Texte intégral
Le Figaro : 18 avril 1994
Le Figaro : La nouvelle législation sur l'immigration a été élaborée sur le principe de la dissuasion. Or deux affaires récentes ont démontré qu'il était toujours aisé de contourner les lois : à Dunkerque, huit clandestins africains ont été accueillis sur le territoire ; à Lyon, deux Algériens expulsés ont obtenu judiciairement de revenir en France. L'efficacité recherchée par vos nouvelles lois n'est pas probante…
Charles Pasqua : Sur un point précis, vous avez raison. Les conditions dans lesquelles les huit passagers clandestins ont été placés dans un hôtel et finalement « enlevés » par un commando médiatique ont révélé une faille législative. On ne peut pas tout prévoir ! Cette lacune sera comblée par un texte que je déposerai au cours de cette session. Il n'est en effet pas dans mes intentions d'accepter que l'on puisse tourner les lois sur l'immigration.
Le Figaro : Et concernant le retour en France des deux Algériens ?
Charles Pasqua : Là, il n'y a pas de faille dans la loi, mais dans l'application de la loi. Cette décision ne repose sur aucune base légale, car le tribunal de grande instance n'est pas compétent. C'est la raison pour laquelle le préfet a saisi le tribunal des conflits. Quant à la juridiction administrative, elle n'a pas encore statué au fond. Elle a ordonné le sursis à exécution, en permettant ainsi le retour des deux expulsés. Maintenant, ils vont d'une part comparaître devant le tribunal correctionnel pour les délits qui leur sont reprochés, et, d'autre part, le tribunal administratif va devoir juger au fond. Selon le jugement du tribunal administratif, nous saisirons ou non le Conseil d'État.
Mais au-delà de cette procédure, il y a une dérive. Manifestement, au travers d'autres incartades juridiques, il y a une tentation de la part de certains juges de créer une jurisprudence contraire à la loi. Cela n'est pas acceptable. La loi doit s'imposer à tous. Les magistrats ne sont pas là pour faire la loi, ils ont là pour l'appliquer et la faire respecter.
Le Figaro : Vous accusez les juges de chercher à tourner les lois ?
Charles Pasqua : Certains, oui. Et c'est la raison pour laquelle je viens d'écrire au garde des Sceaux, Pierre Méhaignerie, pour le prévenir de cet état de fait, et pour lui demander de bien vouloir donner des instructions précises aux magistrats afin que la loi soit respectée. Il n'y a rien de plus irritant pour les forces de police et pour la population que de constater que la loi n'est pas appliquée.
Le Figaro : Considérez-vous, malgré tout, avoir obtenu une législation dissuasive ?
Charles Pasqua : Les lois sur l'immigration sont devenues définitives depuis le 15 janvier, et tous les décrets d'application sont maintenant applicables. Nous disposons des moyens juridiques et matériels – notamment de zones de rétention administratives et judiciaires – nécessaires pour dissuader les étrangers. Depuis le début de cette année, les reconduites à la frontière ont augmenté de 20 %. Nos objectifs sont toujours les mêmes. Il s'agit de faire en sorte que les étrangers qui sont sur notre sol et qui sont entrés légalement puissent vivre paisiblement. Il s'agit également de mettre un terme à l'immigration clandestine, proie facile pour la délinquance et le travail clandestin. Ce n'est pas l'effet du hasard si 50 % des dealers sont des étrangers. Cela n'est pas tolérable.
Le Figaro : Des Algériens commencent à fuir leur pays pour venir en France. Cela vous inquiète-t-il ?
Charles Pasqua : Jusqu'ici, il n'y a pas de fuite, comme vous dites. Nous sommes passés de 104 demandes de droit d'asile en 1992 à un peu plus de 1 000 l'année dernière. Il est évident que si la situation venait à s'aggraver en Algérie, nous risquerions d'avoir effectivement des demandes plus importantes.
Le Figaro : Si le FIS arrive au pouvoir en Algérie, nombreux seront ceux qui demanderont asile à la France. Êtes-vous prêt à les accueillir ?
Charles Pasqua : Il n'y a pas de rasions que le FIS prenne le pouvoir en Algérie. La France souhaite que l'Algérie trouve les moyens économiques et politiques de résoudre ses problèmes. Cela passe par des discussions entre le pouvoir et ses opposants actuels. Cela dit, il est hors de question que nous acceptions un déferlement de personnes venant d'Algérie. Nous ne serions pas en mesure d'accueillir plusieurs dizaines de milliers de personnes.
Le Figaro : Mais ces exilés pourront-ils se prévaloir d'un droit d'asile ?
Charles Pasqua : Il ne s'agirait pas, là, de droit d'asile, qui est un droit individuel, mais de l'exode d'une population. Nous accepterions évidemment ceux qui ont la nationalité française. Les binationaux auront à justifier de leur qualité.
Pour le reste, nous ne sommes pas du tout obligés, ou alors il va nous falloir accueillir la moitié du monde ! D'ailleurs, ce problème s'il venait à se poser, devrait être examiné non pas dans le cadre de propre pays, mais dans celui des pays méditerranéens et au niveau de l'Union européenne. L'Italie, l'Espagne et nous-mêmes serions confrontés au même problème. Nous ne pouvons pas être le réceptacle naturel de tous les opprimés, de tous les persécutés, de tous les opposants…
Le Figaro : Prenez-vous au sérieux une menace islamiste en France ?
Charles Paqua : Le rôle du gouvernement est de prendre au sérieux toutes les menaces éventuelles. C'est d'ailleurs dans cet esprit que nous avions déclenché une opération préventive sur les sympathisants du FIS à Paris et dans le centre de la France, qui a eu comme conséquence de déstabiliser cette organisation.
Nous avons fait la même opération sur les Kurdes. Nous la ferons sur d'autres si c'est nécessaire. Tous les milieux qui peuvent être amenés à conduire dans notre pays des actions violentes ou des actions contraires à la loi, nous les surveillons, c'est bien évident. Mais pour l'instant, il n'y a pas de menace islamiste en France.
Le Figaro : Comment interprétez-vous l'arrestation récente, à Lille de deux sympathisants présumés du FIS ?
Charles Pasqua : Je prends ces arrestations très au sérieux.
Maintenant, on va essayer de dérouler la pelote, c'est le rôle normal de la justice et de la police.
Le Figaro : L'opinion a été très choqués par les dernières manifestations des lycéens. Cette violence était-elle, d'après vous, spontanée ou organisée ?
Charles Pasqua : C'était une violence organisée par des meneurs de bandes venues des banlieues, et parfois de Paris.
Le Figaro : Les forces de l'ordre n'ont pas réussi à empêcher la casse. Avec le recul, quel enseignement a été tiré de ces événements ?
Charles Pasqua : Lorsque vous faites intervenir les policiers en civil sur les flancs de la manifestation ou sur les rues adjacentes pour interpeller les casseurs, tout le monde proteste. Et lorsqu'on ne fait pas intervenir les policiers en civil, tout le monde considère que la police a été très longue à intervenir. De toute façon, il faut être clair : on ne pourra jamais totalement empêcher ce type d'incidents. Et quand on dirige un service d'ordre, on doit faire preuve de sang-froid et mesurer les risques. On ne peut pas faire charger les forces de police sur des adolescents de 15 ou 16 ans. Enfin, moi, je ne le ferai pas.
Le Figaro : Avez-vous mis au point de nouvelles formes d'intervention pour contrer les violences urbaines et la casse systématique ?
Charles Pasqua : Je ne vais pas vous donner aujourd'hui les décisions qui ont été prises. Sinon les casseurs n'auraient qu'à lire votre journal pour savoir ce que l'on va faire.
Le Figaro : Mais encore…
Charles Pasqua : Il y a des mesures à prendre concernant les meneurs. Elles consistent, lorsqu'ils sont mineurs, à rétablir le placement dans des centres d'éducation surveillée en milieu ouvert ou en milieu fermé. Il faudra bien, dans un certain nombre de quartiers où on connaît ce genre de difficultés, prendre les dispositions nécessaires pour rétablir l'autorité de l'État.
Le Figaro : Êtes-vous favorable à la création d'une brigade d'intervention pour lutter contre les casseurs ?
Charles Pasqua : Nous avons connu ce type de brigade d'intervention avec les voltigeurs motocyclistes de la Préfecture de police. Si c'est ce que vous entendez par là, la réponse est non. En revanche, il est envisagé de créer des unités légères capables de se déplacer rapidement. La police doit aussi se doter de moyens modernes de défense et de dispersion. Nous étudions la question.
Le Figaro : Certains policiers ont demandé à cette occasion le rétablissement de la loi anticasseurs. Qu'en pensez-vous ?
