Déclaration de M. Manuel Valls, Premier ministre, sur les objectifs de la réforme territoriale, notamment le regroupement des régions, l'avenir des conseils départementaux et le renforcement des intercommunalités, à Clermont-Ferrand le 2 juillet 2014.

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Circonstance : Réunion avec les élus, à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) le 2 juillet 2014

Texte intégral

Mesdames, messieurs les parlementaires,
Monsieur le ministre, cher René SOUCHON,
Monsieur le président du Conseil général, cher Jean-Yves GOUTTEBEL,
Monsieur le maire de Clermont-Ferrand, cher Olivier BIANCHI,
Mesdames, messieurs les élus,
Mesdames, messieurs,
Je vous remercie pour cette invitation qui nous permet de nous rencontrer, et d'aborder, ici, dans le Puy-de-Dôme, cette question essentielle de la réforme territoriale.
Clermont-Ferrand est connue pour de nombreuses raisons : son patrimoine architectural, sa nature environnante, son tissu industriel, son équipe de Rugby … mais … c'est aussi la ville natale de Blaise PASCAL … Et je ne doute pas que ses pensées sur la raison … et sur la conviction … président à notre rencontre !
Une rencontre qui se fait au moment où l'examen de la réforme territoriale débute au Parlement.
Au préalable, la semaine dernière, la commission spéciale, désignée par le Sénat, avait ouvert ses travaux et adopté des amendements au projet de loi sur la carte des régions.
Hier, le Conseil constitutionnel en a validé l'étude d'impact. Il a donc été réinscrit à l'ordre du jour du Sénat. Je m'en félicite et je souhaite à présent que nous avancions. Je souhaite que le texte fasse l'objet d'une première lecture dans les deux chambres avant la fin de la session extraordinaire de l'été.
Car il n'y a pas – il n'y a plus – de temps à perdre ! Nous devons engager cette réforme. Elle est nécessaire. La France en a besoin. Et les Français l'attendent.
Les difficultés de notre organisation territoriale, nous les connaissons tous. Vous, comme moi. J'ai été maire, et j'ai été président d'une agglomération. J'aime et je respecte le mandat d'élu local. Je connais, comme chacun d'entre vous, la beauté et la grandeur de cet engagement au service de la collectivité ; au service de l'intérêt général. Mais je mesure aussi l'investissement personnel qu'il demande et les difficultés que l'élu peut rencontrer. Tout comme vous, je sais la perte d'énergie, de temps, et d'argent qu'une organisation territoriale trop lourde peut générer.
Au fil du temps, notre organisation territoriale est devenue trop complexe, trop peu lisible pour nos concitoyens, ou pour nos entreprises. L'Etat lui-même n'a pas toujours su choisir et n'est pas allé jusqu'au bout de la logique de la décentralisation. Et c'est également cela qui nourrit le sentiment de lourdeur de l'action publique.
Les Français attendent cette réforme territoriale. Et ils attendent de nous, acteurs publics, responsables politiques, que nous ayons le courage de la mener. Le courage de dépasser les clivages. Le courage d'aller au-delà des conservatismes qui, trop souvent, freinent notre pays.
Les Français savent que notre organisation territoriale doit être revue, et que nous avons trop longtemps tergiversé … Ils nous regardent, et ils veulent que nous agissions.
Nous nous rencontrons donc aujourd'hui au moment où débute, à l'initiative du Président de la République, un grand mouvement pour nos territoires. J'ai écouté, j'ai lu les débats et les positions prises par les élus. Y compris les vôtres, ici dans le Puy-de-Dôme. J'ai noté les interrogations, les inquiétudes parfois. Et si je suis avec vous, ici, à Clermont-Ferrand, c'est aussi pour les écouter, et y répondre.
Car aucune réforme de notre organisation territoriale ne sera possible sans un travail avec les élus locaux, avec vous, avec celles et ceux qui portent les politiques publiques au quotidien. Depuis le mois d'avril, j'ai rencontré toutes les associations d'élus, à Matignon. Dernièrement, je me suis rendu à la Journée des présidents d'agglomération, ainsi qu'aux Assises des petites villes à Annonay, en Ardèche.
Nos échanges d'aujourd'hui s'inscrivent dans cette même démarche : l'écoute, le dialogue, la concertation. Il faut laisser toute sa place au débat, notamment au débat parlementaire. Mais un débat constructif, où chacun –sur tous les bancs – prend ses responsabilités.
Car cette réforme, ce grand mouvement est indispensable pour l'avenir de notre pays.
