Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur une éventuelle évolution statutaire de la Guadeloupe, la nécessité d'une relance de la décentralisation et sur les relations entre l'Union européenne et les départements d'outre-mer, Pointe-à-Pître le 9 janvier 2002.

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Circonstance : Voyage de M. Poncelet en Guadeloupe, Martinique et Guyane du 9 au 14 janvier 2002-discours des Etats généraux des élus locaux de Guadeloupe le 9 à Pointe-à-Pître

Texte intégral

Madame la Présidente,
Messieurs les Parlementaires,
Monsieur le Préfet,
Mesdames et Messieurs les élus locaux,
Au terme de ces Etats-Généraux des élus locaux de la Guadeloupe, - dont je tiens à souligner l'excellente tenue -, je voudrais, chers amis, vous remercier, sincèrement et chaleureusement, de m'avoir enrichi de vos expériences, de vos réflexions, - de vos doutes parfois -, mais toujours de votre foi inébranlable dans votre avenir, dans notre avenir.
Je me félicite d'être venu à votre rencontre, à un bon moment, dans ce contexte particulier et passionnant d'ébullition intellectuelle, d'effervescence institutionnelle et de remue-méninges statutaire.
En ma qualité de Président du Sénat de la République, j'exerce une fonction d'arbitre qui m'interdit d'être juge ou partie.
Mais l'homme politique que je suis a le droit, à titre personnel, d'avoir des idées, des opinions et des convictions et il a, - me semble-t-il -, le devoir de les exprimer.
N'étant pas un adepte de la langue de bois, - loin s'en faut -, je ferai un usage plein et entier de ma liberté d'expression.
En premier lieu, je voudrais vous dire que j'approuve le processus retenu, - celui du Congrès -, pour aboutir à une éventuelle évolution statutaire. Il s'agit, à l'évidence, d'une démarche démocratique, transparente et sereine qui incite à la responsabilité.
Cette méthode républicaine, qui confie à des élus adoubés par le suffrage universel, le soin de réfléchir à l'évolution institutionnelle de leur collectivité contraste, avantageusement, avec d'autres démarches qui ont eu cours pour modifier le statut d'une île métropolitaine Mais je n'insisterai pas
En deuxième lieu, je voudrais vous rappeler que je me bats, depuis mon accession à la Présidence du Sénat, pour obtenir une relance de la décentralisation, - réforme bénéfique s'il en est -, et, au-delà, pour aboutir à l'avènement d'une République territoriale, version unitaire du fédéralisme, qui romprait définitivement avec notre culture jacobine et " l'effort multiséculaire de centralisation " dont parlait le Général de Gaulle.
Ce qui est bon pour la métropole l'est, a fortiori, pour les collectivités ultramarines dont les spécificités et les caractéristiques propres, liées notamment à leur éloignement géographique et aux particularités de leur environnement international, justifient pleinement une nouvelle délégation de compétences au service de leur développement.
Cette " politique ambitieuse de transfert de responsabilités ", - pour reprendre l'expression utilisée par M. le Président de la République -, devrait se traduire par des pouvoirs accrus en matière de coopération régionale et dans les domaines de l'aménagement du territoire, des transports, de la culture, de l'éducation, de l'action économique et sociale. C'est une question d'efficacité, j'allais dire d'efficience démocratique.
Par ailleurs, je considère que le temps de l'uniformité statutaire des collectivités d'outre-mer est révolu. Il faut maintenant consacrer un droit à la différence institutionnelle allant du maintien de la départementalisation, au besoin " toilettée ", à un statut d'autonomie régionale renforcée.
Le carcan de l'uniformité statutaire a vécu car il n'y a pas un mais des outres-mer français. Chacune des collectivités ultramarines est, à elle seule, une entité spécifique.
Dès lors, je suis partisan, si vous souhaitez emprunter cette voie, d'une évolution institutionnelle différenciée ouvrant à chacune des collectivités d'outre-mer, la faculté d'opter pour un statut à la carte, pour un statut sur mesure, dans le respect de l'unité de la République.