Charles Pasqua : Rétablir la loi anticasseurs ne réglera rien du tout. Cette loi était destinée à permettre d'inculper les organisateurs d'une manifestation lorsque d'aventure elle avait mal tourné. Mais là, nous sommes en face d'éléments incontrôlées. Ce sont des bandes, ce sont un peu des hooligans. C'est un problème en soi. Mais il faut que les organisateurs des manifestations prennent désormais en compte cette réalité.
Le Figaro : Ces violences sont choses communes dans les banlieues. La police maîtrise-t-elle les cités à risques ?
Charles Pasqua : Dieu merci, il n'y a pas en permanence ce type d'événements dans les banlieues. Ils ne revêtent pas ce caractère général ou systématique. C'est la raison pour laquelle je dis qu'il faut mettre hors état de nuire les meneurs de ces bandes et de ces quartiers. Pour le reste, ce n'est pas uniquement grâce à la police qu'on rétablira l'autorité de l'État. L'hyper concentration urbaine, avec un taux de chômage très important, un niveau d'instruction très faible, conduit à ce genre de révolte. Il faut s'attaquer à tous ces problèmes à la fois. La police ne peut pas être la voiture-balai de la société.
Il faut réimplanter la vie économique, sociale et culturelle dans ces quartiers, et ne plus se contenter de les abandonner à leur sort, comme autant de ghettos à l'intérieur du territoire national. C'est pourquoi il y aura, dans la loi d'orientation du territoire que je prépare, de fortes incitations financières et fiscales pour tous ceux qui voudraient créer et investir dans les quartiers les plus déshérités, comme cela se fera dans les zones rurales les plus désertifiées.
Le Figaro : Les policiers attendent avec impatience le projet de loi sur la réforme de la police. Est-ce que le programme va être respecté ?
Charles Pasqua : Le calendrier sera respecté. Je vais réunir les syndicats et les responsables de la police le 28 avril pour leur communiquer les grandes lignes de ce projet de loi d'orientation.
Le Figaro : Jusqu'où va aller ce projet ? Y aura-t-il des changements en profondeur ?
Charles Pasqua : Il ira assez loin. La réforme va toucher les moyens ainsi que l'organisation interne de la police, qui date d'il y a cinquante ans. Les choses vont changer, car il faut une police plus proche des citoyens. Il faut que dans chaque département, à l'aide des maires et des procureurs de la République, le préfet et le responsable de la sécurité de police et de gendarmerie mettent en place des plans départementaux de sécurité, afin d'adapter la présence des forces de police aux quartiers criminogènes et aux heures où sévit la criminalité. On place beaucoup d'espoir dans l'îlotage. Mais si les îlotiers disparaissent à 6 heures du soir, à l'heure où les truands sortent, on perpétue une espèce d'incapacité à se rencontrer. Il vaudrait mieux que les policiers soient sur la voie publique lorsque les délinquants risquent de s'y trouver.
Le Figaro : Allez-vous avoir les moyens financiers – en plein période de restriction budgétaire – vous permettant d'aller au terme de cette réforme de la police ?
Charles Pasqua : Le gouvernement sait que la demande de sécurité est très forte chez nos concitoyens. Nous devons, malgré les contraintes budgétaires, dégager les crédits nécessaires pour que la police soit dotée des moyens dont elle a besoin. Il faudra pour cela un plan échelonné sur huit ou dix ans, mais on ne peut pas laisser la police travailler dans les conditions actuelles.
Le Figaro : Les syndicats sont inquiets. Vous ne craignez pas de voir des policiers descendre dans la rue en cas de déception ?
Charles Pasqua : Le rôle des syndicats est de s'inquiéter, le mien est de les rassurer. Je n'envisage pas une seule minute de ne pas avoir les moyens de ma politique. Pas une seule minute.
Le Figaro : En Corse, le dialogue avec les nationalistes n'est-il pas un échec, puisque les campagnes d'attentats continuent ?
Charles Pasqua : Vous connaissez une meilleure politique ? Il ne s'agit pas de dialoguer avec les nationalistes, mais de doter d'abord la Corse des moyens nécessaires à son développement économique. La corse a été la première région de France à signer le contrat de plan État-région. Nous sommes maintenant dans la phase de préparation du projet du statut fiscal qui sera présente au courant du mois de mai au Parlement. Je crois qu'il y a un très large accord en Corse sur ce statut fiscal et sur les mesures de développement. Y compris dans les milieux proches des nationalistes. L'arrestation du commando de Sperone a été un coup sérieux porté aux nationalistes, mais elle ne va pas les amener à disparaître. C'est un ensemble de mesures, la lassitude de la population et, enfin, une prise de conscience de l'ensemble des nationalistes, du moins des plus sérieux, qui arrêteront ce type d'actions. Mais il ne faut pas mettre tous les attentats dans le même panier. Il y a une bonne part de délinquance et de racket. J'ai donné des instructions et des moyens à la police. Nous commençons d'ailleurs à avoir des résultats.
Le Figaro : L'assassinat du député Yann Plat a révélé, dans le Var, l'apparition de petits potentats nés de la décentralisation et mêlant milieux affairistes et politiques. Doit-on revenir à une mise sous tutelle de certaines collectivités locales ?
Charles Pasqua : Non, absolument pas. On toucherait là directement aux libertés des collectivités locales. Or rien ne le justifie.
En revanche, nous allons, à l'occasion de la loi sur l'aménagement du territoire, revoir les problèmes d'urbanisme et d'attribution des permis de construire, en donnant au préfet un pouvoir d'appel qu'il n'a pas actuellement.
Le Figaro : L'aménagement du territoire est avant tout, pour vous, une reconquête des zones rurales. Pour rendre vie à la province, vous proposez de créer 500 « bassins de vie » répartis sur tout l'espace national. Cela sera-t-il suffisant pour relancer une dynamique du développement ?
Charles Pasqua : La reconquête de l'espace rural est une nécessité, mais ce n'est pas l'alpha et l'oméga de l'aménagement du territoire. Les « bassins de vie », cela existe aussi dans les zones urbanisées.
De quoi s'agit-il ? Nous voulons que le territoire se développe de façon harmonieuse, pour que la population trouve partout activité, logement, éducation, sécurité, culture. Et pas seulement dans quelques métropoles vouées à l'asphyxie. Il faut donc raisonner en distance-temps d'aujourd'hui. On l'a fait quand on a découpé les départements il y a deux cents ans. À l'époque, on avait dit que d'un point du département au chef-lieu il ne fallait pas qu'il y ait plus d'une journée à cheval. À l'heure actuelle, il faut que nous regroupions, au niveau d'un « bassin de vie », les services de l'État, l'ensemble des services publics et les moyens du développement local, sous une forme qui reste à déterminer.
L'essentiel est que les habitants résidant dans un « bassin de vie » ne se situent pas à plus d'une demi-heure ou trois quarts d'heure de tous les équipements indispensables à leur vie quotidienne. Il faut qu'ils y trouvent les mêmes services que dans les centres urbains.
Le Figaro : Cela suppose une remise en cause fondamentale de l'appareil d'État. Que souhaitez-vous lui laisser ?
Charles Pasqua : Une remise en cause des structures de l'État, pas de ses responsabilités. Il y a des responsabilités que personne ne peut assumer à sa place. Nous avons besoin d'un État garant, nous n'avons pas besoin d'un État producteur. Par contre, seul l'État peut décider en ce qui concerne les grandes infrastructures et les choix qui engagent l'avenir. Seul l'État peut assurer la sécurité. Seul l'État peut assurer la justice. Seul l'État peut assurer la péréquation des ressources et l'égalité des chances.
Le Figaro : Un rééquilibrage de la population autour des « bassins de vie » suppose que les entreprises y créent des emplois. Elles ne se déplaceront pas comme ça, parce que cela fait plaisir au gouvernement…
Charles Pasqua : Sûrement pas. Mais elles iront si elles y trouvent leur intérêt. Pourquoi voulez-vous qu'un entrepreneur aille s'installer à Rodez s'il peut s'installer à Toulouse ? Si les charges sont équivalentes, il n'ira pas s'installer à Rodez. Il faut donc qu'il y ait des incitations économiques et fiscales très fortes pour qu'il fasse ce choix. Il faut aussi qu'il y ait sur son lieu d'implantation des infrastructures qui lui permettent de se développer et de fixer son personnel. De l'aérodrome, pour faciliter ses relations avec l'Europe, à l'école, pour les enfants de son personnel. Il faut donc concevoir toutes les infrastructures d'une manière cohérente et complémentaire. Ce qui ne s'est jamais fait jusqu'à présent. Il faut aussi que l'épargne soit fortement incitée à s'investir dans le développement local. C'est une des clés de la réussite.
Le Figaro : Nous sommes à un an de l'échéance capitale. Ne craignez-vous pas que votre plan d'aménagement du territoire soit remis en question dans un an par d'autres ?
