Déclaration de M. Michel Rocard, Premier ministre, sur la lutte contre les inégalités, au Conseil économique et social le 19 décembre 1989.

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Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
L'embellie économique ne marque pas la fin d'une crise dont nous sortirions pour retrouver le cours antérieur des choses.
Nous vivons plutôt une grande mutation dans laquelle la géographie économique et le paysage social changent progressivement de perspectives.
Après des années et des années de difficultés, il est évidemment tentant de voir dans la croissance retrouvée la promesse d'une prospérité sans effort.
En fait, le retour de la croissance pose dans des termes différents le problème des efforts qui doivent être partagés, des solidarités qui doivent être renouées.
Les termes de ces débats ont été profondément renouvelés :
- d'abord, sous la pression de l'environnement, puisque la concurrence internationale ne cesse de se durcir et que les bouleversements géopolitiques ne nous laissent pas d'autre choix que d'être forts ;
- ensuite sous l'influence d'évolutions économiques et sociales profondes qui ont changé la physionomie du pays et introduit de nouveaux facteurs d'inégalités.
Le Conseil Economique et Social, qui réunit les représentants de toutes les activités et de tous les milieux socio-professionnels est, par sa composition et par son expérience, un lieu privilégié pour débattre de ces défis nouveaux.
Je voudrais tout d'abord vous faire part de mon analyse sur la répartition du revenu et la question des inégalités.
Il est vrai, que la répartition des fruits de la croissance n'a pas été, pendant la plus grande partie de la décennie 80, aussi équitable que je l'aurais souhaité.
Trois évolutions structurelles fondamentales expliquent à mes yeux un malaise social compréhensible.
J'insisterai, d'abord, sur l'inégalité des revenus du travail et du capital. En distinguant à ce propos la meilleure rémunération de l'épargne, que je crois positive, et la concentration du patrimoine, que j'estime excessive.
La rémunération de l'épargne a progressé de manière rapide grâce aux mouvements croisés de hausse des taux d'intérêt et de désinflation.
Cela est sain :
- D'abord parce que c'est une incitation à l'effort d'épargne qui prépare l'avenir ;
- Ensuite, en termes de justice sociale, parce l'épargne est, pour la très grande majorité des Français constituée par les revenus du travail qui ont déjà acquitté l'impôt.
- Enfin, parce que l'inflation des années 70 avait organisé une véritable spoliation de l'épargne contre laquelle le Président de la République s'était engagé en 1981 à lutter.
Mais il y a la question des patrimoines. Et c'est là que réside une source croissante d'inégalités : dans la France des années 80, 10 % des ménages possèdent la moitié du capital, 5 % d'entre eux possèdent 56 % du capital boursier.
Dans un contexte marqué par des taux d'intérêt réels élevés et par un allègement de la fiscalité du capital en Europe et dans le monde, cette concentration du patrimoine crée des phénomènes nouveaux.
L'argent va à l'argent, les fortunes prospèrent plus vite que la petite épargne. Le seuil de tolérance, pour les inégalités du patrimoine, est proche car les citoyens n'ont jamais admis longtemps que la richesse accumulée obtienne sans risque des revenus trop importants.
Mais la réalité du malaise salarial est bien plus profonde. Elle met en cause l'archaïsme de notre système d'organisation du travail.
Celui-ci est resté hiérarchisé, centralisé, opaque et, de ce fait, inadapté à l'exigence de reconnaissance et de responsabilité de salariés de mieux en mieux formés.
Le divorce s'accroît entre les possibilités nouvelles qu'offre le changement technique et une organisation taylorienne du travail obsolète, qui bride l'esprit d'initiative et fait désormais obstacle à des gains de productivité dont la ressource humaine est le moteur le plus puissant.
Les plus conscients de ce divorce sont bien sûr les jeunes générations. Qui n'a vu, en effet, dans les conflits sociaux les plus récents, la part qu'y prennent les jeunes, frustrés par l'usage trop médiocre qui est fait de leurs potentialités ?
Le troisième changement majeur intervenu durant cette décennie est précisément de nature démographique.
C'est probablement le point sur lequel le constat est le plus satisfaisant mais aussi le plus cruel pour notre société.
Le constat est satisfaisant en ce qui concerne les personnes les plus âgées auxquelles la dignité est, dans l'ensemble, enfin reconnue : la sécurité de retraites revalorisées, le logement en propriété ou à loyer modéré, les revenus d'une épargne accumulée. Chacun peut et doit s'en réjouir puisque c'est le résultat d'une volonté, d'un effort national mené depuis des années.
Mais le constat est cruel, à l'opposé, lorsqu'il analyse en détails le parcours d'obstacles que constitue l'entrée dans la vie active : aux plus jeunes, trop souvent, la précarité de l'emploi, des revenus inférieurs au SMIC, les difficultés d'accès au logement.
Certes, je simplifie ainsi à l'extrême. Il y a, chacun le sait, des jeunes aux revenus aisés et des personnes âgées qui vivent toujours dans le dénuement. Mais au total, quel changement radical par rapport aux années 60 !
