint survivant aujourd'hui ?
en présence de descendants, situation la plus fréquente, le conjoint survivant ne dispose que d'un quart des biens du défunt en usufruit.
en présence d'ascendants dans les deux lignes ou de frères et soeurs du défunt : son droit d'usufruit est porté à la moitié de la succession, mais il ne dispose toujours pas de droits en pleine propriété.
Il doit être observé que la conversion de son usufruit en rente peut dans tous les cas lui être imposée.
Il n'a donc même pas l'assurance de pouvoir continuer à disposer, ne serait-ce qu'à titre d'usage, du logement qui était le sien...
Il doit être ajouté que le conjoint n'est pas réservataire et peut voir disparaître les droits limités que les textes lui confèrent.
Ce dispositif traduit une idée constante dans notre droit : le conjoint a toujours été et reste encore très largement un étranger à la famille.
Cette frilosité des textes est généralement ignorée des familles jusqu'au jour où celles-ci sont brutalement confrontées à un décès. (Seuls certains ménages, souvent les plus aisés, prennent des dispositions appropriées par devant notaire telles que la donation au dernier vivant, en propriété ou en usufruit, ou l'adoption du régime matrimonial de la communauté universelle).
Les enquêtes d'opinion réalisées dénotent l'ignorance par nos concitoyens des règles en vigueur : la majorité des personnes interrogées placent généralement le conjoint survivant comme héritier de premier rang.
Une fois connue la vocation successorale réelle de celui-ci, elles souhaitent voir améliorer substantiellement sa situation et notamment garantir la jouissance de son cadre de vie.
Ce désir de voir accroître les droits du conjoint survivant est également une revendication constante des associations familiales comme celles représentatives des femmes veuves ainsi que des praticiens.
Certes, le conjoint survivant ne se trouve généralement pas totalement démuni au décès de l'autre. Marié le plus souvent sous un régime de communauté, il bénéficiera de la moitié de celle-ci. Mais ce que veulent aujourd'hui les époux c'est que le partage de cette masse commune, qui permettait un certain train de vie, ne se traduise pas par des régressions que l'âge rend encore plus difficile à supporter.
Depuis le code Napoléon une évolution s'est produite. Elle correspond aux transformations de la vie familiale. Mais les aménagements opérés l'ont été sans vue d'ensemble et n'ont consisté qu'en strates successives.
A l'époque de la promulgation du code civil, la famille, était une famille-souche, unie par un même sang. Les alliés, à commencer par le conjoint, en étaient exclus. Sur le plan successoral, les parents héritaient jusqu'au 12ème degré, (seuil au-delà duquel la parenté cesse, en fait, d'être connaissable) et le conjoint ne succédait qu'à défaut de tels parents, (c'est-à-dire jamais). Le droit successoral reposait alors, non sur les affections présumées, mais sur le devoir de famille et la conservation du patrimoine en son sein.
Avec l'effacement progressif de la société rurale traditionnelle, la famille s'est rétrécie et remodelée : la famille-souche a cessé, au-delà d'un certain degré de parenté, d'être une réalité vécue ; on a assisté à l'émergence de la famille-foyer, fondée sur la communauté de vie dans laquelle le conjoint, en tant que l'un de ses fondateurs, a toute sa place.
Parallèlement, le souci de conservation des biens dans la famille est devenu moins prégnant en raison des transformations qui ont affecté la composition du patrimoine : de moins en moins reçu des générations précédentes et de plus en plus acquis par le fruit de son travail.
C'est dans ces conditions qu'ont été reconnus progressivement des droits successoraux au conjoint survivant (par exemple, sa primauté sur les cousins ne fût acquise qu'en 1957).
La double dimension affective et économique a rendu difficile toute avancée législative.
Le débat est ouvert depuis 1961, année où la Commission de réforme du Code civil a remis son rapport et un projet de texte relatif aux successions et aux libéralités. La partie la plus importante et la plus novatrice de ce projet concernait le conjoint survivant :
la Commission, rejeta l'usufruit en raison de ses inconvénients tant sur le plan économique que familial,
elle proposa d'accorder au conjoint un droit en pleine propriété quelle que soit la configuration successorale tout en prévoyant des mesures protectrices en faveur des enfants d'un lit précédent.
elle lui conféra en outre la qualité d'héritier réservataire.
Les travaux de la Commission de révision n'eurent pas de suite.
Ce n'est qu'en décembre 1991 que l'Assemblée nationale enregistra un projet de loi sur le conjoint survivant, qui s'insérait dans une réflexion globale sur le droit successoral : il ne fût examiné ni alors, ni en 1995 lors de son nouveau dépôt.
Il était basé sur une option entre la totalité de la succession en usufruit - lui-même convertible en rente viagère - et le quart de celle-ci en propriété,
il prévoyait en l'absence de tout ou partie des droits successoraux du conjoint une contribution de la succession au maintien de ses conditions d'existence.
l'éventail des solutions ouvertes et la potentialité des conflits que recelait le droit à la maintenance auraient rendu prévisible le développement du contentieux.
La réforme globale du droit de la famille initiée par ce gouvernement dès sa prise de fonction en 1997 ne pouvait bien sûr ignorer la situation du conjoint survivant.
Dans la mission qui lui fût confiée à la sociologue Irène THERY, constatant que la dynamique de l'égalité des sexes a donné au mariage un fondement " plus individuel, plus privé, plus contractuel " proposa de faire du régime des donations entre époux le régime légal, avec une triple option entre la totalité des biens en usufruit, le quart en pleine propriété et les trois quart en usufruit, ou l'attribution de la quotité disponible en pleine propriété, et de donner au conjoint une place plus favorable dans l'ordre successoral en l'appelant à la succession immédiatement après les descendants.
La réflexion ainsi engagée devait se poursuivre au sein de la Commission présidée par Mme la Professeure DEKEUWER-DEFOSSEZ, chargée d'élaborer des propositions de textes sur la réforme du droit de la famille.
Reprenant la proposition d'améliorer la place du conjoint survivant dans l'ordre des héritiers, la Commission suggérait qu'en l'absence d'enfant, le conjoint partage la succession avec les parents du défunt et recueille la totalité dans tous les autres cas.
