Discours de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la justice, sur la profession d'huisser de justice, le rétablissement du droit proportionnel mis à la charge des créanciers, le tarif, la rémunération, la modification statutaire des clercs et la profession dans la perspective de la construction européenne, Lyon, le 15 juin 2001.

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Circonstance : 25ème congrès national des huissiers de Justice, à Lyon, le 15 juin 2001

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Nous nous sommes rencontrés pour la première fois en décembre dernier, lors de vos 16èmes journées de Paris. Comme vous pouvez le constater, j'en ai gardé un excellent souvenir puisque c'est avec un réel plaisir que j'ai répondu à votre invitation de venir vous retrouver pour quelques instants, ici, à Lyon, à l'occasion de votre 25ème congrès national. Le thème que vous avez choisi pour ce congrès " L'Huissier de Justice et l'Entreprise " évoque pour moi, vous vous en doutez, mes précédentes fonctions ministérielles. Je sais que vous êtes un partenaire incontournable pour qui veut faire respecter ses droits ou recouvrer ses créances. Il suffit pour s'en convaincre de considérer le montant considérable de créances qui sont annuellement encaissées par votre intermédiaire ou le nombre d'affaires qui ont pu être dénouées à l'amiable grâce à vos conseils.
Ces journées de congrès sont un espace dédié à des débats animés, pointus et, je n'en doute pas, à des échanges féconds. Ce temps que vous y consacrez, cette volonté manifeste que chacun en retire quelque chose d'utile donne la mesure de toute la vitalité, de l'implication et du dynamisme de votre profession. Bien sûr, elles sont pour vous l'occasion de renouer des liens, de prendre des nouvelles des uns ou de constater que les cheveux d'un autre blanchisse, mais c'est surtout un moment privilégié de confrontation avec ceux et celles qui exercent le même métier que vous. C'est d'autant plus important quand on est réparti sur l'ensemble du territoire et qu'on exerce dans des univers très divers, grande ville, petite commune, zone rurale ou zone frontalière, et qui engendrent des problématiques différentes. Le monde dans lequel nous évoluons est tel qu'il devient impossible de rester isolé pour celui qui veut faire bien son métier et anticiper sur ses probables et nécessaires évolutions.
Ces rencontres sont aussi l'occasion d'une ouverture vers l'extérieur, par les interventions de personnalités appartenant à des sphères voisines de la vôtre. Pour ceux-là, vos questions, vos points de vue viennent à leur tour enrichir leur propre réflexion.
C'est pourquoi vous pouvez être certain que c'est
avec beaucoup d'intérêt que je prendrai connaissance des actes de votre Congrès. Je crois d'ailleurs qu'il est sain qu'une profession sache s'accorder sur ses priorités de développement et sur les avancées qu'elle juge importantes et nécessaires, et qu'elle sache les communiquer dans un esprit constructif. C'est toujours une preuve de maturité et de responsabilité qui donne plus de poids encore à ce qui est dit.
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A l'occasion de notre première rencontre en décembre dernier, je m'étais engagée à suivre avec beaucoup d'attention le dossier concernant le rétablissement du droit proportionnel mis à la charge des créanciers par l'article 10 du décret du 12 décembre 1996.
J'ai tenu mes engagements puisque le décret du 8 mars 2001 me paraît être de nature à apaiser vos inquiétudes. Les délais ont pu vous paraître longs, mais vous savez que l'intervention préalable du législateur était nécessaire.
Le nouveau dispositif constitue, il me semble, une solution équilibrée et qui a cherché à concilier au mieux les intérêts des justiciables et ceux de votre profession.
Je sais que cette mesure n'est pas de nature, à elle seule, à dissiper vos autres inquiétudes concernant de manière plus générale le tarif. J'ai entendu vos critiques pour le volet pénal du tarif. Vous en dénoncez les insuffisances, tout à la fois pour le service des audiences et la signification des actes pénaux. Sachez que c'est un débat d'ensemble que je considère comme légitime et que je ne refuse pas.