La décennie 90 sera celle d'une génération dont l'entrée dans la vie active s'est faite au plus fort de la grande mutation. Il faut éviter qu'elle n'en sorte aigrie et meurtrie et tout faire au contraire pour qu'elle apporte au pays une plus grande force de caractère.
Si j'ai d'abord tourné mon regard vers le passé, c'était pour insister sur le fait qu'on ne peut plus parler aujourd'hui de la société française avec le même discours sur les inégalités qu'il y a dix ou vingt ans. Parler d'un "nouveau projet social", c'est d'abord reconnaître que la décennie 90 nous amène à relever de nouveaux défis.
La pire des erreurs serait dans ce contexte, l'éparpillement des ressources, l'absence de priorité. Donner un peu plus à chacun n'apporterait que des satisfactions illusoires.
Au risque d'être exposé à la critique de tous ceux qu'arrangerait le saupoudrage, j'entends, pour ma part, choisir mes objectifs et concentrer les moyens.
Sortir du chômage, voilà la toute première des priorités, parce que le chômage est la pire des inégalités, celle qui brise l'élan de la jeunesse, qui étouffe l'expérience des chômeurs de longue durée, celle qui, un jour, pourrait détruire la société.
Nous ne pouvons oublier les années où, malgré une politique courageuse de rigueur salariale, nous assistions, pratiquement impuissants, à la montée du chômage que les travaux d'experts extrapolaient de manière inexorable pour la décennie à venir.
C'est cette apparente fatalité contre laquelle j'ai choisi de mobiliser l'action gouvernementale, en prenant rendez-vous avec les Français dès le 14 septembre 1988 pour leur présenter un premier plan pour l'emploi puis en revenant devant eux, un an plus tard, sur le même sujet.
L'orientation que j'ai alors adoptée a surpris : pas de gesticulation, pas de recette miracle, mais plutôt un ensemble de mesures où les plus avisés ont reconnu la priorité donnée au traitement économique du chômage.
Attitude courageuse, mais risquée, ont commenté certains : je renonçais ainsi aux facilités offertes pendant tant d'années par le développement des formations au rabais que l'on a fini par qualifier de stages-parkings.
Qui pourrait prétendre que le pari est définitivement gagné ? Certes pas moi. Mais les premiers résultats sont là.
En deux ans, l'économie aura créé plus de 550.000 emplois nets. En deux ans, le nombre des chômeurs a reculé de 10 %, celui des jeunes de 15 % entre mai 88 et mai 89. L'industrie crée à nouveau des postes de travail, parfois à un rythme rapide : +5 % dans le travail des métaux, +3 % dans les matières plastiques. Le nombre des emplois de droit commun a repris une tendance ascendante.
La courbe du chômage est désormais clairement inversée. Le taux de chômage, qui était de 10,6 % de la population active en mars 87, de 10,2 % en mars 88 n'était plus que de 9,6 % en mars 89 et il devrait atteindre 9 % en mars 90.
C'est le chiffre que j'avais cru pouvoir raisonnablement annoncer en présentant le deuxième plan pour l'emploi, en septembre dernier ; et c'est effectivement la prévision que retient maintenant l'INSEE dans la note de conjoncture qui parait aujourd'hui même.
Ni triomphalisme déplacé, ni fausse modestie, donc, dans ces commentaires, mais plutôt la sereine conviction que certains des mécanismes générateurs d'exclusion sur le marché du travail ont été cassés et vont être maintenant refoulés année après année.
Les temps sont-ils si lointains où l'emploi était ravagé par les conséquences des restructurations pour que nous puissions tenir ces résultats pour évidents, pour des acquis irréversibles ?
Il n'y a jamais rien de naturel dans les succès économiques mais toujours l'effet d'une stratégie qui allie la lucidité dans l'analyse des contraintes et la volonté dans la poursuite des objectifs que l'on s'est fixés.
Cette stratégie, le gouvernement l'a formulée, pour ce qui concerne la répartition, en proposant au pays un "pacte de croissance".
Quel en est l'objectif ? assurer un juste retour à ceux qui ont subi les effets de la rigueur et consolider la croissance future.
Quelles en sont les contraintes ? le vieillissement de l'appareil productif après dix années de sous-investissement, l'insuffisance de nos capacités de production après dix années de restructuration.
Les termes de cette équation sont simples et je n'ai entendu personne les contester. L'interdépendance est complète entre la croissance et sa répartition. Dans la phase de transition où nous sommes, l'économique tient le social, la répartition aujourd'hui commande la croissance de demain.
Aussi nous faut-il gérer dans le temps les impatiences que l'on a vu s'exprimer en termes de revendication salariale.
Cette gestion dans le temps est de l'intérêt même des salariés si l'on veut répartir durablement du vrai pouvoir d'achat, fondé sur l'accroissement de la richesse nationale et non distribuer de la fausse monnaie, vite reprise par l'inflation ou la dévaluation.
De là découle la règle que j'ai proposée consistant à partager le surcroît de richesse en trois tiers : le premier tiers pour préparer l'avenir, le second pour développer l'emploi, le troisième pour améliorer le pouvoir d'achat.
