Texte intégral
« Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, chers amis, c'est un plaisir que d'être réunis entre personnes convaincues, et de constater que le public de ce jour est plus large que d'ordinaire pour la question de la biodiversité, ce qui est un excellent signe.
Le thème difficile des trames verte et bleue a été au coeur de récents colloques de FNE ou des Réserves Naturelles de France, mais, contrairement à d'autres pays, la France est sur ce point en phase de découverte. C'est une rupture par rapport à nos modes d'administration et d'aménagement, et à nos conceptions de l'urbanisme et de l'architecture. Il faut donc se réjouir, dans un domaine où les idées viennent surtout du terrain, que les rencontres se multiplient.
A ce titre, la création de Natureparif, première agence régionale en Europe sur les questions de biodiversité, doit être saluée. Sa constitution en sept collèges est comparable à celle du Grenelle de l'Environnement, qui en comptait cinq. Il s'agit de rassembler des personnes d'origines très diverses et qui peuvent se trouver en opposition deux à deux, mais qui, dans la concertation pluriacteurs, trouvent toujours des compromis et des accords.
Pour traiter de la biodiversité, les méthodes traditionnelles ont montré leurs limites. L'Etat a l'habitude d'élaborer des plans et de les soumettre aux partenaires qui ne peuvent que l'amender à la marge, puis l'accepter ou non. Mais pour la biodiversité, cette méthode n'est pas efficace, car celle-ci est atteinte par l'urbanisme, les infrastructures et également par les modes de production agricole, c'est-à-dire par des modes de vie.
Cette question pose donc des questions de société, ce qui nécessite d'en rassembler les représentants : la démarche ne peut être qu'ascendante, et non descendante. C'est, plus encore que les mesures techniques décidées, cette démarche politique qui fut la plus grande révolution du Grenelle : adopter de façon centrale des pratiques issues du terrain, et dégager un certain nombre de principes.
La crise qui nous frappe n'est pas seulement économique et financière. Elle interroge nos valeurs, nos modes de consommation et de production, ce que la population comprend parfaitement. C'est pourquoi les réponses ne peuvent être uniquement techniques. Elles doivent comporter la création de nouvelles valeurs, qui ne peuvent être inventées dans des bureaux. C'est ainsi que le Président Jean-Vincent Placé a souligné à très juste titre qu'au-delà des grands principes, la biodiversité se trame sur le terrain.
Cette biodiversité est, en France, exceptionnelle. Notre pays a à cet égard une responsabilité mondiale. Son domaine maritime est le deuxième au monde et compte 10 % des récifs coralliens. La France héberge aussi, par exemple, 58 % des nidifications d'oiseaux en Europe. Cette diversité ne se réduit pas à des espèces très emblématiques, très utiles à la sensibilisation de l'opinion. Elle concerne également notre quotidien, et non uniquement les séjours au bord de la mer ou à la campagne. Car dans des régions telles que l'Ile-de-France, 80 % du territoire est rural. Et la biodiversité doit également être défendue en ville.
Qu'avons-nous fait de cette immense responsabilité ? La Stratégie Nationale de Biodiversité adoptée en 2004 est un progrès, mais il est certain que la France n'aura pas tenu, en 2010, les engagements de la Convention de la biodiversité, car celle-ci continue à diminuer. C'est une catastrophe écologique, mais aussi économique, puisque deux milliards de personnes vivent des ressources halieutiques. La chute de celle-ci sera une catastrophe humaine, et non naturelle, et sera sans doute la première grande crise écologique, bien avant celle du réchauffement climatique.
Il existe néanmoins des raisons d'être optimistes. Le dernier G8 a traité, pour la première fois, de la biodiversité et de santé environnementale. La Charte qu'il a adoptée sur la biodiversité ne satisfait pas la France, mais représente un premier pas, et mentionne l'objectif de la création de l'IPBES en 2010, comme notre pays le souhaite. Car pour mémoire, seul le travail scientifique indépendant du GIEC a permis d'alarmer les opinions et les gouvernements sur la question du climat.
Il est clair que les gouvernements mettent toujours du temps à s'entendre, mais même des pays tels que le Brésil soutiennent désormais la création de l'IPBES, qui est absolument nécessaire. Ceci étant, le travail avant-coureur des associations et des scientifiques ne pourra que faire avancer le dossier. Il ne faut pas atteindre les initiatives des Etats, qui finiront par rejoindre et valider ce mouvement.
Les travaux menés en France sur la valorisation économique de la biodiversité par le Conseil d'Analyse Stratégique, sous l'autorité du Professeur Bernard Chevassus-au-Louis, seront présentés dès le 29 avril 2009 en présence de Pavan Sukhdev, spécialiste international de cette question,. Ils montrent qu'il faut partir des services rendus par la biodiversité, et que c'est la biodiversité ordinaire qui est valorisable, car l'extraordinaire n'a pas de prix. Il ne s'agit pas de créer un marché, mais de disposer d'éléments d'arbitrage qui permettront, dans un monde très marqué par l'économie, de convaincre.