[ 1. Nous avons besoin d'une organisation territoriale plus efficace]
Depuis trente ans, la décentralisation a profondément modifié l'architecture de la France. Elle a transformé la société en dynamisant les territoires, en donnant toute leur place aux initiatives locales et en renforçant notre démocratie avec des élus plus proches des citoyens.
Cette organisation décentralisée de la République s'est peu à peu affirmée comme un atout pour notre pays. Et c'est pourquoi, le président Jacques CHIRAC, et son Premier ministre Jean-Pierre RAFFARIN, l'ont faite inscrire en 2003 dans la Constitution. Cette grande avancée est ainsi devenue notre bien commun. Notre bien à tous.
Et c'est collectivement que nous devons veiller à ce que la décentralisation demeure toujours un atout pour la France. Pour cela, il est impératif de la faire évoluer. Nous devons simplifier et clarifier.
C'est d'abord un enjeu démocratique.
Les Français doivent savoir qui, parmi les collectivités, finance, décide et agit. Car lorsque les responsabilités ne sont pas clairement définies, les incompréhensions, les frustrations, et la défiance grandissent. Et vous tous élus, vous savez combien nous devons faire attention à ce lien démocratique qui est souvent si fragile.
La simplification et la clarification, c'est aussi un enjeu économique.
Elles sont nécessaires pour nos entreprises, pour qu'elles se renforcent, pour qu'elles gagnent du temps et qu'elles soient donc plus compétitives. Combien de fois, en effet, les entrepreneurs ne savent pas à qui s'adresser pour tel dispositif, ou telle compétence ?
Oui, nous devons simplifier et clarifier. En d'autres termes, notre organisation territoriale doit être plus efficace.
Et la première étape, c'est de bâtir des régions plus fortes bénéficiant de moyens et de compétences élargis.
Ces compétences, ce sont celles liées à la préparation de l'avenir : développement économique, accompagnement des entreprises, formation professionnelle, aménagement du territoire et politiques de mobilité. Et pour que ces nouvelles compétences prennent toute leur ampleur, il faut qu'elles s'inscrivent dans des territoires plus vastes, des régions plus grandes qui comptent davantage en Europe. D'où la nécessité d'une nouvelle carte regroupant des régions existantes.
Dans le cas de la région Auvergne, le Gouvernement a proposé une fusion avec la région Rhône-Alpes. Ce sera au Parlement de la confirmer … mais ce regroupement, c'est une chance pour les deux collectivités : par sa taille et son PIB, la nouvelle région pèsera davantage. Elle s'appuiera sur un réseau de grandes agglomérations dynamiques : Lyon, Saint-Etienne, Grenoble, et bien-sûr Clermont-Ferrand.
Je veux, à ce titre, saluer la proposition d'Olivier BIANCHI visant à transformer Clermont Communauté en communauté urbaine. Ce serait là un rééquilibrage pour la future grande région Rhône-Alpes-Auvergne. Et Clermont-Ferrand jouerait alors un véritable rôle de capitale d'équilibre du centre de la France.
Dans ce regroupement des deux régions, l'Auvergne apporte une réelle force, avec son industrie, ses savoir-faire, ses technologies, ses entreprises de renommée mondiale. Mais aussi avec ses activités touristiques, et ses universités. Chacun y gagne !
Le regroupement de régions, c'est en effet la mise en oeuvre de nouvelles dynamiques territoriales qui permettront la naissance de nouveaux projets. Ce sera d'autant plus vrai dans des régions comme les vôtres où les coopérations sont déjà très développées. Je pense par exemple au pôle de compétitivité ViaMéca qui regroupe des entreprises, des centres de recherche et de formation d'Auvergne et de Rhône-Alpes. Je pense également au canceropôle CLARA qui facilite et coordonne l'action des chercheurs et cliniciens. Le regroupement, c'est donc franchir une nouvelle étape !
Repenser l'organisation territoriale, c'est également une formidable opportunité pour faire évoluer les réseaux de transports, et relancer l'investissement dans le cadre du contrat de plan Etat- région.
La réforme territoriale s'accompagnera en effet d'une nouvelle génération de contrats de plan qui permettront de mobiliser les moyens au service des grands projets d'investissement. Signés entre le Gouvernement et les présidents de régions à l'automne 2014, ils entreront en application en 2015, jusque 2020, avec une clause de revoyure en 2016.
Une organisation territoriale plus efficace, c'est également la mutualisation des structures, et la rationalisation des compétences. C'est aussi comme cela que les collectivités réaliseront des économies et contribueront ainsi à la maîtrise de notre dépense publique.