L'équilibre économique du pays a permis, depuis dix huit mois, de respecter la priorité donnée à la préparation de l'avenir. L'effort d'investissement est considérable puisqu'il progresse de 10 % l'an. Les prévisions des entreprises pour l'an prochain restent à ce niveau élevé.
Les conséquences sur nos capacités de production -c'est à dire sur le stock de capital- se font progressivement sentir, au fur et à mesure que de nouvelles machines remplacent les équipements amortis. Mais vous savez que le stock de capital est lent à se renouveler et qu'entre temps les tensions sur les capacités de production limitent l'expansion possible.
Au moment où j'ai pris mes fonctions à la tête du gouvernement, la croissance potentielle -c'est à dire celle de nos capacités de production- était limitée à 2,1 % ; l'an prochain, nous serons à 3,1 %. Le résultat est déjà tangible, mais il faut manifestement poursuivre dans la même voie pour desserrer la contrainte extérieure et permettre à la demande supplémentaire de trouver progressivement une offre adéquate. Telle est bien la stratégie de reconquête d'un haut niveau d'emploi que nous avons tracée dans le Xe Plan.
C'est bien le premier devoir du gouvernement que de veiller à préserver cet équilibre macroéconomique : le bilan que dresse l'INSEE aujourd'hui même dans sa note de conjoncture nous rapproche à cet égard de ce que l'on appelait dans le temps le "carré magique" :
- la croissance ? +4 % en glissement,
- le chômage ? comme je l'ai dit, il recule vers 9 %,
- les prix ? en décélération au second semestre pour se situer au voisinage de 3 %,
- les finances publiques ? sous contrôle puisque le déficit est réduit de 15 milliards cette année.
J'ai la faiblesse de penser que d'assez nombreux chefs de gouvernement souhaiteraient pouvoir dresser ce tableau.
Nous savons cependant que cet équilibre est fragile : face à la saturation des capacités de production, tout accroissement supplémentaire de la consommation mettrait l'équilibre extérieur en péril. L'aggravation du déficit commercial observé l'été dernier est un signal qui doit retenir toute notre attention.
Nous sommes sur le fil du rasoir ; c'est la raison pour laquelle je dois rester vigilant en matière macroéconomique. Je ne prendrai jamais le risque de briser le dynamisme de l'investissement puisque c'est le moyen du renouveau de l'économie.
Il n'y a pas d'autre choix que de conformer strictement les progrès de la consommation à ceux de nos capacités de production.
Aller au delà, ce serait déjà accepter l'idée d'un plan d'austérité inéluctable, ce que je refuse puisque chacun sait qu'il pèserait au premier chef sur les salariés et aggraverait à nouveau les inégalités.
Equilibrer les revenus, tel est donc le fil directeur pour maîtriser la croissance retrouvée.
L'inégalité par l'argent n'est pas la seule, mais c'est certainement celle qui est la plus directement ressentie.
Mon premier commentaire porte à cet égard sur l'évolution du revenu des ménages que je crois, dans la période récente, profondément déséquilibrée.
Dire que la progression de 3 % enregistrée en moyenne entre 1985 et 1988 s'explique pour 0,3 % par les salaires nets et pour 0,4 % par le revenu des travailleurs indépendants, c'est dire aussi que le pouvoir d'achat ne résulte que pour 20 % de l'activité et pour les 80 % restants, par moitié, des revenus de transferts et des revenus de la propriété.
Ces tendances sont fondamentalement malsaines, elles encouragent une France casanière là où les défis de l'avenir appellent initiative, audace, dynamisme. En se prolongeant elles pourraient provoquer un rejet des valeurs du travail, un repli sur soi qui serait l'amorce du déclin.
La réélection du Président de la République en 1988 a une signification claire à cet égard : c'est le refus d'asseoir la croissance économique sur le retour des inégalités.
Le Gouvernement a engagé depuis dix huit mois une action en profondeur destinée à contrecarrer les nouvelles sources d'inégalités tout en renforçant le dynamisme économique et la volonté d'entreprendre.
C'est pourquoi le progrès social doit s'organiser dès la distribution des revenus primaires : c'est là que se créent les revenus, c'est là que naît l'essentiel des inégalités. Les impôts et les prestations sociales ne peuvent que corriger à la marge la situation de départ.
La ligne de conduite gouvernementale consiste tout d'abord à faire le maximum du possible lorsqu'une amélioration de la situation économique est effectivement observée.
Il faut veiller à ce que la négociation des revenus nominaux se fasse sur la base de prix anticipés ; il faut exclure toute idée d'indexation automatique mais intégrer un examen a posteriori fondé sur l'ensemble des données salariales et économiques appropriées.
Je ne détaillerai pas une démarche qui vous est connue et qui a conduit, dans la fonction publique, en 1989, à une augmentation moyenne du pouvoir d'achat de 3,3 %.
L'augmentation est plus rapide pour certains, comme les enseignants ou les infirmières, moins rapide pour d'autres, bien sûr.
Mais je souligne à ce propos que tout fonctionnaire même en l'absence de toute évolution de carrière, bénéficie cette année d'une revalorisation minimale de son pouvoir d'achat de 1,5 % contre 0 l'année précédente et -1,2 % en 1987.
