Interview de Mmes Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, Rachida Dati, ministre de la justice, et de M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, à Europe 1 le 8 juillet 2008, sur le projet de "pacte européen de l'immigration et de l'asile" et l'harmonisation européenne des questions de justice et de sécurité.

Prononcé le

Circonstance : Réunion informelle des ministres chargés de la justice et des affaires intérieures de l'Union européenne, à Cannes les 7 et 8 juillet 2008

Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach Journaliste : Il est 08h20 et J.-P. Elkabbach est en direct de Cannes pour le premier grand sommet ministériel de la présidence française de l'Union européenne.
 
Et vous trois, vous trois à Cannes, c'est une première ! Vous présidez à tour de rôle les quarante-huit heures des conseils européens de l'Intérieur ; M. Alliot-Marie, bonjour !
 
M. Alliot-Marie : Bonjour !
 
De la Justice ; R. Dati, bonjour !
 
R. Dati : Bonjour !
 
De l'Immigration et du Développement, une des priorités des six premiers mois et des six prochains mois ; B. Hortefeux, bonjour !
 
B. Hortefeux : Bonjour !
 
M. Alliot-Marie, est-ce qu'à vingt-sept vous avez le sentiment de progresser à Cannes ?
 
M. Alliot-Marie : Oui, parce qu'à la fois nous avons pris conscience que ce qu'attendaient les citoyens de l'Europe c'est des choses concrètes et que nous avons voulu travailler sur des choses concrètes. Créer, par exemple, dans mon domaine des commissariats européens, pour permettre à tous les Européens qui sont en vacances ou qui vont dans un grand évènement d'avoir des policiers de leur pays dans le commissariat du pays. La lutte, par exemple, contre la pédopornographie sur Internet, avec la création d'une plateforme européenne de signalement. La lutte contre la drogue, avec la mise en place en Méditerranée d'un système commun à tous les pays du Nord et du Sud pour intercepter les trafics par voie maritime.
 
On y reviendra, on y reviendra... Et, à Cannes, vous progressez, R. Dati ?
 
R. Dati : Je vais commencer aujourd'hui ma réunion avec mes vingt-sept homologues...
 
Dans une demi heure.
 
R. Dati : Dans une demi heure. Simplement la présidence ne commence pas aujourd'hui, c'est un travail de préparation, donc tous les sujets que nous aborderons aujourd'hui ont été préparés pendant près un an.
 
Oui. Et vous, B. Hortefeux ?
 
B. Hortefeux : Vous connaissez la formule de Tocqueville : « Il y a plus de sagesse et de lumière dans plusieurs hommes réunis que dans un seul. »
 
M. Alliot-Marie : Et dans les femmes aussi !
 
Ô combien !
 
B. Hortefeux : Précisément. Entouré comme je le suis, j'allais naturellement le préciser ! Et d'ailleurs ce qui est vrai aussi c'est que dans les ministres européens, il y a beaucoup de femmes. Donc ça veut dire tout simplement que nous avons préparé cette présidence très en amont, j'ai démarré dès le mois de janvier et aujourd'hui on engrange les résultats, c'est-à-dire une concertation, un dialogue, un enrichissement sur un sujet essentiel, sur un défi qui est celui de nos sociétés, c'est l'organisation des flux migratoires.
 
Dans un monde ouvert, qui est en train de... est-ce que vous n'êtes pas en train de dresser à Cannes des frontières, des contrôles, pour une Europe repliée sur elle-même, B. Hortefeux, une Europe bunker, on vous l'a dit, ou une Europe blockhaus.
 
B. Hortefeux : Bah, écoutez, chacun son vocabulaire. La réalité c'est très simple, c'est que nous bâtissons en ce moment, ensemble, une Europe qui n'est ni une forteresse, ni une passoire.
 
Qu'est-ce qu'elle est ?
 
B. Hortefeux : Et d'ailleurs le mot qui a été le plus utilisé hier par les vingt-six autres pays, ça a été utilisé à chacune des interventions, c'est le mot équilibre. Parce que ce que nous construisons c'est un équilibre : équilibre entre la nécessité d'organiser des migrations légales et équilibre avec la nécessité de désorganiser l'immigration illégale.
 
On va en parler, mais d'abord deux questions d'actualité, à R. Dati et à M. Alliot-Marie, parce que vous êtes directement concernées par la justice et les violences conjugales, les violences faites...
 
