Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
C'est avec grand plaisir que je vous rejoins pour cette journée de travail de l'université d'été de la communication qui s'est imposée, au fil des ans, comme un temps fort de rencontres, d'échanges et de réflexion. Les sujets qu'on y traite m'intéressent à un double titre. Personnel et, si j'ose dire, posthume : lorsque j'étais parlementaire, je me suis penché sur les problèmes de la co-régulation d'Internet, allant jusqu'à commettre un modeste rapport sur le sujet. Mais surtout à un titre plus actuel, en relation très directe avec mes fonctions d'aujourd'hui et cette conviction : les Outre-mers français ont non seulement des raisons communes à celles de l'hexagone mais aussi des raisons particulières, bien à eux, de participer activement à la société de l'information et de la communication.
Je tiens d'ailleurs à saluer l'initiative, prise en large partie par M. Marcel Desvergne, d'ouvrir à l'Outre-mer le réseau des universités de la communication, accueillies en Nouvelle Calédonie, à la Martinique et à la Réunion, cependant qu'Hourtin se connecte résolument au réseau ultra-marin. J'ai participé, en avril dernier, à l'université de la Caraïbe. J'y avais pris l'engagement de vous présenter ici même les conclusions du premier état des lieux effectué à ma demande au cours du premier semestre 2001 ainsi que les axes de travail que j'entendais en dégager. Vous en avez donc aujourd'hui la primeur.
Dès mon arrivée au Secrétariat d'Etat à l'Outre-Mer, il m'est apparu que les possibilités démultipliées d'accès à l'information et de mise en relation, ces vertus majeures des nouvelles technologies qui en sont le support, constituaient une dimension déterminante du développement économique, social et culturel Outre-mer. La toile mondiale offre en effet aux départements et territoires ultra-marins des chances supplémentaires de faire fructifier leurs atouts et de valoriser leurs apports. Mais avant d'en venir à ce programme d'actions et aux réponses opérationnelles qu'il apporte à des besoins identifiés, quelques mots, si vous le permettez, des affinités électives que, par force et par choix, les différents Outre-mers entretiennent avec la société de l'information et de la communication. Cette société, pour moi, doit être celle de la connaissance, du pouvoir d'agir et de l'égalité des droits, parmi lesquels celui si important de nos jours : le droit à l'accès.
N'en déplaise à ceux qu'aveugle encore le préjugé ou l'ignorance, l'Outre-mer n'est pas à la traîne de l'hexagone ni du reste du monde. On y saisit fort bien toutes les possibilités qu'offrent, dans la vie de tous jours (personnelle, scolaire, professionnelle), les différentes technologies de l'information et de la communication. D'importantes disparités subsistent, j'y viendrai, en termes d'infrastructures, d'accessibilité, de compétences à mettre en commun. Quant aux esprits, ils sont prêts. Nos concitoyens d'Outre-mer sont grands utilisateurs d'Internet. Le pourcentage de connexions y dépasse la moyenne nationale. Les usages personnels privilégient le courrier électronique, façon de maintenir les liens avec les amis et les membres de la famille établis ailleurs, notamment dans l'hexagone. C'est là un point d'entrée et de familiarisation important en vue d'autres usages du Web.
L'éloignement géographique, la fragmentation territoriale, l'insularité (même la Guyane, à l'occasion, se définit comme une île) poussent à s'emparer de tous les moyens modernes de mise en relation. On parle d'effet îlien, non comme d'un handicap mais comme d'un moteur de recherche relationnelle et d'entrée dans le monde des réseaux. Présent dans 3 océans, l'Outre-mer français est d'ailleurs à lui tout seul comme un réseau mondial relié à des environnements régionaux variés et habitué aux communications multiples. Ces régions qu'on dit parfois "ultra-périphériques" (d'un terme que je ne crois pas exempt d'une certaine dose d'ethnocentrisme) ont en réalité tout à gagner d'un monde où la mise en réseaux conduit à relativiser, en même temps que les contraintes de la géographie, les vieilles notions de centre et de périphérie. L'Outre-mer français en est pleinement conscient.
Ceci mérite d'être souligné car le thème du " retard français " tend à donner une image infidèle de la réalité. Factuellement, car les indicateurs quantitatifs montrent non seulement un fort taux d'équipement des ménages en micro-informatique mais un taux de progression qui traduit, par rapport à la situation d'il y a quelques années, une véritable révolution culturelle à bas bruit. Des inégalités, sociales et générationnelles, existent à l'évidence mais l'engouement des jeunes et les efforts des familles, du système scolaire et des collectivités locales sont des plus prometteurs. Rattraper, il le fallait et le Premier Ministre est venu à Hourtin annoncer le programme gouvernemental qui y contribue puissamment. Mais plus encore que le chiffre sec du nombre des connexions, ce qui compte, c'est l'appropriation et l'irrigation de tous les secteurs d'activité. Dans ce domaine-là aussi, la France est bien partie. La diffusion dans le monde du travail s'est faite rapidement. Et de nouvelles pratiques sociales émergent, fondées sur l'échange et la coopération (auto-publications, mise en ligne des travaux des chercheurs, nouvelles formes de mobilisation citoyennes, logiciels libres, pratiques artistiques inédites, etc.). Je partage pleinement ce point de vue de Daniel Kaplan : la technique ne crée pas, à elle seule, de révolution. Elle peut simplement, et ce n'est pas rien, rencontrer, traduire, catalyser des mouvements profonds de la société.