Enfin, je me dois de rappeler avec force que la question institutionnelle n'est pas une fin en soi. Un statut rénové ne constitue qu'un moyen au service d'une ambition qui le transcende : le développement économique et social de vos collectivités.
De cette observation de bon sens découle l'ardente obligation de choisir le statut le mieux adapté à la recherche de cette impérieuse finalité, celle, je le répète, d'un développement économique et social durable.
C'est, en effet, au regard de cet impératif catégorique que se pose la question des conséquences et des implications d'une remise en cause du statut départemental sur l'intégration européenne des départements d'outre-mer et donc sur leur éligibilité à la politique agricole commune et leur accès aux fonds structurels.
Aujourd'hui, les départements d'outre-mer bénéficient, comme vous le savez, de ces soutiens européens car ils sont inclus, en vertu de l'article 299-2 du Traité d'Amsterdam, dans la catégorie des régions ultrapériphériques européennes, à l'instar de Madère, des Açores et des Canaries.
A ce titre, les quatre départements d'outre-mer se partagent une manne européenne, en provenance des fonds structurels, dont le montant par habitant est dix fois supérieur aux concours attribués aux pays et territoires d'outre-mer par le truchement du fonds européen de développement.
L'enjeu est de taille
Que se passera-t-il demain dans l'hypothèse d'une évolution statutaire qui se traduirait par une mise à l'écart du statut départemental ?
Pour certains juristes, une évolution statutaire des départements d'outre-mer vers davantage d'autonomie interne serait sans incidence sur leur intégration européenne puisque ces collectivités se borneraient, au sein de la catégorie des régions ultrapériphériques, à se rapprocher de Madère, des Açores ou des Canaries qui disposent, d'ores et déjà, de compétences plus étendues et notamment d'un réel pouvoir législatif.
Pour d'autres, une évolution institutionnelle des DOM vers l'autonomie régionale ne pourrait avoir de conséquences sur leur statut européen qu'à l'issue d'une négociation entre la France et ses quatorze partenaires de l'Union européenne.
Certes, mais à ce stade, le problème n'est plus technique, il devient politique.
En effet, quelles sont les chances de succès d'une telle négociation, - destinée à préserver le statut européen des DOM en dépit de leur évolution institutionnelle -, dans un contexte défavorable de raréfaction inéluctable de la manne européenne induite par la perspective de l'élargissement ?
Quoiqu'il en soit il ne faut pas dramatiser cette question.
A supposer cette hypothèque européenne levée, - et je l'espère dans le bon sens -, c'est-à-dire celui qui conciliera la marche vers une plus grande autonomie interne avec la préservation des avantages tirés de l'appartenance européenne, il restera à votre projet d'évolution statutaire, - lorsqu'il sera arrêté -, deux étapes à franchir ou deux écluses à passer pour parvenir à bon port.
L'une résulte d'une exigence démocratique incontournable, c'est celle de la consultation, " claire et loyale ", pour reprendre l'expression du Conseil Constitutionnel , des Guadeloupéennes et des Guadeloupéens sur le projet de loi portant évolution de votre statut.
Certes le résultat de cette consultation ne sera qu'un avis qui ne saurait lier le législateur, comme l'a rappelé le Conseil Constitutionnel ; mais cette consultation offrira une caution démocratique à votre démarche institutionnelle et un surcroît de crédibilité à votre projet.
L'autre étape résidera dans une réforme constitutionnelle ambitieuse de l'ensemble du titre XII de notre Constitution, relatif aux collectivités territoriales pour que notre Loi Fondamentale permette, tout en ayant fixé un cadre d'ensemble, de sortir de l'uniformité actuelle.
En effet, dans l'état actuel de sa rédaction et surtout de la lecture qu'en fait le Conseil Constitutionnel, l'article 73 interdit toute perspective de statut à la carte.
Il faudra donc modifier cet article, pour y consacrer dans le respect de l'unité de la République, d'une part, le droit à la différence statutaire de chacun des départements d'outre-mer qui pourraient cependant, pour des motifs européens, continuer à former une catégorie générique et, d'autre part, un éventuel pouvoir d'adaptation de la législation et de la réglementation nationales.