Quant à l'étendue et la nature des droits en présence d'enfants, le groupe se prononça en faveur de l'usufruit de la totalité de la succession, chacun des enfants pouvant demander la part lui revenant légalement en pleine propriété à condition d'abandonner au conjoint sa part de quotité disponible.
Enfin, si l'instauration d'une réserve au profit du conjoint était écartée, des mécanismes étaient proposés pour protéger le conjoint sans ressources, tels que : le maintien dans le logement ou l'augmentation de ses droits alimentaires à l'encontre de la succession du prédécédé.
De ce rappel historique, un constat et un enseignement peuvent être tirés:
le constat : les solutions envisageables sont variées parce que les situations qu'elles recouvrent sont elles mêmes diverses ;
l'enseignement : l'on se perd à vouloir régler par le droit successoral l'ensemble des cas de figure. Il s'agit d'un droit commun ayant vocation à s'appliquer à tous ceux qui n'auraient pas choisi un mode spécifique de protection du conjoint survivant par le recours aux régimes matrimoniaux, aux libéralités ou à l'assurance-vie. Il faut faire un choix et élaborer des règles simples constituant le noyau dur des droits du conjoint successible.
C'est précisément ce que votre Assemblée a choisi de faire, répondant ainsi à une forte aspiration sociale que le gouvernement ne peut que partager.
Par là même, elle met fin à la situation peu envieuse de la France d'être, au sein de l'Union, la lanterne rouge de l'Europe.
Chez nos voisins, en effet, le conjoint survivant dispose de droits plus substantiels:
soit qu'il bénéficie d'une large part ou de la totalité de la succession en usufruit
soit qu'il dispose de droits en pleine propriété,
soit qu'il se voit reconnaître la qualité d'héritier réservataire.
On peut d'autant plus saluer l'initiative des auteurs de la proposition de loi.
Le texte a en effet pris un certain nombre de principes essentiels en considération :
l'amélioration des droits du conjoint survivant ne doit pas conduire à sacrifier les droits des héritiers par le sang, du moins ceux dont le degré de proximité avec le défunt caractérise la famille contemporaine;
elle doit laisser à tout époux une liberté de disposer de ses biens au moyen de libéralités;
le nouveau dispositif doit préserver la paix familiale et éviter à tout prix les occasions de conflit entre le conjoint survivant et les autres héritiers;
A cet égard, il convient de limiter au maximum les options génératrices de craintes et de suspicion et qui se résolvent, à défaut d'accord, toujours devant le juge;
en outre, toute réforme doit prendre en compte le souci de sécurité juridique, la nécessité d'individualiser clairement les droits de chacun et l'impératif économique d'une transmission rapide et, s'agissant notamment des entreprises, opérationnelle du patrimoine;
enfin, les nouvelles dispositions doivent être pragmatiques en répondant au besoin essentiel de protection du logement et du maintien du conjoint dans celui-ci.
Il convient maintenant d'en venir à l'examen même des articles de la proposition.
L'objet premier de la proposition de loi est de renforcer sensiblement les droits du conjoint survivant.
L'amélioration de son statut successoral est réalisée à trois niveaux.
tout d'abord, la vocation héréditaire du conjoint est accrue ;
ensuite, le conjoint bénéficie de droits privilégiés sur son habitation ;
enfin, il ne peut être en aucun cas privé d'une part successorale minima dès lors qu'il ne concourt pas avec des ascendants et des descendants.
(source http://www.justice.gouv.fr, le 9 février 2001)
L'accroissement de la vocation héréditaire du conjoint est significatif
Non seulement le conjoint a vocation à percevoir désormais des droits en propriété là où il ne bénéficiait auparavant que de droits en usufruit, mais il passera avant les ascendants autres que les père et mère du défunt, ainsi qu'avant les frère et soeur du défunt et leurs enfants. Il entre ainsi dans le premier ordre des successibles.
En premier lieu, la proposition de loi prévoit de donner au conjoint survivant :
· un quart de la succession en cas de concours avec les descendants,
· la moitié de la succession en présence des père et mère
· et la totalité de la succession dans les autres cas.
Cette évolution fait du conjoint survivant un héritier à part entière.
Reconnaître un droit en propriété, outre la simplicité que cela présente pour la procédure de dévolution successorale, renforce l'autonomie de son titulaire : il répond à la demande de ceux qui, devenus veuves ou veufs, souhaitent avoir la liberté de disposer de leur patrimoine.
Cette nouvelle distribution des biens du défunt correspond à la conception actuelle de la famille, devenue famille-foyer dans laquelle le patrimoine est le plus souvent constitué des acquêts que les époux ont réalisés ensemble.
Il est symbolique d'octroyer des droits en propriété du conjoint, même en présence d'ascendant ou de descendant.
On aurait pu songer à lui permettre de faire un choix entre ces droits et un usufruit de la totalité de la succession.
Mais l'usufruit présente d'importants inconvénients :
· sur le plan économique, il n'incite pas à une gestion active et empêche, de fait, toute aliénation faute d'acquéreurs potentiels de tout démembrement de propriété ;
· sur le plan familial, il engendre des conflits rendus plus aigus avec le développement des familles recomposées et l'allongement de l'espérance de vie.
Il est donc plus sage et plus efficace de s'en tenir à une part en pleine propriété.
En second lieu, le souci de rééquilibrer l'ordre de dévolution au profit du conjoint survivant ne doit pas conduire à des situations inéquitables au détriment de la proche lignée du défunt.
Or, parce qu'ils se verront désormais écartés de la succession par le conjoint survivant, les ascendants autres que les père et mère, pourront se trouver dans une situation financière difficile.
Il serait inadmissible qu'ils ne puissent se prévaloir d'une créance d'aliments contre les héritiers du défunt. C'est précisément le droit qui leur est conféré par la proposition de loi qui répond ainsi à un devoir moral fondamental.
Ensuite, la proposition de loi confère au conjoint survivant des droits privilégiés sur son habitation.
En premier lieu, le conjoint bénéficiera pendant une année de la jouissance gratuite du logement qu'il occupait à titre de résidence principale au jour du décès.
Il ne s'agit pas d'un droit successoral. Il constitue la simple traduction d'une considération élémentaire, au demeurant déjà partiellement prise en compte par notre droit, selon laquelle, pendant un temps de deuil, il doit être fait abstraction de toute considération de technique juridique.