L'air du temps est pourtant propice à l'idée que les sociétés seraient toujours en retard sur les techniques, renâclant à la modernité ou à la post-modernité. Il reviendrait alors aux élites éclairées et autres représentants de l'hyperclasse de leur enjoindre de " s'adapter ". Sous l'apparence de la généreuse sollicitude, comment ne pas entendre là quelque chose du vieux mépris des nantis pour les masses retardataires, forcément retardataires ? Comme l'a noté non sans humour un chercheur s'intéressant à ces questions, c'est le modèle du lapin blanc d'Alice au Pays des Merveilles : toujours pressé, toujours en retard, toujours forcé d'aller plus vite Octave Togna, directeur du centre culturel Jean-Marie Tjibaou à Nouméa, ne s'en laisse pas conter, lui qui a déclaré ici même : " vous avez inventé la montre, nous, nous avons peut-être inventé le temps "
Si l'on n'a pas, Outre-mer, la naïveté de croire que tout le bonheur se trouve au bout du clavier, on n'en attend pas moins que la technique et en particulier les infrastructures se mettent au niveau des usages qu'on saura bien en faire et qu'on en fait déjà. Car, là-bas, les acteurs de la société de l'information existent. J'en ai rencontré de nombreux et de fort dynamiques. Les initiatives et les projets ne manquent pas, soutenus par les collectivités territoriales, en particulier régionales. Du côté des entreprises de tous secteurs. Pour promouvoir des enseignements et formations à distance, comme cette expérience d'enseignement de la médecine qui associe Nouméa à l'établissement parisien de la Salpêtrière. Pour des partenariats en téléchirurgie, comme c'est le cas entre hôpitaux martiniquais et alsacien. Pour mettre en réseau les bibliothèques locales, les écoles, les collèges, les lycées. Pour des coopérations scientifiques de haut niveau comme celle qui associe, autour de l'observation des rayons cosmiques gamma, la Guyane, la NASA et le MIT de Boston. Pour numériser le patrimoine ethnographique ou créer des portails touristiques. Pour monter des studios d'enregistrement en ligne ou développer des espaces multimédias de proximité. L'Outre-mer vaccine contre la tentation franco-française de l'auto-flagellation. L'Outre-mer attend qu'on l'aide à aplanir les obstacles qui entravent son chemin et qu'on mette en place les outils adaptés qu'il appelle de ses vux. Antoine Karam l'a encore, à juste titre, rappelé à Hourtin. Cela vaut pour les citoyens comme pour les entreprises pour qui le web est un outil de travail qui se banalise.
C'est d'ailleurs pourquoi, il y a un an, j'avais tenu, lors du vote du budget 2001, à ce que le nouveau dispositif de soutien fiscal à l'investissement, créé à cette occasion, soit étendu aux technologies de l'information et de la communication. Le Parlement lui a donné forcé de loi. Ce dispositif, en cours de notification à Bruxelles, sera opérationnel en septembre et nous examinons actuellement les premiers dossiers d'entreprises candidates. Le principe en est simple et incitatif : un franc de soutien fiscal pour trois francs d'investissement. Le premier projet qui vient d'être agréé au titre de ce nouveau dispositif émane de St Pierre et Miquelon et bénéficiera d'un soutien fiscal de 2,3 MF pour un investissement de 6,4 MF. C'est là, je crois, une façon efficace d'aider les PME ultra-marines qui souhaitent s'équiper et s'engagent dans ces nouveaux secteurs créateurs d'emplois.