Charles Pasqua : Non. Pour plusieurs raisons. Dans le pays, personne n'a contesté la nécessité de ce débat, personne n'a réfuté les leçons tirées, et je pense qu'il y aura peut de contestations sur les objectifs que nous nous assignons. On pourra parler des moyens. Mais l'objectif est acquis. Quels que soient les aléas politiques, l'aménagement du territoire est maintenant perçu par tous comme une nécessité. M. Balladur est tout à fait d'accord avec la démarche d'entreprise, naturellement. M. Chirac m'a dit qu'il était d'accord à 100 %. M. Giscard d'Estaing n'a qu'une seule peur, c'est qu'on n'aille pas assez loin. Ils ne seront pas déçus. Je crois que dans les familles de la majorité il y a un très large accord sur les objectifs (nous verrons bien sur les moyens) et sur la nécessité d'engager cette politique et de la conduire jusqu'au bout.
Le Figaro : Quel que soit le candidat…
Charles Pasqua : Tout à fait. Je dirai même mieux : même la gauche devrait soutenir ce projet. Ce n'est pas un projet politique au sens politicien du terme, c'est un grand projet pour le pays. Qui sera au pouvoir dans dix ans ou dans vingt ans ? Personne n'en sait rien. Ce qui compte c'est d'engager la politique nécessaire au développement du pays, car c'est là que se joue son avenir.
TF1 : Dimanche 24 avril1994
Mme Sinclair : Bonsoir.
Depuis trois semaines, Gorazde abandonné de tous agonise en détruisant chaque jour un peu plus la crédibilité des Occidentaux. Bafoués, ils ont enfin réagi, depuis deux heures ce matin, l'ultimatum de l'OTAN est entré en vigueur. Bonsoir, Charles Pasqua.
M. Pasqua : Bonsoir.
Mme Sinclair : Tout semble calme, même si les Serbes ont jusqu'à la dernière minute continuée tranquillement le massacre et, selon les dernières dépêches, ils se retirent en ce moment, dit-on à l'ONU, du centre de Gorazde.
Tout de suite, Gorazde où l'image n'existe pas, alors écoutez ce témoignage de la représentante du Haut-Commissariat aux Réfugiés qui se trouvait à Sarajevo.
Reportage
Mme Sinclair : Charles Pasqua, quel jugement portez-vous sur l'attitude des Occidentaux toutes ces dernières semaines ?
M. Pasqua : Lorsque j'entends dire : « Les Occidentaux se sont enfin décidés », je crois qu'il faut d'abord parler de l'ONU parce que les Douze d'abord, et l'OTAN ensuite, n'agissent que pour le compte de l'Organisation des Nations-Unies et si l'Organisation des Nations-Unies est incapable de prendre une décision, hésite ou oscille entre plusieurs attitudes, nous avons les conséquences que nous venons de voir.
Mme Sinclair : Mais ce sont tout de même les Occidentaux. Bill Clinton s'est d'ailleurs senti suffisamment humilié, en tant qu'Américain, pour avoir justement décidé de réagir ?
M. Pasqua : Je crois que dans cette affaire la France n'a rien, en ce qui la concerne, à se reprocher, d'ailleurs les décisions d'intervention ont souvent été prises à la demande de notre propre Ministre des Affaires Étrangères, Alain Juppé, qui aura été pendant toute cette affaire le plus ferme, mais c'est vrai que les Américains ont énormément hésité de partir, probablement, de gêner leurs relations avec les Russes et ce qui est particulièrement choquant, scandaleux, inadmissible, c'est de laisser massacrer des gens sans rien faire.
Je crois qu'il faut maintenant sur cette affaire prendre des décisions définitives. On protège toutes les zones de sécurité…
Mme Sinclair : … On avait déjà dit cela au moment de Sarajevo.
M. Pasqua : Oui, mais on ne les a pas définies parce que cela n'a pas été fait sur le terrain mais dans des bureaux éloignés, lointains par des gens qui ne connaissent pas les problèmes et, d'autre part, on prend les mesures nécessaires pour intervenir à la moindre anicroche.
Finalement, cela avait été résumé par les mots suivants : On tire ou on se tire. Je veux dire par là que nous ne pouvons pas non plus, en ce qui nous concerne, alors que nous fournissons sur place le plus gros contingent des Nations-Unies avec les meilleures unités de notre armée, avoir des gens exposés aux tirs des Serbes. Nous avons déjà eu plusieurs dizaines de morts et près de 300 blessés, qu'est-ce qu'on attend ? Il faudrait que l'ONU joue enfin son rôle et qu'on mette un terme à cette espèce d'empilement de responsabilités et aussi à ces différences et à ces divergences entre Boudros Ghali, son représentant local, etc.
Mme Sinclair : La Sofres a demandé aux Français, en ce qui concerne le conflit de Bosnie, quel est votre sentiment sur l'attitude de la Communauté internationale :
Si elle n'intervient pas militairement contre les Serbes, la Communauté internationale se couvrira de honte : 49 %.
On ne peut pas faire plus aujourd'hui car cela mettrait en péril la vie des soldats de l'ONU sur place : 34 %.
Sans opinion : 17 %.
Très nettement, un sentiment de honte général. Le clivage le plus marquant oppose les hommes et les femmes, les hommes sont les plus fermes et les femmes, en majorité, rejettent tout risque de guerre et les jeunes sont partagés moitié-moitié.
Vous disiez tout à l'heure : « Il est temps que l'ONU agisse », cela, on le dit depuis deux ans…
M. Pasqua : … Si tant est qu'elle en soit capable.
Mme Sinclair : On le dit, en effet, depuis deux ans et on a le sentiment, aujourd'hui, très franchement que les Serbes peuvent accepter un cessez-le-feu, ils ont en gros gagné la guerre, ils ont pratiquement réunifié la grande Serbie et on a l'impression qu'à chaque fois les choses se passent ainsi, les Serbes conquièrent des positions, ensuite, on négocie avec eux sur les positions qu'ils ont conquises ?
M. Pasqua : C'est vrai. C'est ce qui est particulièrement choquant.
Mme Sinclair : La semaine prochaine, sera remis à Boudros Ghali un rapport sur les crimes contre l'humanité commis en Bosnie. Ce rapport accuse tout le monde mais, bien entendu, principalement les Serbes, accusés d'exécutions, de massacres, de viols, de tortures, croyez-vous que ce sera un rapport de plus ?
M. Pasqua : Je crois que des crimes ont été commis, des crimes contre l'humanité ont probablement été commis des deux côtés.
Mme Sinclair : Croyez-vous que ce sera un rapport de plus ?
M. Pasqua : J'espère qu'il en sortira quelque chose et qu'on poursuivra les responsables, autrement à quoi sert l'ONU ? Allons-nous assister à nouveau à ce retour des événements que nous avons connus, c'est-à-dire des démocraties occidentales impuissantes pendant que se déchaîne ce type d'événement dont on sait où il mène. Je crois qu'il faut être très ferme.
Mme Sinclair : En France, cette semaine, il y a bien sûr eu le verdict dans le procès Touvier, des casseurs à Lyon, les suites de l'expulsion des jeunes Algériens et des partis politiques qui se mettent en campagne.
Dimanche :
Tous derrière Michel Rocard pour les Européennes.
Pour ajouter encore à cet éparpillement, il n'y aura sans doute pas de liste unique des Écologistes.
Lundi :
C'est le TGV français qui roulera en Corée.
Militants du Front national d'un côté, étudiants et lycées de l'autre, face-à-face électrique devant le Palais de Justice de Lyon où comparaissent trois jeunes gens.
Bron et Vaulx-en-Velin se mobilisent contre les casseurs.
Mardi :
Paul Touvier, 79 ans, restera donc dans l'Histoire comme le premier Français reconnu coupable de crime contre l'humanité.
Mme Sinclair : Le Président de la République a d'ailleurs déclaré à propos de ces 44 enfants déportés : « Ils furent massacrés parce qu'ils étaient juifs, ils sont le symbole des Juifs de France exterminés sous le régime de Vichy, le symbole aussi du crime contre l'Humanité ».
Charles Pasqua, Touvier est le premier Français jugé pour un crime contre l'humanité, vous, qui avez été un grand résistant, dites-vous : « Enfin ! » ?
M. Pasqua : Grand, non, j'ai été résistant, n'exagérons rien.
Mme Sinclair : Dites-vous : « Enfin ! » ?
M. Pasqua : Je crois que c'était nécessaire et lorsque j'entends parler de réconciliation nationale, je me demande de quelle réconciliation nationale il s'agit ? La réconciliation nationale aujourd'hui passe forcément par la vérité et par le jugement sur cette époque, elle ne passe pas par autre chose. Elle ne peut pas passer par l'oubli, pour tous ceux qui ont vécu cette période, ils le savent bien.
