Déclaration de Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, sur le projet de loi sur la bioéthique, et notamment la création de l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines (APEGH), Paris le 20 décembre 2001.

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Circonstance : Réunion de la commission spéciale de parlementaires sur le projet de loi sur la bioéthique, à Paris le 20 décembre 2001

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les parlementaires,
La loi de 1994 relative au don, à l'utilisation des éléments et produits du corps humain et à l'assistance médicale à la procréation prévoyait sa révision.
Cette loi s'est appuyée sur une réflexion éthique dans le domaine des sciences de la vie : la compréhension sans préjugés des enjeux des questions posées à l'époque, de leurs conditions ou conséquences, de l'opportunité d'agir ou non.
La loi reflète la philosophie de KANT pour qui l'homme doit toujours être traité comme une fin et non comme un moyen. La singularité de chaque être comme personne humaine doit être affirmée, respectée et protégée. Son consentement et sa liberté doivent être préservés.
Cette réflexion éthique permet à la loi le soin de définir le champ des pratiques pour permettre les progrès scientifiques qui ont ouvert la voie à des traitements nouveaux, sans mettre en cause les valeurs sur lesquelles notre société est fondée.
Le principe est le suivant : la technique précède l'éthique et l'éthique précède le droit.
On sait que l'augmentation rapide des connaissances scientifiques se traduit par l'apparition de nouvelles techniques considérées comme des progrès qui vont susciter non seulement des espoirs immédiats mais aussi de nouvelles exigences et de nouvelles interrogations.
Il était nécessaire en effet que le législateur, définisse le nouveau cadre pour répondre aux aspirations de la société , laquelle témoigne à la fois d'un refus de plus en plus marqué de la fatalité. On recherche la cause de la maladie, des erreurs médicales, on accepte moins les incertitudes techniques. Toute la société est imprégnée de la recherche du risque zéro.
Voilà pourquoi, pour répondre aux craintes et répondre à l'espoir, il faut réviser la loi qui traite des questions liées aux innovations et qui utilisent des produits provenant du corps humain, ce qui est appelé par les chercheurs : manipulations du vivant.
Le délai écoulé entre 1994 et 2001 a permis de faire la part des dispositions qui restent appropriées, de celles qui nécessitent des modifications et des adaptations.
Cette actualisation liée à l'évolution de la société implique une ouverture maîtrisée de la recherche pour garantir le respect de la personne. Le politique doit pouvoir revenir sur des décisions qui doivent être adaptables voire réversibles en raison des incertitudes de la science.
À côté des modifications liées à la demande sociale à la suite des avancées de la science, d'autres sont liées aux soucis d'harmonisation et de simplification. Comme, par exemple, les règles relatives au consentement au prélèvement sur personne décédée, ou bien encore les régimes juridiques des cellules.
Quand une loi traite de l'expérimentation sur l'homme, de greffes d'organes, de l'utilisation des parties du corps humain, elle doit améliorer et renforcer les garanties nécessaires à l'information aux personnes, au respect de la volonté des personnes, au droit des malades.
C'est pourquoi un très grand nombre de modifications apportées sont liées au besoin de mieux affirmer le droit des personnes.
Ces nouvelles garanties apportées, inscrites dans la loi sont indispensables pour répondre à l'objectif premier de la loi : la reconnaissance de l'ambition éthique pour la qualité même des soins.
La révision des textes s'est attachée à favoriser la mise au point de nouveaux traitements, aider la recherche thérapeutique dans le domaine des maladies dégénératives incurables, ne pas barrer la route à l'utilisation de nouvelles techniques prometteuses tout en renforçant la protection de la personne.
C'est cela l'esprit de la loi : faire progresser la qualité et l'efficacité des soins en faisant progresser le respect de la vie, la protection de l'intégrité du corps et le respect de nos morts.
Cet esprit conduit également à rejeter tout ce qui, en soi, porte atteinte au genre humain (clonage reproductif). L'esprit de la loi a intégré, tout au long de ses travaux, le souci de répondre à la solidarité, comme en témoignent les propositions visant à élargir le cercle des donneurs vivants qui, en répondant en partie à la pénurie d'organes, va permettre l'expression de nouvelles solidarités correspondant à l'évolution de la vie familiale.
