Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur le rôle des départements dans la politique d'aménagement du territoire, leur compétence et leur budget dans le cadre de la politique de l'emploi, Lille le 14 septembre 1994.

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Circonstance : Déplacement à Lille à l'occasion du 64ème congrès de l'Assemblée des présidents de conseil général (APCG) à Lille les 13 et 14 septrembre 1994

Texte intégral

Monsieur le président de l'assemblée des présidents des conseils généraux,
Mesdames et messieurs les présidents,
Depuis ce congrès, où vous m'aviez reçu, le 7 octobre dernier, la situation de notre pays a évolué et les premiers résultats montrent que cette évolution s'est faite dans la bonne direction : une économie plus active, une société plus confiante.
Votre action y est pour beaucoup. Je tiens à le souligner et à en remercier chacun d'entre vous.
Les départements sont des animateurs importants des politiques locales et souvent à la source de nombreuses initiatives. Leurs compétences leur confèrent une place de premier plan dans la vie sociale et économique de notre pays.
Avec des budgets qui totalisent 200 milliards de francs, dont 66 milliards pour l'investissement, ils représentent une capacité d'intervention considérable.
Mais celle-ci varie en fonction de la conjoncture économique. C'est ce qu'ont soulignés les membres du bureau de votre assemblée, lors de notre rencontre en février dernier. La baisse de recettes fiscales influe, avec retard, sur vos budgets alors qu'au même moment, les dépenses sociales, qui sont vos principales dépenses, s'accroissent.
Ce mouvement sera, à terme, corrigé par une amélioration de la situation économique du pays.
Aujourd'hui, je crois qu'il est possible de dire que la croissance est de retour. Près de cent vingt mille emplois supplémentaires ont été créés depuis le début de l'année. Pour le deuxième mois consécutif, au mois de juillet, le chômage a baissé. Les jeunes sont de plus en plus nombreux à être formés au sein des entreprises. L'augmentation des entrées en apprentissage est de l'ordre de 40 %. Grâce à cet effort, le chômage des jeunes a baissé depuis le début de l'année.
Mais la facilité n'est pas de mise : la France ne peut s'accommoder du maintien d'un déficit budgétaire aussi important que celui que nous avons trouvé, le triple de celui que nous avions laissé en 1988. Si nous voulons faire baisser les taux à long terme pour soutenir la croissance, nous devons continuer à faire baisser les déficits.
L'orientation est claire. Il faut retrouver la maîtrise des dépenses publiques pour mieux assurer la croissance et l'emploi, ce qui suppose des réformes de structures -car, pour dépenser moins, il faut s'organiser mieux- et que chacun accepte le changement.
Les départements contribuent à cette politique de maîtrise des dépenses publiques. Vous avez réalisé d'importants efforts, tant pour contenir la pression fiscale que pour maîtriser les dépenses. Je m'en félicite. Mais je sais aussi que certains départements atteignent les limites de leur marge de manoeuvre.
Il nous faut donc rechercher ensemble une plus grande efficacité des politiques publiques.
La modernisation doit porter sur trois axes :
- le renforcement des solidarités,
- la transparence dans les relations entre l'Etat et les collectivités,
- l'exercice des compétences.
1) Accroître la solidarité envers nos concitoyens met les départements au coeur des dispositifs d'aide sociale et d'accompagnement des personnes âgées.
Les conditions dans lesquelles se déroulera l'expérimentation prévue pour l'allocation dépendance, vont être précisées. Votre contribution à ce travail a été importante. Je sais que Madame le ministre d'Etat a apporté hier toutes précisions utiles. Je souhaite que le comité de pilotage, auquel vous serez associé, soit mis en place avant la fin de l'année et que l'expérience soit engagée dès le début 1995. Elle devra être conduite avec le même esprit de concertation que celui qui a présidé à sa préparation.
En ce qui concerne le revenu minimum d'insertion, l'Etat et les conseils généraux coopèrent actuellement pour mener cette action. Que constatons-nous ? Que, face à l'obligation morale majeure que constitue la lutte contre l'exclusion, près d'un quart des titulaires du revenu minimum n'ont jamais réellement accédé à une voie d'insertion.
Le Gouvernement a analysé l'ensemble du dispositif avec la commission des finances de l'Assemblée Nationale. Une proposition consiste à renforcer l'efficacité de l'association qui unit l'Etat et les départements. S'il apparaissait qu'une autre répartition des tâches pût être plus efficace, il faudrait alors l'envisager. Toute éventuelle modification dans la répartition des charges s'accompagnera du transfert des ressources correspondantes.
Mais je crois que le sujet est suffisamment important pour que le débat sur la loi de finances pour 1995 soit l'occasion d'une confrontation des opinions sur le sujet.
La lutte contre l'exclusion signifie aussi la préparation des jeunes à l'emploi. Des moyens existent, dont il faut user. Le soutien à la création d'emploi, à l'activité est une obligation permanente. De nombreuses initiatives sont possibles. Il faut imaginer et vouloir.