Mme Sinclair : C'est-à-dire que l'interview donnée à l'occasion d'un livre par le Président de la République, il y a un, deux et trois ans, vous semble des propos que vous n'appréciez pas ?
M. Pasqua : Je ne sais pas parce que je ne l'ai pas lu, donc je ne veux pas porter de jugement sur les propos du Président de la République qui pourraient être isolés…
Mme Sinclair : … Pensez-vous que c'est dans le devoir de sa charge de dire ce genre de choses ou pas ?
M. Pasqua : Le Président de la République est libre de dire ce qu'il veut, mais je me réjouis de voir en tous les cas les Français aujourd'hui et notamment les plus jeunes prendre conscience de ce qui s'est passé à cette époque alors que beaucoup ne le savaient pas.
Mme Sinclair : Bousquet, Le Gué ont échappé à la Justice. Cela fait 10 ans que Maurice Papon, qui était Secrétaire Général de la Préfecture de Bordeaux, entre 42 et 44, est inculpé pour des crimes contre l'humanité pour la déportation de plus de 1 000 Juifs dans cette région. Cela fait 10 ans qu'il est inculpé, que son procès ne vient pas, faites-vous partie de ceux qui disent : « Il faut juger non seulement les crapules mais aussi les responsables de Vichy, Maurice Papon est de ceux-là », réclamez-vous le procès de Maurice Papon ?
M. Pasqua : J'ai entendu tout-à-l'heure dire : « y a-t-il une volonté politique d'étouffer l'affaire ? », je crois que c'est comme cela qu'il faut d'abord répondre. En ce qui concerne ce Gouvernement, il n'y a aucune volonté d'étouffer l'affaire et je crois que le Garde des Sceaux a donné lui même des instructions au Procureur général pour que les choses aillent à leur terme.
Mme Sinclair : Vous voulez dire qu'il aurait pu y avoir dans le passé, depuis 10 ans, une volonté politique?
M. Pasqua : Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. J'espère qu'il n'y en a pas eue, mais je dis, en ce qui concerne ce Gouvernement, ça, je le sais puisque j'y appartiens, il n'y en a pas.
Mme Sinclair : Question posée aux Français par la Sofres :
Après le procès de Paul Touvier, souhaitez-vous que les procès des personnes poursuivies pour leurs actes durant l'Occupation aient lieu ou qu'on en reste là et qu'il n'y ait plus de procès sur cette période ?
- Souhaitent que les procès des personnes poursuivies pour leurs actes durant l'Occupation aient lieu : 61 %.
- Souhaitent qu'on en reste là et qu'il n'y ait plus de procès sur cette période : 35 %.
- Sans opinion : 4 %.
Les plus jeunes sont les plus fermes…
M. Pasqua : … Ils ont raison.
Mme Sinclair : 69 % sont partisans de la mémoire. Les plus âgés sont aussi clairs mais un peu moins nombreux, à 57 %.
Je vous repose la question : Maurice Papon, est-ce un cas qui vous semblerait exemplaire ?
M. Pasqua : Je ne suis pas compétent pour juger du dossier de Maurice Papon, je ne le connais pas.
Mme Sinclair : Le procès d'un responsable de Vichy qui n'a jamais été fait en France ?
M. Pasqua : Ah oui, le procès d'un responsable de Vichy…
Mme Sinclair : … Pour crimes contre l'humanité.
M. Pasqua : Il n'y a aucun problème, il faut qu'il ait lieu.
Mme Sinclair : Passons à autre chose, cette semaine, il y a eu le procès d'Abdel Akim Youbi qui a été accusé d'avoir jeté des pierres contre les forces de l'ordre, expulsé, revenu en France suite à un sursis à exécution décidé par le Tribunal administratif, – on reviendra peut-être sur le fond de l'affaire tout à l'heure –, mais vous avez donné une interview au Figaro cette semaine en disant que « cette affaire vous semblait exemplaire parce que vous considériez que certains juges cherchaient à tourner la loi ». Ce sont des propos très sévères, les avez-vous dits sous le coup de la colère ou est-ce quelque chose que vous continuez à penser ?
M. Pasqua : Oh, je l'ai dit sous le coup d'une certaine indignation, c'est vrai, mais ces propos malheureusement recouvrent une réalité. Tout d'abord, je ne mets pas en cause, comment pourrais-je le faire, l'Institution judiciaire ou les juges dans leur ensemble…
Mme Sinclair : … Vous avez dit : « Certains juges », en effet.
M. Pasqua : … Comme je l'ai lu ici ou là mais certains juges oui.
Je prends un exemple : nous décidons l'expulsion au titre de l'urgence absolue de deux jeunes étrangers, dont l'un est en situation irrégulière, à la suite des événements graves qui ont eu lieu à Lyon…
Mme Sinclair : … Justement, Abdel Akim Youbi et Mouloud Madassi.
M. Pasqua : Que fait le Tribunal de Grande Instance de Lyon ? Saisi par certaines personnes, il engage une action pour voies de faits contre les deux préfets de Lyon ? Saisi par certaines personnes, il engage une action pour voies de faits contre les deux préfets de Lyon, le préfet de région conteste la capacité du Tribunal de Grande Instance à se saisir de cette affaire sous cet angle, élève l'affaire et la porte devant le tribunal des conflits. Les juges eux-mêmes qui ont pris cette décision, d'ailleurs ils se sont ensuite arrêtés en chemin, ont compris qu'ils étaient allés trop loin, n'avaient pas compétence pour le faire.
La jurisprudence actuelle permet effectivement aux tribunaux de grande instance, lorsqu'il y a eu voies de faits sur les biens ou concernant la liberté des personnes, d'intervenir et de condamner l'État mais seulement si ces voies de faits ne sont pas la conséquence de mesures administratives relevant de la responsabilité de l'Administration.
Mme Sinclair : Pour ne pas se perdre dans la procédure, il y a eu un sursis à exécution qui a été prononcé…
M. Pasqua : … Oui.
Mme Sinclair : C'est-à-dire que pour cela ils ont eu l'autorisation de rentrer et le jugement sur le fond pour savoir si l'action était légale ou pas est remis à plus tard.
M. Pasqua : Madame Sinclair, j'ai apporté un certain nombre de documents, je ne vais pas tous les lire mais des affaires absolument abracadabrantes des jugements, des décisions aberrantes, j'en ai 15, 20 sous les yeux. J'ai, par exemple, une personne étrangère condamnée pour viol à 10 ans de prison qui sort au bout de 5 ans, que nous expulsons au titre de l'urgence absolue, le tribunal ordonne un sursis à statuer alors qu'il est déjà au Maroc, et on le fait revenir ? … Il y a des choses… Je ne dis pas que ce sont tous les juges mais il y a un certain nombre de dérives et ce sont des dérives qu'il s'agit de corriger.
Mme Sinclair : Vous, vous dites « dérives de la Justice » …
M. Pasqua : … C'est pour cela que j'ai écrit à Méhaignerie.
Mme Sinclair : Vous, vous dites : « Dérives de la Justice » et la Justice répond, justement en ordonnant un sursis à exécution, c'est-à-dire disant : l'exécution n'aura pas lieu…
M. Pasqua : … Ça, ce n'est pas la Justice, c'est un juge.
Mme Sinclair : Mais il peut répondre : « Il y a eu dérive des procédures administratives et du pouvoir de l'État », après tout, c'est cela la séparation des pouvoirs, c'est le contrôle d'un pouvoir par un autre ?
M. Pasqua : Non, non, le juge administratif n'est pas là pour juger de l'opportunité, il est là pour voir si la décision d'expulsion a bien été prise conformément au texte, ce n'est pas à lui de juger de l'opportunité.
Il y a d'autres exemples, je ne vais pas vous en donner 36, je vais vous en donner un seul : la loi de 1993 a modifié l'ordonnance de 1945, elle dit que, désormais, dans son article 35, lorsqu'un étranger en situation irrégulière a été interpellé et qu'il est détenu depuis plus de 24 heures, il faut se retourner vers le juge pour continuer la procédure. Que prévoit l'ordonnance ? C'est la poursuite de la rétention administrative jusqu'à ce qu'on soit en mesure de l'expulser ou l'assignation à résidence.
J'ai sous le yeux un certain nombre de décisions qui ont été prises par quelques magistrats, qui ont consisté tout simplement à remettre les gens en liberté. Un étranger en situation irrégulière, si vous le remettez en liberté, il ne vous attend pas, il disparaît, évidemment.
Mme Sinclair : Pierre Méhaignerie, Garde des Sceaux, qui fait partie du même Gouvernement que vous, vous a répondu par une sorte de retour à l'envoyeur en disant ceci : « Le problème est suffisamment difficile, on l'a entendu, pour ne pas faire de la profession des magistrats une sorte de bouc-émissaire. Il est inexact et injuste de laisser entendre que les décisions des magistrats mettent en péril la politique de l'immigration de ce Gouvernement », c'est une façon de vous renvoyer dans vos cordes ?
