Texte intégral
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs,
Pour avoir participé, dans un passé récent, aux travaux de la Haute Assemblée, je pense connaître l'ambition que chacun d'entre vous a pour l'agriculture et la forêt françaises.
Je connais vos analyses et j'en apprécie toute la pertinence. Aussi, je suis particulièrement heureux d'ouvrir ce débat au Sénat sur l'agriculture française. La présence de M. le Premier ministre, aujourd'hui, marque, s'il en était besoin, l'engagement du Gouvernement en faveur de notre agriculture.
Nous devons, en effet, affirmer une nouvelle fois la double mission de nos agriculteurs, de chaque exploitation, de chaque entreprise agricole et rurale : être performant et tenir le territoire.
En effet, l'avenir de nos exploitations, leurs performances, leur évolution respective, constituent autant de facteurs essentiels à prendre en compte dans la politique économique de la nation et dans sa politique d'aménagement de l'espace et de développement rural.
Telle est bien l'une des évidences, la première qui transparaît de vos multiples et excellents travaux.
Aussi, je ne viens pas vous convaincre, vous l'êtes. Je ne viens pas chercher une quelconque caution, je viens réfléchir avec vous, je viens écouter vos observations, vos suggestions, vos réflexions.
Je viens, surtout, vous inviter à prolonger, dans les semaines et les mois à venir, cette réflexion, car nous aurons à construire ensemble – Parlement, Gouvernement, profession – le cadre politique, institutionnel, économique et juridique indispensable pour donner un nouvel élan à l'agriculture française, à l'agriculture européenne.
Tel est le chantier que je vous propose d'ouvrir aujourd'hui.
Il faut pour l'agriculture une loi qui marque l'engagement de la nation, j'y reviendrai tout à l'heure. Mais cela est-il suffisant pour rendre espoir aux agriculteurs ?
Ces derniers savent bien, comme les forestiers, que l'avenir de l'agriculture se joue tout autant à Bruxelles, à Luxembourg, à Genève, qu'au Parlement français ou européen ou que dans leurs organisations économiques, les industries agro-alimentaires, l'agro-industrie ou la recherche.
Certes, il est bien évident que nous aurons à traduire en termes législatifs ou réglementaires bien des aspects du programme de modernisation que nous aurons élaboré.
Mais notre travail ne doit pas se limiter, se réduire à ce seul horizon.
En effet, à quelques jours d'un scrutin qui engage la construction européenne, faut-il rappeler l'importance de la dimension européenne et internationale de notre politique agricole et forestière ?
Lorsque 70 % de notre production agricole sont transformés, faut-il rappeler l'urgence et la nécessité d'améliorer notre performance technologique et commerciale à tous les stades de la filière agricole et agro-alimentaire ?
Lorsque l'agriculture et la forêt occupent 80 % de notre espace, faut-il rappeler l'importance pour elles de bénéficier d'un environnement économique et social vivant et dynamique ?
Voilà pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaiterais ne négliger dans mon propos, aujourd'hui, aucune des trois dimensions de notre politique : internationale et européenne, législative et réglementaire au niveau national, économique, technologique et professionnelle.
De nos efforts à maîtriser et, surtout, à prévoir les évolutions nécessaires à ces trois niveaux, dépendent la performance et l'efficacité économique de notre agriculture, comme sa capacité à occuper, à animer, à faire vivre tout un territoire.
Sur le plan européen et international, l'agriculture est l'atout majeur de l'Union européenne.
Un seul chiffre suffit à nous en convaincre : 200 milliards de francs de chiffre d'affaires à l'exportation, dont 142 milliards de francs sur les pays de l'Union et 58 milliards de francs sur les pays tiers, ainsi que le montrent les comptes de l'agriculture de 1993, qui viennent d'être publiés tout récemment.
Ce chiffre peut-il être amélioré ? J'en suis convaincu. Nous pouvons et nous devons encore développer nos parts de marché.