Lorsque le logement appartient aux époux du défunt, le conjoint survivant pourra y demeurer gratuitement pendant un an ; lorsqu'il est pris à bail, la succession devra lui rembourser pendant une année les loyers qu'il acquitte.
En deuxième lieu, le conjoint pourra demander, dès l'ouverture de la succession, à bénéficier d'un droit viager d'habitation sur le logement familial et d'usage des meubles compris dans la succession le garnissant.
Toutefois, pour lui permettre de faire un choix raisonné, cette option lui est ouverte pendant un temps limité après le décès.
Ce dispositif est conçu non pour accroître la part successorale du conjoint survivant, ce qui aurait remis en cause l'équilibre nécessaire entre lui et les autres successibles, mais pour prendre en compte le souhait légitime qu'il peut avoir de terminer ses jours dans son cadre de vie.
C'est pourquoi, la proposition de loi prévoit un mécanisme d'imputation des droits d'habitation et d'usage sur la part successorale du conjoint.
Dans la grande majorité des cas, la valeur du droit d'usage et d'habitation sera inférieure à celle des droits successoraux, ne suscitant ainsi aucune difficulté particulière.
Mais il peut exister des situations, au demeurant résiduelles, où la valeur du droit d'usage et d'habitation excédera sa part successorale.
Il pourra en être ainsi notamment lorsque la veuve aura moins de 60 ans, que le défunt aura eu au moins trois enfants et qu'il n'existera aucun autre bien dans la succession que le logement et le mobilier le garnissant.
On pourrait imaginer qu'en pareil cas et pour ne pas porter atteinte à la réserve des héritiers, un mécanisme de récompense à la charge du conjoint soit prévu au bénéfice de la succession.
Bien que le dépassement de la valeur de la part du conjoint survivant puisse être important, la proposition de loi considère que l'effectivité des droits d'habitation et d'usage doit en toute circonstance être assurée et qu'il ne faut pas pénaliser le conjoint survivant qui ne disposera pas nécessairement de liquidités suffisantes pour verser une récompense.
Il est également tout à fait judicieux, comme le fait la proposition de loi, de prévoir que le conjoint qui aura demandé à bénéficier du droit viager d'habitation sur son logement, pourra solliciter que lui soit attribuée par préférence à tout autre héritier, la propriété de ce logement. Bien entendu, cette attribution en propriété ne sera possible qu'à hauteur des droits du conjoint dans la succession.
Grâce à cette attribution préférentielle de droit, les difficultés liées au démembrement de propriété seront évitées.
Ainsi, la proposition de loi prévoit un dispositif très complet pour permettre le maintien du conjoint survivant dans le logement familial.
Mais il est des hypothèses où il ne peut y rester par suite d'événements indépendants de sa volonté.
La situation la plus fréquente est liée à l'aggravation de son état de santé, notamment lorsqu'âgé, il doit partir en maison de retraite.
Il est clair que le droit d'usage n'a plus alors aucun sens.
Qui plus est, le principe de l'imputation sur la part successorale du conjoint a pu priver celui-ci des liquidités qui lui seraient revenues dans la succession du défunt et qui lui auraient permis de supporter le coût financier de son nouveau mode d'hébergement.
C'est pourquoi, il est tout à fait opportun, comme le prévoit la proposition de loi, de permettre, à titre exceptionnel, au conjoint survivant de louer les lieux qu'il occupait.
La proposition n'ouvre cette faculté qu'en cas d'hébergement du conjoint dans un établissement spécialisé.
La formule peut apparaître restrictive et l'on peut se demander s'il ne pourrait pas être pris en compte plus largement l'aggravation de l'état de santé.
Reste un dernier cas de figure qui doit être abordé dans l'objectif de la préservation du cadre de vie du conjoint : celui où le couple aurait pris à bail le local d'habitation.
Il faut qu'au décès de l'un des deux membres, le survivant puisse rester dans les lieux.
Certes, cette question ne relève pas à proprement parler du droit successoral mais du droit locatif qui comprend déjà des dispositions à cet égard.
Mais plusieurs régimes existent qu'il est souhaitable d'améliorer.
Il doit d'abord en être ainsi du régime de droit commun de l'article 1751 du Code civil qui pose le principe de la cotitularité du bail du local servant effectivement à l'habitation des deux époux.
La jurisprudence considère qu'au décès de l'un d'eux, les héritiers deviennent titulaires du bail avec le conjoint survivant.
Un tel mécanisme est source de conflits potentiels.
C'est pourquoi la proposition de loi prévoit opportunément que dans cette hypothèse, le conjoint survivant bénéficiera d'un droit exclusif au bail, sauf renonciation de sa part.
En second lieu, le régime de la loi du 6 juillet 1989 applicable en l'absence de cotitularité du bail doit être précise. C'est le sens de la modification proposée à l'article 14 de ce texte qui fera désormais clairement apparaître que lorsque les époux n'ont jamais vécu ensemble dans les locaux, le conjoint sera en concours sur le droit au bail avec d'autres personnes et qu'il appartiendra alors au juge de trancher entre les intérêts en présence.
Ainsi, la proposition de loi, par les différentes dispositions qui viennent d'être examinées, permettra au plus grand nombre de veuves et veufs de ne pas être démunis au jour du décès de leur conjoint, lorsque celui-ci n'aura pas eu la possibilité d'aménager leur protection de son vivant.
Ce que l'époux prédécédé n'aura pas pu réaliser de son vivant au profit de son conjoint, la loi le lui permettra.
Le dispositif nouveau correspondra à la volonté présumée de protection du conjoint survivant par le défunt.
Néanmoins, il n'est pas apparu possible aux yeux des auteurs du texte d'aller au delà.
Ils ont fait le choix de laisser au défunt la liberté d'organiser d'une autre manière la dévolution de ses biens.
Il pourra disposer au profit d'une autre personne des droits d'habitation sur le logement et d'usage sur le mobilier le garnissant. Il pourra également faire profiter des tiers de libéralités qui entameraient la part héréditaire du conjoint.
Il est vrai qu'un tel choix n'est pas évident.