Tel est également le sens à donner aux ouvertures nouvelles qui concernent la recherche en embryologie où la motivation essentielle est de permettre la mise au point de traitements pour des maladies considérées encore actuellement comme incurables.
Les principales modifications apportées tiennent compte des nombreuses instances consultées, et notamment des rapports du conseil d'Etat de novembre 1999 qui a rendu une série de propositions sujettes à débat, et de celui de l'office parlementaire.
Elles nécessitent d'avoir débattu de façon très vaste sur un terrain plus large que le champ de la santé ou que celui de la déontologie professionnelle qui mêle en permanence droit civil et droit à la santé.
I°. Le titre I traite des caractéristiques génétiques. Il pose un principe d'interdiction des discriminations à raison des caractéristiques génétiques. Mais ceci a été repris dans le projet de loi relatif aux droits des malades . Il reste l'article 16-11 du code civil dans le projet de loi, qui encadre les conditions post-mortem des empreintes génétiques.
II°. Dans le titre II relatif au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain :
L'une des principales modifications a pour but l'adoption d'un régime unique du consentement présumé qui s'applique, quelle que soit la nature du prélèvement : visée thérapeutique ou visée scientifique. Il s'applique également aux autopsies médicales. Il ne peut y être dérogé qu'à titre exceptionnel, par une absolue nécessité de santé publique, telle que la surveillance de l'évolution épidémiologique des encéphalopathies spongiformes subaigües transmissibles.
Le collège des donneurs vivants : il était jusque là limité aux père, mère, fils, fille, frère, sur et enfants en cas d'urgence. La condition d'urgence pour le conjoint est levée. Le donneur peut être toute personne majeure et capable, ayant avec le receveur des liens étroits et stables à la condition que la recevabilité du don relative aux principes de libre consentement, de gratuité et de non patrimonialisation du corps humain ait été vérifiée. Des dispositions particulières concernant les mineurs et les majeurs sous tutelle ont été prises.
Les différents régimes juridiques applicables aux cellules sont très complexes. La loi prévoit la simplification et l'harmonisation puisqu'un seul régime juridique va être applicable aux cellules y compris celles de la moelle osseuse qui résultent non plus d'un don d'organe mais d'un don de cellules.
III° Dans le titre III relatif aux produits de santé, il est prévu que les produits de thérapie génique qui n'utilisent pas de cellules humaines comme vecteur sont transférés dans la partie du code de santé publique relative aux produits de santé (droit du médicament). Ces dispositions étaient jusque là incluses dans le titre II.
IV° Un grand nombre de modifications sont proposées au titre IV qui traite de la procréation et de l'embryologie.
Elles traduisent la volonté du législateur de répondre aux espoirs thérapeutiques, à la demande de soins par une médecine responsable et éviter les dérives qui constitueraient une atteinte dégradante aux droits et à la dignité de la personne humaine.
La question du clonage humain est apparue en 1997 comme une interrogation majeure dans le domaine de la bioéthique avec la naissance par clonage de la brebis écossaise " Dolly ".
Cette technique a suscité fantasmes et craintes au même titre que l'espoir. Les questions posées par cette découverte, ont entraîné des poussées d'inquiétudes collectives bien compréhensibles. Car le clonage de la brebis Dolly a été perçu comme un premier pas vers la faculté pour l'homme, de créer le double d'un être à partir d'un élément de son propre corps.
Le projet de loi interdit le clonage reproductif puisqu'il interdit toute intervention ayant pour but de faire naître un enfant ou se développer un embryon humain qui ne serait pas directement issu des gamètes d'un homme et d'une femme.
Le clonage reproductif est interdit puisque seule la reproduction sexuée est autorisée. C'est celle qui assure la création d'un être aux caractéristiques imprévisibles qui échappent au déterminisme et contribue à la reconnaissance de sa singularité et de son autonomie, deux éléments essentiels de la condition humaine.