Telle doit être la première finalité de notre politique au sein de l'Union, comme celle de l'Union sur le marché mondial.
À cette fin, nous visons deux objectifs : parachever et aménager la réforme de la politique agricole commune ; accroître nos performances commerciales sur le marché mondial.
Le parachèvement et l'aménagement de la réforme de la politique agricole commune doivent se poursuivre avec une volonté sans faille, dans le respect des principes essentiels qui ont fondé la construction de cette politique, à savoir la préférence communautaire et la solidarité financière.
L'élargissement de l'Union européenne et les nouvelles règles imposées par les récents accords du GATT doivent nous amener, dans les meilleurs délais, à adapter nos règles communes de marché, à assurer la pérennité de la réforme de la politique agricole commune et à introduire un minimum de flexibilité dans sa gestion quotidienne, en application du principe de subsidiarité.
En ce qui concerne l'organisation commune des marchés, cinq chantiers sont ouverts, qu'il faut mener à leur terme : l'organisation commune du vin ; l'organisation commune des fruits et légumes ; l'organisation commune de la viande bovine ; la filière bois ; la spécificité des produits de nos départements d'outre-mer.
Lors du Conseil "prix" des 30 et 31 mai derniers, j'ai indiqué à nos partenaires qu'il serait insupportable de faire traîner les négociations sur ces différents dossiers. J'ai demandé que les calendriers soient impérativement fixés.
En effet, si les intérêts légitimes de la France sont évidemment en jeu dans les cinq secteurs de production évoqués, ceux de l'Union européenne le sont tout autant, face à la pression croissante des marchés mondiaux.
Dans le domaine viticole, les efforts de la France au cours des dernières années doivent être reconnus et le principe de la responsabilité de chaque État dans la gestion de sa production doit être arrêté. Les premières propositions de la Commission sont, à cet égard, inacceptables. Je l'ai indiqué avec la plus grande netteté.
J'ai clairement dit, également, que nos viticulteurs ne devaient pas être pénalisés sur le marché communautaire par des contraintes nationales trop exigeantes que nous nous imposerions nous-mêmes.
C'est le cas pour la mise en œuvre de la loi Evin, qui, tout en respectant parfaitement l'impératif de prévention, ne doit pas nous mettre dans des situations que je qualifierai d'absurdes par rapport à nos concurrents directs.
Dans le secteur des fruits et légumes, trois orientations guideront notre attitude : des calendriers de production par pays et par production ; un cadastre pour les productions pérennes ; la reconnaissance par l'Union de l'efficacité des interprofessions et des groupements de producteurs dans la gestion du marché.
Dans l'attente de cette délicate négociation, j'ai demandé sans attendre que l'on prenne des mesures d'urgence pour le secteur de la pomme. L'accord de principe nous a été donné ; il devrait être concrétisé d'ici à la fin du mois de juin, j'y veillerai.
Dans l'organisation commune du marché de la viande bovine, exclure – contrairement aux dispositions arrêtées dans le cadre de la réforme de la PAC – 1992 comme année de référence pour le plafond de la prime spéciale au bovin mâle revient à pénaliser la France. J'ai combattu ce changement de règle du jeu totalement injustifié et j'espère obtenir une évolution significative.
En ce qui concerne l'organisation commune du marché de la banane, je rappelle que la production bananière est stratégique pour l'économie des départements d'outre-mer. Nous avons été et nous restons très vigilants face aux attaques dont elle a été l'objet.
Je souhaite m'étendre un peu plus sur la politique forestière de l'Europe, dossier qui a retenu toute notre attention et qui requiert une très grande vigilance.
Si nous nous félicitons pour notre agriculture de l'élargissement de l'Union, nous ne pouvons que déplorer l'absence d'instrument de politique forestière en son sein.