M. Alliot-Marie : Non, non, en fait, nous sommes concernées pas directement, c'est un domaine de compétences, hélas !
 
Oui, oui, non, mais ça on l'a compris, sinon ce serait une révélation. Les violences faites aux femmes.
 
B. Hortefeux : Faites attention, Monsieur Elkabbach, parce qu'à trois c'est très dur pour...
 
Ça, j'ai vu, j'ai vu ! Et pour la première fois vous allez être associées toutes les deux et vous allez faire bloc commun. R. Dati, les violences faites aux femmes, là je suis sérieux ?
 
R. Dati : Sur les violences faites aux femmes, c'est un fléau qui existe depuis de nombreuses années. Il est vrai que lorsque N. Sarkozy était ministre de l'Intérieur, il a pris ce sujet plus qu'à bras le corps. Pendant très longtemps, les violences faites aux femmes, on considérait que ça n'existait pas parce qu'il n'y avait pas d'indicateur, donc on considérait que ça n'existait pas. Le jour où on a mis un indicateur, on s'est rendu compte que c'était un vrai fléau en France. Alors il y a eu des discussions qui ont été prises lorsque N. Sarkozy était ministre de l'Intérieur, comme l'éviction du conjoint violent, comme le fait que les femmes puissent être protégées dès l'interpellation, c'est-à-dire dès que la personne, le conjoint violent a été interpellé. Nous avons demandé, lorsqu'il y a des placements en garde à vue, qu'il n'y ait aucune médiation, ni délégué du procureur, que systématiquement un conjoint violent soit placé en garde à vue et déféré devant le tribunal, les résultats sont là. Il est vrai que les plaintes ont augmenté de 30 % en un an et aujourd'hui, d'ailleurs avec la loi sur les peines plancher, alors que le taux d'application moyenne est de 55 % pour les violences conjugales, on n'est pas loin de 70 % de toute application de cette loi s'agissant des violences conjugales.
 
M. Alliot-Marie, les femmes n'ont plus honte ou n'hésitent plus à venir se confier.
 
M. Alliot-Marie : Absolument. D'ailleurs ce qui est caractéristique c'est que alors même que les violences aux personnes baissent, elles baissent moins que toutes les autres formes de délinquance. Pourquoi ? Essentiellement parce qu'effectivement il y a une augmentation en la matière. Et je dois dire que ce que nous avons mis en place, notamment des systèmes d'accueil beaucoup plus ouverts pour les femmes, leur permettent effectivement d'exposer plus facilement leurs problèmes, de déposer plus facilement plainte. Et dans le même temps d'ailleurs, nous nous interrogeons, et je m'interroge, sur le rôle de l'alcool qui joue dans ces violences intrafamiliales, très souvent un rôle de déclencheur et c'est la raison pour laquelle j'ai demandé à l'Observatoire d'étude de la délinquance de me faire une étude très précise pour savoir la part exacte faite par l'alcool sur le déclenchement de ces violences aux femmes.
 
Mais vous n'allez pas interdire la consommation de l'alcool à l'intérieur des familles, ce serait...
 
M. Alliot-Marie : Non, mais mon rôle c'est également non seulement de constater des choses, de permettre de déférer à la justice les auteurs, c'est également de réfléchir sur les raisons et de voir comment on peut agir, pas forcément d'une façon policière, mais également d'une façon préventive. Ce que nous cherchons à faire c'est à protéger les citoyens ; protéger les citoyens c'est aussi dans un certain nombre de cas anticiper avec d'autres organismes sociaux ou autres pour essayer d'améliorer la situation.
 
R. Dati : D'ailleurs, dès que les violences sont avérées comme habituelles, le conjoint violent a une obligation de soins et s'il ne se soigne pas, il est à nouveau condamné.
 
Le Pacte européen de l'immigration et de l'asile, Monsieur Hortefeux, est-ce qu'il a été accepté par les vingt-sept ?
 
B. Hortefeux : Il a été discuté hier et c'est vrai qu'il y avait, d'abord je l'avais perçu depuis six mois, une attente très forte. Et la vraie découverte c'est qu'il n'y a pas simplement les grands pays qui sont concernés. Certes, en Europe, cinq pays - la France, l'Italie, l'Espagne, le Royaume-Uni et l'Allemagne - concentrent 80 % des flux migratoires. Mais la découverte c'est qu'en réalité tous les pays du Nord, du Sud, de l'Est et de l'Ouest sont concernés. Je prends l'exemple d'un petit pays démographiquement, qui est Chypre, eh bien Chypre est aujourd'hui le pays d'Europe qui a le plus fort taux de population immigrée par rapport à sa population et le plus fort taux de demandeurs d'asile. Et c'est le cas aussi avec les pays d'Europe Centrale, les anciens pays de l'Est, qui sont préoccupés d'immigration, qui peuvent venir de Georgie, mais aussi de plus lointains, par exemple la République Tchèque qui est confrontée à une immigration vietnamienne pour des raisons historiques. Ça veut dire que tous les pays ont exprimé une attente et aujourd'hui...
 