Ainsi l'augmentation de 1989 se justifie-t-elle pleinement puisqu'elle constitue un rattrapage par rapport aux évolutions enregistrées dans le secteur privé, en particulier en 1987.
Est-il possible de faire plus aujourd'hui ? Non, sauf à sacrifier délibérément les conditions du redressement dont j'ai exposé plus haut les conditions impératives.
En même temps, je dis clairement que ce discours fait de justice et de raison tire sa légitimité de ce qu'il constitue un engagement ferme : le pacte de croissance est un contrat de confiance avec le monde du travail, l'assurance que, dans la durée, les salariés auront désormais leur juste part de la croissance.
La lutte active contre les rentes de situation est une autre facette de la même politique. Le Gouvernement n'entend pas, c'est certain, revenir sur la liberté des prix qui constitue le régulateur principal de l'efficacité économique.
A une condition, toutefois : que la concurrence s'applique effectivement. Lorsque ce n'est pas le cas, la puissance publique doit exercer ses responsabilités.
Pour la moyenne des activités tertiaires un renforcement de la concurrence, servi par une vigilance plus grande du consommateur, est à l'oeuvre depuis quelques années. C'est un signe supplémentaire de modernisation de notre économie car, en la matière, le contrôle de l'acheteur vaut mieux que celui du fonctionnaire !
A l'inverse, il est des cas, où la concurrence ne joue pas efficacement. Les rentes de situation qui en résultent entraînent injustice et inefficacité. L'action du gouvernement est, en la matière, résolue. Elle s'est, jusqu'ici, exercée sur deux points particulièrement sensibles : le contrôle des hausses excessives de loyers en région parisienne ; la régulation des revenus de certaines professions de santé.
Le gouvernement est décidé à traquer plus avant de tels facteurs d'enrichissement sans cause qui aiguisent la perception des inégalités sociales parce qu'ils déforment la hiérarchie des revenus sans justification économique.
Mais mieux équilibrer les revenus, c'est aussi, en aval, améliorer la redistribution sociale et faire progresser la solidarité.
Le constat n'appelait à cet égard aucune hésitation : la priorité indiscutable, c'était, conformément aux engagements du Président de la République, l'action au service des plus démunis, la lutte contre toutes les formes d'exclusion provoquées par la crise.
Si je n'avais qu'une mesure à retenir de toutes celles que je commente, ce serait certainement l'instauration du R.M.I..
Ce progrès social est décisif, parce qu'il contribue à ce que personne ne souffre plus de froid ni de faim, parce qu'il reconnait le droit à la dignité de la personne.
Mis en place dans un temps record, sans cesse amélioré sur le terrain grâce à un processus d'évaluation qui permet de corriger en temps réel les inévitables dysfonctionnements du système, le R.M.I. concerne en cette fin d'année près de 500.000 allocataires.
Ces 500.000 personnes et celles qui en dépendent, femmes ou enfants, n'ont jamais le droit à la parole. Leur capacité de nuisance est faible : ils ne peuvent ni paralyser l'activité économique, ni perturber le fonctionnement des services publics. Ce sont les sans-voix.
On ne peut que saluer ici le rôle du Conseil Economique et Social puisque le rapport préparé par le Père WRESINSKI a précocement appelé l'attention de la collectivité sur ce problème.
Je suis fier, pour ma part, que mon Gouvernement ait pu mettre en oeuvre aussi vite cet engagement du Président de la République, et qu'à l'Assemblée nationale, de tous cotés, nous ayons trouvé le soutien le plus large pour cette immense tache.
Le R.M.I. devra être perfectionné, au niveau de l'allocation qu'il procure par exemple aux familles, et plus encore en ce qui concerne les actions d'insertion encore trop peu systématiques.
Malgré ses défauts de jeunesse, c'est un immense progrès, même si ce progrès a un coût : 8 milliards de francs financés en grande partie par le rétablissement de l'impôt sur la fortune.
On retrouve ainsi, l'analyse de la période 80/88 : extension de la pauvreté, progression des revenus du capital, de ce constat le Gouvernement a tiré les premières conséquences dès l'été 88.
Mieux répartir les fruits de la croissance ne suffit pas en effet à corriger les inégalités. Le constat que je faisais en commençant ce propos montre combien, en vingt ans, nos mécanismes de redistribution se sont essoufflés.
Le Gouvernement a engagé une politique de longue haleine pour faire de la fiscalité et des prélèvements sociaux un facteur de cohésion sociale et de progrès économique.
La création, dès 1988, de l'impôt de solidarité sur la fortune a instauré un prélèvement progressif qui tient compte des évolutions différentielles des patrimoines. L'ISF rapportera 5 milliards de Francs en 1990.
Dans le même esprit, le projet de loi de finances pour 1990 comporte des mesures de moralisation soumettant par exemple à prélèvement fiscal les revenus tirés de ce que l'on appelle les stocks options, et qui échappaient antérieurement à tout impôt. Il ne s'agit certes pas de dissuader l'usage de cette technique utile de mobilisation de l'encadrement, mais de la ramener à un statut fiscal normal, ce que font déjà les Américains, les Anglais ou les Allemands.
