Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur l'essor des biotechnologies, la politique de développement engagée par le Gouvernement dans ce secteur, l'innovation et la recherche et les mesures en faveur de la création d'entreprises innovantes, Lyon le 29 mars 1999.

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Circonstance : Clôture du colloque "Biovision" à Lyon le 29 mars 1999

Texte intégral

Monsieur le Premier ministre,
Messieurs les ministres,
Honorables invités,
Mesdames et Messieurs,
Dans la sphère du savoir, notre siècle sachève sur une " révolution biologique " sans précédent, qui embrasse dans un même mouvement la recherche et lindustrie. " Révolution " : le terme nest pas trop fort, car cest le statut même du vivant qui est en cause. Si les biotechnologies ouvrent un vaste potentiel, riche de grandes promesses, comme en témoigne le dynamisme de la région lyonnaise dans ce secteur, elles génèrent des interrogations et suscitent des craintes. Par la qualité de ses travaux, votre colloque apporte une contribution importante au débat qui doit accompagner lessor de ces biotechnologies. Cest pourquoi je suis heureux, répondant à linvitation du maire de Lyon, M. Raymond BARRE, de clore votre rencontre en vous présentant la double inspiration qui guide la politique engagée par mon Gouvernement : soutenir le développement des biotechnologies, maîtriser les risques quelles suscitent.
I Parce quil est riche de grandes promesses, lessor des biotechnologies bénéficie du soutien du Gouvernement.
Promesse de mieux soigner les hommes, tout dabord. Connaître le génome humain, identifier les facteurs génétiques impliqués dans certaines pathologies, élaborer des techniques plus sûres de production de médicaments : ces méthodes de diagnostic et ces thérapies nouvelles, évoquées devant vous, vendredi, par Bernard KOUCHNER, bouleverseront le traitement de certaines maladies.
Promesse de mieux nourrir les habitants de notre planète, ensuite. Au milieu du siècle prochain, la Terre portera près de 10 milliards dêtres humains qui auront besoin dune production agricole plus abondante et mieux répartie. En améliorant la résistance des plantes aux maladies et aux prédateurs, en réduisant le recours aux produits phytosanitaires, en adaptant les végétaux à des conditions extrêmes de salinité, de sécheresse ou de température, les biotechnologies contribueront à satisfaire ces nouveaux besoins. Les pays en développement pourraient ainsi conquérir de nouveaux territoires agricoles. Leau et les sols, ressources essentielles à notre avenir commun, seraient mieux préservés.
Promesse dexpansion économique, enfin. Les biotechnologies sont aujourdhui lun des moteurs de la croissance, en particulier aux Etats-Unis. LEurope, et bien sûr la France, disposent de bases scientifiques et technologiques de grande qualité quil nous faut valoriser. En 2005, le marché des biotechnologies en Europe pourrait représenter 250 milliards deuro et 3 millions d'emplois.
Pour donner corps à ces promesses, le Gouvernement a engagé une politique de développement des biotechnologies. Rapprocher les inventeurs des innovateurs, encourager la création dentreprises innovantes, garantir à linnovateur la récompense de son effort créateur : tels sont les objectifs des mesures que jai annoncées, le 12 mai 1998, lors des Assises de linnovation.
Il faut dabord rapprocher les inventeurs des innovateurs. La frontière entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée sestompe. Les inventions débouchent de plus en plus rapidement sur des innovations. A peine la cartographie du patrimoine génétique débute-t-elle, que déjà des entreprises sont créées en France pour en exploiter les résultats en matière de thérapies géniques. Grâce aux travaux précurseurs des professeurs WEISSENBACH et COHEN, forts de la synergie réalisée par le Génopôle dEvry entre laboratoires publics et industriels de premier plan, le déchiffrement de la séquence complète du génome humain est à notre portée dans les deux ans qui viennent. Notre pays doit tenir son rang dans ce projet scientifique : le Gouvernement y veillera.