Le dynamisme propre des départements et l'aide de l'Etat au renforcement de la sécurité des collèges ont permis de réaliser 3 milliards 600 millions de francs de travaux en 1994. La contribution à l'activité économique a donc été considérable.
En matière d'emploi, mon message est le même que l'an dernier : mobilisez-vous !. L'amélioration de la situation nationale de l'emploi ne doit surtout pas conduire à de moindres efforts. Je sais le rôle des départements et des collectivités territoriales pour le développement des contrats emploi-solidarité. Je souhaite qu'il soit poursuivi avec vigueur notamment en direction des chômeurs de longue durée et des titulaires du RMI.
Je souhaite que les départements, responsables de l'insertion, s'associent à l'Etat et aux partenaires sociaux pour que la nouvelle mesure d'aide financière aux entreprises qui embauchent des RMistes, dont j'ai annoncé le principe dimanche dernier, soit un grand succès.
La cohésion du pays suppose que la solidarité entre collectivités soit également renforcée.
La réforme de la dotation globale de fonctionnement entrée en application au 1er janvier de cette année, a augmenté les concours aux 25 départements les plus défavorisés.
L'exercice des compétences dans des domaines aussi variés que l'enseignement, les communications, l'aménagement rural font des départements des partenaires essentiels pour atténuer l'inégalité entre les communes.
Cette responsabilité s'exerce dans le respect du principe fondamental, selon lequel les collectivités n'exercent pas de tutelle les unes sur les autres. Le rôle d'une collectivité n'est pas de répartir des dotations de péréquation à partir de ressources provenant de l'Etat, mais d'assumer ses compétences avec la volonté de renforcer la cohésion d'ensemble, chaque collectivité restant dans son rôle.
2) Améliorer la transparence dans les relations Etat-collectivités est une voie sur laquelle nous sommes à présent engagés.
Votre assemblée a été très active dans les travaux de la commission Delafosse.
Cette démarche a permis de dresser un tableau aussi précis que possible des relations financières entre les collectivités locales et l'Etat. Elle mérite d'être prolongée.
C'est ce qui m'a conduit à décider la mise en place d'un observatoire de l'évolution des finances des collectivités locales, à l'occasion d'un entretien auquel plusieurs d'entre vous ont participé, le 8 juillet dernier.
Il ne s'agit pas de créer un nouvel organisme qui s'ajouterait à ceux qui existent déjà, ou qui se substituerait au comité des finances locales, il s'agit de créer un lieu de concertation où pourront être échangées et mises en forme toutes les informations relatives aux finances locales. Le ministre délégué à l'Aménagement du Territoire et aux Collectivités Locales présentera prochainement ses propositions ; nul doute que l'APCG, dont plusieurs membres siègent déjà au comité des finances locales, y aura toute sa place.
Dans le même esprit de transparence, la commission consultative d'évaluation des charges sera installée le 11 octobre par M. HOEFFEL. Ses travaux seront présidés par M. Michel ASTORG, conseiller-maître à la Cour des Comptes.
Je veille, depuis dix huit mois, à entretenir des relations régulières avec votre association. Je me félicite de leur qualité et de leur franchise.
J'en remercie tout particulièrement M. Jean PUECH. Les présidents de conseil général sont proches des citoyens. Vous êtes des médiateurs, vous animez des services de proximité, vous contribuez grandement aux investissements publics. Vos avis sont importants.
Le projet de loi de finances pour 1995 sera présenté dans une semaine au comité des finances locales, puis décidé en conseil des ministres. Ce calendrier m'empêche -vous le comprendrez- de vous faire part à ce stade, des dispositions prévues, Je puis cependant vous dire qu'à la suite de la réunion de travail que nous avons eue lors de la remise du rapport Delafosse, j'ai demandé au ministre du Budget de travailler à stabiliser les relations financières entre l'Etat et les départements. Je demande, par ailleurs, au ministre du Budget de recevoir le bureau de votre association, si vous le souhaitez, afin que toutes les informations soient portées à votre connaissance avant le débat parlementaire.
3) Renforcer la coopération entre l'Etat et les départements doit s'accompagner d'une clarification dans leurs compétences respectives.
Il convient d'agir avec pragmatisme et réalisme. Il serait illusoire de transférer des compétences, sans transférer en même temps les moyens. Il faut, en tout état de cause, tenir compte de la situation financière des départements, comme de celle de l'Etat.
Pour autant cette nécessité ne doit pas nous interdire -ni à l'Etat, ni aux collectivités locales- d'envisager des transferts de compétences et de moderniser nos procédures chaque fois que le souci d'une plus grande efficacité le dictera.
Je l'ai évoqué, il y a un instant, pour le RMI. C'est également vrai en matière d'environnement. Le projet de loi présenté par M. Michel BARNIER renforce les compétences des départements dans un domaine auquel nos concitoyens sont très attachés. Le texte sera prochainement discuté au Sénat.