M. Pasqua : Non, nous ne parlons pas de la même chose.
Mme Sinclair : Comment ça ?
M. Pasqua : Je pourrais tenir exactement les mêmes propos que Pierre Méhaignerie, ce n'est pas l'Institution judiciaire qui est visée, ce ne sont pas les juges en tant que tels, ce sont…
Mme Sinclair : … C'était, dans votre interview au Figaro…
M. Pasqua : … Un certain nombre de magistrats.
Mme Sinclair : À la réponse, « vous accusez les juges de chercher à tourner les lois », certains, oui.
M. Pasqua : Oui.
Mme Sinclair : Certains.
M. Pasqua : Oui.
Mme Sinclair : Et, là, Pierre Méhaignerie vous répond en prenant la défense des magistrats.
M. Pasqua : C'est normal, il est Garde des Sceaux.
Mme Sinclair : Oui, et en disant que ce n'est pas eux qui contrarient l'application d'une loi.
M. Pasqua : Je ne dis pas que ce sont eux… J'insiste une nouvelle fois : je ne dis pas que ce sont les juges en général qui empêchent l'application des lois, je dis simplement que les juges doivent rendre la Justice au nom du peuple français et en fonction de la loi, et non pas en fonction de leurs propres opinions. Les choses sont ainsi dans la République, elles ne sont pas autrement ou bien alors nous ne sommes plus dans un État de droit
Croyez-vous que les Français accepteront encore longtemps de voir des gens qui commettent des délits, qui sont déférés devant les tribunaux, être immédiatement relâchés afin qu'ils recommencent ? Enfin, soyons sérieux.
Mme Sinclair : Comment expliquez-vous qu'un certain nombre de juristes, et je ne prends pas les plus gauchistes, je prends les propos de Valéry Curset qui est le Président de l'USM, l'Union du Syndicat de la Magistrature, qui est plutôt considéré comme de Droite et qui dit : « Dans cette affaire, on a pris au hasard deux jeunes, on ne sait même pas s'ils sont coupables et on les a expulsés comme des terroristes » ?
M. Pasqua : Mais lui, justement, n'en sait rien, qu'est-ce qui lui permet de porter ce jugement ?
Mme Sinclair : On ne sait pas s'ils sont coupables puisqu'ils n'avaient pas encore été jugés.
M. Pasqua : Qu'est-ce qui lui permet de porter ce jugement ? C'est l'autorité administrative qui décide d'une expulsion. Vous trouvez normal que des étrangers dans un pays s'en prennent aux forces de police ? Que faut-il faire alors ? Il faut leur donner une médaille. Quand on est étranger et qu'on est installé sur le territoire de la République, on doit respecter les lois, c'est à ce prix d'ailleurs qu'il y a coexistence entre tout le monde. Dans le cas contraire, je ne veux pas que, demain, il y ait des règlements de compte.
Mme Sinclair : Charles Pasqua, avez-vous le sentiment, après coup, que des jeunes pris justement dans un groupe de jeunes gens qui lançaient des pierres, – je dis « groupe de jeunes gens » parce qu'on ne sait pas si eux-mêmes sont coupables ou non –, que la mesure qui leur a été appliquée était disproportionnée ou pas ?
M. Pasqua : Il faut resituer les choses dans leur contexte : il y a eu des incidents très, très violents à Lyon et lorsque les forces de police sont intervenues et qu'elles ont eu à déplorer des dizaines de blessés, il est bien évident qu'on est amené à prendre un certain nombre de dispositions.
Mme Sinclair : Il y a un an, à votre arrivée, tout le monde disait : « Charles Pasqua a changé, ce n'est plus le Ministre de l'Intérieur des années 86-87, c'est devenu un homme d'État, il n'est pas soucieux que de répression comme hier », ne craignez-vous pas ou au contraire souhaitez-vous que les gens disent peut-être : « Tiens revoilà du Pasqua pur et dur » ?
M. Pasqua : Je crois que les choses sont beaucoup plus simples que cela. Personne n'aime arrêter les gens, personne n'aime les condamner, je suis persuadé que les magistrats, y compris les plus durs, lorsqu'ils condamnent ne sont pas particulièrement heureux, lorsque les policiers arrêtent les gens, non plus, il vaudrait mieux pour tout le monde que la colombe de la paix puisse survoler tranquillement ce pays, qu'il n'y ait pas de délits, qu'il n'y ait pas de meurtres, que tout aille bien et que le gardien de la paix puisse distribuer des brins de muguet au carrefour, malheureusement, nous n'en sommes pas là.
Je suis Ministre de l'Intérieur, j'ai donc en charge la sécurité et j'ai le devoir de prendre un certain nombre de mesures, nous y viendrons probablement tout-à-l'heure. Je le fais sans plaisir mais je le ferai sans faiblesse.
Mme Sinclair : Nous allons parler de l'immigration et des banlieues dans une seconde, mais aussi de ce qui peut se passer si des événements graves survenaient en Algérie et que des milliers d'Algériens fuient vers l'Europe, réponse de Charles Pasqua dans deux minutes.
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Mme Sinclair : Charles Pasqua, votre politique de l'immigration est une des politiques du Gouvernement qui est la plus appréciée des Français et pourtant vous dites : « Elle a des failles, il faut la compléter », quelles sont ces failles et comment voulez-vous la compléter ?
M. Pasqua : Les failles, prenons l'exemple de Dunkerque, à Dunkerque, il y avait une zone d'attente…
Mme Sinclair : … Il faut expliquer : des passagers clandestins sont arrivés à Dunkerque, ils auraient dû être mis dans une zone d'attente et, à ce moment-là, faire leur demande d'entrée en France, qui aurait été rejetée ou pas, c'est un autre débat, et qui ont été dans un hôtel surveillé par des vigiles privés. À ce moment-là, ils ont pu être soustraits à la vigilance des vigiles, si j'ose dire. N'aurait-on pas pu appliquer déjà la loi et les mettre dans la zone prévue à cet effet ?
M. Pasqua : Nous ne pouvions pas pour une raison simple, c'est qu'il y avait bien une zone d'attente mais il n'y avait pas de lieu d'hébergement, ceci fait partie des incohérences du système. Nous y avons remédié, nous avons pris un arrêté, dorénavant, cela ne se reproduira pas.
Mme Sinclair : Les vigiles privés, c'était une erreur ?
M. Pasqua : Ah oui, ça, c'est inadmissible ! À partir du moment où ils étaient entrés sur le territoire national, il fallait les mettre en situation de déposer une demande de séjour, ils avaient 8 jours pour le faire, donc, nous étions dans un autre cas de figure, autrement il ne fallait pas qu'ils sortent du bateau.
Je comprends très bien que le préfet les ait laissés sortir du bateau puisque, autrement, il y aurait eu des morts, l'un voulait se pendre, un autre était blessé…
Mme Sinclair : L'un avait mangé de la mort aux rats et l'autre avait une crise d'appendicite.
M. Pasqua : Donc, ça, c'était normal, mais cela veut dire par là que : 1 – il faut que, dans chaque zone d'attente, il y ait des lieux d'hébergement bien évidemment, 2 – ce que nous allons être obligés à modifier aussi, ce sont les délais et la possibilité de transférer d'une zone d'hébergement à une autre sans que le passage entre ces deux points ouvre le droit à déposer une demande de séjour sur le territoire national. C'est un exemple de quelques modifications qu'il faut apporter.
Mme Sinclair : C'est complété par des modifications de détail, une loi qui vous semble suffisamment complète aujourd'hui ?
M. Pasqua : Oui. Cela étant, globalement, je crois que la loi est bonne, les mesures d'application que nous avons prises commencent à produire leurs effets. Par exemple, sur les mesures d'expulsion du territoire par rapport à l'année dernière, pour la même période, nous avons un taux d'exécution de 55 % de plus, parce que nous nous sommes donnés les moyens, que dorénavant c'est la Police des frontières qui traite les affaires, qu'il y a des effectifs spécialisés pour cela et que nous assurons, nous-mêmes, le retour dans les pays d'origine. D'autre part, nous avons pu signer des conventions de réadmission avec un certain nombre de pays, nous avons désormais des accords avec la Tunisie et le Maroc, nous sommes en train de voir avec l'Algérie ce que nous allons faire et donc les choses se passent mieux.
Mme Sinclair : Est-ce que cela change quelque chose pour les Français ?
M. Pasqua : À quel point-de-vue ?
Mme Sinclair : Pour leur sécurité. Avez-vous le sentiment qu'ils voient les effets de cette politique ?
