Déclaration de M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement, sur les conclusions du rapport d'expertise technique et administrative relatif à l'incendie survenu dans le tunnel du Mont-Blanc et sur la nécessité de développer le ferroutage, Courmayeur (Italie), le 8 juillet 1999.

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Circonstance : Présentation des conclusions du rapport d'expertise technique et administrative relatif à l'incendie survenu dans le tunnel du Mont-Blanc, à Courmayeur (Italie), le 8 juillet 1999

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Monsieur le Consul général,
Mesdames, Messieurs,
Je voudrais rappeler en premier lieu que la question des franchissements alpins a été, pour moi dès mon arrivée au ministère, une question de société, bien avant la catastrophe du Mont-Blanc.
En particulier, la question du Lyon-Turin, du tunnel ferroviaire, m'a semblé au cur de nos préoccupations.
Concernant l'avancement de ce projet, conformément au sommet franco-italien de novembre 1997, les études se déroulent selon le calendrier prévu. Ces études doivent nous permettre de lever toutes les incertitudes existantes aujourd'hui, en particulier concernant la géologie.
La Commission intergouvernementale franco-italienne pour la nouvelle liaison ferroviaire Lyon-Turin qui se réunira demain à Turin, a reçu pour mandat de faire des propositions aux deux gouvernements pour qu'ils soient en mesure de prendre des décisions stratégiques au sommet franco-italien de 2000.
Un événement dramatique est intervenu le 24 mars dernier dans le tunnel du Mont-Blanc qui a fait 39 victimes. Cette catastrophe a condamné l'utilisation du tunnel pour de nombreux mois, et, de ce fait, perturbé l'économie des vallées tant du côté français que du côté italien.
Les gouvernements ont, chacun de leur côté, nommé des experts chargés de mener une enquête technique et administrative permettant de déterminer les raisons pour lesquelles le sinistre a pu prendre une telle ampleur, d'examiner les équipements de sécurité mis en place au tunnel du Mont-Blanc et de faire des propositions d'une part sur les travaux nécessaires à une réouverture du tunnel du Mont-Blanc dans les meilleures conditions de sécurité, d'autre part sur l'amélioration de la sécurité dans l'ensemble des tunnels routiers.
Ces expertises aboutissent d'une part à un rapport commun et à deux rapports séparés, l'un pour l'enquête française, l'autre pour l'enquête italienne, qui sont joints en annexe au rapport conjoint.
M. Enrico MICHELI et moi-même sommes d'accord pour que non seulement le rapport conjoint mais aussi ses annexes, c'est à dire les rapports de nos experts respectifs, soient également diffusés.
Un tel événement -par sa gravité pour les victimes et par ses conséquences sur les riverains, mais aussi sur l'économie européenne- exige que la transparence soit totale.
En ce qui concerne le rapport conjoint, je souhaite souligner en particulier 3 points :
1) Ce rapport est celui de l'expertise technique et administrative. Il ne faut pas le confondre avec celui de l'enquête judiciaire.
Ce rapport cherche à établir les causes de l'accident et à faire des recommandations pour que de tels accidents ne se reproduisent pas. Il n'a pas pour objectif de rechercher les responsabilités, ce qui, encore une fois, est l'objectif de l'enquête judiciaire.
2) Le deuxième point que je souhaite souligner est la qualité du travail effectué par les experts français et italiens ici présents, et je tiens à les en remercier publiquement.
Ils ont notamment établi une liste de constats pour expliquer l'accident qui montre que -contrairement à ce que j'ai pu lire ces derniers jours dans la presse- il n'y a pas de "faute à pas de chance". C'est le contraire qui est clairement exposé dans le rapport.
3) Mon troisième point que je voudrais souligner est que les recommandations qui sont faites dans le rapport sont le fruit du travail conjoint des 2 commissions d'enquête, française et italienne.
J'en viens maintenant aux suites que les 2 gouvernements souhaitent voir apporter à ce rapport.
En premier lieu, nous avons demandé aux 2 présidents de la Commission intergouvernementale de contrôle du tunnel du Mont-Blanc (la CIG) de mettre en place le comité technique de sécurité proposé par le rapport d'enquête.
Cette commission se réunira dans le courant du mois de juillet. Elle mettra en place ce comité technique de sécurité qui sera placé auprès d'elle pour lui faire des propositions en matière de sécurité, et valider, sur demande des concessionnaires, les travaux nécessaires à la remise en état du tunnel.
Ce comité technique pourra faire appel à des experts, à des spécialistes des tunnels et des responsables locaux de la protection civile et de lutte contre l'incendie.
Bien entendu, M. MICHELI et moi-même ne verrions que des avantages à ce que ce comité technique comprenne des experts étrangers.
A nos yeux, le comité aura un devoir d'alerte de la CIG et devra pouvoir s'auto-saisir sur des sujets touchant à la sécurité autant qu'il le jugera utile.
Ce comité pourra approfondir les recommandations faites par les experts et contrôler leur mise en oeuvre.
En second lieu, je ne vais pas revenir en détail sur chacune des recommandations des experts. Vous pourrez questionner Messieurs MAREC, PESTRE et CIALDINI dans quelques instants.