En effet, dans une situation générale de graves difficultés économiques, du fait du brutal retournement de conjoncture, les entreprises : de la transformation du bois ont subi de plein fouet les conséquences des événements monétaires intervenus à l'automne 1992.
Parallèlement à cette crise économique et monétaire qui a secoué toute l'Europe de l'Ouest, s'est confirmée pour le marché du bois la tendance à une mondialisation des enjeux et des échanges.
De même, le risque est réel de voir, à terme, les pays de l'Europe de l'Est s'instaurer comme fournisseurs de nos besoins. S'il en était ainsi, nos forêts risqueraient d'être confrontées au paradoxe de voir se restreindre leurs débouchés. Par voie de conséquence, les moyens de leur gestion en seraient affectés, et pourraient apparaître des difficultés pour assurer leur gestion durable, que la France s'est engagée à mettre en œuvre lors de la déclaration de principes de Rio.
Vous voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, que le contexte international nécessitera de notre part, notamment dans ces domaines, la plus grande vigilance.
Il convient d'assurer la pérennité de la politique agricole commune. Il n'est pas possible, en effet, de construire une économie sans une certaine stabilité des règles du jeu. Il s'agit, pour nous, d'une exigence fondamentale. Nous l'avons toujours dit ; nous en avons obtenu l'assurance au cours de ces douze derniers mois, contrairement à tous les pronostics ; nous en tirerons toutes les conséquences dans les décisions prochaines de l'Union.
Dans ce combat, essentiel pour notre agriculture, le rôle du Parlement européen et la vigilance du Parlement français seront les plus sûrs soutiens de la volonté gouvernementale.
Nous avons deux objectifs.
Il faut, d'abord, faire respecter la compatibilité des accords du GATT et de la PAC. La Commission, dont le seul souci est de contenir à tout prix la ligne directrice agricole, est prête à remettre en cause, à l'occasion de tel ou tel dossier, cet engagement politique pourtant fondamental. Les discussions actuelles sur le "paquet prix" en sont une illustration parfaite.
Il faut aussi assurer la pérennité de la politique d'aides directes instituées par la réforme de la PAC. Sur ce point, la France veillera à ce que les moyens budgétaires assurent le respect des engagements solennellement pris, notamment lors du sommet européen de Bruxelles, en décembre dernier, au moment des accords du GATT.
Il convient également d'introduire une plus grande flexibilité dans la gestion quotidienne de la politique agricole commune. Il ne s'agit pas de renationaliser la PAC. Entre nous, c'est un faux débat, doublé d'une dangereuse illusion. Il s'agit tout simplement de la rendre applicable, acceptable par chaque agriculteur et compréhensible par l'opinion publique.
Nous sommes là au cœur du débat, du vrai débat, celui de la subsidiarité.
Certes, il ne faut pas cacher la complexité des problèmes posés. Certes, il faut assurer des contrôles efficaces, vu l'ampleur des sommes en jeu, et garantir leur équité. Mais il faut assouplir impérativement les procédures administratives. En quelque sorte, l'Union européenne doit fixer aux États des obligations de résultat en allégeant au maximum ses obligations de moyens.
Cette exigence ne doit cependant pas servir de prétexte pour ne rien changer ; il faut le faire, malgré l'inertie inhérente à toute administration supranationale.
J'en arrive au deuxième grand objectif que nous devons essayer d'atteindre à l'échelon européen, à savoir l'accroissement de nos performances commerciales sur le marché mondial.
Je veux souligner devant vous la nécessité absolue pour nous et pour l'Union européenne d'explorer et d'exploiter sans délai les voies et moyens qui nous permettront de surmonter, à l'exportation, les contraintes des accords agricoles du GATT dans le cadre de la politique agricole commune réformée.
À cette fin, l'Union européenne doit résolument s'engager dans les trois directions suivantes : conduire un effort sans relâche pour parachever les accords de Marrakech ; affirmer une volonté commerciale nouvelle, c'est-à-dire se donner les moyens de ses ambitions ; mettre en place un système de gestion efficace de nos engagements agricoles du GATT.