M. Pasqua : Les instructions que j'ai données sont de poursuivre. Nous avons une politique, elle est simple, elle consiste à dire : 1) « Nous ne pouvons pas accepter d'étrangers supplémentaires », 2) « Il faut que ceux qui sont installés régulièrement sur le territoire vivent en toute liberté et à l'abri de nos lois », 3) « Les immigrés clandestins doivent être renvoyés chez eux ». Cette politique va être appliquée mais, naturellement, nous savons bien que cela n'est qu'un volet d'une politique beaucoup plus ambitieuse qu'il faut conduire. Si nous voulons qu'il y ait moins d'étrangers chez nous, les pays industrialisés doivent faire un gros effort dans l'aide au développement.
Mme Sinclair : Autre prise de position remarquée dans cette interview au Figaro cette semaine : sur l'Algérie, vous dites : : « S'il se passe des événements graves en Algérie, si le FIS prend le Pouvoir et si les Algériens fuient, il n'est pas question que nous acceptions un déferlement de personnes venant d'Algérie ». Exemple concret : le FIS prend le Pouvoir, des centaines de boat-people prennent la mer, arrivent à Marseille, que fait-on ?
M. Pasqua : Nous avons la possibilité de faire en sorte qu'ils n'arrivent pas à Marseille.
Premièrement, je souhaite que les choses en Algérie s'arrangent, comme tout le monde.
Mme Sinclair : C'est un problème qui est depuis longtemps évoqué, depuis plusieurs années, les ministres de l'Intérieur se posent en effet la question.
M. Pasqua : Nous avons aussi, il faut le noter, depuis 62, des accords particuliers avec l'Algérie, c'est ce qu'on appelle les accords d'Évian. Il est bien évident que si le FIS prenait le Pouvoir en Algérie, la question se poserait de savoir si on ne doit pas revoir ces accords d'Évian, puisqu'on devrait continuer à avoir une coopération privilégiée et des droits particuliers pour une catégorie de gens qui, en réalité, auraient d'autres ambitions que celles de coopérer avec nous.
Mme Sinclair : Imaginons vraiment des gens en détresse qui, encore une fois, prennent la mer, que fait-on ?
M. Pasqua : Cela ne se passe pas du jour au lendemain comme cela…
Mme Sinclair : … Ils ne prennent pas forcément l'avion.
M. Pasqua : Si ça se passe, cela ne concernera pas que la France, cela concernera la Communauté des Douze et, à ce moment-là, l'Espagne, l'Italie, la France seront en première ligne. Il est bien certain que, en ce qui nous concerne, nous ne pourrions pas accueillir ces personnes de celle manière.
Mme Sinclair : Les banlieues, les casseurs continuent, qu'en dit le Ministre de l'Intérieur ?
M. Pasqua : Le Ministre de l'Intérieur pense que le seul interlocuteur des jeunes dans les banlieues ne peut pas être la Police, la Police intervient quand il n'y a plus autre chose à faire, je crois que les banlieues, en définitive, sont sous-administrées et sous-équipées. D'ailleurs, je me souviens qu'avec Philippe Seguin, lorsque nous étions dans l'Opposition, nous avions dit qu'il faudrait un véritable plan Marshall, on avait même chiffré, puisqu'on parlait pour la politique générale de reconquête du territoire, espace rural et banlieues, cela à près de 400 milliards de francs.
Mme Sinclair : Donc Madame Simone Veil aurait besoin d'un budget plus large ?
M. Pasqua : Cela est évident. Je crois que ce qu'on appelle la politique de la ville, qui est une dénomination un peu impropre, recouvre énormément de choses, ce sont tous les Services de l'État qui devraient s'investir. On devrait envoyer dans ces quartiers, dans ces villes, beaucoup plus de monde. Moi, je vais le faire pour la Police en lui demandant des tâches plus vastes que celles simplement de réprimer. Nous faisons beaucoup d'opérations de prévention, l'été, etc. nous allons continuer.
Mme Sinclair : Mais sur les casseurs, Monsieur Pasqua ? Je prends d'autres exemples, ceux des manifestations parisiennes où certains riverains, où certains commerçants ont dit : « Mais que faisait la Police quand les casseurs cassaient ? ».
M. Pasqua : Ceci est trop facile à dire, la Police ne peut pas être partout. Il y avait 3 000 personnes qui assuraient le maintien de l'ordre, nous avons craint que les casseurs prennent le métro pour aller dans d'autres endroits dans Paris, nous avions mis des forces un peu partout, ils ont trouvé une ou deux rues dans lesquelles ils se sont engouffrés, je regrette profondément ces événements mais il ne faut pas se faire d'illusions, on peut difficilement les empêcher. Je ne suis pas en mesure de dire aujourd'hui qu'il n'y en aura jamais d'autres.
Par contre, ce que fait la Police actuellement, c'est cela qu'il faudrait me demander…
Mme Sinclair : … Je vous le demande, Monsieur Pasqua ?
M. Pasqua : Voilà, demandez-le-moi !
Ce que fait la Police actuellement ? Elle fait son métier, je veux dire par là qu'elle poursuit ses investigations pour identifier ces casseurs et lorsqu'elle les aura identifiés, il y aura des opérations de police judiciaire pour les arrêter et les déférer devant les tribunaux. Je ne doute pas qu'à la suite des instructions que les Parquets auront reçues de Monsieur Méhaignerie, les tribunaux feront preuve de la plus grande fermeté.
Mme Sinclair : Je ne veux pas revenir sur le sujet précédent, mais Monsieur Méhaignerie n'a pas l'air de donner aux tribunaux un certain nombre d'instructions dans le sens que vous souhaitez ?
M. Pasqua : Monsieur Méhaignerie ne peut donner d'instructions qu'aux Parquets, aux Procureurs de la République, c'est tout ce que je demande.
Mme Sinclair : Retour aux images, c'est dur pour l'OM, c'est atroce pour le Rwanda, c'est triste pour cette figure aimée des Français.
Mercredi :
… Bien sûr qu'on connaissait Jean Carmet. Depuis 50 ans, du petit figurant des Enfants du Paris au vieux mineur de Germinal, il hantait nos écrans.
Écœurés, impuissants, les Casques bleus quittent le Rwanda.
Jeudi :
De Baptistine, la retraitée, à Radidja, l'employée de banlieue au chômage, ils sont douze, petit concentré d'Hexagone, venus exposer leurs problèmes à un Édouard Balladur soucieux, lui, de dissiper les malentendus de ces derniers mois.
Vendredi :
Cent ans après les hommes, presque 30 ans après les Anglaises, les Américaines ou les Allemandes, les Françaises obtiennent enfin le droit de vote.
L'OM rétrogradée en 2ème division, Bernard Tapie exclu du football français jusqu'à nouvel ordre, Jean-Pierre Bernès, l'ancien directeur du Club, radié à vie, les joueurs, suspendus de jouer en France jusqu'en juillet 96, le couperet tombe sur l'Olympique de Marseille.
Samedi :
Richard Nixon est mort.
Mme Sinclair : On n'a pas le temps, Charles Pasqua, de parler de tout, je vais vous parler de Nixon, je vais vous parler des femmes, parce que j'ai vu que le sujet vous avait réjoui, je voudrais qu'on en vienne à la politique.
Édouard Balladur, à TF1, a voulu expliquer aux Français, à la fois, sa politique et sa méthode, notamment dans l'affaire du CIP. Dans cette crise politique, quels conseils lui avez-vous donnés ? Plutôt de s'entêter, plutôt de lâcher…
M. Pasqua : … De toutes façons, il fallait y mettre un terme, les manifestations allaient grandissant et l'incompréhension aussi. Quand on se trouve dans ce type de situation, il faut en tirer les conséquences, je crois que Édouard Balladur l'a fait. Au travers de cela, il a expliqué un peu, comme dans d'autres affaires, quelle était sa méthode, je veux dire par là que lorsqu'on rencontre des difficultés imprévues sur des sujets qui n'ont pas une importance capitale pour l'intérêt national, on peut effectivement prendre le temps, remettre les choses sur le métier et agir autrement.
Les Japonais aiment bien prendre beaucoup de temps pour préparer les choses, ils appellent cela « perdre utilement son temps ». Il vaut mieux le faire avant naturellement, c'est clair.
Je vous rappelle que pour le CIP, par exemple, lorsque cela a été voté, personne n'a pensé que cela pouvait avoir ces conséquences.
Mme Sinclair : Cette façon de gouverner, c'est-à-dire éventuellement de prendre une autre voie quand on voit que celle qu'on voulait appliquer n'est pas comprise, vous convient ?
M. Pasqua : Oui, sauf naturellement si était en cause un problème qui soit capital pour le pays, à ce moment-là…
Mme Sinclair : … L'emploi des jeunes, c'est capital ?
M. Pasqua : L'emploi des jeunes, c'est très important mais cela peut être traité autrement, la preuve en a été apportée.
Mme Sinclair : La grande consultation auprès des jeunes qu'il veut lancer est sûrement une bonne idée mais le Gouvernement n'a pas les moyens et ne sait pas déjà ce que pensent les jeunes, ce que craignent les jeunes, ce que refusent les jeunes ?