Vous avez tenu à rappeler, Monsieur le Président, que les membres de votre profession n'ont l'intention de remettre en cause leur participation à aucune des missions d'intérêt public qui leur sont confiées mais qu'ils en attendent la reconnaissance et la juste rémunération.
Vous avez également indiqué qu'une réévaluation limitée à l'application des coefficients d'érosion monétaire vous paraîtrait insuffisante, et demandé que le caractère autonome du tarif pénal soit érigé en principe.
Des discussions sont engagées sur ces sujets avec les services de la Chancellerie. Je souhaite bien évidemment que ces travaux se poursuivent et qu'il s'en dégage rapidement des perspectives réalistes. C'est une condition essentielle pour faire aboutir nos travaux. Pour cela nous devons veiller -et c'est notre responsabilité à tous- à prendre en considération toutes les données pour tous les acteurs. Cela signifie que nous devons tenir compte des contraintes de gestion de vos offices, de l'intérêt de ceux de nos concitoyens qui font appel à vous ou qui, en raison de leur situation personnelle, doivent traiter avec vous sans oublier la spécificité de votre statut d'officier public et ministériel exerçant dans un cadre tout à la fois libéral et monopolistique.
Vous savez par ailleurs que nos discussions doivent s'inscrire dans des perspectives budgétaires non pas de rigueur mais rigoureuses. Nous serons d'autant mieux entendus que nos demandes seront équilibrées et que nous en aurons évalué les incidences.
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Toujours dans le domaine statutaire, vous avez manifesté le souhait de voir créer, aux côtés des clercs assermentés à la signification des actes et de ceux habilités aux constats, une troisième catégorie de " clerc spécialisé " dans les mesures d'exécution. Cela signifie que l'on rende possible l'intégration dans les études de jeunes diplômés titulaires de l'examen professionnel, avant leur nomination éventuelle en qualité d'huissier de justice.
Une telle modification statutaire reviendrait à vous permettre, par touches successives, de déléguer l'ensemble des attributions qui vous sont conférées dans le cadre de vos activités d'officier public et ministériel. Elle aurait ainsi, sur le plan statutaire, une portée non négligeable et modifierait les modes d'exercice de votre profession et l'accomplissement de vos missions.
Elle pose d'emblée une question fondamentale : celle d'une véritable sous-délégation de prérogatives de puissance publique. Le débat sur cette question n'est pas nouveau. Il demeure juridiquement d'actualité.
Mais surtout, il me paraît difficile de méconnaître le fait que vous participeriez ainsi moins directement aux activités qui constituent une part importante de vos missions. Alors même que c'est notamment à travers vos relations avec le justiciable, dans le cadre de la mise en uvre des procédures d'exécution, que vous pouvez mesurer l'étendue de la responsabilité sociale qui vous incombe. En effet dans ce domaine vous jouez un rôle social car vous intervenez souvent dans des milieux défavorisés, voire socialement en perdition. Dans un tel contexte vos missions sont délicates et, de mon point de vue, exigent votre intervention personnelle. Dois-je rappeler que les huissiers s'étaient vu historiquement prescrire qu'ils devaient " toucher ceux auxquels ils auraient la charge de faire exploit " et que cela signifiait réellement un contact direct, intuitu personae.
Vous n'ignorez pas que je tiens à aider votre profession à adapter ses structures aux évolutions nécessaires tout en préservant la spécificité et les garanties offertes par votre statut d'officier public. C'est pourquoi je ne pratiquerai pas avec vous " la langue de bois " pour répondre à votre demande : je considère que la question de l'instauration d'une nouvelle catégorie de clerc est une question qui, par les problèmes juridiques et sociaux qu'elle soulève, doit être encore travaillée.