Simultanément, le projet de loi de finances pour 1990 amorce un plafonnement des impôts locaux, et d'abord de la taxe d'habitation, par rapport au revenu : c'est un élément important de modernisation de notre fiscalité.
Au delà des décisions déjà prises, force est de constater que les prélèvements sur le patrimoine obéissent en France à une logique trop complexe dont le résultat final est difficile à appréhender. De l'impôt foncier à l'ISF, des droits de succession aux prélèvements sur l'épargne, ils sont nombreux et contradictoires.
Leur réaménagement progressif mais en profondeur sera poursuivi. Le Ministre des Finances s'est engagé, au nom du Gouvernement, à ce que le projet de loi de finances pour 1991 comporte une réforme de notre fiscalité du patrimoine.
Quant au financement de la santé et de la protection sociale, le Ministre de la Solidarité prépare en vue de la prochaine session parlementaire un projet de loi instituant une cotisation sociale généralisée à l'ensemble des revenus.
Cette ressource supplémentaire financera des dépenses relevant de la solidarité nationale. Dans la perspective d'une maîtrise de la dépense sociale, elle n'a pas vocation à s'ajouter mais plutôt à remplacer des cotisations existantes.
Son objectif est de rendre le prélèvement social plus juste parce que l'assiette en est plus large- et plus efficace- en évitant que les cotisations sociales ne découragent l'embauche en alourdissant le coût salarial.
Autre chantier fiscal que je voulais enfin évoquer devant vous, celui concernant les entreprises : les conditions de production sont un élément déterminant de la compétitivité des entreprises, en particulier dans la perspective du Grand Marché Intérieur. Or, l'Acte Unique Européen n'a pas prévu d'harmonisation dans ce domaine.
Il nous faut donc mettre en évidence les éventuelles distorsions de concurrence pouvant résulter de la diversité des règlementations et des prélèvements.
En accord avec le Ministre de l'Economie et des Finances, je saisirai très prochainement le Conseil Economique et Social pour qu'il apporte son concours en préparant un rapport sur cette question.
Equiliber les revenus, voilà donc le principal défi auquel la croissance retrouvée exige que nous apportions une réponse. Mais à long terme, l'enjeu est plus fondamental encore :
Changer le travail, voilà ce qui sera à mes yeux le véritable test du changement social durant la décennie 90.
Les années récentes ont en effet vu se dessiner un monde du travail dévalorisé par la crise et par les retards de la modernisation humaine. Je vois dans ces tendances le risque très grave d'une fracture du monde du travail en trois catégories.
La première catégorie regroupe tous ceux qui, bien préparés à la vie moderne, bien armés pour réussir, se savent recherchés, protégés, intouchables. A eux les hauts revenus, et les responsabilités dans le travail.
On trouve à l'autre extrémité les chômeurs de longue durée, les handicapés, les marginaux, tous ceux qui sont pris par le cercle vicieux de la pauvreté puis de l'exclusion.
Entre les deux, le noyau central de la population active, intégré dans la vie professionnelle, mais éprouvant trop souvent le sentiment de n'avoir qu'une prise limitée sur son avenir, assuré de revenus réguliers mais souffrant de l'absence de responsabilité.
Ce monde du travail fracturé, je le refuse. Du travail de chacun, mais aussi de l'unité profonde qui cimente tout collectif de travail, j'ai une conception plus haute, plus exigeante.
Certes, il y a toujours, largement répandu, le modèle des années 1900 ou, au mieux, des années cinquante : déqualification, parcellisation du travail, prolifération des niveaux hiérarchiques, absence de responsabilité et contrôles tatillons.
Mais nous savons aussi, parce que l'expérience est suffisamment riche et diverse, que le taylorisme peut et doit être dépassé.
Alors que nous entendons élever la proportion des bacheliers à 80 % en l'an 2000, peut-on encore offrir ces perspectives archaïques à ceux qui entrent sur le marché du travail. Peut-on encore dire à un jeune "travaille et tais toi" ? C'est impossible.
Notre objectif pour les jeunes est donc un formidable levier parce qu'il nous pousse à rechercher et à mettre en place dès maintenant l'organisation du travail de l'an 2000 : elle sera fondée sur la reconnaissance de l'initiative individuelle, elle tirera profit d'un droit élargi à l'information et à l'expression, elle organisera un meilleur contrôle collectif sur le contenu et la qualité du travail.
D'où viendra, en effet, demain, la richesse de la collectivité ? Peut-on parier sur le bas prix de l'énergie ? Doit-on miser sur la dévalorisation du travail, dans l'espoir de rivaliser avec l'Asie du Sud Est ? Imagine-t-on pouvoir compter sur le seul investissement en machines ?
Les réponses, négatives, s'imposent d'elles-mêmes. La source primordiale de la productivité, ce sera la ressource humaine. Par où l'on voit que le social tient l'économique.
En vérité, je crains toujours que le moteur social du progrès économique ne soit bloqué par défaut d'initiative, de créativité. Après l'épreuve de la crise économique qui a tout bousculé sur son passage, il y a une certaine facilité à retrouver de vieux réflexes, à retomber dans les ornières du passé.