Donc vous avez le sentiment qu'il y a unanimité ou pas, la décision je sais qu'elle sera prise le 16 octobre lors du conseil européen, mais aujourd'hui ?
 
B. Hortefeux : Le principe, il est très simple : c'est l'attente était très forte et l'accord qui s'est exprimé hier était un accord unanime. Tous les pays, sans aucune exception, ont souhaité que l'on puisse aboutir à la signature de ce Pacte. Et vous aviez des pays qui étaient naturellement observateurs, intéressés et qui par leur expérience, leur politique, étaient attentifs, peut-être que davantage que d'autres, et là aussi l'accord a été total. Le ministre de l'Intérieur allemand - vous savez c'est une coalition, ce sont des chrétiens démocrates et des sociaux-démocrates en Allemagne qui gouvernent- le ministre allemand a dit qu'il soutenait totalement le Pacte. Si vous prenez le ministre de l'Intérieur espagnol, quel est le Gouvernement aujourd'hui en Espagne ? C'est le Gouvernement le plus à gauche de toute l'Europe. Eh bien, le représentant du Gouvernement le plus à gauche de toute l'Europe a dit qu'il approuvait, ce sont ses mots, qu'il approuvait...
 
Alors on va voir...
 
B. Hortefeux : Attendez, c'est important ; qu'il approuvait le Pacte dans ses principes comme dans ses détails. C'est donc un signal très fort.
 
Vous avez beaucoup négocié avec les Espagnols...
 
B. Hortefeux : Pas seulement ! Ce n'est pas négocié...
 
Est-ce que vous leur avez concédé quelque chose, en particulier sur le problème des régularisations ? Vous, vous dites générales, en France on lit beaucoup les régularisations massives ; est-ce que vous avez (balancé) votre jugement pour ne pas donner le sentiment de condamner ce que le gouvernement Zapatero a fait à ses débuts.
 
B. Hortefeux : La discussion a porté sur ce qu'on appelle le contrat d'accueil et d'intégration, qui oblige notamment l'apprentissage de la langue dans un certain nombre de pays. La France l'a engagé, mais d'autres pays ; l'Allemagne le fait, les Pays-Bas sous une certaine forme le font. Les Espagnols nous ont dit que c'était pour eux un problème compte tenu... une tradition historique et puis leur organisation administration. Naturellement, on en a tenu compte. Il n'était pas question qu'un point mineur empêche un pacte majeur. Donc c'est ce qui s'est produit. Concernant les régularisations, monsieur Zapatero pendant la campagne législative, qui a eu lieu il y a quelques temps, quelques semaines, avait annoncé qu'il refuserait les régularisations massives. Dans la rédaction, nous nous sommes mis d'accord sur la notion de refus de régularisations générales. Reconnaissez avec moi que cela revient exactement au même.
 
Donc c'est au cas par cas ?
 
B. Hortefeux : Oui, c'est ce que l'on pratique nous-mêmes, c'est notre politique, régularisation au cas par cas en tenant compte d'un certain nombre de critères. Eh bien là c'est la régularisation cas par cas, approuvée par l'Espagne, avec le refus des régularisations massives...
 
B. Hortefeux...
 
B. Hortefeux : Certains pays l'avaient pratiquées, des régularisations massives, et d'ailleurs on n'a pas de leçon à donner, on n'a pas à être arrogant. La France l'a initiée en 1997, l'Espagne, l'Italie. On s'est rendu compte que ça ne marchait pas. Il faut se poser la question, pourquoi ? Pourquoi ça ne marche pas, les régularisations massives ? C'est tout simplement, c'est très logique, c'est très humain : celui qui en bénéficie, qui est resté dans la clandestinité, c'est-à-dire dans l'indignité, eh bien naturellement il a tendance à l'évoquer avec ses frères, sa famille, ses cousins, son village et ainsi de suite et ça crée un appel d'air.
 
Il n'en reste pas moins...
 
B. Hortefeux : Je termine par là, en France on a eu la démonstration : régularisations massives, conséquences immédiates : multiplication par quatre des demandeurs.
 