J'en viens maintenant à la façon dont j'ai décidé d'accompagner et d'épauler plus efficacement le passage à la société de l'information que l'Outre-mer est d'ores et déjà en train d'accomplir. L'expertise à partir de laquelle j'ai dégagé les axes d'un premier plan d'ensemble pour l'Outre-mer a porté sur les 4 DOM, Mayotte et St Pierre et Miquelon (une étude similaire sera réalisée à Wallis et Futuna, en Nouvelle Calédonie et en Polynésie française dès que les transferts de compétences en cours, notamment en matière de télécommunications, y seront achevés). On a procédé à un constat quantitatif et qualitatif des situations vécues sur le terrain. Il sera, à partir d'aujourd'hui, accessible en ligne sur le site du Secrétariat d'Etat à l'Outre-Mer. Il met en évidence des taux de connexion encourageants quoiqu'inégaux, des usages domestiques davantage tournés vers le courrier électronique que vers la navigation internautique et des entreprises plus utilisatrices de toutes les potentialités de l'internet. Ce constat fait apparaître des inégalités territoriales marquées, entre les différents Outre-mers et en leur sein. Il met en évidence des besoins techniques et humains auxquels le Programme pour la société de l'information Outre-mer que je rends public aujourd'hui, entend répondre très concrètement en mobilisant, pour ce faire, l'ensemble des partenaires publics.
Il s'agit là d'une déclinaison systématique, pour l'Outre-mer, de la démarche retenue à l'échelle nationale par le Programme d'action gouvernemental pour la société de l'information. Il s'agit aussi d'une feuille de route pour l'utilisation des moyens considérables (environ un milliard de francs) que les contrats de plan Etat-Région et les fonds européens font converger sur les différents Outre-mers. Ce plan d'ensemble lie des objectifs à atteindre à court terme dans 5 domaines à mes yeux déterminants : les infrastructures, l'internet public, l'internet pour tous, le soutien aux PME qui investissent dans les nouvelles technologies, le réseau interactif et participatif qui donne sa pleine signification à ce programme.
Premier axe : les infrastructures. Le Comité interministériel de l'aménagement du territoire de juillet dernier a intégré l'Outre-mer à ses travaux et à ses décisions sur le développement de la société de l'information. L'achèvement, d'ici 2003, de la couverture territoriale en téléphonie mobile s'appliquera donc aux quatre DOM, à Mayotte et à St Pierre et Miquelon. Elle est particulièrement nécessaire dans les zones qui ne reçoivent pas ou mal le téléphone filaire (comme la Guyane). Afin d'évaluer très précisément les " restes à couvrir " et du fait d'opérateurs locaux différents de ceux de l'hexagone, le Secrétariat d'Etat à l'Outre-mer, le Secrétariat d'Etat à l'Industrie et la DATAR réaliseront avant la fin de l'année une étude technique complémentaire.
La diffusion des hauts débits sera favorisée car elle permet, en répondant aux particularités géographiques, de corriger les disparités actuelles comme celles de l'est guyanais par rapport à Cayenne ou du nord Martinique par rapport au Lamentin. L'Outre-mer bénéficiera du Fonds de 1,5 milliard créé pour le développement du haut débit dans toute la France. La Caisse des Dépôts et Consignations vient de me le confirmer personnellement.
L'amélioration de la desserte des établissements de recherche et d'enseignement supérieur fera l'objet d'un effort spécial. Une mission d'évaluation associant le Secrétariat d'Etat à l'Outre-Mer, le Ministère de l'Education nationale et celui de la Recherche ainsi que la DATAR, avec l'appui technique du Gip RENATER, travaillera dans les six mois qui viennent à la montée en puissance de la connexion de ces établissements. D'ores et déjà, la capacité de RENATER va être prochainement doublée en Nouvelle Calédonie, avec l'aide financière de l'Etat.
Enfin, je souhaite qu'on résolve le problème des tarifications dont le montant trop élevé freine le développement de l'Outre-mer. J'ai attiré l'attention des opérateurs de télécommunications et de l'ART sur ce point ainsi que sur la nécessité de mettre rapidement en service les câbles sous-marins récemment déployés (SAFE à la Réunion et America II en Martinique et Guyane). Haut débit et baisse tarifaire, ce sont les clefs. La montée en puissance du marché asiatique en témoigne.
Deuxième axe : l'internet public car l'Etat doit, lui aussi, assumer sa part de dynamisme. Outre-mer, les services déconcentrés devront être rattachés aux intranets centraux. Grâce à un investissement porté par l'Etat, le raccordement de la préfecture de Mayotte sera effectif en novembre prochain. Au delà de la bureautique et des raccordements, les compétences humaines sont déterminantes pour que l'Etat joue un rôle moteur en relation avec tous les acteurs, économiques et civils, de la société de l'information. Dans quelques semaines, les préfectures de tous les DOM pourront chacune s'appuyer sur des chargés de mission NTIC. Au 1er janvier 2002, des correspondants NTIC seront nommés dans les préfectures de Mayotte et de St Pierre et Miquelon. A partir de 2002 également, des contenus spécifiques à l'Outre-mer seront développés par la Documentation française et le Secrétariat d'Etat à l'Outre-Mer, afin d'offrir aux usagers une source d'information publique de référence (service-public.fr).