M. Pasqua : Le problème, ce n'est pas de savoir à l'heure actuelle ce que pensent les jeunes, on peut toujours le faire au travers d'un sondage…
Mme Sinclair : … Il y en a de multiples lancés.
M. Pasqua : C'est d'ailleurs ce qu'a fait le précédent Gouvernement. La démarche est d'une autre nature, elle consiste non pas à dire à 2 000 jeunes sélectionnés : Que pensez-vous ?, mais à dire aux jeunes : « Toi, personnellement, que veux-tu ? que penses-tu ? », en fait, il s'agit de renouer un peu le contact et de faire comprendre à ces jeunes qu'en définitive beaucoup de choses dépendent d'eux-mêmes.
Je crois que ce qu'il faudrait dire aux jeunes qui, à l'heure actuelle, ont leur avenir borné par le chômage, le sida et d'autres problèmes de ce type, que la vie a été difficile pour nous aussi, nous avons connu des problèmes mais que la France est un grand pays, qu'elle en a vu d'autres, qu'elle peut parfaitement se redresser et qu'ils ont leur rôle à jouer. Tout cela dépend d'eux en grande partie.
Mme Sinclair : Votre grande réforme de l'aménagement du territoire, pour être clair, l'aménagement du territoire veut dire harmoniser un peu les régions françaises, qu'il n'y ait pas des régions riches, des régions pauvres, etc.
M. Pasqua : … Mieux répartir les hommes et les richesses, les hommes et les femmes naturellement.
Mme Sinclair : Votre ambition, vous l'avez toujours dit, est révolutionnaire. Vous avez sillonné la France, vous avez écouté, vous avez discuté, de cela, la DATAR a fait un rapport de synthèse à la Délégation à l'Aménagement du Territoire, un document dont tout le monde a dit qu'il était imaginatif et tout-à-fait nouveau. Ce document est passé au filtre de divers conseils interministériels, il est sorti un document d'étape, ce document d'étape que vous avez présenté cette semaine, est-ce la trame du futur projet de loi qui sera présenté en juillet ?
M. Pasqua : Il y a dans ce document la synthèse de toutes les propositions qui ont été faites. Certaines de ces propositions seront retenues dans le cadre de la loi, d'autres ne le seront pas, dans certains domaines, nous irons plus loin.
Mme Sinclair : Justement, avez-vous le sentiment que vous allez réussir, dans les prochaines semaines, à donner à ce projet de loi sur l'aménagement du territoire ce que vous souhaitiez ou, comme on en a l'impression, comme cela a été écrit cette semaine, que ce sera très nettement en-dessous de vos ambitions ?
M. Pasqua : Je trouve extraordinaire qu'un certain nombre de gens et non des moindres, parmi ceux qui ont occupé ou qui occupent des fonctions importantes, portent un jugement sur le projet de loi car, pour l'instant, ce projet de loi n'existe pas encore, je suis en train de le rédiger avec un certain nombre de mes plus proches collaborateurs.
Mme Sinclair : N'y a-t-il pas un certain nombre de décisions qui ont été prises, notamment en matière de fiscalité ? …
M. Pasqua : … Non, non…
Mme Sinclair : … Je me souviens que vous aviez dit au dernier 7 sur 7 que ce qui vous semblait important, c'est qu'en matière de fiscalité, on différencie l'impôt selon l'endroit où résidaient les Français en France et cela, apparemment, est refusé ?
M. Pasqua : Non, non, il n'y a rien du tout de refusé pour le moment Monsieur Balladur n'est pas encore saisi du projet de loi, je pense qu'à mon niveau ce projet de loi sera terminé demain soir ou après demain matin et, à ce moment-là, le Premier ministre en sera destinataire. Nous en avons naturellement déjà parlé, il est bien évident qu'il n'y aura pas d'aménagement du territoire si n'est pas posé le principe de la fiscalité dérogatoire selon les régions.
Mme Sinclair : Bercy, enfin, le ministère du Budget n'a pas déjà mis son veto ?
M. Pasqua : Mais non, il n'y a pas de veto… tout cela relève un peu de l'imagination. Il n'y aura pas non plus d'aménagement du territoire si on ne revient pas sur la taxe professionnelle, il n'y aura pas d'aménagement du territoire s'il n'y a pas péréquation, c'est-à-dire si on ne donne pas davantage aux autres.
Mme Sinclair : Prenons l'exemple de la taxe professionnelle, la taxe professionnelle est un bon exemple : aujourd'hui, elle est votée par les communes. Vous, vous pensez que, en période électorale, vous allez réussir à faire passer un projet de loi qui donnerait au Parlement la possibilité de voter une taxe professionnelle et donc enlever ce pouvoir aux communes, aux maires, cela se fait-il en période électorale ?
M. Pasqua : Non, je n'ai jamais dit cela, d'ailleurs, le véritable problème n'est pas là. On peut imaginer différents systèmes : on peut imaginer un système d'écrêtement, etc. mais le problème n'est pas là. À l'heure actuelle, la taxe professionnelle est un impôt anti-économique et antisocial puisqu'il pénalise à la fois l'investissement et l'emploi, c'est cela le véritable problème, après, on verra bien ce qu'on doit faire.
Je suis décidé, avec l'accord du Premier ministre, et c'est pour cela que je suis relativement tranquille parce que le Premier Ministre s'est engagé personnellement au sujet de cette grande réforme, donc je la conduirai et j'espère que je la conduirai à son terme, je veux dire par là que je pense pouvoir déposer devant le Parlement et faire adopter avant la fin de la session de printemps, au moins par l'Assemblée nationale, les grandes lignes de la réforme.
Mme Sinclair : C'est-à-dire que si, sur les grandes lignes qui vous semblent importantes, essentielles : la taxe professionnelle, tout ce qui concerne la fiscalité, par exemple, vous n'aviez pas satisfaction, vous ne conduiriez pas cette réforme ?
M. Pasqua : Alors, le problème se poserait de savoir à quoi je sers et j'en tirerais les conséquences.
Mme Sinclair : Ce que vous dites là aujourd'hui est très important et très clair…
M. Pasqua : … Non, ce n'est pas important du tout.
Mme Sinclair : Si, c'est assez solennel.
M. Pasqua : Non, ce n'est pas solennel du tout, vous me posez une question, vous me dites, et c'est vrai, « Vous vous êtes engagé à fond sur cette réforme, si elle n'aboutit pas, que faites-vous ? », je vous réponds : « Si elle n'aboutit pas, c'est parce que le Parlement aura estimé qu'elle ne doit pas aboutir et, dans ce cas-là, il y aura un désaccord entre les autres et moi ».
Mme Sinclair : Et, comme on dit en diplomatie, « vous tireriez toutes les conséquences » ?
M. Pasqua : Évidemment, mais cette éventualité me paraît improbable.
Mme Sinclair : René Monory dit : « C'est une belle idée mort-née et je me demande s'il faut même présenter cette loi » ?
M. Pasqua : René Monory est un peu excessif, il est vexé parce qu'il espérait que ce texte passerait au Sénat…
Mme Sinclair : … C'est ce qu'on lui avait dit d'ailleurs.
M. Pasqua : C'est vrai que je le lui avais dit moi-même. Pourquoi le texte ne passe-t-il pas au Sénat ? Voilà ce qu'il faudrait essayer de comprendre…
Mme Sinclair : … Alors, je vous pose la question.
M. Pasqua : Ce n'est pas pour faire une méchanceté à René Monory, c'est tout simplement parce que si l'Assemblée nationale est saisie du texte au début de mois de juillet, lors de la session extraordinaire, comme le Sénat ne se saisit du projet de loi de finances que le 15 novembre, il a du 2 octobre au 15 novembre pour examiner la loi. Tandis que l'Assemblée nationale, dès le 2 octobre, est saisie du budget. Voilà les raisons.
Mme Sinclair : Donc, Monsieur Monory va revenir vers de meilleurs sentiments ?
M. Pasqua : Il vaut mieux qu'il revienne à de meilleurs sentiments. J'ajouterai que de toute manière, et je n'ai pas du tout l'intention de m'opposer à Monsieur René Monory que je connais bien et que j'aime bien, que c'est le Gouvernement qui est maître de l'ordre du jour des travaux parlementaires.
Mme Sinclair : Et toc !
Le même monsieur Monory dit d'ailleurs, « que le RPR compte sans doute un candidat de trop », est-ce votre avis et est-ce que cela renforce votre idée qu'il faudrait organiser ces fameuses primaires dont vous parlez depuis très longtemps, vous nous avez promis l'organisation, puis qu'on ne voit jamais venir ?
