Texte intégral
Le Nouvel Économiste : 17 décembre 1993
« Mobiliser l'épargne de proximité »
Le Nouvel Économiste : Comment comptez-vous faciliter le financement des PME par les banques ?
Edmond Alphandéry : La chute du crédit bancaire aux PME est préoccupante. La baisse est de 2,3 % et même de 6 % pour les seuls crédits de trésorerie depuis un an. Aussi ai-je entrepris de nombreuses démarches auprès de l'AFB et de l'Afec pour inciter les banques à être plus allantes en matière d'octroi de crédits, surtout à un moment où des signes de raffermissement se font jour. Notre gouvernement a multiplié les mesures. La politique qu'il a conduite a permis de réduire les taux d'intérêt et, partant, le coût de refinancement des prêts. Nous réformons la loi de 1985 sur les faillites en conférant une plus grande valeur aux garanties bancaires. Le fonds Sofaris a été mis en place pour garantir les crédits bancaires aux PME-PMI. Il a déjà garanti 1 milliard de crédits. Nous avons par ailleurs amélioré le dispositif Codevi.
Le Nouvel Économiste : Que comptez-vous faire pour renforcer les fonds propres des PME-PMI ?
Edmond Alphandéry : Nous avons choisi deux axes. D'abord, la diminution des charges : plafonnement de la taxe professionnelle à 3,5 % de la valeur ajoutée, allégement des cotisations patronales pour les bas salaires, remboursement du décalage d'un mois de TVA… Ensuite, la mobilisation de l'épargne de proximité qui réussit si bien à l'étranger : voyez les Etats-Unis. Nous avons soutenu un amendement d'origine parlementaire qui exonère de la taxe sur les plus-values le transfert des Sicav de trésorerie vers les fonds propres des PME-PMI. Alain Madelin va présenter une loi sur l'entreprise individuelle qui contient des mesures d'incitation fiscale en faveur des personnes physiques investissant en fonds propres.
Le Nouvel Économiste : Faut-il réglementer les délais de paiement aux entreprises ?
Edmond Alphandéry : Il faut tendre évidemment vers des délais plus raisonnables. La voie législative n'est pas toujours la panacée. Ainsi la loi de 1992 relative aux produits frais pose quantité de problèmes et pénalise les exportateurs et les entreprises qui transforment ces produits. J'explore donc une autre voie : la négociation interprofessionnelle. Mais il faudra légiférer afin de pouvoir sanctionner le non-respect des délais de paiement convenus.
Le Monde : 23 décembre 1993
Le Monde : Compte tenu de la marge de manœuvre que vous donne la bonne tenue du franc, peut-on espérer une nouvelle baisse des taux d'intérêt à court terme ?
Edmond Alphandéry : Derrière les chiffres en dents de scie que l'on enregistre d'un mois sur l'autre, il semble bien que l'activité économique ne se détériore plus, c'est déjà un premier résultat. Tant l'INSEE que l'OCDE considèrent que nous allons avoir un redémarrage progressif de l'économie française en 1994. L'INSEE table sur une croissance de 0,3 % par trimestre au cours des six premiers mois de l'année, ce qui est compatible avec notre prévision de 1,4 % en moyenne pour 1994. Ce n'est pas un chiffre mirobolant. Il est certes insuffisant et on ne saurait s'en satisfaire. Mais on dispose aujourd'hui d'un faisceau d'indices qui donnent au scénario du redémarrage progressif une réelle crédibilité.
Sur les taux d'intérêt, je n'ai pas à émettre de commentaires sur les perspectives pour 1994. D'autant que la politique monétaire relève, à compter du 1er janvier 1994, de la Banque de France. Mais on peut observer que les taux d'intérêt ont sensiblement baissé depuis neuf mois, parce que les conditions économiques le permettaient. La politique de stabilité monétaire interne et externe conduite par la France a été en effet bien reçue par les marchés. Elle a permis la détente des taux. La preuve : le mouvement de baisse des taux – même s'il a été freiné pendant la crise monétaire de juillet – n'a pas été interrompu pour les taux à long terme. Ceux-ci sont aujourd'hui à des niveaux historiquement bas, puisque les taux à dix ans sont à 5,74 % en France, pratiquement au niveau allemand et parmi les plus bas d'Europe.
Le Monde : Compte tenu de la priorité accordée par le gouvernement à la réduction du déficit budgétaire, mais aussi l'absence de perspectives d'amélioration du chômage (12,6 % fin 1984), écartez-vous de nouvelles mesures de relance de l'activité.
Edmond Alphandéry : Une économie ne se gère pas à l'aide d'un presse-bouton. Les politiques monétaire et budgétaire demandent plusieurs mois avant qu'on en mesure les effets.
Nous devons, donc attendre de voir l'impact des mesures que nous avons mises en œuvre au printemps avant d'envisager des dispositions complémentaires de soutien.
Le Monde : La situation des PME qui représentent plus de la moitié de l'emploi salarié en France est pourtant très préoccupante ?