Troisième axe : l'internet pour tous. Après le succès de l'implantation de la première génération, une quarantaine d'espaces publics numériques de proximité (sur 400 pour toute la France), adaptés aux besoins des communes de petites taille ou excentrées, sera déployée Outre-mer à partir de 2002, avec le soutien de l'Etat et de la Caisse des Dépôts et Consignations. J'ai également décidé de créer un Fonds Internet pour l'Outre-mer doté de 10 MF, afin de soutenir les projets associatifs qui donnent à la société de l'information sa vraie dimension solidaire et civique. Ce fonds sera mis en place le 1er janvier 2002 au Secrétariat d'Etat à l'Outre-Mer. Il ira, après appel à projets, à des initiatives non marchandes, culturelles et associatives. C'est un choix que j'assume : soutenir des formes d'appropriation des nouvelles technologies de l'information et de la communication portées par des citoyens qui s'engagent dans des actions d'intérêt général.
Quatrième axe : l'essor d'Internet dans les entreprises et le mécanisme de soutien fiscal à l'investissement dont je vous ai parlé.
Cinquième axe : le Réseau d'Information et de Services de l'Outre-Mer (RISOM) qui doit faire vivre, au quotidien, la volonté de mise en relation qui est la raison d'être de ce programme. Un réseau humain, faisant le lien entre tous les acteurs. Et un outil en ligne, participatif et interactif, qui proposera des contenus informatifs, des fonctionnalités de travail coopératif (agendas, partage de fichiers) et de communication (listes de discussion, forums, chats, etc.) ainsi que l'accès à des téléprocédures (retrait et dépôt de dossiers, correspondance administrative), le tout garantissant, bien sûr, sécurité et confidentialité. Répondre aux questions que les uns ou les autres se posent, favoriser d'autres manières de travailler ensemble, faire émerger dans le grand archipel ultra-marin des communautés d'usagers thématiques, permettre les échanges et la confrontation des expériences, c'est le but. Car il ne s'agit pas de techniciser la société mais bien de socialiser la technique.
L'ambition de ce programme n'est pas d'aider les départements et territoires d'Outre-mer à prendre le train en marche de la révolution numérique, de la raison dite connectique ou de la planète relationnelle : ils sont déjà à bord. Il s'agit plutôt qu'ils comptent au nombre des locomotives et impriment leur propre marque dans un monde qu'il faut vouloir multipolaire. L'Outre-mer français n'est pas un modeste terrain d'expérimentation mais un lieu virtuel d'exemplarité réelle. Tout y pousse, je l'ai dit, des contraintes de la géographie à la vitalité économique et culturelle des sociétés ultra-marines.
Le rôle et la responsabilité de l'Etat sont ici clairement engagés et j'observe que les habituels partisans du " moins d'Etat " ne sont pas les derniers à y appeler. Etat régulateur, Etat investisseur, Etat animateur : autant de figures d'un Etat solidaire décidé à actionner ces leviers non négligeables que sont la commande et l'aide publiques aux différents acteurs, publics et privés, de la société de l'information. A l'Etat incombe une mission irremplaçable de correction des inégalités territoriales que creuse le jeu ordinaire des disparités géographiques et des logiques purement marchandes. Garantir à chacun un égal accès aux réseaux par lesquels, de nos jours, les hommes interagissent, c'est l'ambition. Elle oblige à faire le choix d'un monde réellement commun contre le risque d'un Internet à deux vitesses où la ségrégation numérique séparerait chaque jour davantage les sachants des manants et les multi-connectés des pauvres en accès.
Sur le web comme ailleurs, si l'on n'y prend garde, le virus de l'inégalité peut être ravageur. Voilà pourquoi le droit à l'accès est une question politique centrale dont ni les technophobes ni les technolâtres ne prennent la mesure. Les technophobes, à force de brocarder "l'inquiétante extase" internautique et les solitudes interactives, ne voient pas à quel point, dans un monde interconnecté, l'accès aux réseaux est une condition de participation à la vie sociale et d'égalité des droits, un facteur de développement partagé et durable. Les technolâtres, eux, mythifient la technique, le changement pour le changement (le " bougisme " diraient certains non sans raison). Ils s'imaginent en jubilant qu'il suffit de " laisser faire, laisser aller " et s'accommodent du privilège des uns sans guère songer au droit de tous.
Ni les uns ni les autres ne posent, en matière de nouvelles technologies de l'information et de la communication, la seule question qui vaille : pour quoi faire et avec qui ? Question, en somme, de projet de société donc de choix politique. Je suis heureux de l'annoncer aujourd'hui : le choix de l'égalité des droits se traduit, pour les Outre-mers et pour la première fois s'agissant de la société de l'information, par un plan d'ensemble tenant compte des particularités de chacun et assorti, pour tous, de moyens à la mesure des enjeux.
