Discours de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la justice, sur la réforme du droit de la famille, la modernisation des règles de la succession et l'amélioration des droits du conjoint survivant et des enfants adultérins, Paris, le 30 octobre 2001.

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Circonstance : Présentation en 2ème lecture de la proposition de loi relative à l'amélioration des droits du conjoint survivant et des enfants adultérins, au Sénat, Paris, le 30 octobre 2001.

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les Sénateurs,
La proposition de loi relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins revient aujourd'hui devant vous en deuxième lecture, après avoir été examinée par l 'Assemblée nationale en 1ère lecture les 6 et 8 février 2001, par votre Haute-Assemblée le 21 juin et à nouveau par l'Assemblée nationale le 28 juin.
Le débat parlementaire mené jusqu'à présent a permis tout à la fois un approfondissement de la réflexion et un certain rapprochement des analyses des deux Assemblées.
Des divergences subsistent encore, principalement sur les règles à appliquer pour mettre en oeuvre le nouveau dispositif successoral. Mais, les objectifs sont très largement partagés.
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Les précédentes lectures ont permis de dégager un accord de réforme sur certains points.
En premier lieu, la proposition de loi renforce le principe de l'égalité des enfants entre eux.
Ainsi, la suppression de la discrimination subie par les enfants adultérins dans la succession qu'ils partagent avec les héritiers légitimes et le conjoint survivant, est définitivement acquise.
Dans le même esprit, l'ouverture de l'action en retranchement à tous les enfants qui ne seraient pas issus des deux époux a également constitué un point d'accord substantiel.
En deuxième lieu, la proposition de loi recueille l'accord des deux Assemblées sur la nécessité de donner une meilleure place au conjoint survivant dans l'ordre des personnes successibles.
Le conjoint survivant héritera concurremment avec les enfants ; cette règle n'a rencontré lors des débats, aucun obstacle de principe.
Un accord a aussi été trouvé sur la possibilité de permettre au survivant des époux de rester dans son logement, d'abord à titre temporaire dans cette période difficile qui suit la mort d'un conjoint, puis, au-delà, jusqu'à son propre décès, par l'octroi d'un droit viager d'habitation et d'usage s'imputant sur sa part successorale.
De même, le consensus s'est fait sur le principe de l'attribution préférentielle du logement familial accordé au conjoint survivant sur sa simple demande.
En troisième lieu, les deux Assemblées ont eu le souci de permettre une meilleure information des futurs époux en ce qui concerne les règles applicables à la famille, et notamment à la protection du conjoint survivant.
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Aujourd'hui, les analyses des deux Assemblées tendent encore à se rapprocher, grâce à certaines propositions faites aujourd'hui par votre Commission des lois.
En premier lieu, je constate des avancées importantes par rapport aux dispositions que vous aviez adoptées en première lecture et qui ont été rejetées par l'Assemblée nationale.
D'une part, votre Commission des lois n'entend plus ouvrir à un héritier la faculté de demander que le conjoint soit privé de son droit d'habitation, en cas de manquement grave à ses devoirs envers le défunt.
D'autre part, il ne vous est plus demandé aujourd'hui de contraindre le conjoint survivant à solliciter l'attribution du droit au bail à son profit, mais il vous est proposé de retenir à son profit le système d'attribution automatique.
Il me semble donc que sur ces deux points, la discussion sera acquise ce soir.
En second lieu, je constate des avancées dans l'esprit du texte que votre Commission des lois vous propose d'adopter, mais sur lesquelles la réflexion mérite encore d'être poursuivie dans la perspective de la commission mixte paritaire.
Tout d'abord, et surtout, votre Commission des lois renonce à adopter une réforme globale du droit des successions, concentrant ainsi les débats sur l'amélioration de la situation du conjoint survivant.
Certes nous sommes tous conscients qu'une modernisation du droit successoral est nécessaire. Mais, cela participe d'une autre démarche et je me suis longuement expliquée sur ce point en première lecture.
Votre commission des lois est prête aujourd'hui à n'amorcer une rénovation des règles générales du droit successoral que sur quelques points précis sur lesquels la réflexion des dernières années a permis de faire émerger des propositions de réforme consensuelles.
Il s'agit des règles fondatrices de la dévolution successorale, du mécanisme de la représentation d'un héritier prédécédé, de l'abandon de cette vieille théorie enseignée dans les universités savantes, dite des " co-mourants ", de l'introduction de nouveaux cas d'indignité, de la réglementation de la preuve de la qualité d'héritier laissée jusqu'à présent aux initiatives des praticiens.
Je vous avais indiqué lors de la précédente lecture que je n'étais pas insensible à voir évoluer rapidement la législation sur ces points aux enjeux si concrets. Je vous le confirme. Mais, des divergences persistent entre les deux Assemblées sur certains points des mécanismes retenus. Cette question devra être réglée, je l'espère, au niveau de la commission mixte paritaire.
Par ailleurs, se pose le sujet délicat de l'assiette de calcul et l'assiette d'exercice des droits du conjoint survivant :
Pour l'Assemblée nationale, les droits en propriété du conjoint survivant sont calculés sur l'ensemble des biens du défunt, y compris donc les donations qui doivent être rapportées à la succession. Cette solution présente l'intérêt de faire du conjoint survivant un héritier comme les autres. Il est vrai cependant que ce mode de calcul peut aboutir à des solutions sur lesquelles on pourrait s'interroger : est-il opportun que l'enfant du couple qui, au moment de son mariage a bénéficié d'une donation de ses père et mère pour s'installer dans la vie, doive la rapporter au profit de son parent survivant ?