L'assoupissement du changement social, voilà précisément le danger qu'il nous faut éviter ; voilà pourquoi "changer le travail" est bien le mot d'ordre prioritaire.
Et comme je crois qu'il faut toujours balayer devant sa porte, ce langage, je le tiens d'abord dans le secteur public où j'ai engagé il y a un an une formidable entreprise de rénovation.
Moderniser l'Etat, c'est d'abord une nécessité pour redonner aux agents la motivation profonde que véhicule le service de l'intérêt général auxquels ils sont attachés.
Moderniser l'Etat, c'est aussi une opportunité pour la collectivité qui doit y trouver une meilleure qualité de service et finalement une productivité plus élevée, permettant de mieux faire face, comme dans toute autre activité, aux tâches plus nombreuses et plus complexes qui relèvent ici de l'autorité publique.
Gigantesque chantier que cette modernisation de l'Etat, dont deux comités interministériels ont d'ores et déjà posé les premières fondations mais qui pourrait bien nous occuper durant la décennie à venir.
Le premier objectif est de redonner de la lisibilité aux actions de l'administration. C'est pourquoi le plan de modernisation que j'ai demandé d'établir doit redéfinir les objectifs fixés à chaque unité -au niveau d'un Ministère, d'une Direction Départementale ou encore d'un bureau de poste.
Chaque fonctionnaire pourra, ce faisant, situer clairement sa propre mission et son propre métier dans le cadre de la mission de son service. De là viendra une responsabilité accrue pour chacun.
Evidemment, cette évolution suppose une plus grande déconcentration pour que la mise en oeuvre des moyens publics soit décidée et contrôlée plus près du terrain. Cela entraîne une redistribution des pouvoirs au sein de l'Administration.
Lorsqu'une unité administrative améliore son efficacité collective, il est normal que ces gains soient répartis :
- au profit des usagers, par exemple à travers un service de meilleure qualité ;
- au profit de la collectivité, par exemple sous forme de réduction des charges publiques ;
- et enfin au profit des agents eux-mêmes, en particulier par l'amélioration des conditions de travail.
Mettre en oeuvre de tels mécanismes d'affectation des gains de productivité constituera une véritable révolution dans la gestion administrative.
Autre source de blocage : l'insuffisance des perspectives professionnelles offertes à trop d'agents publics. Ne sous-estimons certes pas les garanties qu'offre aux fonctionnaires l'existence même d'une carrière puisque l'on déplore fréquemment l'absence d'un mécanisme similaire, par exemple pour les ouvriers.
Néanmoins, force est de constater que l'on a laissé s'installer des règles trop contraignantes de sélection, de stratification, de contrôle des promotions.
Quand on sait que la grille de la fonction publique, vieille de près d'un demi siècle, repose sur l'antique conception qui voulait que le fonctionnaire de catégorie A conçoive une lettre, que le fonctionnaire de catégorie B la rédige, que le fonctionnaire de la catégorie C la tape à la machine et que le fonctionnaire de catégorie D la poste, comment ne pas mesurer l'inadaptation fondamentale de cette organisation du travail aux nouvelles qualifications, aux nouvelles technologies et à la formation de plus en plus poussée des agents de la fonction publique ?
La grille existe et il est exclu de la bouleverser. En revanche, on voit bien que son utilisation trop rigide n'a pas permis de faire face à plusieurs situations nouvelles : la technicité croissante de certains métiers, les sujétions particulières auxquelles sont soumis certaines catégories de fonctionnaires, les contraintes que fait naître l'affectation géographique des personnels.
Les conflits catégoriels que nous avons connus depuis dix huit mois s'expliquent largement par cette rigidité.
Des réponses indemnitaires ont été d'abord mises en oeuvres pour faire face à ces situations ; elles étaient nécessaires mais la recherche de solutions nouvelles s'impose aujourd'hui.
Suivant quelle méthode ? par la négociation, bien sûr. Comme vous le savez, celle-ci s'engage, sur le réaménagement de la grille de la fonction publique, aujourd'hui même : le réaménagement de la grille, suivant un programme pluriannuel négocié, voilà ce que peut être demain, pour la fonction publique, une application du pacte de croissance dont j'ai exposé plus haut la philosophie.
Après les accords salariaux conclus il y a un an, qui ont permis de couvrir plus de 90 % des salariés du secteur public, après l'accord-cadre sur la formation continue des fonctionnaires, c'est avec la négociation sur la mobilité, la preuve d'un renouveau de la vie contractuelle entre l'Etat et ses agents.
Cette démarche illustre une nouvelle conception du progrès social où il ne s'agit plus seulement d'ajouter une marche à ce qui a déjà été fait. L'enjeu consiste aujourd'hui à trouver, par la négociation, une solution, faite d'innovation, de souplesse et de responsabilité, pour dépasser -et non pas accentuer- les rigidités héritées du passé.
Je vous ai ainsi décrit la perspective dans laquelle j'entends, en tant qu'employeur en quelque sorte, situer l'exigence de modernisation négociée dans la fonction publique. Mais le mot d'ordre "changer le travail" s'applique de toute évidence aussi bien dans le secteur privé.