(source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 24 août 2001)
C'est avec grand plaisir que je vous rejoins pour cette journée de travail de l'université d'été de la communication qui s'est imposée, au fil des ans, comme un temps fort de rencontres, d'échanges et de réflexion. Les sujets qu'on y traite m'intéressent à un double titre. Personnel et, si j'ose dire, posthume : lorsque j'étais parlementaire, je me suis penché sur les problèmes de la co-régulation d'Internet, allant jusqu'à commettre un modeste rapport sur le sujet. Mais surtout à un titre plus actuel, en relation très directe avec mes fonctions d'aujourd'hui et cette conviction : les Outre-mers français ont non seulement des raisons communes à celles de l'hexagone mais aussi des raisons particulières, bien à eux, de participer activement à la société de l'information et de la communication.
Je tiens d'ailleurs à saluer l'initiative, prise en large partie par M. Marcel Desvergne, d'ouvrir à l'Outre-mer le réseau des universités de la communication, accueillies en Nouvelle Calédonie, à la Martinique et à la Réunion, cependant qu'Hourtin se connecte résolument au réseau ultra-marin. J'ai participé, en avril dernier, à l'université de la Caraïbe. J'y avais pris l'engagement de vous présenter ici même les conclusions du premier état des lieux effectué à ma demande au cours du premier semestre 2001 ainsi que les axes de travail que j'entendais en dégager. Vous en avez donc aujourd'hui la primeur.
Dès mon arrivée au Secrétariat d'Etat à l'Outre-Mer, il m'est apparu que les possibilités démultipliées d'accès à l'information et de mise en relation, ces vertus majeures des nouvelles technologies qui en sont le support, constituaient une dimension déterminante du développement économique, social et culturel Outre-mer. La toile mondiale offre en effet aux départements et territoires ultra-marins des chances supplémentaires de faire fructifier leurs atouts et de valoriser leurs apports. Mais avant d'en venir à ce programme d'actions et aux réponses opérationnelles qu'il apporte à des besoins identifiés, quelques mots, si vous le permettez, des affinités électives que, par force et par choix, les différents Outre-mers entretiennent avec la société de l'information et de la communication. Cette société, pour moi, doit être celle de la connaissance, du pouvoir d'agir et de l'égalité des droits, parmi lesquels celui si important de nos jours : le droit à l'accès.
N'en déplaise à ceux qu'aveugle encore le préjugé ou l'ignorance, l'Outre-mer n'est pas à la traîne de l'hexagone ni du reste du monde. On y saisit fort bien toutes les possibilités qu'offrent, dans la vie de tous jours (personnelle, scolaire, professionnelle), les différentes technologies de l'information et de la communication. D'importantes disparités subsistent, j'y viendrai, en termes d'infrastructures, d'accessibilité, de compétences à mettre en commun. Quant aux esprits, ils sont prêts. Nos concitoyens d'Outre-mer sont grands utilisateurs d'Internet. Le pourcentage de connexions y dépasse la moyenne nationale. Les usages personnels privilégient le courrier électronique, façon de maintenir les liens avec les amis et les membres de la famille établis ailleurs, notamment dans l'hexagone. C'est là un point d'entrée et de familiarisation important en vue d'autres usages du Web.
L'éloignement géographique, la fragmentation territoriale, l'insularité (même la Guyane, à l'occasion, se définit comme une île) poussent à s'emparer de tous les moyens modernes de mise en relation. On parle d'effet îlien, non comme d'un handicap mais comme d'un moteur de recherche relationnelle et d'entrée dans le monde des réseaux. Présent dans 3 océans, l'Outre-mer français est d'ailleurs à lui tout seul comme un réseau mondial relié à des environnements régionaux variés et habitué aux communications multiples. Ces régions qu'on dit parfois "ultra-périphériques" (d'un terme que je ne crois pas exempt d'une certaine dose d'ethnocentrisme) ont en réalité tout à gagner d'un monde où la mise en réseaux conduit à relativiser, en même temps que les contraintes de la géographie, les vieilles notions de centre et de périphérie. L'Outre-mer français en est pleinement conscient.
Ceci mérite d'être souligné car le thème du " retard français " tend à donner une image infidèle de la réalité. Factuellement, car les indicateurs quantitatifs montrent non seulement un fort taux d'équipement des ménages en micro-informatique mais un taux de progression qui traduit, par rapport à la situation d'il y a quelques années, une véritable révolution culturelle à bas bruit. Des inégalités, sociales et générationnelles, existent à l'évidence mais l'engouement des jeunes et les efforts des familles, du système scolaire et des collectivités locales sont des plus prometteurs. Rattraper, il le fallait et le Premier Ministre est venu à Hourtin annoncer le programme gouvernemental qui y contribue puissamment. Mais plus encore que le chiffre sec du nombre des connexions, ce qui compte, c'est l'appropriation et l'irrigation de tous les secteurs d'activité. Dans ce domaine-là aussi, la France est bien partie. La diffusion dans le monde du travail s'est faite rapidement. Et de nouvelles pratiques sociales émergent, fondées sur l'échange et la coopération (auto-publications, mise en ligne des travaux des chercheurs, nouvelles formes de mobilisation citoyennes, logiciels libres, pratiques artistiques inédites, etc.). Je partage pleinement ce point de vue de Daniel Kaplan : la technique ne crée pas, à elle seule, de révolution. Elle peut simplement, et ce n'est pas rien, rencontrer, traduire, catalyser des mouvements profonds de la société.