Car vous tous le savez, nous ne pouvons plus vivre au-dessus de nos moyens. La dette, les déficits sont devenus insupportables. Nous devons donc redresser nos comptes publics. Mais nous devons le faire en veillant à ne pas casser la croissance qui revient. Nous serons donc vigilants dans la préservation de l'investissement des collectivités locales, si important pour notre économie.
[ 2. Nous avons également besoin d'une organisation territoriale plus proche des préoccupations des Français]
Nous avons besoin d'une organisation territoriale plus efficace. Nous avons également besoin d'une organisation territoriale plus proche des préoccupations des Français.
Il faut regarder la réalité en face : notre action publique n'a pas pu combattre le sentiment de relégation de certains territoires, ni enrayer l'accroissement des inégalités. Vous élus, vous vivez, vous connaissez les fractures qui divisent les espaces ruraux, péri-urbains, mais également les quartiers de nos villes. Ces fractures sont des menaces quotidiennes pour notre pacte social. Nous devons donc y apporter des réponses.
C'est pourquoi, avec le Président de la République, nous voulons que cette réforme de nos collectivités permette de renforcer la cohésion territoriale.
Il faut en effet répondre aux inquiétudes de nos concitoyens qui vivent à l'écart des centres les plus dynamiques. Quand les grandes villes, les métropoles rayonnent, attirent les centres de décision et les activités porteuses, elles se développent et créent de la croissance. Et elles ont alors une responsabilité vis-à-vis de leur territoire d'influence : elles doivent être solidaires pour que la dynamique métropolitaine bénéficie à tous.
C'est aussi pour cela qu'il faut construire des régions plus fortes. Car c'est à ce niveau que doit se faire la redistribution des richesses produites par les métropoles ; c'est à ce niveau que l'on met en oeuvre la cohésion territoriale.
Nous ne voulons laisser aucun territoire de côté. Et la réforme territoriale est utile car elle permet également de réaffirmer notre ambition pour la ruralité. Les territoires ruraux couvrent 90 % de notre espace national, et réunissent 40 % de la population française. Ils ne sont pas un témoignage du passé, ils sont une force pour notre pays.
Je connais le travail accompli par des présidents de conseil généraux, dans le cadre de la Mission « Nouvelles ruralités ». Vous avez identifié des pistes d'avenir. Vous avez montré concrètement que les territoires ruraux sont capables d'allier qualité de vie, innovation et solidarité. Et comme vous, je crois – pour reprendre les mots du rapport produit – que nous pourrons créer « de la fierté et susciter de nouvelles ambitions, pour renforcer l'espoir dans ces territoires ». J'ai donc demandé au gouvernement d'engager un travail en profondeur sur les enjeux de la ruralité.
La deuxième étape de la réforme territoriale, c'est la question de l'avenir des conseils départementaux et du renforcement des intercommunalités.
Je sais que pour certains territoires ruraux, dans les zones de montagne – et c'est le cas en Auvergne – cette question suscite des interrogations, voire des inquiétudes. Je veux y répondre.
Renforcer les intercommunalités – avec un seuil de 20 000 habitants au 1er janvier 2017 – ce n'est pas remettre en cause les communes. Elles demeurent le socle de notre organisation territoriale, et seront le seul échelon à disposer de la clause de compétence générale. Renforcer les intercommunalités, c'est favoriser les mutualisations entre les communes, et c'est agir pour l'égalité des territoires. C'est aussi permettre aux communes de prendre en charge de nouvelles compétences, et de nouveaux services publics pour mieux répondre aux besoins des habitants.
J'ai cette conviction : les communes et leurs intercommunalités demeurent le meilleur rempart contre le sentiment de relégation sociale et spatiale. Il faudra donc, avec les maires et présidents de communautés de communes, élaborer une carte qui repose sur les bassins de vie. Et nous serons pragmatiques. Dans un département comme le Puy-de-Dôme, dont les deux-tiers de la superficie sont des zones rurales et montagneuses, le seuil de 20 000 habitants fera l'objet d'aménagements. Le Président de votre région connaît d'ailleurs mieux que quiconque la spécificité des zones de montagne, lui qui a été le promoteur de la loi montagne, quand il était ministre.
J'ai été attentif aux interrogations de l'association des maires du Puy-de-Dôme. Votre motion sur la capacité des futures intercommunalités à assumer les compétences des conseils départementaux n'est pas illégitime. Vous contribuez ainsi au débat, dont j'ai dit tout à l'heure son importance pour construire la réforme.
Ce débat va se poursuivre au Parlement, notamment sur la répartition des compétences entre les régions et les intercommunalités. J'ai cependant souhaité que, pendant une phase transitoire, les conseils départementaux conservent leurs compétences essentielles. C'est-à-dire leurs compétences sociales, leurs compétences de solidarité territoriale – notamment leur mission de soutien aux communes et aux petites intercommunalités – ainsi que les services d'incendie et de secours.