Mon intention ne peut pas être, à son égard, d'ériger le gouvernement en donneur de leçons. Plutôt que de condamner des pratiques archaïques, dont on trouverait certainement quelques exemples, je voudrais ici encourager la mobilisation de tous en commentant brièvement quelques expériences exemplaires.
L'évolution des techniques et des marchés conduit les entreprises à changer leur mode de gestion et d'organisation et à modifier les conditions de travail et d'emploi des salariés.
L'efficacité de tels changements ne dépend pas seulement de la qualité des investissements et de la gestion des entreprises, mais aussi de la façon dont elles conçoivent le travail sur les nouvelles installations et forment la main-d'oeuvre en conséquence.
La modernisation doit être l'occasion de changer le travail et d'améliorer l'emploi.
Beaucoup d'entreprises l'ont compris, qui veillent à associer étroitement les représentants du personnel à la conception même de leurs nouveaux projets industriels. Il faut éviter de provoquer l'inquiétude mais plutôt susciter l'adhésion et l'apport propre des salariés à la modernisation.
D'où l'importance d'une gestion prévisionnelle de l'emploi et des formations dans les entreprises, sur laquelle la loi du 2 août 1989 relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion a récemment mis l'accent.
Après le spectaculaire redressement des comptes observé depuis quelques années, favorable à la reprise de l'investissement productif, il serait tragique pour nos entreprises de ne pas valoriser le capital humain en tirant parti du gisement de productivité qu'il recèle.
Quant à l'aménagement du temps du travail auquel je suis attaché, c'est une autre grande idée qui n'a pas encore connu tous les développements qu'elle mérite.
Faire travailler plus les machines et moins les hommes, c'est incontestablement la meilleure solution pour assurer un partage du travail sur des bases économiques saines, pour répondre aux aspirations des salariés en faveur d'un meilleur équilibre entre loisir et travail.
Cette orientation se justifie plus particulièrement dans un contexte de reprise économique, où nombre d'entreprises connaissent comme je l'ai noté plus haut une tension sur les capacités de production. L'allongement de la durée d'utilisation des équipements accompagné d'une réduction du temps de travail offre alors une possibilité d'adaptation plus rapide que les investissements de capacité, et plus favorable à l'emploi que les heures supplémentaires.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement, dans le prolongement de l'accord interprofessionnel du 22 mars 1989, a institué un crédit d'impôt attribué pendant trois ans aux entreprises qui accroissent la durée d'utilisation de leurs équipements et procèdent à une réduction de la durée hebdomadaire de travail.
Le monde des entreprises, l'organisation du travail bougent dans ce pays, dès lors que l'on fait confiance aux Hommes.
On s'aperçoit alors que l'intervention des salariés permet, concrètement, d'améliorer la réalisation des projets industriels nouveaux : j'en veux pour preuve la réalisation de l'imprimerie du "Monde" à Ivry ou la façon dont ont été résolus les problèmes de sécurité à l'usine "Rhône-Poulenc" de Pont de Claix.
Le rôle des salariés est également déterminant lorsque la modernisation se traduit par l'introduction de nouvelles technologies.
Dans l'entreprise de confiserie "La pie qui chante", à Wattignies, comme dans l'usine "Plastic Omnium", à Oyonnax, l'effort de formation auquel ont été associés très étroitement les représentants du personnel ont permis à ces sociétés et à leurs salariés de franchir dans de meilleures conditions un saut technologique important.
Quant à l'aménagement du temps de travail, c'est la voie qu'ont suivie l'entreprise "Legrand" à Confolens en instaurant le travail en deux équipes, sur la base du volontariat, ou la société "Canson", à Annonay, où a été négocié un plan très complet pour la réduction du temps de travail, la meilleure utilisation des équipements et finalement la reprise de l'embauche.
Si j'ai tenu à citer devant vous ces exemples concrets, c'est pour affirmer avec force qu'il n'est pas nécessaire d'aller chercher loin, comme on le fait trop souvent, des références difficilement transposables. Puissent les initiatives que j'ai citées en susciter beaucoup d'autres.
Diffuser les savoirs pour mieux préparer l'avenir : s'il y a un consensus dans ce pays, c'est probablement celui là. Mais j'ai quelque motif de fierté à conduire le gouvernement qui a effectivement mis en oeuvre un programme sans précédent de modernisation du système éducatif.
Pour les jeunes, nous le savons, l'éducation est la clé de l'emploi.
Jusqu'à 16 ans, la loi d'orientation de l'éducation s'efforce de diversifier l'éducation en fonction des aptitudes : apprentissage, enseignement technique, diversité des types d'enseignement général.
Elle s'efforce aussi d'apporter un soutien aux élèves en difficulté et une information sur les orientations possibles.
Mais nous voyons bien que, de plus en plus, c'est au-delà de 16 ans que sont les enjeux essentiels : amener les générations au niveau du baccalauréat, répondre à une formidable demande d'enseignement supérieur.
D'où l'importance des besoins budgétaires auxquels, pour la première fois depuis 10 ans, il est répondu dans le budget, tant en 1989 qu'en 1990.
En 18 mois, ce sont des années et des années d'indifférence et surtout d'imprévoyance qu'il a fallu commencer à redresser.