Est-ce que vous reconnaissez ou les vingt-sept, est-ce qu'ils reconnaissent que dans une Europe qui vieillit, des pays auront désormais besoin des immigrés pour des emplois et des emplois qualifiés et sans doute avec de nouveaux droits ?
 
B. Hortefeux : Mais précisément c'est l'organisation et la structure du Pacte. Nous commençons par une proposition positive, c'est-à-dire que nous disons très clairement que l'immigration doit être légale et elle doit être légale en tenant compte à la fois des capacités d'accueil, mais aussi des besoins de nos économies. Je prends l'exemple simplement des étudiants ; nous souhaitons accueillir davantage d'étudiants. Vous savez qu'on est en train en Europe de décrocher ; l'Australie est devenue la cinquième puissance d'accueil des étudiants. Les étudiants c'est essentiel, demain ce sera l'ossature, la colonne vertébrale économique, sociale, politique. Donc nous avons intérêt, par exemple, à accueillir des étudiants, mais de vrais étudiants. Des étudiants qui étudient et des étudiants qui passent des examens.
 
Oui, et c'est vous qui allez les contrôler ? Savoir s'ils travaillent ou pas, c'est vous, le ministre de l'Immigration, qui allez le faire ?
 
B. Hortefeux : ... les examens c'est très facile parce que naturellement on voit ceux qui passent les examens et ceux qui ne les passent pas...
 
L'impression générale, au terme de votre exposé, c'est que l'Europe durcit aujourd'hui.
 
B. Hortefeux : Non, mais, pardon, c'est que vous n'avez pas bien compris ou je me suis mal exprimé, c'est certainement la seconde solution, c'est en réalité l'Europe pratique une politique équilibrée. Nous voulons organiser les migrations légales et désorganiser l'immigration illégale.
 
Oui. Une pause de publicité et on se retrouve. [Pause. Rappel de l'actualité]
 
En direct de Cannes, R. Dati, M. Alliot-Marie contre l'immigration clandestine. Vous agissez, je suppose, comme vos collègues européens, ensemble et chacun dans son rôle propre. Vous, de quelle façon, M. Alliot-Marie ? Il y a vos 149.000 policiers, vos 105.000 gendarmes qui sont chargés de pourchasser les trafiquants et les passeurs, à la fois de drogue et...
 
M. Alliot-Marie : Et de personnes aussi, d'êtres humains, absolument. Et d'ailleurs, le centre que nous allons créer en Méditerranée pour la lutte contre les trafics vise le trafic de drogue, éventuellement les trafics d'armes, mais aussi les trafics d'êtres humains, bien entendu. Et ce sera une grande première puisqu'il y a eu une opération faite à Lisbonne pour l'Atlantique qui donne de très bons résultats sur la drogue, il y a énormément de prises, d'où d'ailleurs un changement des itinéraires. Nous allons faire la même chose - le principe en a été acquis hier - en Méditerranée et la nouveauté en particulier c'est qu'il n'y aura pas simplement des pays européens, puisqu'il est prévu aussi que des pays du sud de la Méditerranée, notamment des pays du Maghreb, soient associés à ce centre où nous allons concentrer l'information et ensuite permettre une intervention de la marine nationale.
 
Mais est-ce que vous obtenez des résultats plus spectaculaires que d'habitude ?
 
M. Alliot-Marie : Il est ??vident qu'en Atlantique, nous avons des résultats beaucoup plus spectaculaires, c'est de l'ordre de trois fois plus de saisies qu'il n'y avait auparavant. Je pense qu'en Méditerranée, avec l'ensemble de notre dispositif, lorsqu'il sera mis au point puisque que je vous signale que nous avons pris la décision de le créer, que nous allons pendant tout cet été travailler à un certain nombre pour le mettre au point, donc c'est probablement à la fin de l'année ou au début de l'année prochaine que le centre sera opérationnel et que nous commencerons à regarder les résultats.
 
Toutes les deux, vous êtes de facto liées, parce que toute action policière est conduite, R. Dati, sous contrôle des magistrats...
 
R. Dati : Bien sûr.
 
Et en particulier les juges des libertés, des détentions qui décident de garder ou pas en rétention. Comment ça se pratique ?
 