- Cette question relève d'une approche plus globale de l'opportunité de la réserve en droit français.
Certes, la réserve peut apparaître comme l'expression la plus aboutie de la protection des différents héritiers et comme la consécration définitive de l'entrée du conjoint dans la famille.
Toutefois, l'aspiration contemporaine à l'autonomie individuelle et à la liberté au sein de la cellule familiale a conduit la commission des lois à dépasser le débat traditionnel, et à dire vrai assez stérile, sur l'opportunité de conférer au conjoint la qualité d'héritier réservataire.
Elle propose à la place un dispositif plus subtil à géométrie variable en fonction de la qualité des personnes venant en concours avec le conjoint survivant.
En présence d'ascendants ou de descendants qui sont eux-mêmes réservataires, le défunt aura la liberté de disposer de la quotité disponible restante au profit d'un autre que son époux.
En revanche, dans tous les autres cas, que le conjoint hérite seul ou qu'il soit en présence de collatéraux, le défunt ne pourra pas priver son conjoint du quart de la succession en propriété.
Ainsi, dans ces deux configurations, il est laissé une marge de manoeuvre au défunt sans qu'il soit porté préjudice à la très proche famille et en particulier aux descendants que celui-ci a pu avoir d'une précédente union.
Dans ce même souci d'équilibre, la Commission des lois propose de rehausser la créance alimentaire du conjoint survivant dont les conditions de vie sont gravement amoindries, ce qui sera le cas lorsqu'il aura été privé de ses droits successoraux.
Il s'agit là d'un dispositif très complet qui rejoint pleinement le souci des auteurs de la proposition, de la Commission des lois et du Gouvernement d'améliorer très concrètement la protection du conjoint survivant.
* * *
Et c'est parce que cet objectif est précisément atteint que le texte initial consacré exclusivement au conjoint survivant a pu être enrichi par votre Commission des lois de dispositions tendant à supprimer l'inégalité successorale dont les enfants adultérins font encore l'objet.
La question devenait urgente.
La France a en effet été condamnée par la Cour Européenne des Droits de l'Homme, le 1er février 2000, pour avoir maintenu une différence de traitement injustifiée entre les enfants, selon que ceux-ci sont légitimes ou adultérins, au motif que l'enfant adultérin ne peut se voir reprocher des faits qui ne lui sont pas imputables et ne doit pas être victime d'une discrimination fondée sur la naissance hors mariage.
Il y a lieu en effet de rappeler qu'en l'état actuel du droit positif, les enfants adultérins voient leurs droits réduits globalement de moitié lorsqu'ils se trouvent en concours soit avec le conjoint victime de l'adultère, soit avec les enfants légitimes.
En outre, la capacité de recevoir de l'enfant adultérin est limitée, dans le même cas de figure, puisqu'il ne peut recevoir, par donation ou testament, plus que sa part héréditaire.
Un tel système n'est admissible au regard, ni de nos engagements internationaux, ni du principe d'égalité entre enfants qui fonde notre droit de la filiation depuis 1972.
Le Gouvernement avait inscrit cette réforme dans le cadre plus global du projet de loi relatif à la famille.
Mais, en raison de l'urgence qu'il y avait à mettre notre droit en conformité avec des grands principes européens, on ne peut que se féliciter du choix fait de la porter dans le premier vecteur normatif qui traite également des rapports au sein de la famille et plus particulièrement de la situation du conjoint.
Cette proposition de loi permet ainsi de mettre fin à deux situations qui paraissent de plus en plus scandaleuses pour tout un chacun.
(source http://www.justice.gouv.fr, le 9 février 2001)
Monsieur le rapporteur,
Madame la rapporteure
Mesdames et messieurs les députés,
Je suis très heureuse d'être devant vous aujourd'hui à l'occasion de l'étude de la proposition de loi relative aux droits du conjoint survivant portée par le groupe socialiste.
Je remercie dès maintenant les auteurs de cette proposition, et particulièrement le rapporteur de la commission des lois Alain VIDALIES, d'avoir permis que le débat parlementaire s'instaure sur ce sujet.
En effet, vous le savez, conformément à la volonté du premier ministre, le ministère de la justice travaille, en coordination avec les autres ministères concernés, à élaborer un projet de réforme de la famille.
Cette modernisation du droit de la famille est nécessaire en raison des évolutions importantes de la société française : ces modifications relèvent de plusieurs ordres ; elles sont sociales, démographiques, biologiques, juridiques.
Or, le droit de la famille concerne les français dans leur vie quotidienne, depuis leur naissance, jusque par-delà leur mort, et concerne les questions relatives à la filiation, l'autorité parentale, le mariage, le divorce, les régimes matrimoniaux, les successions
L'objectif ambitieux de cette réforme sera de rendre le droit de la famille plus simple, plus lisible, plus adapté aux murs.
Elle devra unifier, simplifier, pacifier les procédures et les relations des individus entre eux dans leurs situations familiales, qui sont diverses et qui peuvent évoluer très vite dans le temps.
Afin de déterminer les orientations de cette réforme, la Chancellerie s'appuie sur différents travaux :
ceux de Mme Irène THERY concernant le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée, dont elle a fait rapport à Mesdames Martine AUBRY alors ministre de l'emploi et de la solidarité et à Madame Elisabeth GUIGOU alors Garde des Sceaux ;
ceux de Madame Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ qui a remis son rapport " Rénover le droit de la famille " le 14 septembre 1999 à Madame GUIGOU ;
ceux de monsieur Alain BRUEL sur les bases de l'autorité parentale et l'avenir de la paternité.
Sur la base de ces rapports, la Chancellerie a procédé à une large consultation des associations familiales, des professions judiciaires, des élus, des grandes familles de pensée, des parlementaires de la majorité et de l'opposition.
Puis, le 04 mai 2000 Madame E. GUIGOU, en présence de Madame Ségolène ROYAL, ministre déléguée à la famille et à l'enfance, a invité des juristes, des sociologues, des représentants des courants de pensée ou de différentes associations à participer à un colloque intitulé "Quel droit pour quelles familles ?" tenu au Louvre .
Ce colloque a permis de discuter les bases de la future loi de réforme du droit de la famille.
La Chancellerie a alors travaillé à la conception des textes de réforme.