L'air du temps est pourtant propice à l'idée que les sociétés seraient toujours en retard sur les techniques, renâclant à la modernité ou à la post-modernité. Il reviendrait alors aux élites éclairées et autres représentants de l'hyperclasse de leur enjoindre de " s'adapter ". Sous l'apparence de la généreuse sollicitude, comment ne pas entendre là quelque chose du vieux mépris des nantis pour les masses retardataires, forcément retardataires ? Comme l'a noté non sans humour un chercheur s'intéressant à ces questions, c'est le modèle du lapin blanc d'Alice au Pays des Merveilles : toujours pressé, toujours en retard, toujours forcé d'aller plus vite Octave Togna, directeur du centre culturel Jean-Marie Tjibaou à Nouméa, ne s'en laisse pas conter, lui qui a déclaré ici même : " vous avez inventé la montre, nous, nous avons peut-être inventé le temps "
Si l'on n'a pas, Outre-mer, la naïveté de croire que tout le bonheur se trouve au bout du clavier, on n'en attend pas moins que la technique et en particulier les infrastructures se mettent au niveau des usages qu'on saura bien en faire et qu'on en fait déjà. Car, là-bas, les acteurs de la société de l'information existent. J'en ai rencontré de nombreux et de fort dynamiques. Les initiatives et les projets ne manquent pas, soutenus par les collectivités territoriales, en particulier régionales. Du côté des entreprises de tous secteurs. Pour promouvoir des enseignements et formations à distance, comme cette expérience d'enseignement de la médecine qui associe Nouméa à l'établissement parisien de la Salpêtrière. Pour des partenariats en téléchirurgie, comme c'est le cas entre hôpitaux martiniquais et alsacien. Pour mettre en réseau les bibliothèques locales, les écoles, les collèges, les lycées. Pour des coopérations scientifiques de haut niveau comme celle qui associe, autour de l'observation des rayons cosmiques gamma, la Guyane, la NASA et le MIT de Boston. Pour numériser le patrimoine ethnographique ou créer des portails touristiques. Pour monter des studios d'enregistrement en ligne ou développer des espaces multimédias de proximité. L'Outre-mer vaccine contre la tentation franco-française de l'auto-flagellation. L'Outre-mer attend qu'on l'aide à aplanir les obstacles qui entravent son chemin et qu'on mette en place les outils adaptés qu'il appelle de ses vux. Antoine Karam l'a encore, à juste titre, rappelé à Hourtin. Cela vaut pour les citoyens comme pour les entreprises pour qui le web est un outil de travail qui se banalise.
C'est d'ailleurs pourquoi, il y a un an, j'avais tenu, lors du vote du budget 2001, à ce que le nouveau dispositif de soutien fiscal à l'investissement, créé à cette occasion, soit étendu aux technologies de l'information et de la communication. Le Parlement lui a donné forcé de loi. Ce dispositif, en cours de notification à Bruxelles, sera opérationnel en septembre et nous examinons actuellement les premiers dossiers d'entreprises candidates. Le principe en est simple et incitatif : un franc de soutien fiscal pour trois francs d'investissement. Le premier projet qui vient d'être agréé au titre de ce nouveau dispositif émane de St Pierre et Miquelon et bénéficiera d'un soutien fiscal de 2,3 MF pour un investissement de 6,4 MF. C'est là, je crois, une façon efficace d'aider les PME ultra-marines qui souhaitent s'équiper et s'engagent dans ces nouveaux secteurs créateurs d'emplois.