R. Dati : Il y a deux choses : il y a d'abord la lutte contre le trafic des êtres humains, en fait ce sont des passeurs, ce sont des filières criminelles. Donc au niveau national, il y a de nombreux passeurs qui ont été interpellés. En un an, on a augmenté, je crois qu'on en est à plus de 4.000 de passeurs qui ont été interpellés et arrêtés. Au niveau européen, avec la création des équipes communes d'enquête, qui est vraiment quelque chose qui marche très bien, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que des magistrats, des policiers travaillent ensemble, une procédure, une enquête et un jugement, ce qui n'était pas le cas avant. Nous avons quatorze équipes communes d'enquêtes sur toute l'Europe, il y en a onze qui concerne l'Espagne et la France et dans ces équipes communes d'enquêtes nous avons la lutte contre les trafics de produits stupéfiants, la lutte contre la criminalité organisée, et le trafic des êtres humains en fait partie. Donc ça permet de mieux coordonner les enquêtes pour être plus efficace, pour mieux interpeller, mais aussi mieux condamner. Parce que interpeller et déférer sans condamnation, ça veut dire que c'est une forme d'impunité. Donc il y a cet aspect-là qui est une répression accrue avec des sanctions extrêmement fermes. S'agissant du juge de la liberté et de la détention, avec le centre de rétention, c'est simplement... ce sont des immigrés sans papiers, clandestins, qui sont placés dans ces centres de rétention. Et à un moment donné, on examine leur situation puisqu'ils sont privés de liberté et le juge de la liberté et de la détention statue sur leur condition ou sur leur demande.
 
Et j'ai vu que pour le Pacte, B. Hortefeux, il est possible... vous allez vous mettre d'accord avec un certain nombre d'autres pays des vingt-sept pour reconduire à la frontière et parfois en utilisant des vols en commun.
 
B. Hortefeux : Oui. D'abord, il y a une réalité qui est une réalité très importante, c'est qu'on a engagé une lutte implacable contre les fraudes. Et avec M. Alliot-Marie, avec R. Dati, ce combat obtient des résultats. Qu'est-ce que c'est les fraudes ? C'est effectivement la lutte contre les passeurs, qui sont des véritables pirates de notre époque, c'est la lutte contre le travail clandestin, c'est la lutte contre les patrons fraudeurs. Bref, nous avons traqué les fraudes partout où elles existent. Alors ce qui est vrai aussi, c'est que nous nous sommes mis d'accord à l'échelon européen pour adresser un signal. Quand on est en situation irrégulière sur nos territoires, on a vocation à être reconduit. Alors les traductions c'est un peu différent ; les Espagnols eux disent : "on doit quitter". On doit, c'est plus impératif. Nous la formule française c'est : on a vocation à être reconduit dans son pays d'origine, et c'est ce que nous allons mettre en place. Ça existait précédemment, on le fait à l'échelon européen. Ça prouve qu'on dépasse naturellement les critères, les engagements partisans, les étiquettes politiques. Tout ça ce sont des sujets de société.
 
Entre Européens... Ce sera peut-être plus difficile d'obtenir un consensus politique national en France sur ces thèmes, qui sont les thèmes les plus importants qui sont soumis aux sociétés européennes et sociétés nationales aujourd'hui.
 
B. Hortefeux : Je souhaite que les formations politiques, notamment d'opposition, ne soient pas en France archaïques, qu'elles observent ce qui se passe partout, puisque encore une fois dans ce pacte se reconnaissent toutes les sensibilités ; des sensibilités communistes, puisque c'est un gouvernement avec des communistes à Chypre, des gouvernements socialistes ou sociaux-démocrates, comme en Grande- Bretagne, comme en Italie - pardon, ce n'est plus le cas en Italie, mais c'était le cas et ils avaient approuvé le Pacte -, comme en Espagne et comme dans un certain nombre d'autres pays. Ça veut dire qu'on surmonte tous les obstacles partisans.
 
B. Hortefeux, vous avez demandé à l'ex président du Conseil constitutionnel, P. Mazeaud, l'incorruptible, de réfléchir avec sa commission au principe des quotas migratoires. Je sais qu'il ne vous a pas encore remis le rapport, il va vous le remettre vendredi. Mais il dit déjà "non" ; les quotas d'étrangers seraient jugés, d'après Pierre Mazeaud, inefficaces, inutiles, sans intérêt. Alors sans vous mettre en colère, est-ce que vous pensez que vous allez avoir à lui...
 
B. Hortefeux : N'anticipez pas !
 
...A tenir compte - mais je vous connais ! - à tenir compte du rapport Mazeaud ?
 
