Extraits de la déclaration de M. Pierre Mauroy, Premier ministre, devant les préfets, Paris le 29 mai 1981

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Circonstance : Réunion des préfets du ministère de l'intérieur, Paris le 29 mai 1981

Texte intégral

En décidant de réunir rapidement l'ensemble des préfets de métropole et d'Outre mer, je crois avoir répondu, au-delà des nécessités du moment, à l'attente personnelle de la part d'entre vous.
Le Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de la décentralisation, comme moi-même, savons que vous avez ressenti à sa pleine mesure, l'importance de l'évènement du 10 mai 1981, et de ses conséquences. Vous avez depuis lors traversé une période inédite, qui fut pour beaucoup une période d'incertitude, et d'interrogations personnelles. Vous avez bénéficié du calme, de la sérénité et de la maturité de notre nation et votre attitude a répondu aux circonstances. Je tiens, au nom du gouvernement, à vous exprimer ma satisfaction.
Dans trois jours, s'ouvrira la campagne officielle pour les élections législatives. Celles-ci auront lieu les 14 et 21 juin dans tous les départements de Métropole et d'Outre Mer.
Ces élections, vous le savez, sont indispensables dans l'esprit des institutions de la cinquième république, dont le bon fonctionnement dépend de la concordance entre la majorité présidentielle et sa représentation parlementaire. Mais leur résultat concerne d'abord la Nation dans ses profondeurs, dont la majorité politique coïncide pour la première fois depuis longtemps avec sa majorité sociale.
Dans vos attributions et prérogatives, que vous avez, au cours de cette nouvelle et brève période un rôle à tenir, des règles à observer, des réflexions à engager. Monsieur le ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur et de la décentralisation aura à ce titre à vous recevoir et à vous écouter. Je veux simplement, dans l'immédiat, vous indiquer ce que le gouvernement attend de vous, de l'ensemble du corps préfectoral, des services et des agents placés sous votre autorité.
Vous connaissez votre rôle. Vous êtes, dans nos départements, l'expression de la continuité de la République. Vous êtes les représentants du gouvernement et de chacun des ministres. Vous représentez, depuis le 22 Mai, le premier gouvernement constitué sous la présidence de M. François MITTERRAND. Vous aurez donc, dans le respect des usages qu'impose la campagne électorale à assurer la continuité de l'Etat.
Ceci veut dire, d'abord que le traitement des affaires administratives qui intéressent les citoyens dans leur vie de tous les jours ne devra être ni suspendu, ni ralenti en fonction de considérations d'opportunité ou prétendues telles. Il n'est pas souhaitable de laisser en suspens, sous le prétexte qu'il faudrait attendre le résultat des élections, des décisions susceptibles d'être prises sans délai.
Ceci veut dire aussi, que vous devrez veiller au déroulement régulier et objectif de la campagne électorale. Le Gouvernement n'attend de vous aucune action touchant au débat politique. Nul ne vous demandera d'entrer dans des considérations touchant à la vie politique locale. Je vous demande de ne pas vous prêter, de vous-même ou à l'instigation de quiconque, à des manoeuvres ou à des tractations qui, lorsqu'elles existent, sont aussi anormales qu'inutiles, et contraires à une saine conception de la démocratie. En un mot, je vous demande de vous tenir aux principes de votre mission : soyez les gardiens de la régularité de la campagne électorale et des scrutins, et ne soyez que cela. Vous êtes responsables, avec les Maires, du respect de la légalité de l'ordre public, de la sécurité des citoyens, de la libre-expression de leurs suffrages, en Métropole et Outre-mer. C'est en soi une tâche éminente. Consacrez-lui tous vos soins.
Représentants du gouvernement, vous avez pour tâche de concourir lorsque c'est nécessaire, à l'application locale de ses décisions et à leurs explication.
Le gouvernement nommé sur ma proposition a pris et prendra des mesures à la fois urgentes et importantes dans les semaines à venir. Vous connaissez la plupart d'entre elles. Elles ont été arrêtées ou indiquées par le Conseil des ministres du 27 mai, conformément aux engagements souscrits avant le 10 mai par le président F. MITTERRAND. La plupart de ces décisions ont un caractère social ou économique ; elles sont de portée nationale et d'application immédiate. Ainsi, en est-il des augmentations du SMIC, du minimum vieillesse, des prestations familiales, de l'allocation-logement, de la construction de logements sociaux... Ainsi, en est-il, dans leur principe, des décisions touchant l'âge de la retraite et l'allègement des charges des entreprises artisanales et des petites et moyennes entreprises. D'autres dispositions, notamment celles touchant à la formation ou au premier emploi des jeunes seront régionales ou départementales quant à leur mise en oeuvre. Il vous appartient, sans sortir de l'attitude de réserve que vous impose la période électorale de concourir à l'explication de ces mesures, de leur portée, et de vous faire rendre compte des conditions de leur mise en application.
Monsieur J. DELORS, ministre de l'économie et des finances, vous rappellera en outre, dans un moment, les dispositions que j'ai arrêtées dès le 21 mai pour maintenir la parité du franc. Elles doivent être connues avec précision par vos interlocuteurs compétents ; elles doivent être expliquées avec soin. Dans la période actuelle où l'on se plaît à susciter la crainte de l'avenir chez les retraités, chez les petits épargnants, chez les petits actionnaires. Il faut combattre les rumeurs qui rasent les murailles, c'est la solidité de notre monnaie et de notre économie qui sont en jeu.