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Dans vos propos, Monsieur le Président, vous avez également inscrit votre profession dans une perspective européenne. Vous avez raison. Il faut aujourd'hui clairement définir votre horizon comme allant au-delà de nos seules frontières nationales.
Comme j'ai eu l'occasion de le dire devant d'autres professionnels, le développement des échanges commerciaux dans l'Union européenne conduit à la multiplication des litiges. Faciliter l'exécution d'un titre exécutoire hors d'un pays dans lequel il a été émis est devenu indispensable pour accompagner ce développement. C'est là une des manifestations tangibles que la mise en place de l'espace judiciaire européen est devenue réalité.
Le Règlement du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, qui entrera en vigueur le 1er mars 2002, s'inscrit dans cette démarche.
Il a pour objet d'unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale ainsi que de simplifier les formalités en vue de la reconnaissance et de l'exécution rapide et simple des décisions judiciaires émanant des Etats membres.
Il est ainsi notamment prévu de donner force exécutoire de plein droit sur requête après simple contrôle formel d'une juridiction, aux décisions et aux actes authentiques, le recours éventuellement formé a posteriori par l'une ou l'autre des parties n'empêchant pas la mise à exécution immédiate.
Le Conseil Européen a rappelé le 15 janvier 2001 qu'il souhaitait parvenir, à terme, à la suppression de l'exequatur pour tous les domaines couverts par le règlement, dans la droite ligne du sommet de Tempere d'octobre 1999.
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Les questions liées à la signature électronique, et vous avez d'ailleurs montré votre volonté de mettre en uvre ce nouvel outil, ont bien avancé, en particulier avec le décret d'application de la loi du 13 mars 2000 paru au Journal officiel le 31 mars dernier. Ce décret précise les conditions dans lesquelles la signature électronique bénéficie de la présomption de fiabilité. Des arrêtés qui préciseront notamment les modalités de certification des dispositifs de création de signature électronique ainsi que les procédures d'évaluation et de qualification des prestataires de service de certification électronique, vont être prochainement publiés.
La certification électronique pourra donc s'exercer dans un environnement juridique clair et précis, propre à en favoriser l'essor et à en garantir la sécurité.
Chacun a conscience de la nécessité de veiller à ce que cette dématérialisation ne remette pas en cause les garanties d'authenticité dont l'acte est revêtu, qui en fondent la force probante toute particulière.
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Je voudrais enfin dire quelques mots de l'Euro, puisque vous avez aussi abordé cette question.
Je constate que votre profession a su saisir tout l'intérêt de ménager une transition sans heurt vers l'euro fiduciaire en préparant d'ores et déjà son passage à l'euro scriptural. Il aurait été hasardeux en effet d'attendre le 31 décembre pour procéder en bloc au basculement de l'ensemble de vos outils professionnels.
Ainsi, pour vos offices, l'essentiel des six prochains mois va être consacré à ce changement d'envergure.
Je tiens à vous encourager.
Nous partageons le même intérêt. Ainsi, le décret du 27 avril 2001 portant adaptation de la valeur en euros de certains montants exprimés en francs relevant du ministère de la justice a d'ores et déjà converti votre tarif à la monnaie unique.
Ce décret vous aidera, je l'espère, dans l'adaptation de vos logiciels.
Il devrait aussi vous permettre de procéder, sans tarder, à une double facturation en euros et en francs, ce qui familiarisera plus encore nos concitoyens à leur nouvelle monnaie.
Je sais pouvoir compter sur vous pour participer à la création du climat de confiance indispensable à l'intégration de tous dans le nouvel espace monétaire.
Par votre action quotidienne auprès de ceux qui en auront le plus besoin, vous ferez partie des acteurs privilégiés de cette réussite tout comme vous faites plus généralement partie des partenaires privilégiés et sûrs de tous ceux qui veulent avancer en confiance dans le monde de demain.
D'avance, je vous en remercie.
(source http://www.justice.gouv.fr, le 19 juin 2001)