Edmond Alphandéry : Les PME sont pour nous le « fer de lance » de la lutte contre le chômage. D'où les nombreuses mesures en leur faveur prises par le gouvernement Balladur : le remboursement aujourd'hui presque intégralement achevé de 35 milliards de francs de dette de l'État au titre de la TVA ; la réforme de la fiscalité de l'épargne ; le déblocage par les établissements de crédit d'une enveloppe de 7 milliards de francs à un taux compris entre 7,75 % et 8 %. J'ajoute que l'État va participer à une augmentation de capital du CEPME qui permettra à ce dernier de consentir 5 milliards de francs de crédits supplémentaires en 1994 par rapport à 1993.
Le Monde : Dans votre politique, vous avez profité du transfert de l'épargne courte vers l'épargne longue ?
Edmond Alphandéry : Voici neuf mois, nous étions confrontés à une récession, nous avions des déficits à combler et peu de marge de manœuvre pour mobiliser des ressources afin de relancer l'activité économique et l'emploi. Nous disposions de volumes importants d'épargne placés à court terme. Nous avons cherché à les réorienter vers le long terme. Ce qui a été facilité par la baisse des taux courts plus rapide que celle des taux longs. Par ailleurs, la réforme de la fiscalité de l'épargne a encouragé l'épargne longue au détriment de l'épargne courte.
En neuf mois, le volume des placements en OPCVM (organisme de placement collectif en valeurs mobilières) de court terme s'est réduit de 200 milliards de francs, tombant de 1 300 à 1 100 milliards de francs aujourd'hui. Le transfert s'est fait vers les PEA, l'assurance-vie et les obligations qui financent d'une façon ou d'une autre les investissements. Une part est allée, via l'emprunt Balladur, vers des mesures de soutien. Compte tenu du transfert partiel des sicav vers la consommation des ménages, vous voyez que cette politique a contribué, par ces trois vecteurs, au soutien de l'activité.
Le Monde : Êtes-vous favorable à l'instauration d'une TVA sociale pour renflouer les régimes sociaux déficitaires ou pour financer les allégements de charges patronales pour les emplois non qualifiés ?
Edmond Alphandéry : À titre personnel, je suis perplexe sur l'efficacité d'une telle disposition. Il faut faire un effort sur les bas salaires. La budgétisation des allocations familiales est donc une excellente orientation. D'ailleurs, la loi Giraud prévoit d'augmenter chaque année le volume de la politique familiale budgétisée. Faut-il aller plus loin grâce à la TVA sociale ? D'un côté, cela peut avoir un effet positif sur l'allégement du coût du travail pour les bas salaires. Mais d'un autre n'aurions-nous pas à subir les effets négatifs sur la consommation ?
Le Monde : La constitution du noyau stable, pour la privatisation de Rhône-Poulenc, a révélé l'absence d'industriels, contrairement aux vœux de son président Jean-René Fourtou. Cette carence n'est-elle pas un signe de la difficulté future à constituer les noyaux stables d'actionnaires ?
Edmond Alphandéry : Il n'y a eu aucune difficulté à constituer les groupes d'actionnaires stables. Mais c'est vrai, il y aurait pu y avoir plus d'industriels dans le capital de Rhône-Poulenc où Fiat, seul, est présent. N'extrapolons pas à partir de ce simple cas de figure. Lorsque viendra le tour d'entreprises telles que Renault, on verra des industriels sur les rangs pour entrer dans le capital.
Le Monde : Dans le cas d'Elf-Aquitaine, où en est la constitution du noyau stable d'actionnaires ?
Edmond Alphandéry : Le groupe d'actionnaires stables pourrait se situer aux alentours de 10 % du capital. Sa composition n'est pas encore déterminée. Elf suscite des candidatures, c'est légitime. La commission de privatisation tranchera. À ce stade, il est donc trop tôt pour évoquer la liste des candidats.
Le Monde : Avec toutes les mesures, que vous avez décidé, Elf-Aquitaine est-elle vraiment à l'abri d'une OPA ?
Edmond Alphandéry : Oui. D'abord, l'État restera le premier actionnaire avec 10 % à 15 % du capital. De plus, l'action spécifique que nous avons créée protège les intérêts nationaux. L'une des caractéristiques de cette action est de donner à l'État un pouvoir de veto sur le franchissement de certains seuils. Pour Elf : 10 %, 20 %, et 33 %. Mais attention, n'oublions pas qu'il s'agit d'une privatisation. Dans ce cas, nous devons veiller à maintenir un équilibre entre le transfert de cette entreprise au secteur privé et la préservation de nos intérêts stratégiques.
Le Monde : Les cours du pétrole ne cessent de se déprécier. La dégradation, si elle s'accélère, peut-elle retarder les opérations de privatisation d'Elf-Aquitaine ?
Edmond Alphandéry : Non. Le cours du baril pèse sur toutes les compagnies. On ne privatise pas au gré de la conjoncture. Elf est un des plus beaux fleurons de l'industrie. L'entreprise marche bien. C'est un « gros morceau » à privatiser. Pour autant, cela-ne signifie nullement que cette opération soit difficile à mettre en œuvre. Au contraire, il n'y a plus qu'à choisir le bon moment.
