Déclaration de Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement, sur les grandes orientations de la politique de l'aménagement du territoire et le projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public en faveur du logement, Metz le 21 septembre 2012.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : 82e Congrès de l'Assemblée des départements de France (ADF), à Metz (Moselle) les 19, 20 et 21 septembre 2012

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Préfet
Mesdames, messieurs les Parlementaires,
Mesdames les Présidentes,
Messieurs les Présidents,
Mesdames et messieurs les Élus,
Mesdames et Messieurs,
Vous avez choisi de placer votre 82e congrès sous le signe de « la France des territoires ».
Ce socle de réflexion est non seulement d’une grande actualité, mais il est aussi précurseur. La richesse de l’actualité parlementaire et gouvernementale est, bien entendu, de mettre les territoires au coeur du changement que le Gouvernement souhaite voir naître.
C’est un engagement primordial que le président de la République a porté avec force et volonté lors de la campagne présidentielle : réconcilier les territoires et les mettre au coeur de l’action publique. C’est une volonté tirée aussi d’une expérience, puisqu’il a siégé parmi vous jusqu’à son élection.
C’est un engagement que le gouvernement ne compte pas décevoir. Les chantiers sont nombreux et ambitieux. Le Sénat ouvrira, vous le savez, dans quelques jours, les états généraux de la démocratie territoriale qui seront l’occasion de repenser cette démocratie en partant de la vision et de la connaissance des élus de terrains. C’est dans ce sillon que le Gouvernement place sa conception. Il ne prétend pas et ne prétendra pas faire à la place du terrain, mais avec le terrain, pour répondre à ses besoins et à son expérience.
Vous aurez l’occasion d’échanger longuement à ce sujet avec ma collègue Mme Marylise Lebranchu, ministre de la Réforme de l’État, de la Décentralisation et de la Fonction publique, mais vous le savez d’ores et déjà : l’acte III de la décentralisation qu’elle conduit est un engagement qui est au coeur des préoccupations du président de la République, du Premier ministre et de l’ensemble du Gouvernement.
Reconsidérer, mieux orienter, mieux équilibrer le pouvoir local tout en respectant et en renforçant sa légitimé, telle est notre ambition.
Mais l’expérience des trente dernières années, nous a aussi appris que la question des compétences et de leur répartition ne suffit pas toujours à répondre aux immenses enjeux qu’ont en main les collectivités locales. Au-delà de ce chantier décisif, il nous faut aussi rétablir des équilibres et agir pour la justice sociale.
Au cours des dix dernières années, les inégalités entre les territoires se sont creusées. Toute vision politique ambitieuse de l’aménagement du territoire a été abandonnée. Des pans entiers de notre pays ont été livrés au danger du laisser-faire, les territoires riches ont reçu toujours plus de moyens au nom de la compétition et les autres ont parfois été délaissés.
La géographe de formation que je suis a vu se creuser les fossés, avec des injustices, parfois même favorisées par une action publique qui semblait avoir oublié l’impératif d’égalité. C’est sans doute le résultat d’un abandon d’une vision de la politique de l’aménagement du territoire très dirigiste, mais le laisser-faire ne peut être une réponse à la situation actuelle.
Vous l’avez indiqué, Monsieur le Président, les études géographiques récentes montrent un fort taux de migration des populations vers les petites villes. Cette évolution appelle à réfléchir à nouveau au polycentrisme, à la mise en réseau des villes moyennes et des campagnes, grâce notamment à un maillage approprié du territoire en termes de transports et de services publics. Ceci doit nous inviter à réfléchir autrement à la planification de l’espace.
Voilà l’enjeu de la création du ministère de l’Égalité des territoires. Il ne s’agit pas là d’une opération de communication ou d’une lubie passagère, mais d’un véritable défi des temps à venir. Trente ans après le début de la décentralisation, je crois qu’il y aura après moi bien d’autres ministres en charge de cette politique.
Le quotidien des départements et les attentes de vos administrés correspondent en premier lieu à ce vaste projet. Par les politiques d’action sociale et par l’échelon de proximité que représente le département, vous avez souvent porté seuls une part de la responsabilité de l’État. Vous avez fait face, je le sais, à des missions que vous n’auriez pas dû assumer seuls, et vous avez souvent dû répondre présents là où l’État s’était désengagé, au moment où la crise s’aggravait.
Nous voulons mettre un terme à cette pratique. La justice sociale n’est pas la vocation seule des collectivités et la justice territoriale est une obligation de notre pays. C’est une obligation renouvelée par une société qui change.
La société française est traversée de nouvelles fractures qui ont changé d’échelles et se jouent au niveau le plus fin.
La géographie de la France change. Au sein des régions, les inégalités deviennent plus marquées.