A l'inverse, pour votre Assemblée, l'assiette des droits du conjoint est limitée aux seuls biens subsistant lors de l'ouverture de la succession. Mais cela pourrait conduire à spolier celui-ci totalement si le défunt a disposé de l'ensemble de son patrimoine.
Votre Commission des lois propose aujourd'hui une solution plus médiane. Mais je m'interroge sur son intérêt et sa portée pratique et symbolique.
Je pense que la réflexion mérite aujourd'hui d'être encore approfondie dans la perspective de la commission mixte paritaire.
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Sur les autres thèmes qui restent en discussion, le travail de rapprochement entre les deux Assemblées me paraît devoir continuer pour parvenir, je l'espère, à un accord au sein de la commission mixte paritaire.
La discussion devra porter en premier lieu sur la nature des droits du conjoint survivant : votre rapporteur vous propose de maintenir l'option offerte au conjoint survivant entre des droits en usufruit et des droits en pleine propriété, alors que l'Assemblée nationale a écarté ce dispositif, soutenue en cela par le Gouvernement en raison des inconvénients qui s'attachent de nos jours à l'usufruit, source de complexité et d'inertie, quand ce n'est pas de conflit.
Je vous accorde toutefois que l'utilité de l'usufruit peut dans certains cas se justifier en fonction de la composition de la succession.
La réflexion devra porter en deuxième lieu sur la place respective du conjoint survivant et des autres proches du défunt que constituent les frères et soeurs et les grands-parents.
Votre Assemblée s'est montrée particulièrement sensible à leur sort dès la première lecture.
J'ai, pour ma part, une position plus nuancée, que partage l'Assemblée Nationale, dans la mesure où nous avons pour objectif de rehausser substantiellement le rang du conjoint ce qui nécessite de faire primer ses droits sur ceux des frères et surs sur ceux des grands-parents qui bénéficieraient d'une créance alimentaire dans le dispositif envisagé par l'Assemblée nationale. Mais je reconnais qu'il s'agit là d'un vrai débat de société et j'espère que cette question aussi sera réglée lors de la commission mixte paritaire.
La réflexion devra se poursuivre en troisième lieu sur plusieurs aspects du texte concernant le droit d'usage et d'habitation :
Je m'interroge sur la position de votre Commission des lois qui oblige le conjoint survivant à dédommager la succession lorsque la valeur du logement dépasse de manière manifestement excessive ses besoins. Je crois en effet que si une telle règle devait être maintenue, sa mise en oeuvre risquerait d'être très délicate, avec un risque sérieux de voir se multiplier les contentieux, et pourrait surtout être source d'injustices pour le conjoint survivant.
Je ne peux pas non plus adhérer à la possibilité retenue par votre Commission, de permettre au défunt de faire porter ce droit sur un immeuble autre que le logement familial. Je serais en revanche plus favorable à lui permettre de le louer plus largement que l'Assemblée nationale ne l'a prévu.
Il me paraît en revanche nécessaire de reconnaître la liberté que l'Assemblée Nationale a laissée à l'époux prédécédé pour que le droit d'usage et d'habitation viager de son conjoint ne s'appliquera . En effet, s'il est nécessaire de mettre en place un mécanisme de droit commun le plus protecteur possible pour le conjoint survivant, il m'apparaît difficile de passer outre une certaine liberté testamentaire qui appartient au premier époux décédé, qui peut souhaiter organiser sa succession au mieux de l'intérêt de son conjoint et de ses enfants en tenant compte de la situation financière de chacun par exemple.
En dernier lieu, j'espère qu'un rapprochement pourra se faire entre les deux Assemblées sur la question de la légitime protection du conjoint survivant contre les libéralités qui pourraient être consenties par le défunt lorsque le conjoint prédécédé ne laisse pas son conjoint en concurrence avec des descendants ou des ascendants. Je ne méconnais pas qu'il s'agit là d'une idée originale, mais elle me paraît opportune en raison de sa souplesse et de son équilibre.
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Voilà, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, les observations succinctes que je voulais formuler devant vous au seuil de la discussion générale.
J'ai le souci profond d'aider au rapprochement entre les deux Assemblées. Il a déjà été largement entamé au cours des précédentes lectures et votre Commission des lois, ainsi que son nouveau rapporteur, M. HYEST, que je tiens à saluer particulièrement aujourd'hui, ont encore contribué à faciliter.
J'ai donc l'espoir que, sur ce sujet qui touche malheureusement toutes les familles, le Parlement parvienne à adopter un texte équilibré, et novateur.
Et je suis convaincue que nos concitoyens ne comprendraient pas qu'un consensus ne puisse aboutir, comme sur l'égalité des droits entre enfants qu'ils soient issus du mariage ou adultérins, sur la reconnaissance de la place du conjoint survivant dans la famille qu'il a fondée avec l'époux prédécédé, et que cette proposition de loi ne soit pas définitivement votée par ce Parlement.
Car n'oublions pas que les époux d'aujourd'hui, se sont choisis et choisissent de rester ensemble jusqu'à la fin ; que les époux d'aujourd'hui, en raison de l'allongement de la durée de la vie, et malgré le taux de divorce certes important, vivent ensemble un vie bien plus longue que les couples d'hier ; que les époux d'aujourd'hui, partagent l'intimité et le quotidien de leur conjoint pendant près de quarante, voire soixante-dix ans, soit un temps beaucoup plus long que celui qu'ils auront passé avec leurs propres parents ou leurs enfants.
Ceci marque, je pense, le devoir que nous avons d'inscrire dans la loi le respect dû à ce choix de l'autre et à ce long temps de la conjugalité.
Je suis convaincue que c'est dans cet esprit que nous devons tous aborder les débats d'aujourd'hui.
(Source http://www.justice.gouv.fr, le 21 novembre 2001)