Le Monde : Le lancement de l'opération dépend plus de l'environnement boursier que pétrolier ?
Edmond Alphandéry : Oui, bien sûr. Ce qui est déterminant, ce sont d'abord les conditions du marché boursier.
Le Monde : Comment procéderez-vous, en une ou plusieurs fois ?
Edmond Alphandéry : Le plus probable est une privatisation en une seule fois. Mais nous verrons bien.
Le Monde : Peut-on envisager que la privatisation de l'UAP se déroule avant celle d'Elf-Aquitaine ?
Edmond Alphandéry : Dès l'instant où Elf était la dernière entreprise prévue dans la liste du décret de juillet dernier, nous n'avons pas voulu la laisser seule en lice. Car jusqu'à présent, nous avons toujours souhaité garder deux fers au feu. Voyez la BNP et Rhône-Poulenc. Pour autant, chacun voit bien qu'Elf a une longueur d'avance.
Le Monde : Vous voulez continuer à vous appuyer sur le marché boursier. Alors pourquoi ne supprimez-vous pas totalement l'impôt de Bourse ?
Edmond Alphandéry : Il y a eu plusieurs gestes cette année. Pour les petites transactions, à l'initiative du gouvernement ; pour les grosses transactions et les non-résidents à l'initiative du Parlement. Et cela afin d'accroître la compétitivité de la place de Paris par rapport à ses concurrents européens et donc pour défendre l'emploi dans le secteur financier en France. Il est cependant difficile, dans les conditions actuelles, de se priver aujourd'hui du milliard et demi de recettes que rapporte cet impôt, même si tous considèrent que cela serait justifié économiquement.
Le Monde : L'Assemblée a voté la semaine dernière un texte réglementant très fortement le dividende majoré, il s'agit d'une mesure qui permet à une entreprise de stabiliser son capital en récompensant l'actionnaire fidèle avec un dividende supérieur à celui normalement attribué. Qu'en pensez-vous ?
Edmond Alphandéry : Je me suis engagé à faire voter un dispositif réglementant la majoration des dividendes, lancée notamment par l'Air liquide. Il ne fallait pas empêcher une entreprise de récompenser ses actionnaires fidèles. Mais cette pratique nouvelle ne devait pas polluer le processus des privatisations, en laissant penser que les actionnaires du noyau stable, par nature fidèles, puissent s'attribuer un dividende supérieur à celui des petits actionnaires. Et la « loi Dailly » qui autorise la majoration des dividendes, en l'encadrant strictement, ne le permettra pas.
Le Monde : Quelles seront les prochaines sessions d'entreprises publiques ?
Edmond Alphandéry : Vous le saurez le moment venu. Mais ne faut-il pas rappeler que nous avons engagé ce programme dans le plus grand scepticisme ? On nous affirmait que la Bourse serait incapable d'absorber de telles sommes. On avait prétendu que l'actionnariat populaire, c'était une vieille lune. Or dans le cas de la BNP et de Rhône-Poulenc, on dénombre à chaque fois plus de 2,8 millions d'actionnaires, 39 % d'entre eux, dans le cas de la BNP, n'étaient jamais venus en Bourse ! Nous avons su créer un environnement notamment boursier favorable aux privatisations. La baisse des taux d'intérêt y est pour beaucoup.
Le Monde : N'y a-t-il pas eu une certaine dérive dans l'affectation des recettes de privatisations ?
Edmond Alphandéry : Privatiser pour désendetter l'État, c'est en théorie l'idée ! Mais c'était se priver des seules marges de manœuvre dont nous avions besoin pour soutenir une économie en récession. Nous avons utilisé l'argent des privatisations pour financer par anticipation les mesures budgétaires de soutien en faveur du bâtiment où des PME par le biais de l'emprunt Balladur. Nous les utiliserons aussi pour doter en capital les entreprises publiques. Il est probable d'ailleurs que l'on dépassera les 20 milliards au total pour 1993 et 1994. Car ces sommes servent aussi à renflouer des entreprises dont certaines ont vocation à être demain privatisées.
Le Monde : Quelle est la philosophie du rapport que vous préparez sur les fonds de pension ? La capitalisation est-elle, pour vous, un complément d'autant plus indispensable, que les régimes de répartition connaissent de sérieuses difficultés ?
Edmond Alphandéry : M. Édouard Balladur m'a confié une mission de réflexion sur les fonds de pension. Vous constatez que les esprits évoluent positivement. Même les syndicats ont pris des positions plutôt ouvertes à la discussion. Il n'est pas question de proposer des fonds de pension qui, d'une manière ou d'une autre, pourraient fragiliser les régimes de répartition. Ce serait irresponsable. Si l'opinion accueille bien le projet, je ne verrai personnellement que des avantages à ce qu'il soit examiné à la session de printemps.
Le Monde : Envisagez-vous, une mesure fiscale dans le budget 1995 pour déduire des revenus les contributions aux fonds de pension ?
Edmond Alphandéry : C'est une hypothèse sur laquelle nous travaillons.