Parmi celles sur lesquelles le comité technique devra se prononcer, je citerai quelques points seulement :
en ce qui concerne la réparation du tunnel, outre la nécessaire réparation de l'ouvrage lui-même, d'importants travaux seront menés pour améliorer la puissance de ventilation et d'extraction des fumées, et pour multiplier le nombre de refuges directement liés à une galerie d'amenée d'air frais, qui servira de galerie d'évacuation des automobilistes et d'arrivée des secours.
en ce qui concerne les mesures relatives aux conditions d'exploitation du tunnel et d'intervention des secours, des règles de circulation doivent permettre de minimiser les risques d'accident. La circulation sera réglementée à l'intérieur du tunnel, avec en particulier l'application de distances à respecter entre les véhicules et l'inspection des poids lourds avant l'entrée dans le tunnel.
Des plans de sécurité seront établis : plan de sécurité interne à la société unique d'exploitation, défini en liaison avec les secours publics et plan de secours binational français-italien qui vient d'être mis en place par les préfets. Un exercice commun d'incendie au moins aura lieu chaque année.
Sur chaque plate-forme sera mis en place un service de première intervention dirigé par un pompier professionnel.
en ce qui concerne l'organisation du contrôle de l'exploitation et de la sécurité du tunnel, il faudra assurer une gestion et une exploitation unifiées sur toute la longueur du tunnel. A cette fin, dans un premier temps, les 2 sociétés ont convenu de mettre en place une direction d'exploitation unique. Puis l'exploitation et la gestion du tunnel seront confiées à une société unique relevant des sociétés concessionnaires française et italienne.
J'en viens maintenant au coût et aux délais de remise en état du tunnel.
Même s'il nous est difficile aujourd'hui de donner une estimation précise de la durée et du coût de ces travaux, il apparaît que la réouverture du tunnel du Mont-Blanc est impossible avant un an. Tout sera mis en oeuvre pour que l'ensemble de ces travaux et procédures ne dépasse pas 16 à 18 mois, soit pour l'automne 2000.
Le coût des travaux est estimé à 1 300 millions de francs (1,3 milliard de francs ou 200 millions d'Euro). Il sera pris en charge par les 2 sociétés concessionnaires, ATMB côté français et SITMB côté italien.
A ce propos, j'ai remarqué dans la presse des articles indiquant que la réalisation d'un second tunnel avait été rejetée par les experts parce que celui-ci demanderait des financements considérables et du fait des positions exprimées par les populations des vallées intéressées.
Il s'agit de citations, à mon sens, incomplètes.
Le rapport rappelle surtout les orientations prises par les deux gouvernements qui visent à transférer une grande partie du transport des marchandises sur rail, ce qui exclut de faciliter encore le trafic de marchandises sur route. Le rapport précise aussi que la mise en oeuvre des mesures préconisées par les experts garantira un niveau de sécurité suffisant dans le tunnel.
Ces deux derniers points sont décisifs dans le choix des deux gouvernements de ne pas se lancer dans la construction d'un second tunnel routier au Mont-Blanc.
J'insiste sur ces deux points :
En premier lieu, les experts français et italiens affirment que la sécurité des usagers est garantie par la réalisation de la galerie d'amenée d'air frais qui reliera les refuges et qui servira de galerie d'évacuation et d'arrivée des secours. Par ailleurs, je vous rappelle ce que j'ai indiqué précédemment : le comité technique de sécurité qui va être mis en place devra donner son avis pour la réouverture du tunnel.
En second lieu, si on crée un second tube routier, il attirerait encore plus de trafic poids-lourds et on mettrait à mal toute la politique de transport multimodale que les gouvernements européens sont en train d'installer dans les Alpes. Le second tunnel alpin sera un tunnel ferroviaire !
Pour conclure, je voudrais indiquer deux choses essentielles :
la première : je prends l'initiative de réunir la SNCF, les chargeurs et les transporteurs routiers pour la mise en place d'un système de ferroutage sans attendre la réalisation du Lyon-Turin ;
la seconde : toutes ces mesures n'ont de sens que si elles s'inscrivent dans un cadre européen.
J'ai accéléré l'engagement de négociations qui nécessitent l'accord de nos partenaires italiens et européens :
un rapprochement des points de vue, notamment avec l'Autriche a été perceptible lors de la récente réunion de la convention alpine sur le protocole "Transports". Nous devrions parvenir à un accord d'ici la fin de l'année ;
le Conseil des Ministres Européens des Transports a pris acte avec intérêt de l'intention de la France, -là encore particulièrement soutenue par l'Autriche et l'Italie- de déposer un mémorandum auprès de la Commission dès l'automne prochain pour faire évoluer la réglementation en matière de sécurité, pour renforcer les incitations au transfert sur le rail du trafic routier transalpin de poids lourds, pour trouver les financements appropriés, et pour mieux prendre en compte la spécificité des franchissements alpins du point de vue des nuisances dues aux transports mais aussi au regard des échanges commerciaux absolument nécessaires à l'économie de la France et de l'Italie.
(source http://www.equipement.gouv.fr, le 09 août 1999)