Mais pour stimuler linnovation, la recherche doit se rapprocher plus encore de lindustrie, et les organismes publics des entreprises privées. Le projet de loi sur linnovation et la recherche, soumis au Parlement par Claude ALLEGRE, permettra aux chercheurs de valoriser immédiatement les résultats de leur travaux au sein dentreprises quils auront créées, ou avec lesquelles ils coopéreront. Il donnera aux centres universitaires et de recherche des possibilités accrues de coopération avec le secteur privé. Le Fonds national de la science et le Fonds de la recherche technologique que nous avons créés favoriseront des actions interdisciplinaires dans des domaines nouveaux et des partenariats entre recherche publique et entreprises. Ainsi, le programme " Génoplante ", doté de 1,4 milliards de francs sur cinq ans, permettra de sélectionner des variétés nouvelles de blé, de colza ou de riz de meilleure qualité et plus respectueuses de lenvironnement. Pour donner à lEurope sa place dans la compétition, je souhaite que ce programme soit élargi à nos partenaires allemands.
Pour encourager la création dentreprises innovantes, le Gouvernement a pris depuis deux ans des mesures fortes en faveur du capital-risque. Les fonds disponibles ont doublé. Avec plus de dix milliards de francs, la France est aujourdhui au deuxième rang en Europe. Le problème, ancien dans notre pays, du financement de linnovation est donc en voie de règlement. Consentant des investissements longs à rentabiliser, les entreprises de biotechnologie ont aussi besoin de temps pour mûrir et croître. Cest pour leur offrir un cocon protecteur que Claude ALLEGRE et Dominique STRAUSS-KAHN ont lancé un appel à projets, doté de 200 millions de francs, pour installer sur les campus scientifiques des " incubateurs dentreprises " et aider la création de " fonds damorçage ". Dans ce cadre, le CNRS prépare déjà une initiative. Je sais que la communauté urbaine de Lyon participe à ce projet " Bio-amorçage ", premier fonds de ce type pour les biotechnologies en France.
Enfin, il faut protéger et récompenser leffort des innovateurs. Lors des Assises de linnovation, javais annoncé une initiative française pour réformer le brevet européen. Les travaux entrepris par Christian PIERRET permettront de réunir à Paris une conférence ministérielle de lOffice Européen des Brevets : je linaugurerai le 24 juin prochain. La France proposera à ses partenaires des objectifs ambitieux : abaisser de moitié les coûts liés à lobtention des brevets, raccourcir des procédures trop longues qui pénalisent linnovation, accroître lefficacité et la sécurité juridique de la protection du brevet, en créant notamment une juridiction dappel européenne.
Ainsi pourra saccélérer le développement des technologies du vivant. Dans le même temps, nous entendons tenir compte des réticences que cet essor fait naître.
II Nous voulons assurer le développement harmonieux des biotechnologies en régulant démocratiquement leur usage.
Ces nouvelles technologies suscitent souvent des craintes, parfois même des fantasmes. Et il est vrai que la peur de linnovation est aussi ancienne que linnovation elle-même. Le mythe de Prométhée est fondateur de lhumanité. Mais des réactions parfois peu rationnelles sexpliquent surtout par la difficulté daccéder à une information scientifique complète et den maîtriser pleinement la compréhension.
Les biotechnologies peuvent également présenter des risques réels pour la santé publique comme pour lenvironnement. Nos concitoyens sont aussi des consommateurs, légitimement soucieux de linnocuité de leur alimentation, et des patients, préoccupés des effets des traitements qui leur sont administrés. Par ailleurs, des dommages irréversibles pourraient être infligés aux équilibres fragiles de la biodiversité.