Je poursuis actuellement ce travail.
Je serai en mesure de présenter les orientations arrêtées dès la fin de ce trimestre.
Je souhaite que ces orientations soient soumises à la plus large consultation publique, ainsi que je l'avais annoncé lors de mon discours de vux à la presse le 21 janvier 2001.
Pour cela, j'organiserai avec la ministre déléguée à la famille et à l'enfance des réunions régionales à l'occasion desquelles je rencontrerai au delà des experts professionnels et acteurs associatifs, le public le plus large afin de permettre à chacun de s'exprimer sur le projet déterminé.
Il me paraît en effet indispensable qu'un grand débat citoyen s'instaure à propos des règles qui régiront la vie quotidienne des français et qui marquent l'organisation de la société.
A l'issue de ces rencontres, la Chancellerie finalisera le projet de réforme qui sera annoncé à l'occasion de la conférence de la famille qui se tiendra à la fin du premier semestre de cette année.
Sur le fond, la réforme s'articulera sur trois grands axes : la filiation, l'autorité parentale, le divorce.
Je suis convaincue qu'il est nécessaire de penser la réforme dans sa globalité et de travailler sur ces trois axes afin de définir un ensemble cohérent.
Si les exigences du calendrier parlementaire risquent de ne pas permettre au cours de cette législature la discussion d'un grand et unique projet de loi, la réforme pourra être adoptée par textes séparés.
Tel est le cas de la présente proposition de loi relative aux droits du conjoint survivant, discutée aujourd'hui.
La Chancellerie a été étroitement associée à la conception de ce texte d'origine parlementaire qui a donné lieu à une réflexion interministérielle.
En France, il y a plus de 500 000 décès par an et un foyer sur quatre en état de veuvage.
Dans environ 80 % des cas, le conjoint survivant est une femme.
L'état de veuvage voit sa durée augmenter, car l'espérance de vie est passée, pour les femmes, de 72 ans en 1960 à 82 ans en 1999.
Le taux annuel de remariage est faible : il ne représente que 3 % de l'ensemble des unions ; seules 0,2 % des veuves âgées de 60 ans contractent un nouveau mariage.
Ainsi, en France, nombreuses sont les femmes qui restent veuves de plus en plus longtemps.
Un certain nombre d'entre elles n'ont pas eu d'activité professionnelle ou ont secondé leur mari dans des conditions ne leur permettant pas de bénéficier d'une retraite ou de revenus suffisants.
A la souffrance du deuil, s'ajoutent alors des difficultés financières, matérielles, sociales.
Face à cette situation, nos règles successorales sont devenues inadaptées.
Quel sort notre droit successoral réserve-t-il au conjoint survivant aujourd'hui ?
en présence de descendants, situation la plus fréquente, le conjoint survivant ne dispose que d'un quart des biens du défunt en usufruit.
en présence d'ascendants dans les deux lignes ou de frères et soeurs du défunt : son droit d'usufruit est porté à la moitié de la succession, mais il ne dispose toujours pas de droits en pleine propriété.
Il doit être observé que la conversion de son usufruit en rente peut dans tous les cas lui être imposée.
Il n'a donc même pas l'assurance de pouvoir continuer à disposer, ne serait-ce qu'à titre d'usage, du logement qui était le sien...
Il doit être ajouté que le conjoint n'est pas réservataire et peut voir disparaître les droits limités que les textes lui confèrent.
Ce dispositif traduit une idée constante dans notre droit : le conjoint a toujours été et reste encore très largement un étranger à la famille.
Cette frilosité des textes est généralement ignorée des familles jusqu'au jour où celles-ci sont brutalement confrontées à un décès. (Seuls certains ménages, souvent les plus aisés, prennent des dispositions appropriées par devant notaire telles que la donation au dernier vivant, en propriété ou en usufruit, ou l'adoption du régime matrimonial de la communauté universelle).
Les enquêtes d'opinion réalisées dénotent l'ignorance par nos concitoyens des règles en vigueur : la majorité des personnes interrogées placent généralement le conjoint survivant comme héritier de premier rang.
Une fois connue la vocation successorale réelle de celui-ci, elles souhaitent voir améliorer substantiellement sa situation et notamment garantir la jouissance de son cadre de vie.
Ce désir de voir accroître les droits du conjoint survivant est également une revendication constante des associations familiales comme celles représentatives des femmes veuves ainsi que des praticiens.
Certes, le conjoint survivant ne se trouve généralement pas totalement démuni au décès de l'autre. Marié le plus souvent sous un régime de communauté, il bénéficiera de la moitié de celle-ci. Mais ce que veulent aujourd'hui les époux c'est que le partage de cette masse commune, qui permettait un certain train de vie, ne se traduise pas par des régressions que l'âge rend encore plus difficile à supporter.
Depuis le code Napoléon une évolution s'est produite. Elle correspond aux transformations de la vie familiale. Mais les aménagements opérés l'ont été sans vue d'ensemble et n'ont consisté qu'en strates successives.
A l'époque de la promulgation du code civil, la famille, était une famille-souche, unie par un même sang. Les alliés, à commencer par le conjoint, en étaient exclus. Sur le plan successoral, les parents héritaient jusqu'au 12ème degré, (seuil au-delà duquel la parenté cesse, en fait, d'être connaissable) et le conjoint ne succédait qu'à défaut de tels parents, (c'est-à-dire jamais). Le droit successoral reposait alors, non sur les affections présumées, mais sur le devoir de famille et la conservation du patrimoine en son sein.
Avec l'effacement progressif de la société rurale traditionnelle, la famille s'est rétrécie et remodelée : la famille-souche a cessé, au-delà d'un certain degré de parenté, d'être une réalité vécue ; on a assisté à l'émergence de la famille-foyer, fondée sur la communauté de vie dans laquelle le conjoint, en tant que l'un de ses fondateurs, a toute sa place.
Parallèlement, le souci de conservation des biens dans la famille est devenu moins prégnant en raison des transformations qui ont affecté la composition du patrimoine : de moins en moins reçu des générations précédentes et de plus en plus acquis par le fruit de son travail.
C'est dans ces conditions qu'ont été reconnus progressivement des droits successoraux au conjoint survivant (par exemple, sa primauté sur les cousins ne fût acquise qu'en 1957).