M. Pasqua : Tout cela m'amuse parce que j'entends dire, premièrement, qu'un Parti qui n'a pas de candidat potentiel aux Primaires n'existe pas, maintenant, on dit : « il ne faut pas qu'il y en ait de trop », Monsieur Monory est libre de penser ce qu'il veut Je crois que, lorsqu'il y a plusieurs candidats dans une Majorité ou dans un Parti, c'est une source de richesse, à condition que chacun d'entre eux puisse s'exprimer, d'où l'idée des Primaires.
Mme Sinclair : Les Primaires ne se feront jamais ?
M. Pasqua : Pourquoi ?
Mme Sinclair : Je croyais qu'on devait voir là un projet de loi avant l'été ?
M. Pasqua : Le projet de loi est prêt…
Mme Sinclair : … Ah bon !
M. Pasqua : Nous verrons bien avec le Premier ministre…
Mme Sinclair : … Le Gouvernement est maître de l'ordre du jour ?
M. Pasqua : Nous verrons bien avec le Premier ministre s'il veut le présenter ou pas. Il ne s'agit pas d'obliger aux Primaires, il s'agit simplement de donner la possibilité au parti qui souhaiterait les organiser, qu'il soit de Droite ou de Gauche, cela peut aussi aider la Gauche, de les tenir.
Mme Sinclair : Les sondages ne sont-ils pas les meilleurs primaires ? Au bout du compte, on verra bien qui se dégage de ces sondages ?
M. Pasqua : Les sondages et la réalité, c'est parfois assez différent. Je crois que, de toutes façons, l'intérêt, – je n'ai jamais changé d'avis –, de la Majorité, c'est qu'elle ait un seul candidat dès le premier tour des élections présidentielles. Si on obtient ce résultat par tout autre moyen, et notamment si tout le monde se retirait en faveur d'un seul candidat, ce serait très bien.
Mme Sinclair : Par exemple ?
M. Pasqua : Par exemple, si tout le monde se retirait en ma faveur, je dirai « oui ». Cette hypothèse me paraît improbable, cela pourrait se faire au profit de quelqu'un d'autre.
Mme Sinclair : Dans un sondage de Globe, la semaine dernière, cela ne vous a sûrement pas échappé, 20 % des Français pensaient que votre candidature à l'Élysée était envisageable, faites-vous partie des 20 % ?
M. Pasqua : Je ne vais pas vous dire « non ». C'est très gentil, c'est très satisfaisant.
Mme Sinclair : Ne me dites pas que vous n'y avez jamais pensé ?
M. Pasqua : À quoi, aux Présidentielles ? Je vous ai répondu tout à l'heure. Je doute fort que nous manquions de candidats.
Mme Sinclair : Parlons de la durée du mandat présidentiel, le quinquennal Valéry Giscard d'Estaing le défend bec et ongles, un grand article, cette semaine…
M. Pasqua : … Cela lui donne un sujet de discours.
Mme Sinclair : C'est aimable, ça !
M. Pasqua : Je dis ce que je pense.
Mme Sinclair : Il dit quelque chose qui paraît logique : « il faut fixer la règle du jeu avant d'engager la partie » ?
M. Pasqua : Vous croyez que les Français sont passionnés par le quinquennat, à l'heure actuelle ?
Mme Sinclair : Ce n'est pas un gaulliste comme vous qui allez me dire que les Institutions, ce n'est pas important, même si les Français ne sont pas passionnés ?
M. Pasqua : Je n'ai jamais dit cela. Justement, il y a un temps pour tout, alors, nous en parlerons au moment des Présidentielles. Pour le moment, il vaut mieux s'occuper d'autre chose, il vaut mieux s'occuper par exemple…
Mme Sinclair : … Le Premier Ministre a dit qu'il était favorable au quinquennat. Il a rendu hommage à Georges Pompidou en disant : « Il était pour, moi aussi » ?
M. Pasqua : Il n'a pas dit tout-à-fait cela, il a dit qu'effectivement, à cette époque, il était favorable au quinquennat, mais c'est le droit absolu de Monsieur Balladur…
Mme Sinclair : … Non, il a dit qu'il était pour aujourd'hui.
M. Pasqua : Oui, c'est très bien. Eh bien, moi, je n'y suis pas favorable.
Mme Sinclair : Ah bon !
M. Pasqua : Non. C'est mon droit ?
Mme Sinclair : Oui, oui, absolument.
M. Pasqua : Nous sommes en liberté, en République. Je suis pour le septennal non renouvelable, je l'ai toujours été, je l'ai toujours dit, donc je ne change pas. Pour le reste, il vaut mieux s'occuper de choses importantes : l'aménagement du territoire, la sécurité, l'immigration et l'emploi. Là, monsieur Giscard d'Estaing peul être très utile.
Mme Sinclair : Sur ?
M. Pasqua : Sur ces différents sujets.
Mme Sinclair : Les municipales, ça, c'est la règle du jeu démocratique, donc c'est important d'en parler. Elles étaient prévues en mars 95, elles ne peuvent pas avoir lieu avant les présidentielles, il est donc logique de les repousser. Le Gouvernement a adopté la solution de les repousser au mois de juin, tout de suite après les présidentielles, l'Opposition dit qu'on n'aurait jamais dû faire ça parce qu'il n'y aura pas le temps de faire campagne, qu'on aurait dû les repousser à septembre, étiez-vous favorable à celte décision de juin ?
M. Pasqua : Moi, j'aurais préféré septembre. J'ajouterai que l'Opposition dit ce que j'aurais dit moi-même si j'avais été dans l'Opposition. Il se trouve que, en réalité, on ne peut pas faire les élections au mois de mars, – tout le monde a admis cela –, en septembre, cela pose d'autres problèmes parce que le Sénat doit être renouvelé le 30 septembre.
Mme Sinclair : On peut prolonger un mandat. C'est toujours plus facile de prolonger un mandat que d'en raccourcir un autre ?
M. Pasqua : Non, on ne peut pas prolonger le mandat des sénateurs. En tous les cas, les avis que nous avons recueillis à l'époque, les avis officieux, nous donnaient à penser que ce n'était pas possible, nous avons donc choisi le mois de juin, ils auront largement le temps de faire campagne.
Mme Sinclair : Dernière question sur l'OM : les sanctions, à votre avis, sont-elles justifiées ou est-ce trop dur ?
M. Pasqua : Les sanctions peuvent être apparaître un peu sévères, et j'ai de la peine pour les Marseillais parce que je les connais bien et je sais ce que l'OM représente pour eux…
Mme Sinclair : … Basile Boly, il y a 15 jours, ici, disait : « S'il n'y a pas d'incidents à Marseille, s'il n'y a pas des problèmes de banlieue à Marseille, c'est dû en partie à l'OM parce qu'il y a un investissement des jeunes », cela doit vous intéresser ça ?
M. Pasqua : Oui, c'est très possible, mais par contre, s'il y a prévarication dans les milieux du football, cette prévarication doit être sanctionnée et il n'y a pas de raison qu'elle ne le soit pas.
Mme Sinclair : Mais n'est-ce pas à la Justice de se prononcer ? D'ailleurs, les instances sportives avaient dit qu'elles se prononceraient une fois que la Justice se serait prononcée.
M. Pasqua : Déjà, tout à l'heure, on me reprochait de me mêler des affaires de la Justice, maintenant, je ne vais pas me mettre à la place de la Ligue du football, chacun son métier.
Je crois que s'ils ont pris cette décision, c'est qu'ils ont eu la conviction ou les preuves qu'il y a eu, effectivement, tentative de corruption, et c'est dommage ! Ces pratiques sont condamnables, détestables, cela n'apporte rien à personne.
Mme Sinclair : Un tout petit mot rapide sur Bernard Tapie. Aujourd'hui, Bernard Tapie semble être entendu quand les hommes politiques n'ont pas l'air de l'être, comment jugez-vous ce phénomène ?
M. Pasqua : Je crois qu'il est surtout entendu parce que vous lui donnez un peu trop la parole et les antennes, on ne parle que de lui. Depuis trois jours, on dirait que la France est suspendue à l'affaire de l'OM, n'exagérons pas, les Français ont d'autres sujets de préoccupations. Et puis, c'est une vieille antienne que de dire que les hommes politiques ne sont pas écoutés, etc. je constate que lorsqu'on leur donne la parole sur des sujets qui les intéressent, ils s'expriment.
Mme Sinclair : Ce soir, je vous ai donné la parole sur les sujets qui vous intéressent…
M. Pasqua : … Merci.
Mme Sinclair : … Et vous avez eu largement la possibilité d'en parler.
Merci, Charles Pasqua.
Dimanche prochain, je recevrai le tout nouveau Secrétaire général du Parti communiste français, Monsieur Robert Hue.
Dans un instant, le journal de 20 heures de Jean-Claude Narcy.
Merci à tous.
Bonsoir.