La France a, dans le cadre du Grenelle, pris de nombreuses décisions nouvelles, pour la relance et la déclinaison régionale de la Stratégie Nationale de la Biodiversité, et également pour la création de nouveaux espaces protégés. L'idée des trames verte et bleue a, elle, été poussée très fortement par les associations. Nous ne pensions pas que cela serait possible, mais cela a été acté par l'ensemble des acteurs présents - élus et urbanistes compris. Chacun a compris qu'il faut partir des parcs et réserves existants pour favoriser le déplacement des espèces, ce que le réchauffement rend encore plus nécessaire.
Par principe, les TVB seront avant tout fixées au niveau régional. L'Etat énoncera quant à lui les grandes lignes à observer. Les mesures de gestion de ces espaces seront négociées et déterminées au niveau local. L'expérience des parcs et de Natura 2000 a en effet montré que les réussites s'appuient sur le travail et la contractualisation des élus et des acteurs locaux. Cette logique de terrain est celle du Grenelle.
Le Sénateur Paul Raoult, qui préside les travaux du Comité opérationnel sur cette question, témoignera de l'immensité de la tâche. C'est le seul Comité opérationnel qui a prévu de travailler pendant deux ans. C'est une raison supplémentaire d'agir. Ce colloque y participe pleinement, tout comme le MEEDDAT, qui s'est adressé aux Préfets pour leur demander de sensibiliser et de préparer les réflexions. Mais en tout état de cause, c'est aux acteurs locaux qu'il reviendra de mettre en place et de gérer les trames.
On a beaucoup parlé de climat, et Serge Orru soulignait le 28 avril dans Libération que la biodiversité était une grande oubliée. Il est entendu que ces deux chantiers sont prioritaires au plus haut point et qu'ils ne peuvent être séparés. A cet égard, la crise que nous traversons offre une opportunité d'être mieux entendus puisqu'elle suscite de nouveaux modèles de valeur, de société, de civilisation.
Cette crise permet de mieux entendre ceux qui portent des questions et des modèles un peu différents. Elle rappelle que le progrès n'est pas linéaire, et que les solutions ne peuvent être uniquement techniques : du reste, certaines sociétés ont disparu alors qu'elles disposaient des solutions techniques. C'est bien dans l'équilibre entre les hommes et la Nature, les écosystèmes et entre les hommes, que l'on pourra écrire un nouvel avenir plus supportable et plus humain.
La biodiversité ne peut être conçue que dans cette logique. Je vous souhaite d'excellents travaux. »
source http://www.natureparif.fr, le 5 juin 2009
Le thème difficile des trames verte et bleue a été au coeur de récents colloques de FNE ou des Réserves Naturelles de France, mais, contrairement à d'autres pays, la France est sur ce point en phase de découverte. C'est une rupture par rapport à nos modes d'administration et d'aménagement, et à nos conceptions de l'urbanisme et de l'architecture. Il faut donc se réjouir, dans un domaine où les idées viennent surtout du terrain, que les rencontres se multiplient.
A ce titre, la création de Natureparif, première agence régionale en Europe sur les questions de biodiversité, doit être saluée. Sa constitution en sept collèges est comparable à celle du Grenelle de l'Environnement, qui en comptait cinq. Il s'agit de rassembler des personnes d'origines très diverses et qui peuvent se trouver en opposition deux à deux, mais qui, dans la concertation pluriacteurs, trouvent toujours des compromis et des accords.
Pour traiter de la biodiversité, les méthodes traditionnelles ont montré leurs limites. L'Etat a l'habitude d'élaborer des plans et de les soumettre aux partenaires qui ne peuvent que l'amender à la marge, puis l'accepter ou non. Mais pour la biodiversité, cette méthode n'est pas efficace, car celle-ci est atteinte par l'urbanisme, les infrastructures et également par les modes de production agricole, c'est-à-dire par des modes de vie.
Cette question pose donc des questions de société, ce qui nécessite d'en rassembler les représentants : la démarche ne peut être qu'ascendante, et non descendante. C'est, plus encore que les mesures techniques décidées, cette démarche politique qui fut la plus grande révolution du Grenelle : adopter de façon centrale des pratiques issues du terrain, et dégager un certain nombre de principes.
La crise qui nous frappe n'est pas seulement économique et financière. Elle interroge nos valeurs, nos modes de consommation et de production, ce que la population comprend parfaitement. C'est pourquoi les réponses ne peuvent être uniquement techniques. Elles doivent comporter la création de nouvelles valeurs, qui ne peuvent être inventées dans des bureaux. C'est ainsi que le Président Jean-Vincent Placé a souligné à très juste titre qu'au-delà des grands principes, la biodiversité se trame sur le terrain.