La double dimension affective et économique a rendu difficile toute avancée législative.
Le débat est ouvert depuis 1961, année où la Commission de réforme du Code civil a remis son rapport et un projet de texte relatif aux successions et aux libéralités. La partie la plus importante et la plus novatrice de ce projet concernait le conjoint survivant :
la Commission, rejeta l'usufruit en raison de ses inconvénients tant sur le plan économique que familial,
elle proposa d'accorder au conjoint un droit en pleine propriété quelle que soit la configuration successorale tout en prévoyant des mesures protectrices en faveur des enfants d'un lit précédent.
elle lui conféra en outre la qualité d'héritier réservataire.
Les travaux de la Commission de révision n'eurent pas de suite.
Ce n'est qu'en décembre 1991 que l'Assemblée nationale enregistra un projet de loi sur le conjoint survivant, qui s'insérait dans une réflexion globale sur le droit successoral : il ne fût examiné ni alors, ni en 1995 lors de son nouveau dépôt.
Il était basé sur une option entre la totalité de la succession en usufruit - lui-même convertible en rente viagère - et le quart de celle-ci en propriété,
il prévoyait en l'absence de tout ou partie des droits successoraux du conjoint une contribution de la succession au maintien de ses conditions d'existence.
l'éventail des solutions ouvertes et la potentialité des conflits que recelait le droit à la maintenance auraient rendu prévisible le développement du contentieux.
La réforme globale du droit de la famille initiée par ce gouvernement dès sa prise de fonction en 1997 ne pouvait bien sûr ignorer la situation du conjoint survivant.
Dans la mission qui lui fût confiée à la sociologue Irène THERY, constatant que la dynamique de l'égalité des sexes a donné au mariage un fondement " plus individuel, plus privé, plus contractuel " proposa de faire du régime des donations entre époux le régime légal, avec une triple option entre la totalité des biens en usufruit, le quart en pleine propriété et les trois quart en usufruit, ou l'attribution de la quotité disponible en pleine propriété, et de donner au conjoint une place plus favorable dans l'ordre successoral en l'appelant à la succession immédiatement après les descendants.
La réflexion ainsi engagée devait se poursuivre au sein de la Commission présidée par Mme la Professeure DEKEUWER-DEFOSSEZ, chargée d'élaborer des propositions de textes sur la réforme du droit de la famille.
Reprenant la proposition d'améliorer la place du conjoint survivant dans l'ordre des héritiers, la Commission suggérait qu'en l'absence d'enfant, le conjoint partage la succession avec les parents du défunt et recueille la totalité dans tous les autres cas.
Quant à l'étendue et la nature des droits en présence d'enfants, le groupe se prononça en faveur de l'usufruit de la totalité de la succession, chacun des enfants pouvant demander la part lui revenant légalement en pleine propriété à condition d'abandonner au conjoint sa part de quotité disponible.
Enfin, si l'instauration d'une réserve au profit du conjoint était écartée, des mécanismes étaient proposés pour protéger le conjoint sans ressources, tels que : le maintien dans le logement ou l'augmentation de ses droits alimentaires à l'encontre de la succession du prédécédé.
De ce rappel historique, un constat et un enseignement peuvent être tirés:
le constat : les solutions envisageables sont variées parce que les situations qu'elles recouvrent sont elles mêmes diverses ;
l'enseignement : l'on se perd à vouloir régler par le droit successoral l'ensemble des cas de figure. Il s'agit d'un droit commun ayant vocation à s'appliquer à tous ceux qui n'auraient pas choisi un mode spécifique de protection du conjoint survivant par le recours aux régimes matrimoniaux, aux libéralités ou à l'assurance-vie. Il faut faire un choix et élaborer des règles simples constituant le noyau dur des droits du conjoint successible.
C'est précisément ce que votre Assemblée a choisi de faire, répondant ainsi à une forte aspiration sociale que le gouvernement ne peut que partager.
Par là même, elle met fin à la situation peu envieuse de la France d'être, au sein de l'Union, la lanterne rouge de l'Europe.
Chez nos voisins, en effet, le conjoint survivant dispose de droits plus substantiels:
soit qu'il bénéficie d'une large part ou de la totalité de la succession en usufruit
soit qu'il dispose de droits en pleine propriété,
soit qu'il se voit reconnaître la qualité d'héritier réservataire.
On peut d'autant plus saluer l'initiative des auteurs de la proposition de loi.
Le texte a en effet pris un certain nombre de principes essentiels en considération :
l'amélioration des droits du conjoint survivant ne doit pas conduire à sacrifier les droits des héritiers par le sang, du moins ceux dont le degré de proximité avec le défunt caractérise la famille contemporaine;
elle doit laisser à tout époux une liberté de disposer de ses biens au moyen de libéralités;
le nouveau dispositif doit préserver la paix familiale et éviter à tout prix les occasions de conflit entre le conjoint survivant et les autres héritiers;
A cet égard, il convient de limiter au maximum les options génératrices de craintes et de suspicion et qui se résolvent, à défaut d'accord, toujours devant le juge;
en outre, toute réforme doit prendre en compte le souci de sécurité juridique, la nécessité d'individualiser clairement les droits de chacun et l'impératif économique d'une transmission rapide et, s'agissant notamment des entreprises, opérationnelle du patrimoine;
enfin, les nouvelles dispositions doivent être pragmatiques en répondant au besoin essentiel de protection du logement et du maintien du conjoint dans celui-ci.
Il convient maintenant d'en venir à l'examen même des articles de la proposition.
L'objet premier de la proposition de loi est de renforcer sensiblement les droits du conjoint survivant.
L'amélioration de son statut successoral est réalisée à trois niveaux.
tout d'abord, la vocation héréditaire du conjoint est accrue ;
ensuite, le conjoint bénéficie de droits privilégiés sur son habitation ;
enfin, il ne peut être en aucun cas privé d'une part successorale minima dès lors qu'il ne concourt pas avec des ascendants et des descendants.