B. Hortefeux : Bien évidemment on sera attentif, mais vous savez il existe une règle simple, moi je ne peux pas commenter un document qui ne m'a pas été remis. Et de ce que j'en ai lu et de ce que j'en ai entendu, pour se limiter à ce qui nous intéresse aujourd'hui, il y a une préconisation simple, c'est que la politique d'immigration soit harmonisée à l'échelon européen. Eh bien, c'est très exactement ce que nous avons fait hier.
 
Et sur le plan national, si on vous dit qu'il ne peut pas y avoir de quotas, que les quotas ethniques ou par nationalité violent le principe d'égalité entre tous les citoyens garanti par la Constitution ?
 
B. Hortefeux : Eh bien, écoutez, je vous suggère de me réinviter- je serais très heureux aussi naturellement que M. Alliot-Marie et Rachida soient là, ça va de soi, mais je vous suggère de me réinviter - dès lors que le rapport me sera remis.
 
Et il faut vous voir jouer avec des petits avions d'un côté à l'autre de la table ! Mais P. Mazeaud ne rejette pas les quotas par branche ou par métier pour les immigrés légaux.
 
B. Hortefeux : Oui, mais, attendez, je ne vais pas commenter encore une fois un rapport qui ne m'est pas remis. Il y a des éléments, de ce que j'en ai vu par une indiscrétion, ce qui est d'ailleurs une méthode un peu curieuse de faire publier un rapport...
 
Bah, il faut vous y habituer !
 
B. Hortefeux : ...De publier un rapport qui n'a pas encore été remis officiellement, ce sont des méthodes pour le moins curieuses, je vous le dis aussi très honnêtement ; dès lors que ce rapport me sera remis, j'aurai l'occasion d'en prendre connaissance, de l'analyser et de le commenter. Encore une fois, j'ai entendu un élément : c'est la nécessité d'harmoniser l'immigration à l'échelon européen, encore une fois c'est très précisément ce que nous avons fait hier et ce sur quoi nous avons abouti. Donc c'est plutôt une bonne nouvelle.
 
Mais le rapport Mazeaud c'est quand même l'effet boomerang ; vous l'avez demandé, il vous revient ou il vous reviendra avec...
 
B. Hortefeux : Je peux recommencer encore une fois la même explication, mais vous aussi...
 
Oui, mais moi aussi...
 
B. Hortefeux : Vous aussi ? Bon. Vous pouvez poursuivre. Donc moi je vous propose de vous tourner vers M. Alliot-Marie ou R. Dati sur d'autres questions.
 
Je vous remercie des conseils...
 
B. Hortefeux : Mais encore une fois, je vous le dis, je serai attentif naturellement au travail de la commission.
 
Je vous remercie des conseils, on voit ce qui se passe à Cannes, on voit ce qui se passera à Paris vendredi et on voit bien que ça vous embarrasse...
 
B. Hortefeux : Pas du tout !
 
Donc, je vais passer à la justice parce que dans une demi heure, R. Darty (sic) va parler de l'espace de l'Europe de la Justice.
 
R. Dati : Dati !
 
Dati, c'est ce que j'ai dit ! (Rires) Le fait d'être ensemble vous stimule, vous aiguise...
 
M. Alliot-Marie : Nous étions en train de penser à ce que N. Cantelou sortirait de ce dialogue à tous les deux, les deux hommes, juridiquement sur un sujet... Alors il y a quand même quelques sujets et il va y avoir quelques sujets aussi essentiels - ce n'est pas que l'immigration ne soit pas essentielle - à discuter aujourd'hui.
 
Alors, j'ai dit l'espace européen de la justice, l'interconnexion des casiers judiciaires.
 
R. Dati : Oui, l'interconnexion des casiers judiciaires c'est une expérience et c'était une initiative franco-allemande, qui se fonde sur quoi ? C'est-à-dire que quand on interpelle quelqu'un en France, on veut connaître son passé pénal, on demande à l'Allemagne de nous donner, si la personne est allemande, ou d'ailleurs d'un autre pays européen, parce qu'aujourd'hui comme on a la liberté de circulation, de connaître son passé pénal, ses condamnations dans un autre pays européen. Aujourd'hui, il y a six pays qui sont interconnectés, il y a douze pays qui ont rejoint l'expérience et nous souhaitons que d'ici la fin de l'année, nous donnions un fondement juridique à cette interconnexion de casiers entre les vingt-sept pays. Ça permettra, par exemple si je prends l'affaire Fourniret, c'est quelqu'un qui est en Belgique ou en France, s'il souhaite exercer une fonction d'éducateur ou s'il est interpellé, qu'on puisse connaître les actes qu'il a commis dans un pays transfrontalier ou dans un autre pays européen. C'est vraiment un outil de lutte contre la criminalité, mais aussi, par exemple, contre la pédophilie. Extrêmement efficace l'interconnexion des casiers judiciaires, voilà un outil concret, efficace, de protection des citoyens.
 