Dans les villes qui possèdent des quartiers sensibles, comme à la périphérie des espaces métropolitains.
Dans les villes petites et moyennes, frappées par la désindustrialisation.
Dans les campagnes, dans le monde « hyper rural », qui peine à accéder à des services essentiels.
La crise économique meurtrit les territoires, renforce certaines logiques d’exclusion et de précarité. Ces inégalités appellent une réinvention de l’aménagement du territoire, appuyée sur des stratégies locales adaptées à des publics et à des territoires aux besoins distincts. L’accélération des mobilités, dans les grandes métropoles urbaines ou sur les littoraux, met en échec les outils classiques de redistribution spatiale fondés sur la compensation du centre vers la périphérie. Ces outils sont inopérants face à cette nouvelle dynamique en « archipel », qui est celle de l’espace français. Mais si cette évolution appelle à revoir nos outils, elle confirme que l’on ne peut chercher à construire un modèle unique de développement territorial.
Je veux de ce point de vue rompre avec la logique qui a été celle de notre pays pendant les dix dernières années.
Rompre avec une politique de concentration des moyens sur quelques territoires, sous le prétexte erroné de la compétitivité.
On ne peut pas abandonner le tissu productif en région. C’est notre patrimoine, ce qui nous vient de l’histoire, et c’est notre avenir, une chance pour nos enfants. Nous devons rendre chaque territoire robuste, résilient.
À l’âge de la transition écologique et énergétique, il nous faut repenser un aménagement différent, qui s’appuie sur la mise en réseau des territoires, les connecte entre eux autour de savoir-faire, de mobilités, de circuits courts. Nous devons repenser le développement de chaque espace à partir de ses capacités, de son développement humain, en valorisant l’intelligence locale, la capacité d’auto-organisation, les projets, l’innovation.
L’évolution qui nous oblige à réfléchir à nouveau au polycentrisme, à la mise en réseau des villes moyennes et des campagnes, grâce notamment à un maillage approprié du territoire en termes de transports et de services publics, est une chance. Elle doit nous inviter à réfléchir autrement à la planification de l’espace.
Dans cette évolution, l’aménagement numérique du territoire constitue un enjeu majeur. Le rôle du numérique dans la diffusion de nouvelles façons de vivre, plus sobres en carbone, grâce au télétravail, à l’accès à de nouveaux services, suffirait à le justifier. Mais il représente plus que cela. Notre époque vit l’émergence d’un nouveau droit social, qui conditionne l’accès à la culture, à l’information, au travail : le droit à être connecté. Les agriculteurs le savent bien qui peinent déjà parfois à envoyer leurs déclarations à la PAC. Que dire des autres professions ? La fracture numérique, qui sans cesse progresse, doit être mesurée à cette aune. Elle nous oblige tous.
Je me suis engagée avec une grande résolution dans la lutte pour un aménagement numérique du territoire. La tâche est ardue, vous le savez bien, vous qui depuis dix ans affrontez presque seuls les zones blanches et le désengagement de l’État, voire de certains opérateurs. Je prends quelques exemples qui sont peut-être représentés ici : la Manche, l’Oise, la Haute-Savoie et tant d’autres préparent déjà des solutions pour leurs habitants. J’ai demandé à mes services de se mettre rapidement au service des collectivités territoriales. Le premier pas a été fait : réunir autour d’une table les opérateurs privés et les collectivités pour s’assurer que les réseaux seront réalisés et exploités. La seconde étape – elle est en cours – sera de voir ensemble comment assurer la péréquation nationale pour favoriser le développement des réseaux. La troisième consistera à mutualiser les efforts des collectivités, en matière de système d’information ou pour la commercialisation pour peser face aux grands opérateurs. La volonté de l’État et la mienne, je vous l’ai indiqué, est très grande pour attaquer cette situation aujourd’hui. Nous ne pouvons nous permettre d’attendre encore, la fracture numérique deviendrait alors une source de souffrance et une raison de départ de certains territoires. Nous en sommes parfaitement conscients.
Vous avez parlé, Monsieur le Président, de la question du logement. Vous savez, nous travaillons en ce moment sur une loi que va voter le Parlement la semaine prochaine, et qui va contribuer à cette mobilisation nationale en faveur du logement. Mais je voulais dire devant vous, représentants des départements, à quel point je sais le rôle déterminant qu’ont joué les collectivités locales, les départements en matière de financement du logement, en particulier pour l’accueil de publics spécifiques, comme les personnes en situation de handicap, les personnes âgées ou les jeunes.