Il est à ce titre, un domaine sur lequel je vous demande de veiller avec une attention soutenue : celui des entreprises en difficulté, qu'il s'agisse de celles qui, de longue date, ont dû ralentir ou risquent de voir interrompre leurs activités ou de celles qui connaissent ou connaîtront des difficultés de trésorerie ou d'une autre nature. Vous rendrez compte sans délai, à moi-même et au ministre de l'économie et des finances, de toutes les situations de rupture ou de ralentissement d'activité qui seront portées à votre connaissance, afin que les mesures nécessaires puissent être arrêtées rapidement pour la sauvegarde des activités et des emplois. Il ne faut pas que; par simple inertie ou par calcul, soit aggravée la situation économique dont nous avons hérité.
Vous devez tenir votre rôle dans un esprit de continuité républicaine : vous devez, à ce titre, prendre en charge, dès à présent l'explication ou l'application des décisions du gouvernement formé le 22 mai. Vous devez enfin, je vous l'ai indiqué, engager une réflexion utile, et positive sur l'administration territoriale et sur la décentralisation, vous préparer aux échéances d'une nouvelle politique que ce gouvernement amorce, et qui sera poursuivie.
Dès à présent, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, et de la décentralisation, et moi-même, avons proposé au président de la république que soient rapportés les décrets récents précisant et limitant les attributions des Établissements Publics régionaux. Vous savez que dès leur parution, j'avais pris position contre ces nouveaux règlements et contre leurs circulaires d'application. En tant que Président du Conseil Régional du Nord-Pas-De-Calais, je les jugeais contraires à l'esprit et à la lettre de la loi de 1972. J'estimais que en outre, loin d'étendre les compétences des Établissements Publics Régionaux et d'améliorer leurs conditions d'intervention, ils les assujettissaient davantage et les cantonnaient plus strictement dans des attributions secondaires. Sans attendre donc que de nouvelles dispositions soient prises, et à titre conservatoire, ces décrets seront rapportés.
A long terme, il est clair, et je tiens à vous l'indiquer dès à présent, que les structures et les compétences des collectivités territoriales seront profondément transformées pour aller au devant d'une aspiration profonde à la décentralisation, marquée par la création même de ce ministère, dont beaucoup d'entre vous ont ressenti la nécessité dans leur action quotidienne.
Il ne s'agit pas d'un simple changement juridique ; il s'agit d'une adaptation des collectivités territoriales à de nouvelles possibilités de délibération et de décision, débarrassées de tutelles et de contrôle qui sont des archaïsmes dans une société démocratique adulte.
Sans entrer dans le détail d'un ensemble dont la réalisation et la mise demanderont plusieurs années mais qui sera très rapidement mis en chantier et étudié par la future Assemblée nationale je souhaite vous indiquer clairement quelles sont les étapes de cette marche vers la décentralisation.
- Transformation des départements en collectivités locales pleinement décentralisées dont les présidents des conseils départementaux seront l'exécutif ;
- Transformation des établissements publics régionaux en régions, collectivités territoriales de plein exercice dont les représentants seront élus au suffrage universel direct, et dont les présidents seront l'exécutif ;
- Suppression de toute forme de tutelle et de tout contrôle a priori sur les régions, départements, communes et groupements de communes ;
- Modulation des ressources fiscales d'Etat transférées aux nouvelles collectivités territoriales en fonction de la nouvelle définition de leurs compétences.
Cette transformation profonde s'opérera sans rupture et avec votre entier concours. Elle vous confirmera dans vos fonctions les plus éminentes, qui sont la représentation de l'Etat et du gouvernement, l'application des lois de la république et la sauvegarde de la sécurité des citoyens. Ces fonctions s'exerceront dans un ensemble plus moderne et plus ambitieux de collectivités territoriales pleinement responsables.
Cette tâche est, pour notre pays une grande ambition. Dès à présent, Monsieur le Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de la décentralisation, s'attache à la préparer, en liaison avec moi. Vous êtes, messieurs les Préfets, détenteurs d'une expérience dans ce domaine. Je vous demande d'éviter la tentation du repli ou la crainte de l'avenir. Je vous invite à vous associer à l'élaboration de cette nouvelle donne, à ce renouveau de la démocratie locale, au service duquel vos compétences trouveront leur meilleur emploi, dans l'intérêt de la France.
L'Etat ne doit pas étouffer les collectivités locales, il doit les promouvoir, et, vous, prestigieux corps des préfets, oubliez ce qui vous reste de l'ancien régime, et soyez pleinement les représentants du gouvernement et de l'Etat dans une république qui est d'abord celle des citoyens. Chacun, à sa manière, vous avez servi le gouvernement d'hier. C'était votre mission. Aujourd'hui, par la volonté des Français, clairement exprimée le 10 mai par l'élection de F. MITTERRAND à la présidence de la république, vous êtes, sous la conduite de mon gouvernement, les préfets du changement.
Le Premier ministre, a d'autre part évoqué la situation des départements et territoires d'outre-mer en déclarant : "laissez-moi dire que nous n'entendons pas remettre en cause les liens de solidarité nationale entre les D.O.M - T.O.M. et la métropole".