P. Rancé parlait tout à l'heure aussi du mandat d'arrêt européen, qui permet d'arrêter un délinquant là où il se trouve en Europe et de l'extrader plus rapidement.
 
R. Dati : Alors le mandat d'arrêt européen a été mis en oeuvre après 2001, c'est-à-dire après les attentats du 11 septembre. On en parlait depuis 2000, il a été mis en oeuvre très rapidement après les attentats du 11 septembre, c'est un titre judiciaire qui permet d'interpeller, de faire rechercher des criminels ou des personnes qui ont été condamnées par la justice. C'est extrêmement efficace. En quatre ans, il y a plus de 4.000 mandats d'arrêt européens qui ont été mis à exécution. Pour la France, plus de la moitié concernent la France et c'est quand même une spécificité, c'est-à-dire qu'on peut extrader ses nationaux. C'est-à-dire que si l'Angleterre nous demande un Français qui a commis des faits en Angleterre, nous remettons aux autorités anglaises, aux autorités judiciaires anglaises la personne qui a été demandée par le biais de ce mandat d'arrêt européen. C'est un outil de lutte contre la criminalité, extrêmement efficace. Mais nous avons attendu qu'il y ait les attentats du 11 septembre. Cela veut dire que l'espace judiciaire a toute sa pertinence, a un sens, pour les citoyens européens, encore une fois, en termes de protection et de sécurité.
 
Pour lutter...
 
R. Dati : Je rappelle quand même que l'Union européenne, l'Europe s'est construite sur un besoin de paix après la Deuxième guerre mondiale. Ensuite, il y a eu un besoin de prospérité, avec la construction de l'espace européen, l'Union européenne désormais, il y a eu des millions d'emplois qui ont été créés. Aujourd'hui, les citoyens européens ont besoin de sécurité. Et plus vous avez besoin de sécurité, c'est-à-dire sécurité juridique, plus vous pouvez vous ouvrir sur le monde, parce que là où vous voyagez, vous considérez que vous êtes en sécurité, pas uniquement en terme de personne, mais ne serait-ce qu'en sécurité juridique, si vous voulez créer une entreprise ou vous installer dans un autre pays.
 
Est-ce que vous avez l'impression tous les trois, ici à Cannes, avec tous les ministres que vous voyez, qu'il est en train de se passer quelque chose chez les Européens, qui marque une progression de la construction européenne dans vos domaines ? M. Alliot-Marie...
 
M. Alliot-Marie : Je crois tout à fait. Nous partons de l'idée qu'à plusieurs, on protège mieux les citoyens, on protège mieux leur sécurité, on protège mieux leurs libertés. Parce que d'abord qu'est-ce que c'est que l'exercice des libertés si on n'a pas le minimum de sécurité pour le faire. Et ce qu'il y a eu, je crois, de très important au cours des deux réunions, notamment d'hier, c'est que nous avons cherché à faire du concret, ce ne sont pas simplement des déclarations, mais comme on vous l'a dit, le mandat d'arrêt européen, les équipes communes d'enquête, le centre de lutte contre la drogue, la plateforme commune pour lutter contre toutes les dérives ou toutes les actions illicites sur Internet et notamment la pédopornographie, le rapprochement également de la formation, la capacité de travailler ensemble des policiers européens, mais également la protection civile dont on a peu parlé, or nous sommes l'été, un moment où on voit les grands incendies...
 
Quand il y a des catastrophes, des inondations, des incendies...
 
M. Alliot-Marie : Nous avons beaucoup travaillé hier sur la façon de faire en sorte d'avoir une meilleure prévention dans tous les pays, de les aider, mais également de conforter notre capacité de protection.
 
B. Hortefeux, une Europe qui rassure, une Europe qui protège, est-ce que c'est une Europe qui a peur ?
 
B. Hortefeux : Non, mais c'est un signal très fort qui a été adressé, c'est tout simplement : rien ne sera plus comme avant. Avec la discussion d'hier, avec la possibilité d'adopter ce pacte à la mi-octobre, ça ne sera plus comme avant, pourquoi ? Tout simplement parce qu'avant, il y avait vingt-sept politiques des flux migratoires pratiquées par vingt-sept pays différents. Demain, après l'adoption de ce Pacte, cela se fera de manière coordonnée. C'est un progrès pour l'Europe, mais c'est un progrès aussi, surtout, pour nos concitoyens.
 