Je sais aujourd’hui que cette politique de solidarité essentielle repose sur les collectivités territoriales, et je vous proposerai, à l’issue du vote de cette loi, comme à l’ensemble des présidents des autres associations d’élus, de signer ensemble un pacte de l’État et des collectivités locales pour le logement. C’est grâce à une mobilisation commune et partagée que nous répondrons à cette crise majeure que traverse notre pays. Je connais votre engagement, je souhaite le mettre en valeur. Je veux dire que l’État fixe un cap mais que c’est grâce à la mobilisation de l’ensemble des collectivités locales, quelle que soit leur couleur politique, que ce cap pourra être tenu et qu’il répondra aux besoins des habitants de ce pays.
Vous le voyez à travers ces politiques, il nous faut changer de paradigme. Et ce changement de paradigme, c’est une redéfinition du rôle de l’État et des collectivités territoriales. L’âge où l’État décidait tout depuis Paris, concernant l’aménagement du territoire ou la politique du logement, est révolu. Les effets pervers de l’éloignement de la décision sont bien connus. C’est tout le sens du développement des responsabilités locales depuis trente ans qui doit se poursuivre. Aujourd’hui, chacun le sait bien, aucune politique nationale ne serait possible sans l’appui des collectivités territoriales. De nouvelles interactions doivent donc être trouvées entre l’État et les collectivités territoriales, entre les villes et les campagnes. Nous devons penser collectivement un nouveau mode d’organisation. C’est le chantier du ministère de l’Égalité des territoires : repenser cet équilibre sur le territoire national, et le repenser au plus près des collectivités locales et des acteurs, tisser un lien nouveau entre l’État et les collectivités territoriales.
Et je le dis avec force : dans ce cadre-là, l’État doit demeurer un stratège, garant de l’égalité entre les territoires et entre leurs habitants. Il doit créer les conditions pour que chaque territoire puisse être productif, robuste, résilient.
Pour ma part, je crois beaucoup à trois principes qui peuvent nous guider dans ce chantier : je crois au contrat, je crois aux projets, je crois à la nécessité d’une réorganisation des compétences en fonction des situations locales.
Je suis persuadée que le défi de cette décennie n’est pas de constituer des blocs de compétences étanches les uns par rapport aux autres. Ils existent d’ailleurs déjà en partie, mais il faut pouvoir achever certaines évolutions entamées. Il faut aujourd’hui prendre acte de la différence des contextes locaux. Et réorganiser les relations entre acteurs pour répondre aux usagers. Dans les départements ruraux, nombreux sont les EPCI qui n’ont pas la taille critique pour assumer pleinement certaines compétences, ce qui appelle un rôle renouvelé des conseils généraux. Lorsqu’un pôle métropolitain existe, la prise de décision au plus près du terrain peut en revanche être souhaitable. Notre défi collectif est de s’assurer que chaque territoire dispose d’une réponse adaptée à ses besoins et à ceux de ses habitants.
Ceci est vrai, par exemple, pour les services publics. Je crois au besoin d’une relation physique. Et je le redirais. Je crois que nous ne résoudrons pas l’ensemble des questions par la dématérialisation, notamment pour l’accueil, l’écoute, l’orientation et le conseil. Il nous faut donc imaginer de nouvelles solutions, en capitalisant sur les expérimentations réussies, notamment dans certains départements, sur les mutualisations qui marchent, qui peuvent être répliquées et qui permettent de maintenir un service public avec un contact humain au plus près des habitants et sur l’ensemble du territoire, que ce soit dans les quartiers, les zones urbaines, les zones rurales ou cette « hyper ruralité » qui, ces derniers mois, a exprimé sa souffrance de manière très vive, dans les urnes.
Je le redis, notre responsabilité, c’est de coordonner les réponses des acteurs, les moyens de l’État, y compris les effectifs, l’action économique des régions, les dispositifs sociaux des départements et l’action du bloc communal. C’est pourquoi, je propose que l’on puisse prévoir des ajustements des compétences en fonction d’un diagnostic partagé et d’un projet, dans le cadre d’un contrat. Tout n’est pas univoque, sur l’ensemble du territoire. Pas seulement entre collectivités, mais aussi, vous avez évoqué la possibilité de transfert d’aides à la pierre, entre l’État et les collectivités. Ce contrat ne porterait pas alors que sur les compétences. Il s’appuierait sur un diagnostic, sur un projet, prévoirait donc des objectifs partagés, des compétences et la contribution de chacun des acteurs à sa réalisation, et il engagerait aussi l’État, durablement.
Ce contrat-là, différencié pour être juste, permet de mobiliser les acteurs. Il me semble pouvoir enclencher les dynamiques vertueuses dans chaque territoire. Ce contrat-là permet de rendre possible un nouveau modèle de développement, social, écologique.
Les collectivités y ont toute leur place, vous l’avez compris. Et parmi elles, bien sûr et bien évidemment, les départements.
Je vous remercie.
Source http://www.territoires.gouv.fr, le 24 septembre 2012