Cette biodiversité est, en France, exceptionnelle. Notre pays a à cet égard une responsabilité mondiale. Son domaine maritime est le deuxième au monde et compte 10 % des récifs coralliens. La France héberge aussi, par exemple, 58 % des nidifications d'oiseaux en Europe. Cette diversité ne se réduit pas à des espèces très emblématiques, très utiles à la sensibilisation de l'opinion. Elle concerne également notre quotidien, et non uniquement les séjours au bord de la mer ou à la campagne. Car dans des régions telles que l'Ile-de-France, 80 % du territoire est rural. Et la biodiversité doit également être défendue en ville.
Qu'avons-nous fait de cette immense responsabilité ? La Stratégie Nationale de Biodiversité adoptée en 2004 est un progrès, mais il est certain que la France n'aura pas tenu, en 2010, les engagements de la Convention de la biodiversité, car celle-ci continue à diminuer. C'est une catastrophe écologique, mais aussi économique, puisque deux milliards de personnes vivent des ressources halieutiques. La chute de celle-ci sera une catastrophe humaine, et non naturelle, et sera sans doute la première grande crise écologique, bien avant celle du réchauffement climatique.
Il existe néanmoins des raisons d'être optimistes. Le dernier G8 a traité, pour la première fois, de la biodiversité et de santé environnementale. La Charte qu'il a adoptée sur la biodiversité ne satisfait pas la France, mais représente un premier pas, et mentionne l'objectif de la création de l'IPBES en 2010, comme notre pays le souhaite. Car pour mémoire, seul le travail scientifique indépendant du GIEC a permis d'alarmer les opinions et les gouvernements sur la question du climat.
Il est clair que les gouvernements mettent toujours du temps à s'entendre, mais même des pays tels que le Brésil soutiennent désormais la création de l'IPBES, qui est absolument nécessaire. Ceci étant, le travail avant-coureur des associations et des scientifiques ne pourra que faire avancer le dossier. Il ne faut pas atteindre les initiatives des Etats, qui finiront par rejoindre et valider ce mouvement.
Les travaux menés en France sur la valorisation économique de la biodiversité par le Conseil d'Analyse Stratégique, sous l'autorité du Professeur Bernard Chevassus-au-Louis, seront présentés dès le 29 avril 2009 en présence de Pavan Sukhdev, spécialiste international de cette question,. Ils montrent qu'il faut partir des services rendus par la biodiversité, et que c'est la biodiversité ordinaire qui est valorisable, car l'extraordinaire n'a pas de prix. Il ne s'agit pas de créer un marché, mais de disposer d'éléments d'arbitrage qui permettront, dans un monde très marqué par l'économie, de convaincre.
La France a, dans le cadre du Grenelle, pris de nombreuses décisions nouvelles, pour la relance et la déclinaison régionale de la Stratégie Nationale de la Biodiversité, et également pour la création de nouveaux espaces protégés. L'idée des trames verte et bleue a, elle, été poussée très fortement par les associations. Nous ne pensions pas que cela serait possible, mais cela a été acté par l'ensemble des acteurs présents - élus et urbanistes compris. Chacun a compris qu'il faut partir des parcs et réserves existants pour favoriser le déplacement des espèces, ce que le réchauffement rend encore plus nécessaire.
Par principe, les TVB seront avant tout fixées au niveau régional. L'Etat énoncera quant à lui les grandes lignes à observer. Les mesures de gestion de ces espaces seront négociées et déterminées au niveau local. L'expérience des parcs et de Natura 2000 a en effet montré que les réussites s'appuient sur le travail et la contractualisation des élus et des acteurs locaux. Cette logique de terrain est celle du Grenelle.
Le Sénateur Paul Raoult, qui préside les travaux du Comité opérationnel sur cette question, témoignera de l'immensité de la tâche. C'est le seul Comité opérationnel qui a prévu de travailler pendant deux ans. C'est une raison supplémentaire d'agir. Ce colloque y participe pleinement, tout comme le MEEDDAT, qui s'est adressé aux Préfets pour leur demander de sensibiliser et de préparer les réflexions. Mais en tout état de cause, c'est aux acteurs locaux qu'il reviendra de mettre en place et de gérer les trames.
On a beaucoup parlé de climat, et Serge Orru soulignait le 28 avril dans Libération que la biodiversité était une grande oubliée. Il est entendu que ces deux chantiers sont prioritaires au plus haut point et qu'ils ne peuvent être séparés. A cet égard, la crise que nous traversons offre une opportunité d'être mieux entendus puisqu'elle suscite de nouveaux modèles de valeur, de société, de civilisation.
Cette crise permet de mieux entendre ceux qui portent des questions et des modèles un peu différents. Elle rappelle que le progrès n'est pas linéaire, et que les solutions ne peuvent être uniquement techniques : du reste, certaines sociétés ont disparu alors qu'elles disposaient des solutions techniques. C'est bien dans l'équilibre entre les hommes et la Nature, les écosystèmes et entre les hommes, que l'on pourra écrire un nouvel avenir plus supportable et plus humain.
La biodiversité ne peut être conçue que dans cette logique. Je vous souhaite d'excellents travaux. »
source http://www.natureparif.fr, le 5 juin 2009