Est-ce que je peux vous poser quelques questions d'actualité aux unes et aux autres et peut-être à vous, B. Hortefeux. Pour le 14 juillet 2008, est-ce que le président de la République, R. Dati, va accorder des grâces ?
 
R. Dati : L'année dernière, il n'y en a pas eues, ça a été un engagement du président de la République. Il faut savoir que les grâces collectives ne favorisent pas la réinsertion des personnes détenues. Nous avions un engagement, c'est d'abord d'être extrêmement fermes s'agissant des délinquants et notamment des récidivistes, et s'agissant des personnes détenues, il s'agit de lutter contre la récidive, pas en les réinsérant. Une grâce collective c'est en fait sortir...
 
Donc, il n'y en aura pas, il n'y en aura pas...
 
R. Dati : ...sortir les détenus sans projet de réinsertion, ce que nous ne souhaitons pas.
 
Il n'y en aura pas, c'est une tradition et un usage qui sera définitivement supprimé pendant le ou les quinquennats de N. Sarkozy.
 
R. Dati : Je souhaite juste donner un chiffre : en un an, alors qu'il n'y a pas eu de grâces collectives, alors qu'il y a des réductions individuelles, des remises de peine extrêmement contrôlées, nous avons eu quand même un taux d'aménagement des peines, c'est-à-dire que nous avons doublé le nombre de condamnés en aménagements de peine, c'est-à-dire de favoriser la lutte contre la récidive en réinsérant les personnes détenues, c'est-à-dire qu'on aménage les peines, la semi liberté, la libération conditionnelle, le bracelet électronique qui a augmenté... le nombre de personnes placées sous bracelet électronique en un an a augmenté de plus de 50 %. Voilà un objectif clair de lutte contre la récidive.
 
Et une autre question. Une révolutionnaire des années noires ou sanglantes de l'Italie vit en France une vie normale depuis plusieurs années, M. Petrella. Menacée d'extradition, elle est en train de se laisser mourir. Est-ce qu'elle peut bénéficier d'une mesure de grâce ou de suspension de son extradition ?
 
R. Dati : Madame Petrella a été condamnée en 1992 par une cour d'assises italienne, pour des faits d'assassinat et de séquestration, entre autres, de magistrats et de policiers. La condamnation est devenue définitive. Madame Petrella, l'arrêt d'extradition a été signé par le Premier ministre. Elle a été hospitalisée d'office pour des raisons de santé, elle est aujourd'hui au service de santé à Fleury-Mérogis. Dès que son état de santé le permettra, elle sera extradée. On ne peut pas vouloir construire un espace judiciaire européen, reconnaître la souveraineté et la justice des Etats, la souveraineté des Etats dans le cadre de l'indépendance de leur justice, vous savez que l'Italie a exactement les mêmes conditions de détention que nous...
 
Mais est-ce qu'elle aura le droit à un deuxième procès en Italie ?
 
R. Dati : Je pense que le procès a été... La décision est définitive, elle sera extradée en Italie et, croyez-moi, dans les mêmes conditions et elle sera traitée dans les mêmes conditions qu'elle a pu être traitée en France.
 
Que les vingt-sept, B. Hortefeux, même des gouvernements socialistes, adoptent ce Pacte européen, comme ils vont probablement le faire, est-ce que c'est globalement, et pour terminer, une invitation à une fermeté commune ou une attention plus humaine à l'égard des pauvres, des misérables de l'Afrique et du monde ?
 
B. Hortefeux : Mais c'est un ensemble. Naturellement, il faut organiser les migrations légales, naturellement il faut lutter contre l'immigration illégale, qui pénalise les immigrés légaux eux-mêmes, et enfin il faut établir de nouveaux partenariats avec les pays qui sont concernés, parce qu'on sait très bien que si on n'arrive pas à aider ces pays à offrir un avenir à leur jeunesse, ils seront naturellement entraînés à se rendre sur le territoire européen. Mais juste un dernier point concernant l'asile. Précisément, dans le Pacte, nous commençons à bâtir une Europe de l'asile, avec la création dès 2009 d'un bureau d'appui à Bruxelles.
 
Merci à vous trois pour ce rendez-vous inédit de Cannes, un peu acrobatique, mais, rassurez-vous, une fois ne sera pas coutume !
 
Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 1er août 2008