J'en viens maintenant à la façon dont j'ai décidé d'accompagner et d'épauler plus efficacement le passage à la société de l'information que l'Outre-mer est d'ores et déjà en train d'accomplir. L'expertise à partir de laquelle j'ai dégagé les axes d'un premier plan d'ensemble pour l'Outre-mer a porté sur les 4 DOM, Mayotte et St Pierre et Miquelon (une étude similaire sera réalisée à Wallis et Futuna, en Nouvelle Calédonie et en Polynésie française dès que les transferts de compétences en cours, notamment en matière de télécommunications, y seront achevés). On a procédé à un constat quantitatif et qualitatif des situations vécues sur le terrain. Il sera, à partir d'aujourd'hui, accessible en ligne sur le site du Secrétariat d'Etat à l'Outre-Mer. Il met en évidence des taux de connexion encourageants quoiqu'inégaux, des usages domestiques davantage tournés vers le courrier électronique que vers la navigation internautique et des entreprises plus utilisatrices de toutes les potentialités de l'internet. Ce constat fait apparaître des inégalités territoriales marquées, entre les différents Outre-mers et en leur sein. Il met en évidence des besoins techniques et humains auxquels le Programme pour la société de l'information Outre-mer que je rends public aujourd'hui, entend répondre très concrètement en mobilisant, pour ce faire, l'ensemble des partenaires publics.
Il s'agit là d'une déclinaison systématique, pour l'Outre-mer, de la démarche retenue à l'échelle nationale par le Programme d'action gouvernemental pour la société de l'information. Il s'agit aussi d'une feuille de route pour l'utilisation des moyens considérables (environ un milliard de francs) que les contrats de plan Etat-Région et les fonds européens font converger sur les différents Outre-mers. Ce plan d'ensemble lie des objectifs à atteindre à court terme dans 5 domaines à mes yeux déterminants : les infrastructures, l'internet public, l'internet pour tous, le soutien aux PME qui investissent dans les nouvelles technologies, le réseau interactif et participatif qui donne sa pleine signification à ce programme.
Premier axe : les infrastructures. Le Comité interministériel de l'aménagement du territoire de juillet dernier a intégré l'Outre-mer à ses travaux et à ses décisions sur le développement de la société de l'information. L'achèvement, d'ici 2003, de la couverture territoriale en téléphonie mobile s'appliquera donc aux quatre DOM, à Mayotte et à St Pierre et Miquelon. Elle est particulièrement nécessaire dans les zones qui ne reçoivent pas ou mal le téléphone filaire (comme la Guyane). Afin d'évaluer très précisément les " restes à couvrir " et du fait d'opérateurs locaux différents de ceux de l'hexagone, le Secrétariat d'Etat à l'Outre-mer, le Secrétariat d'Etat à l'Industrie et la DATAR réaliseront avant la fin de l'année une étude technique complémentaire.
La diffusion des hauts débits sera favorisée car elle permet, en répondant aux particularités géographiques, de corriger les disparités actuelles comme celles de l'est guyanais par rapport à Cayenne ou du nord Martinique par rapport au Lamentin. L'Outre-mer bénéficiera du Fonds de 1,5 milliard créé pour le développement du haut débit dans toute la France. La Caisse des Dépôts et Consignations vient de me le confirmer personnellement.
L'amélioration de la desserte des établissements de recherche et d'enseignement supérieur fera l'objet d'un effort spécial. Une mission d'évaluation associant le Secrétariat d'Etat à l'Outre-Mer, le Ministère de l'Education nationale et celui de la Recherche ainsi que la DATAR, avec l'appui technique du Gip RENATER, travaillera dans les six mois qui viennent à la montée en puissance de la connexion de ces établissements. D'ores et déjà, la capacité de RENATER va être prochainement doublée en Nouvelle Calédonie, avec l'aide financière de l'Etat.
Enfin, je souhaite qu'on résolve le problème des tarifications dont le montant trop élevé freine le développement de l'Outre-mer. J'ai attiré l'attention des opérateurs de télécommunications et de l'ART sur ce point ainsi que sur la nécessité de mettre rapidement en service les câbles sous-marins récemment déployés (SAFE à la Réunion et America II en Martinique et Guyane). Haut débit et baisse tarifaire, ce sont les clefs. La montée en puissance du marché asiatique en témoigne.
Deuxième axe : l'internet public car l'Etat doit, lui aussi, assumer sa part de dynamisme. Outre-mer, les services déconcentrés devront être rattachés aux intranets centraux. Grâce à un investissement porté par l'Etat, le raccordement de la préfecture de Mayotte sera effectif en novembre prochain. Au delà de la bureautique et des raccordements, les compétences humaines sont déterminantes pour que l'Etat joue un rôle moteur en relation avec tous les acteurs, économiques et civils, de la société de l'information. Dans quelques semaines, les préfectures de tous les DOM pourront chacune s'appuyer sur des chargés de mission NTIC. Au 1er janvier 2002, des correspondants NTIC seront nommés dans les préfectures de Mayotte et de St Pierre et Miquelon. A partir de 2002 également, des contenus spécifiques à l'Outre-mer seront développés par la Documentation française et le Secrétariat d'Etat à l'Outre-Mer, afin d'offrir aux usagers une source d'information publique de référence (service-public.fr).