Pour l'avenir, nous devons réfléchir ensemble au devenir des conseils généraux. Et nous devons avoir cette idée en tête : les réponses ne peuvent pas être les mêmes dans un département urbain comme le Rhône, avec la métropole lyonnaise, que dans des départements ruraux. Le débat qui se déroulera à l'automne sur le deuxième texte de la réforme territoriale portant sur les compétences des collectivités permettra de préciser l'organisation la plus pertinente pour les territoires ruraux.
Cependant, quelle que soit l'évolution des collectivités, nous devons être vigilants quant à la situation des fonctionnaires territoriaux, et des agents publics des collectivités qui, chaque jour, travaillent au service de la population, avec dévouement et implication. Ce sont eux qui connaissent et mettent en oeuvre les politiques publiques. Et ils auront un rôle décisif pour préparer les évolutions de la réforme. Je tiens à saluer leur travail : cela fait des années qu'ils participent à l'effort de maîtrise des dépenses, tout en répondant à l'exigence sans cesse croissante de nos concitoyens envers le service public. Le projet de loi garantira, naturellement, la protection de leur situation personnelle.
La réforme territoriale, c'est donc définir la bonne organisation, la plus efficace, pour les politiques de proximité et de solidarité.
Mais ce qui fait la France, ce qui fait la force de la République, c'est aussi l'implication de l'Etat pour garantir l'égalité de traitement entre les citoyens, c'est-à-dire pour assurer à chacun un accès équitable aux services publics.
Ce matin, trois communications sur la réforme de l'Etat ont été présentées en Conseil des ministres. Ce chantier va mobiliser l'ensemble du Gouvernement autour de Thierry MANDON, Bernard CAZENEUVE et Marylise LEBRANCHU. En tenant compte de la nouvelle carte des régions, l'Etat va se réorganiser au niveau régional. Dès le début de l'année 2015, un schéma d'organisation clair me sera proposé.
Je l'avais indiqué, dès mon discours de politique générale : le département restera une circonscription d'action de l'Etat. C'est au niveau du département que l'Etat doit assurer ses missions opérationnelles et régaliennes, mais aussi son rôle de garant de la cohésion sociale et territoriale. Certains territoires, et notamment les territoires ruraux, je le répète, en ont particulièrement besoin.
L'action de l'Etat, c'est une présence qui s'incarne. C'est pourquoi je souhaite que le lien de proximité qu'assurent les services départementaux de l'Etat, autour du corps préfectoral et des directions départementales, soit conforté.
Mais pour être efficace, l'Etat devra également faire la distinction entre les responsabilités qu'il doit continuer à assurer, et celles qu'il devra exercer autrement. D'autres, en revanche, ne seront plus de son ressort. Et pour garantir que les missions sont en cohérence avec les moyens, l'Etat devra privilégier, chaque fois que cela sera possible, la recherche de mutualisations ou de rapprochements de service. Des efforts sont demandés aux Français pour réduire nos déficits publics ; ces efforts concernent également l'Etat qui a un devoir d'exemplarité.
Mesdames, messieurs,
Efficacité et proximité : voilà les maîtres-mots de cette réforme territoriale. Mais cette réforme, c'est aussi la consolidation de la démocratie locale. Les Français font confiance avant tout à leurs élus locaux. A celles et ceux qui, comme vous tous ici, incarnent la République dans les territoires. Cette relation de confiance, il faut l'entretenir. Et cela passe par des évolutions de notre organisation territoriale.
Cette réforme, c'est enfin – et je veux insister sur ce point – la démonstration que la France peut aller de l'avant. Et que les élus peuvent, dans le dialogue, dans la concertation, aller au-delà des intérêts particuliers pour se retrouver autour de l'intérêt général.
Je connais le sens de la responsabilité des élus. Je sais que dans de nombreux exécutifs locaux, ils sont capables de dépasser les clivages. Et c'est justement cela dont nous avons besoin : dépasser les clivages pour faire sauter ces blocages qui ralentissent notre pays. Alors, ensemble, travaillons à réformer nos collectivités. Car réformer nos collectivités, c'est réformer la France. C'est préparer son avenir. C'est pour nous tous un bel objectif. Cette réforme doit se faire. Et je ne doute pas qu'ensemble, ici dans le Puy-de-Dôme, nous la ferons ! Et que nous la ferons partout, dans l'intérêt de notre pays, dans l'intérêt de la France !Source http://www.puy-de-dome.gouv.fr, le 9 juillet 2014