(source http://www.justice.gouv.fr, le 9 février 2001)
L'accroissement de la vocation héréditaire du conjoint est significatif
Non seulement le conjoint a vocation à percevoir désormais des droits en propriété là où il ne bénéficiait auparavant que de droits en usufruit, mais il passera avant les ascendants autres que les père et mère du défunt, ainsi qu'avant les frère et soeur du défunt et leurs enfants. Il entre ainsi dans le premier ordre des successibles.
En premier lieu, la proposition de loi prévoit de donner au conjoint survivant :
· un quart de la succession en cas de concours avec les descendants,
· la moitié de la succession en présence des père et mère
· et la totalité de la succession dans les autres cas.
Cette évolution fait du conjoint survivant un héritier à part entière.
Reconnaître un droit en propriété, outre la simplicité que cela présente pour la procédure de dévolution successorale, renforce l'autonomie de son titulaire : il répond à la demande de ceux qui, devenus veuves ou veufs, souhaitent avoir la liberté de disposer de leur patrimoine.
Cette nouvelle distribution des biens du défunt correspond à la conception actuelle de la famille, devenue famille-foyer dans laquelle le patrimoine est le plus souvent constitué des acquêts que les époux ont réalisés ensemble.
Il est symbolique d'octroyer des droits en propriété du conjoint, même en présence d'ascendant ou de descendant.
On aurait pu songer à lui permettre de faire un choix entre ces droits et un usufruit de la totalité de la succession.
Mais l'usufruit présente d'importants inconvénients :
· sur le plan économique, il n'incite pas à une gestion active et empêche, de fait, toute aliénation faute d'acquéreurs potentiels de tout démembrement de propriété ;
· sur le plan familial, il engendre des conflits rendus plus aigus avec le développement des familles recomposées et l'allongement de l'espérance de vie.
Il est donc plus sage et plus efficace de s'en tenir à une part en pleine propriété.
En second lieu, le souci de rééquilibrer l'ordre de dévolution au profit du conjoint survivant ne doit pas conduire à des situations inéquitables au détriment de la proche lignée du défunt.
Or, parce qu'ils se verront désormais écartés de la succession par le conjoint survivant, les ascendants autres que les père et mère, pourront se trouver dans une situation financière difficile.
Il serait inadmissible qu'ils ne puissent se prévaloir d'une créance d'aliments contre les héritiers du défunt. C'est précisément le droit qui leur est conféré par la proposition de loi qui répond ainsi à un devoir moral fondamental.
Ensuite, la proposition de loi confère au conjoint survivant des droits privilégiés sur son habitation.
En premier lieu, le conjoint bénéficiera pendant une année de la jouissance gratuite du logement qu'il occupait à titre de résidence principale au jour du décès.
Il ne s'agit pas d'un droit successoral. Il constitue la simple traduction d'une considération élémentaire, au demeurant déjà partiellement prise en compte par notre droit, selon laquelle, pendant un temps de deuil, il doit être fait abstraction de toute considération de technique juridique.
Lorsque le logement appartient aux époux du défunt, le conjoint survivant pourra y demeurer gratuitement pendant un an ; lorsqu'il est pris à bail, la succession devra lui rembourser pendant une année les loyers qu'il acquitte.
En deuxième lieu, le conjoint pourra demander, dès l'ouverture de la succession, à bénéficier d'un droit viager d'habitation sur le logement familial et d'usage des meubles compris dans la succession le garnissant.
Toutefois, pour lui permettre de faire un choix raisonné, cette option lui est ouverte pendant un temps limité après le décès.
Ce dispositif est conçu non pour accroître la part successorale du conjoint survivant, ce qui aurait remis en cause l'équilibre nécessaire entre lui et les autres successibles, mais pour prendre en compte le souhait légitime qu'il peut avoir de terminer ses jours dans son cadre de vie.
C'est pourquoi, la proposition de loi prévoit un mécanisme d'imputation des droits d'habitation et d'usage sur la part successorale du conjoint.
Dans la grande majorité des cas, la valeur du droit d'usage et d'habitation sera inférieure à celle des droits successoraux, ne suscitant ainsi aucune difficulté particulière.
Mais il peut exister des situations, au demeurant résiduelles, où la valeur du droit d'usage et d'habitation excédera sa part successorale.
Il pourra en être ainsi notamment lorsque la veuve aura moins de 60 ans, que le défunt aura eu au moins trois enfants et qu'il n'existera aucun autre bien dans la succession que le logement et le mobilier le garnissant.
On pourrait imaginer qu'en pareil cas et pour ne pas porter atteinte à la réserve des héritiers, un mécanisme de récompense à la charge du conjoint soit prévu au bénéfice de la succession.
Bien que le dépassement de la valeur de la part du conjoint survivant puisse être important, la proposition de loi considère que l'effectivité des droits d'habitation et d'usage doit en toute circonstance être assurée et qu'il ne faut pas pénaliser le conjoint survivant qui ne disposera pas nécessairement de liquidités suffisantes pour verser une récompense.
Il est également tout à fait judicieux, comme le fait la proposition de loi, de prévoir que le conjoint qui aura demandé à bénéficier du droit viager d'habitation sur son logement, pourra solliciter que lui soit attribuée par préférence à tout autre héritier, la propriété de ce logement. Bien entendu, cette attribution en propriété ne sera possible qu'à hauteur des droits du conjoint dans la succession.
Grâce à cette attribution préférentielle de droit, les difficultés liées au démembrement de propriété seront évitées.
Ainsi, la proposition de loi prévoit un dispositif très complet pour permettre le maintien du conjoint survivant dans le logement familial.
Mais il est des hypothèses où il ne peut y rester par suite d'événements indépendants de sa volonté.
La situation la plus fréquente est liée à l'aggravation de son état de santé, notamment lorsqu'âgé, il doit partir en maison de retraite.
Il est clair que le droit d'usage n'a plus alors aucun sens.
Qui plus est, le principe de l'imputation sur la part successorale du conjoint a pu priver celui-ci des liquidités qui lui seraient revenues dans la succession du défunt et qui lui auraient permis de supporter le coût financier de son nouveau mode d'hébergement.
C'est pourquoi, il est tout à fait opportun, comme le prévoit la proposition de loi, de permettre, à titre exceptionnel, au conjoint survivant de louer les lieux qu'il occupait.
La proposition n'ouvre cette faculté qu'en cas d'hébergement du conjoint dans un établissement spécialisé.