La préparation du projet de loi d'orientation pour le développement et l'aménagement du territoire a révélé la difficulté d'atteindre cette clarification des compétences que nous appelons tous de nos voeux.
Il faut d'abord lever une ambiguïté. La loi sur l'aménagement du territoire n'est pas une loi de décentralisation, mais pour autant il ne s'agit en rien de revenir sur celle-ci. L'aménagement du territoire et la décentralisation doivent aller de pair. L'essentiel est d'utiliser au mieux les capacités et les moyens de chaque niveau de collectivité pour améliorer l'efficacité d'ensemble et corriger les inégalités.
Cela suppose beaucoup de concertation. Avec l'Etat, certes. Entre les associations de collectivités, tout autant.
Le Gouvernement est ouvert à toutes les propositions. Celle qui consiste à identifier pour chaque type d'intervention publique une collectivité "chef de file" mérite un examen particulier. D'une manière générale, la réflexion sur les compétences doit se poursuivre. Elle le sera dans un esprit constructif, puisque l'objectif et la méthode sont partagés : clarification et pragmatisme. Les Français souhaitent pouvoir mieux identifier les responsabilités particulières de chacun des niveaux de décision.
La mise en oeuvre des réformes engagées suppose que se développe la coopération entre l'Etat et les collectivités.
Le débat national pour l'aménagement du territoire a permis de dégager les attentes de nos concitoyens et les valeurs auxquelles ils sont attachés.
Parmi celles-ci figure la démocratie locale. Le débat a fait apparaître clairement l'attachement des Français à notre administration locale et, notamment, à ses deux échelons de proximité et de solidarité que sont la commune et le département.
Dans ce débat sur l'aménagement du territoire, le département est un acteur essentiel.
C'est ainsi que le Gouvernement a souhaité que les départements, qui sont concernés par les contrats de plan Etat-région et auxquels ils contribuent financièrement, soient associés à leur élaboration.
Les départements ont aussi été associés à la définition des programmes d'utilisation des fonds européens. La collaboration entre Etat, régions et départements n'a jamais nui à l'exercice des compétences de chacun. Au contraire, elle permet de fédérer les priorités de l'ensemble des partenaires.
Il était, dés lors, normal que le projet de loi d'orientation du développement du territoire, tel qu'il a été voté par l'assemblée nationale en première lecture, reconnaisse aussi le rôle que doit jouer le département dans l'aménagement du territoire.
L'APCG a formulé des propositions à l'occasion du débat à l'Assemblée Nationale. Elles ont été largement prises en considération.
Ainsi, pour l'élaboration des documents relatifs au développement du territoire : schéma national, schémas régionaux, directives territoriales, les départements seront directement associés. Ils seront représentés au conseil national d'aménagement et de développement du territoire ainsi qu'à la conférence régionale.
Ils joueront un rôle important dans la définition des "pays" à travers la commission départementale de coopération intercommunale. Je voudrais rappeler et confirmer les propos de Charles PASQUA. Les "pays" sont destinés à faciliter les rapprochements communaux et ultérieurement à adapter la carte des arrondissements. Il n'est pas envisagé de modifier la carte cantonale. Les départements joueront un rôle important dans la réorganisation des services aux usagers et dans la mise en oeuvre du fonds de gestion de l'espace rural. En outre, ils bénéficieront des dispositions touchant la coopération transfrontalière.
Le débat parlementaire sur le projet de loi reprendra dans les semaines prochaines.
Je souhaite qu'il soit fructueux, réaliste et ambitieux.
Des questions essentielles méritent un approfondissement.
Il est, ainsi, clair que les relations entre les communes doivent se développer. Quelles conséquences en tirer pour que les départements assument leurs missions ?
Il est, ainsi, clair que les différentes parties du territoire national doivent être traitées dans le respect de leurs singularités : la montagne, le littoral, la campagne, les villes, l'agglomération parisienne. Comment éviter que le débat sur les spécificités de chacun ne fasse perdre de vue l'objectif qui est d'obtenir un développement harmonieux de tout le territoire ?
Dans la volonté de réforme qui est celle du Gouvernement, l'APCG est un partenaire privilégié.
Je sais pouvoir compter sur chacun d'entre vous pour faire avancer la France.
Le pays a devant lui de longues années de réformes. Il nous faut, pour répondre à cette obligation, faire preuve d'union, d'optimisme et de courage.
L'union s'obtiendra par la volonté de rechercher toujours la cohésion sociale et la cohésion géographique du pays. Cela suppose que se développe un climat de confiance auquel chacun peut et doit contribuer.
L'optimisme est nécessaire pour faciliter l'émergence d'initiatives individuelles et accompagner le développement économique. Il ne doit pas masquer les difficultés qui demeurent, mais s'appuyer sur notre capacité les surmonter.
Le courage, quant à lui, est indispensable pour poursuivre les réformes dont le pays a besoin et pour en engager de nouvelles.
Le Gouvernement poursuit cette voie depuis plus d'un an et demi. Il le fera jusqu'au terme de son mandat.Avançons ensemble avec résolution et confiance !