Enfin, un usage incontrôlé de ces techniques pourrait porter atteinte aux libertés et à la dignité de lHomme. Ces techniques touchent en effet à ce que la vie a de plus intime. Elles donnent à lhumanité un pouvoir que les grandes religions monothéistes avaient réservé à Dieu : celui de modifier, " daméliorer ", de " créer " lHomme. Conformément à limpératif kantien, lêtre humain doit être traité comme une fin, non comme un moyen. Pas plus que le corps social ne doit sapproprier le corps humain, le développement et lusage des biotechnologies ne peuvent être abandonnés au seul jeu des forces du marché. Il nous faut empêcher que lemploi de tests génétiques ne donne lieu, demain ou après-demain, à de nouvelles discriminations. Préventive et prédictive, la médecine du prochain siècle doit rester accessible à tous, indépendamment du niveau déducation ou dinformation. Il nous faut trouver un équilibre entre les aspirations des chercheurs, les intérêts des entreprises et les principes humains fondamentaux auxquels nous sommes attachés.
Cest pourquoi il appartient à lEtat, garant de lintérêt général, de réguler lusage des biotechnologies. Pour dissiper les fantasmes et prévenir les risques, notre démocratie doit savoir organiser un débat constant, vigilant et serein sur les questions de sécurité et déthique soulevées par les biotechnologies.
Evaluer, surveiller, informer : telle est la méthode retenue par le Gouvernement pour garantir la sécurité du consommateur. Elle a été mise en pratique avec larrivée des organismes génétiquement modifiés.
Evaluer, tout dabord : lévaluation rigoureuse des risques au cas par cas est fondée sur une expertise scientifique transparente, indépendante et contradictoire. Des autorisations ont pu être accordées à certaines lignées de maïs dont labsence de risques pour la santé ou lenvironnement avait été établie par les instances scientifiques. En revanche, les espèces végétales, comme le colza ou la betterave, pour lesquelles les risques de dissémination ne sont pas encore maîtrisés, font lobjet dun moratoire de deux ans. Mais le " principe de précaution " qui nous guide est parfois mal interprété. Pour quil soit appliqué avec mesure, sans nous priver des bénéfices des technologies nouvelles, il convient den préciser, pour lavenir, la portée. J'ai donc confié une étude à Mme Geneviève Viney, professeur de droit à luniversité, et à M. Philippe Kourilsky, professeur au Collège de France. Leurs propositions permettront daméliorer la préparation et le suivi des décisions publiques, ainsi que laccès des citoyens à linformation.
Surveiller, ensuite : les moyens de surveillance et de contrôle sont renforcés. Afin dassurer un suivi rigoureux de ces décisions, Jean GLAVANY, le ministre de lAgriculture et de la Pêche, et Dominique VOYNET, la ministre de lEnvironnement et de lAménagement du territoire, ont mis en place un dispositif de biovigilance. Celui-ci sera conforté par les mesures législatives adoptées dans le cadre de la loi dorientation agricole. Parallèlement, la nouvelle Agence française de sécurité sanitaire des aliments coordonnera les recherches et renforcera lexpertise sur les risques sanitaires liés à la consommation des OGM.
Informer, enfin : le débat public est organisé sur la base dune large information des consommateurs. Tant au niveau national quau niveau européen, le Gouvernement oeuvre pour imposer un étiquetage fiable des OGM et pour organiser la " traçabilité " de ces produits. Lan dernier, pour la première fois, une conférence de citoyens a permis, sous légide de lOffice parlementaire des choix scientifiques et technologiques, denrichir la réflexion collective et de préciser les attentes des Français. Pour prolonger cette concertation, jai confié à Marilyse Lebranchu, secrétaire dEtat en charge de la protection des consommateurs, une mission interministérielle de dialogue avec lensemble des acteurs concernés par le développement des biotechnologies végétales. Elle proposera des mesures pour mieux informer les consommateurs et leur garantir une réelle liberté de choix.