Chers collègues, Mesdames, Messieurs, ces propos n'ont pas pour objet de vous dissuader d'entrer dans cette voie, - bien au contraire -, ni de vous décourager à entreprendre ce périple. Si tel était mon dessein, - mais ce n'est pas le cas -, je n'y parviendrais pas car votre détermination est inébranlable et votre sens de la responsabilité inflexible.
Je veux simplement, pour éviter tout malentendu, toute déception ou toute désillusion, vous rappeler les étapes du chemin, qui s'ouvrira au lendemain des échéances électorales du printemps 2002, éclairer ses embûches et ses pièges et, peut-être, vous donner une boussole pour mieux vous repérer dans un univers mouvant. Une fois franchies les étapes de l'élaboration d'un projet de statut par votre Congrès et de son approbation par les populations intéressées, l'arbitre que je suis se transformera en notaire pour, en quelque sorte, authentifier vos actes et leur donner une existence légale.
Je souhaite, en effet, que le Sénat de la République française affiche davantage sa fibre ultramarine et devienne, plus encore, votre correspondant, naturel et légitime, votre avocat et votre intercesseur.
Avant de conclure mon propos, je voudrais revenir au cur du débat qui nous réunit aujourd'hui, c'est-à-dire l'indispensable développement économique et social des collectivités d'outre-mer.
A ce propos, j'exprimerai quelques regrets mais surtout je formulerai des propositions pour l'avenir.
Mon premier regret concerne le débat très dommageable qui a entouré la loi Pons, dite " de défiscalisation ". La métropole a, en effet, analysé, pour l'essentiel, ce dispositif sous l'angle d'un débat politicien portant sur les avantages fiscaux qu'en retiraient les investisseurs.
Bien que perfectible, ce dispositif, conçu comme un levier d'incitation à l'investissement privé dans l'économie productive de l'outre-mer, a en effet puissamment contribué au maintien et au développement d'activités dans la sphère marchande. La métropole ne saurait en effet cantonner l'outre-mer français à un assistanat que vous récusez car vous avez fait le choix de la responsabilité.
Or, tous ces débats très hexagonaux ont beaucoup nuit à la visibilité et à la stabilité de cet instrument fiscal. Cette situation est d'autant plus regrettable que la loi dite " Paul " s'est tardivement résolue à prolonger un dispositif implicitement reconnu comme efficace.
Que de temps et d'énergie perdus, au cours desquels le flux d'investissements privés vers l'outre-mer a été, si vous me permettez l'expression, gravement inhibé.
En outre, je déplore que les décrets d'application correspondants de la " loi Paul " ne soient toujours pas publiés.
Au-delà de cet instrument de défiscalisation qui devra être modernisé et amplifié, je dirais, - et c'est mon second regret -, qu'il a manqué à la loi d'orientation pour l'outre-mer d'être une loi d'orientation et de programmation à moyen terme.
C'est pourquoi je propose que l'outre-mer français bénéficie d'une véritable loi de programmation sur dix, voire quinze ans.
Contenant des engagements et des mesures durables mais aussi, et surtout, leur traduction chiffrée, cette loi de programmation donnerait, enfin, aux investisseurs privés, aux entrepreneurs, et plus encore aux Guadeloupéens eux-mêmes, un instrument contribuant à définir un horizon lisible, stable et prévisible, dans lequel s'ancreront les engagements de la République pour réaliser " l'objectif de parité " entre la métropole et l'outre-mer.
Sachons rendre l'espoir à la jeunesse de l'outre-mer français.
Donnons-nous les moyens - donnez-vous les moyens - de vivre ensemble cette nouvelle étape d'une Histoire que je veux commune.
Parce que la France est fière de ses outre-mers !
Parce que vous êtes aux avant-postes de la République Française et de son rayonnement dans le monde !
Sachons bâtir ensemble une République territoriale et ultramarine au service d'une France moderne, plurielle et solidaire.
Vive la Guadeloupe !
Vive la République !
Vive la France !
Vive l'Europe !
(Source http://www.senat.fr, le 11 janvier 2002)