La formule peut apparaître restrictive et l'on peut se demander s'il ne pourrait pas être pris en compte plus largement l'aggravation de l'état de santé.
Reste un dernier cas de figure qui doit être abordé dans l'objectif de la préservation du cadre de vie du conjoint : celui où le couple aurait pris à bail le local d'habitation.
Il faut qu'au décès de l'un des deux membres, le survivant puisse rester dans les lieux.
Certes, cette question ne relève pas à proprement parler du droit successoral mais du droit locatif qui comprend déjà des dispositions à cet égard.
Mais plusieurs régimes existent qu'il est souhaitable d'améliorer.
Il doit d'abord en être ainsi du régime de droit commun de l'article 1751 du Code civil qui pose le principe de la cotitularité du bail du local servant effectivement à l'habitation des deux époux.
La jurisprudence considère qu'au décès de l'un d'eux, les héritiers deviennent titulaires du bail avec le conjoint survivant.
Un tel mécanisme est source de conflits potentiels.
C'est pourquoi la proposition de loi prévoit opportunément que dans cette hypothèse, le conjoint survivant bénéficiera d'un droit exclusif au bail, sauf renonciation de sa part.
En second lieu, le régime de la loi du 6 juillet 1989 applicable en l'absence de cotitularité du bail doit être précise. C'est le sens de la modification proposée à l'article 14 de ce texte qui fera désormais clairement apparaître que lorsque les époux n'ont jamais vécu ensemble dans les locaux, le conjoint sera en concours sur le droit au bail avec d'autres personnes et qu'il appartiendra alors au juge de trancher entre les intérêts en présence.
Ainsi, la proposition de loi, par les différentes dispositions qui viennent d'être examinées, permettra au plus grand nombre de veuves et veufs de ne pas être démunis au jour du décès de leur conjoint, lorsque celui-ci n'aura pas eu la possibilité d'aménager leur protection de son vivant.
Ce que l'époux prédécédé n'aura pas pu réaliser de son vivant au profit de son conjoint, la loi le lui permettra.
Le dispositif nouveau correspondra à la volonté présumée de protection du conjoint survivant par le défunt.
Néanmoins, il n'est pas apparu possible aux yeux des auteurs du texte d'aller au delà.
Ils ont fait le choix de laisser au défunt la liberté d'organiser d'une autre manière la dévolution de ses biens.
Il pourra disposer au profit d'une autre personne des droits d'habitation sur le logement et d'usage sur le mobilier le garnissant. Il pourra également faire profiter des tiers de libéralités qui entameraient la part héréditaire du conjoint.
Il est vrai qu'un tel choix n'est pas évident.
- Cette question relève d'une approche plus globale de l'opportunité de la réserve en droit français.
Certes, la réserve peut apparaître comme l'expression la plus aboutie de la protection des différents héritiers et comme la consécration définitive de l'entrée du conjoint dans la famille.
Toutefois, l'aspiration contemporaine à l'autonomie individuelle et à la liberté au sein de la cellule familiale a conduit la commission des lois à dépasser le débat traditionnel, et à dire vrai assez stérile, sur l'opportunité de conférer au conjoint la qualité d'héritier réservataire.
Elle propose à la place un dispositif plus subtil à géométrie variable en fonction de la qualité des personnes venant en concours avec le conjoint survivant.
En présence d'ascendants ou de descendants qui sont eux-mêmes réservataires, le défunt aura la liberté de disposer de la quotité disponible restante au profit d'un autre que son époux.
En revanche, dans tous les autres cas, que le conjoint hérite seul ou qu'il soit en présence de collatéraux, le défunt ne pourra pas priver son conjoint du quart de la succession en propriété.
Ainsi, dans ces deux configurations, il est laissé une marge de manoeuvre au défunt sans qu'il soit porté préjudice à la très proche famille et en particulier aux descendants que celui-ci a pu avoir d'une précédente union.
Dans ce même souci d'équilibre, la Commission des lois propose de rehausser la créance alimentaire du conjoint survivant dont les conditions de vie sont gravement amoindries, ce qui sera le cas lorsqu'il aura été privé de ses droits successoraux.
Il s'agit là d'un dispositif très complet qui rejoint pleinement le souci des auteurs de la proposition, de la Commission des lois et du Gouvernement d'améliorer très concrètement la protection du conjoint survivant.
* * *
Et c'est parce que cet objectif est précisément atteint que le texte initial consacré exclusivement au conjoint survivant a pu être enrichi par votre Commission des lois de dispositions tendant à supprimer l'inégalité successorale dont les enfants adultérins font encore l'objet.
La question devenait urgente.
La France a en effet été condamnée par la Cour Européenne des Droits de l'Homme, le 1er février 2000, pour avoir maintenu une différence de traitement injustifiée entre les enfants, selon que ceux-ci sont légitimes ou adultérins, au motif que l'enfant adultérin ne peut se voir reprocher des faits qui ne lui sont pas imputables et ne doit pas être victime d'une discrimination fondée sur la naissance hors mariage.
Il y a lieu en effet de rappeler qu'en l'état actuel du droit positif, les enfants adultérins voient leurs droits réduits globalement de moitié lorsqu'ils se trouvent en concours soit avec le conjoint victime de l'adultère, soit avec les enfants légitimes.
En outre, la capacité de recevoir de l'enfant adultérin est limitée, dans le même cas de figure, puisqu'il ne peut recevoir, par donation ou testament, plus que sa part héréditaire.
Un tel système n'est admissible au regard, ni de nos engagements internationaux, ni du principe d'égalité entre enfants qui fonde notre droit de la filiation depuis 1972.
Le Gouvernement avait inscrit cette réforme dans le cadre plus global du projet de loi relatif à la famille.
Mais, en raison de l'urgence qu'il y avait à mettre notre droit en conformité avec des grands principes européens, on ne peut que se féliciter du choix fait de la porter dans le premier vecteur normatif qui traite également des rapports au sein de la famille et plus particulièrement de la situation du conjoint.
Cette proposition de loi permet ainsi de mettre fin à deux situations qui paraissent de plus en plus scandaleuses pour tout un chacun.
(source http://www.justice.gouv.fr, le 9 février 2001)