Nous devons aussi adapter le cadre éthique dune recherche en constant progrès. La loi sur la bioéthique de 1994 prévoit sa propre révision au terme dune période de cinq ans. Lavancée rapide des connaissances souligne la sagesse de cette disposition. En témoignent le développement des techniques de clonage, ou lobtention de lignages de cellules souches embryonnaires. Si le clonage humain à visée reproductive reste interdit, le clonage non reproductif connaîtra sans doute dans lavenir des usages thérapeutiques. Les conditions dans lesquelles ces procédés pourraient être autorisés méritent une réflexion approfondie. Afin de préparer la révision de la loi, je demanderai à la section des études du Conseil dEtat de me soumettre un rapport. En se fondant sur la synthèse des travaux préparatoires déjà engagés et sur des avis recueillis auprès de la communauté scientifique, il fera lanalyse des imperfections du texte actuel et formulera des propositions pour lamender. Je souhaite que le Conseil des ministres soit saisi, avant la fin de cette année, dun projet dadaptation et dactualisation de la législation actuelle.
Dans un monde ouvert, nous ne pouvons limiter nos efforts à notre seul pays. Cest pourquoi le gouvernement français défendra, dans le commerce mondial, une conception large du principe de précaution. Quant aux conditions de la mise sur le marché de produits issus de ces nouvelles technologies, les sensibilités diffèrent selon les pays. C'est dans le cadre de l'OMC, et non par des mesures unilatérales, quil faut régler les conflits commerciaux nés de ces différences dappréciation. L'organe de règlement des différends de l'OMC la rappelé : il incombe aux Etats d'apprécier le niveau de protection souhaitable pour leurs citoyens, dès lors que des doutes scientifiques le justifient. Le gouvernement français sassurera, dans le cycle de négociations commerciales qui débutera lan prochain, que les règles retenues permettent à chaque Etat d'y veiller.
De même, la France entend oeuvrer à la prise en compte des préoccupations éthiques en Europe et dans le monde. Elle a contribué à la constitution du premier groupe européen déthique, mis en place en 1992 par Jacques DELORS, très écouté aujourdhui dans lélaboration du droit européen des biotechnologies. Notre pays a été particulièrement actif lors de ladoption, dans le cadre du Conseil de lEurope, de règles communes sur le clonage. La France a été à lorigine de la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de lHomme adoptée en 1997 par lUNESCO puis approuvée, en 1998, par lAssemblée générale des Nations Unies. Ce premier texte juridique de portée universelle sur la bioéthique correspond au début dune réflexion à approfondir.
Enfin, et je voudrais insister sur ce point, les fruits du progrès scientifique ne doivent pas être réservés aux peuples favorisés de la planète. Quand les biotechnologies permettent de faire reculer la souffrance et la mort, il serait insupportable pour la conscience humaine que les plus pauvres soient exclus de cette avancée. La France a donc proposé à la communauté internationale de créer un fonds de solidarité thérapeutique contre le SIDA. Cette initiative forte et originale, suivie par Bernard KOUCHNER en liaison avec Charles JOSSELIN, est, à mes yeux, exemplaire. Dans le même esprit, et afin de lutter contre certaines maladies endémiques dans les pays en développement, chercheurs et entreprises doivent unir leurs savoirs. A notre initiative, les instituts publics, lInstitut de recherche pour le développement (IRD) et lInstitut Pasteur, mais aussi lAgence nationale de recherche sur le sida (ANRS), le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), lInstitut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), doivent se rapprocher des compagnies pharmaceutiques pour développer de nouvelles molécules actives contre le paludisme.
Mesdames et Messieurs,
Comme toute technique nouvelle, les biotechnologies posent à la démocratie cette question soulevée par Jürgen HABERMAS : " Comment le pouvoir de disposer techniquement des choses peut-il être réintégré dans le consensus des citoyens " ? A cette interrogation, le Gouvernement entend répondre en affirmant la souveraineté de la société sur ces instruments de développement. Nous le ferons ensemble, en organisant un dialogue permanent entre citoyens, industriels, chercheurs, autorités morales et religieuses. En donnant à chacun les moyens dexercer ses responsabilités et son libre choix. En faisant que ces techniques du vivant soient, pleinement, des techniques " pour les vivants ".
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 06 avril 1999)