Cette interdiction du clonage reproductif s'inscrit dans la continuité d'un grand nombre de positions adoptées depuis quelques années :
- la déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l'homme de l'UNESCO en novembre 1997 affirme que les pratiques qui sont contraires à la dignité humaine telles que le clonage reproductif ne devraient pas être autorisées ;
- le Conseil de l'Europe a adopté en 1998 la convention d'Oviedo qui interdit toute intervention ayant pour but de créer un être humain génétiquement identique à un autre être humain ;
- le 8 août 2001 la France et l'Allemagne ont saisi le Secrétaire général de l'ONU pour que naisse une convention universelle interdisant le clonage humain à visée reproductive ;
La Grande Bretagne qui a autorisé l'utilisation de la technique du transfert nucléaire par voie législative au printemps 2001 vient de légiférer à nouveau pour interdire explicitement le clonage reproductif et n'autorise ainsi la production de cellules par transfert nucléaire que dans un but de recherche biomédicale.
La question de la recherche sur l'embryon est sans doute " la question " fondamentale qui est aujourd'hui posée au législateur puisque la loi de 1994 l'a interdite. Il nous semble qu'il faut autoriser cette recherche mais il appartient à la représentation nationale de définir le périmètre des recherches autorisées et l'encadrement auquel elles sont soumises.
Les progrès scientifiques liés à la découverte des cellules souches embryonnaires et adultes, et au potentiel thérapeutique des cellules totipotentes suscitent de réels espoirs thérapeutiques à l'égard de maladies actuellement incurables comme la maladie de Parkinson, la maladie d'Alzheimer ou l'insuffisance hépatique. Il faut tenir compte des enjeux scientifiques, éthiques et sociétaux pour permettre la recherche sur l'embryon.
Ainsi le projet de loi introduit la recherche sur l'embryon dans ses diverses finalités et notamment pour l'obtention de cellules totipotentes en vue de recherches visant à mettre au point de nouveaux traitements. Le projet de loi précise que " les cellules de l'espoir ", comme les appelle le Premier ministre, ne peuvent provenir que d'embryons surnuméraires ne faisant plus l'objet d'un projet parental, excluant ainsi l'obtention de cellules embryonnaires issues d'un clonage par transfert nucléaire en l'absence de garanties nécessaires pour autoriser cette technique.
Pourquoi avons-nous fait le choix de ne pas autoriser le transfert nucléaire et de limiter la recherche aux embryons surnuméraires ?
Parce que les garanties de l'absence de dérive de cette technique vers le clonage reproductif ne sont pas assurées. Elles nécessitent non seulement que la loi l'interdise dans notre pays, mais elle nécessite de légiférer aux niveaux européen et mondial et souligne l'intérêt de l'initiative franco-allemande d'août 2001. Il faut ensuite obtenir des garanties de protection des femmes qui envisageraient de donner des ovocytes à la recherche et éviter les risques de commercialisation et de trafic. Et enfin, des données scientifiques récentes conférant des compétences supplémentaires aux cellules souches issues d'embryons, et doutant de certaines qualités attribuées jusque là aux seules cellules souches issues d'un transfert nucléaire, ont influencé cette décision.
Bien entendu, si les données scientifique évoluent et si les garanties, notamment au niveau international sont obtenues, la révision régulière des lois de bioéthique permettra si nécessaire de reconsidérer le débat sur le transfert nucléaire..
Il reste que le projet de loi autorise la recherche sur les embryons surnuméraires. Celle-ci est rigoureusement encadrée puisqu'elle sera contrôlée par une nouvelle agence dénommée "Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines " (APEGH), ayant pour premier rôle le renforcement de l'encadrement des activités de soins relatives à l'assistance médicale à la procréation, au diagnostic prénatal et au diagnostic pré-implantatoire.
Le deuxième rôle de l'agence est lié à la nécessité d'encadrer les nouveaux champs de la recherche sur l'embryon in vitro que souhaite aussi le gouvernement. Ce rôle d'encadrement et de veille sera garant du respect de la loi dans l'application de ces ouvertures.
Pour cela, elle sera dotée d'un Haut conseil multidisciplinaire dont les membres seront désignés de façon à lui conférer l'autorité, la compétence et l'indépendance nécessaires à ses missions. Ces différents points suivent de près les recommandations du rapport du Conseil d'Etat.
Voilà, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, les principales modifications apportées par cette loi caractérisée par une nécessité de simplifications, d'harmonisation, d'adaptation et d'ouverture dans le respect de la dignité humaine et de la solidarité.

(source http://www.sante.gouv.fr, le 2 janvier 2002)