Une condition enseignante revalorisée pour refléter au mieux le rôle essentiel qu'elle joue. Un système scolaire plus efficace, mieux adapté à la diversité des élèves, tels sont les enjeux qui détermineront la place de la France pour entrer dans le troisième millénaire.
L'ampleur des besoins est immense et la rentrée universitaire vient de nous en donner une nouvelle preuve. Je réfléchis à ce propos aux dispositions exceptionnelles que le Gouvernement pourrait adopter pour faire face à une situation elle-même exceptionnelle.
Tous les jeunes qui souhaitent aujourd'hui accéder en masse à l'Université pour acquérir des compétences, c'est un investissement qu'ils veulent faire et c'est aussi un investissement pour la nation : on en constatera les fruits dès leur entrée sur le marché du travail, en 1992 et 1993, c'est-à-dire au moment du grand marché européen.
Le problème n'est pas seulement quantitatif. Il faudra surtout veiller à l'égalité des chances au-delà de 16 ans. Au-delà de la scolarité obligatoire, il est clair que l'on trouve de moins en moins d'enfants d'ouvriers et de plus en plus d'enfants de milieux sociaux favorisés. La gratuité de l'enseignement ne bénéficie donc pas également à tous.
Si l'on veut réussir le passage de l'école à la vie active, il faut arriver à ce que chacun ne sorte qu'au moment où il sera armé et adapté pour trouver, soit directement un emploi, soit l'activité d'insertion qui le conduira à l'emploi.
La mise en place du crédit-formation introduit à cet égard une vision nouvelle du droit à la qualification. Opérationnel depuis le 1er septembre dernier, ce nouvel instrument vise à former les 100.000 jeunes de seize à vingt cinq ans qui, chaque année, quittent l'école sans diplôme.
Les premiers bénéficiaires sont les jeunes ayant une qualification inférieure au CAP ou ayant connu une période prolongée de chômage. Le crédit-formation, organisé de manière très décentralisée pour toucher les jeunes sur le terrain -permettra d'obtenir une qualification reconnue sur le marché du travail.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Membres du Conseil Economique et Social, je me suis efforcé de brosser devant vous la perspective dans laquelle le Gouvernement que je conduis depuis dix huit mois a situé son action.
Celle-ci répond aux défis nouveaux que le début de la décennie 80 a fait surgir avec brutalité ; elle répond aux défis que nous devrons relever pendant la décennie 90 : partager les efforts que nous impose un environnement international plus dur, renouer les solidarités pour renforcer la cohésion sociale.
En cette fin d'année où nous célébrons le bicentenaire de notre révolution, il me semble que la passion des Français pour la justice sociale n'a pas vieilli : ils ne supportent toujours pas les privilèges, ils entendent lutter résolument contre les inégalités et ils ont une soif intense de justice sociale.
Permettez-moi de vous dire que je m'en réjouis : l'idée que je me fais de mon pays est bien celle d'un pays démocratique et d'un pays juste. Je suis heureux d'exprimer ainsi une idée partagée par nos concitoyens.
Reste à ne pas se tromper de combat en s'attaquant aux inégalités de l'an 2000 et non à celles de l'an 1900 ou 1950 : n'entrons pas dans l'avenir à reculons, comme disait Paul Valéry.
La décennie 1990 s'ouvre sous le signe de deux situations conflictuelles : un conflit de générations, entre la société des adultes et les jeunes qui ont du mal à y entrer, un conflit de rémunérations, entre un capital bien rémunéré et un travail en progrès modéré. A la croisée des deux, les jeunes chômeurs qui n'ont ni travail ni capital et qui sont donc la priorité absolue de mon projet social.
Penser à eux, c'est aussi penser à leurs parents : la gloire de la France aura été, depuis des décennies, de permettre à chacun de progresser, certes, mais aussi de permettre aux parents de se réaliser à travers leurs enfants, par une promotion sociale de génération en génération, où le fils d'agriculteur ou d'ouvrier pouvait devenir instituteur, ingénieur ou médecin.
Que de telles possibilités de promotion sociale restent, en cette fin de siècle, ouvertes à tous, voilà ce que je souhaite ; qu'une partie de la population en soit exclue, voilà ce que je crains; le risque existe de voir les plus défavorisés de nos concitoyens perdre l'espoir : aussi bien l'espoir de progresser eux-mêmes que de voir leurs enfants réussir.
Je ne laisserai pas la société française fabriquer des hommes et des femmes qui auraient perdu l'espoir.
Aujourd'hui les conflits s'apaisent, le désarmement s'amorce, la Communauté des douze s'unit, l'Europe de l'Est s'éveille à la liberté : l'avenir s'ouvre à notre peuple et à notre jeunesse.
Vers cette Europe unie, but enfin accessible, notre démarche n'est pas celle d'une compétition où nous essaierions de placer quelques champions sur la ligne d'arrivée, les autres restant loin derrière.
Notre démarche est celle d'un progrès global où tout le monde peut, et donc doit, être gagnant. Notre projet social est d'arriver tous ensemble au 1er janvier 1993 et à chacune des échéances qui marqueront les progrès de l'Europe et de la France.