Troisième axe : l'internet pour tous. Après le succès de l'implantation de la première génération, une quarantaine d'espaces publics numériques de proximité (sur 400 pour toute la France), adaptés aux besoins des communes de petites taille ou excentrées, sera déployée Outre-mer à partir de 2002, avec le soutien de l'Etat et de la Caisse des Dépôts et Consignations. J'ai également décidé de créer un Fonds Internet pour l'Outre-mer doté de 10 MF, afin de soutenir les projets associatifs qui donnent à la société de l'information sa vraie dimension solidaire et civique. Ce fonds sera mis en place le 1er janvier 2002 au Secrétariat d'Etat à l'Outre-Mer. Il ira, après appel à projets, à des initiatives non marchandes, culturelles et associatives. C'est un choix que j'assume : soutenir des formes d'appropriation des nouvelles technologies de l'information et de la communication portées par des citoyens qui s'engagent dans des actions d'intérêt général.
Quatrième axe : l'essor d'Internet dans les entreprises et le mécanisme de soutien fiscal à l'investissement dont je vous ai parlé.
Cinquième axe : le Réseau d'Information et de Services de l'Outre-Mer (RISOM) qui doit faire vivre, au quotidien, la volonté de mise en relation qui est la raison d'être de ce programme. Un réseau humain, faisant le lien entre tous les acteurs. Et un outil en ligne, participatif et interactif, qui proposera des contenus informatifs, des fonctionnalités de travail coopératif (agendas, partage de fichiers) et de communication (listes de discussion, forums, chats, etc.) ainsi que l'accès à des téléprocédures (retrait et dépôt de dossiers, correspondance administrative), le tout garantissant, bien sûr, sécurité et confidentialité. Répondre aux questions que les uns ou les autres se posent, favoriser d'autres manières de travailler ensemble, faire émerger dans le grand archipel ultra-marin des communautés d'usagers thématiques, permettre les échanges et la confrontation des expériences, c'est le but. Car il ne s'agit pas de techniciser la société mais bien de socialiser la technique.
L'ambition de ce programme n'est pas d'aider les départements et territoires d'Outre-mer à prendre le train en marche de la révolution numérique, de la raison dite connectique ou de la planète relationnelle : ils sont déjà à bord. Il s'agit plutôt qu'ils comptent au nombre des locomotives et impriment leur propre marque dans un monde qu'il faut vouloir multipolaire. L'Outre-mer français n'est pas un modeste terrain d'expérimentation mais un lieu virtuel d'exemplarité réelle. Tout y pousse, je l'ai dit, des contraintes de la géographie à la vitalité économique et culturelle des sociétés ultra-marines.
Le rôle et la responsabilité de l'Etat sont ici clairement engagés et j'observe que les habituels partisans du " moins d'Etat " ne sont pas les derniers à y appeler. Etat régulateur, Etat investisseur, Etat animateur : autant de figures d'un Etat solidaire décidé à actionner ces leviers non négligeables que sont la commande et l'aide publiques aux différents acteurs, publics et privés, de la société de l'information. A l'Etat incombe une mission irremplaçable de correction des inégalités territoriales que creuse le jeu ordinaire des disparités géographiques et des logiques purement marchandes. Garantir à chacun un égal accès aux réseaux par lesquels, de nos jours, les hommes interagissent, c'est l'ambition. Elle oblige à faire le choix d'un monde réellement commun contre le risque d'un Internet à deux vitesses où la ségrégation numérique séparerait chaque jour davantage les sachants des manants et les multi-connectés des pauvres en accès.
Sur le web comme ailleurs, si l'on n'y prend garde, le virus de l'inégalité peut être ravageur. Voilà pourquoi le droit à l'accès est une question politique centrale dont ni les technophobes ni les technolâtres ne prennent la mesure. Les technophobes, à force de brocarder "l'inquiétante extase" internautique et les solitudes interactives, ne voient pas à quel point, dans un monde interconnecté, l'accès aux réseaux est une condition de participation à la vie sociale et d'égalité des droits, un facteur de développement partagé et durable. Les technolâtres, eux, mythifient la technique, le changement pour le changement (le " bougisme " diraient certains non sans raison). Ils s'imaginent en jubilant qu'il suffit de " laisser faire, laisser aller " et s'accommodent du privilège des uns sans guère songer au droit de tous.
Ni les uns ni les autres ne posent, en matière de nouvelles technologies de l'information et de la communication, la seule question qui vaille : pour quoi faire et avec qui ? Question, en somme, de projet de société donc de choix politique. Je suis heureux de l'annoncer aujourd'hui : le choix de l'égalité des droits se traduit, pour les Outre-mers et pour la première fois s'agissant de la société de l'information, par un plan d'ensemble tenant compte des particularités de chacun et assorti, pour tous, de moyens à la mesure des enjeux.
(source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 24 août 2001)