Pour parachever les accords de Marrakech, il faut, en premier lieu exiger une ratification rapide de ces accords par tous les pays adhérents au GATT, notamment par les États-Unis.
Il faut, en second lieu, contribuer activement à la mise en place de l'organisation mondiale du commerce.
En troisième lieu, il faut faire avancer l'élaboration d'une "clause sociale".
Il convient d'affirmer une volonté commerciale nouvelle, c'est-à-dire assurer la défense du marché communautaire, à l'instar des États-Unis ou du Japon, mais aussi, dans le même temps, conquérir de nouveaux marchés.
La présence communautaire, contrairement à ce que j'entends parfois, n'est pas morte avec les accords du GATT. Hors la clause d'accès minimum ou les quelques panels dont nous avons réussi à limiter au minimum à la fois le nombre et les effets, la préférence communautaire peut et doit continuer à jouer si nous en avons la volonté politique et si nous nous en donnons les moyens.
Ces moyens, vous le savez, sont essentiellement au nombre de deux l'institution et la réelle application de vraies clauses de sauvegarde ; une véritable politique de contrôle et de défense sanitaire aux frontières de l'Union.
Conquérir de nouveaux marchés, c'est, bien sûr, accroître nos performances à l'exportation. Nous devons, en tout premier lieu, exploiter toutes nos possibilités d'exportation avec restitution sur les pays tiers.
Les accords du GATT nous ouvrent d'importantes opportunités sur de nouveaux marchés. Sachons les saisir en Asie du Sud-Est, en Chine, au Japon, en Amérique du Sud, dans les pays de l'Est.
Mais cet effort doit être maintenant accompagné, soutenu par une politique permettant à chaque État membre, dans les secteurs de son choix, d'exporter aussi sans restitution.
Cet objectif doit conduire l'Union européenne à diversifier la politique intracommunautaire de soutien des prix et des revenus, c'est-à-dire à faire évoluer sa gestion vers un système permettant aux États membres d'accroître leur capacité d'exporter aussi sans restitution.
Avec toute la prudence nécessaire, je l'ai dit, nous devons pouvoir évoluer vers des solutions de prix différenciés, secteur par secteur, gérées par les États membres dans un cadre communautaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les orientations que nous nous proposons de suivre dans la conduite de notre politique agricole au sein de l'Union européenne.
Je vous confirme que la France déposera auprès de la Commission, d'ici à la fin de l'année, un mémorandum qui traitera des questions que je viens d'évoquer et qui précisera nos propositions.
Mais notre action ne sera efficace qu'à deux conditions, la première étant de savoir anticiper sur les évolutions futures de l'environnement international. Cela est indispensable pour éclairer notre action et nos choix dans un contexte international extrêmement mouvant.
À cet effet, le rôle du comité de suivi du GATT sera renforcé et sa composition sera élargie au secteur agro-alimentaire. J'ai d'ores et déjà demandé aux organisations représentatives de ce secteur de siéger en son sein.
Par ailleurs, d'ici à l'été, j'installerai un comité scientifique du ministère, réunissant experts et directions de mon administration.
Il faut bien évidemment renforcer la cohésion politique de l'Union européenne. Le Gouvernement y travaille sans relâche. Il prépare activement dans cet objectif les deux prochaines présidences : à partir du 1er juillet prochain, la présidence allemande ; à partir du 1er janvier 1995, la présidence française.
Le dernier sommet franco-allemand du 31 mai dernier a été l'expression de cette volonté dont les effets bénéfiques se feront sentir, je l'espère, au prochain sommet européen de Corfou.
Après avoir précisé l'environnement européen et international tel que nous le voyons, j'en arrive à la deuxième dimension de notre politique, c'est-à-dire notre politique nationale. C'est un vaste chantier, car il s'agit de moderniser nos codes rural, fiscal et social.
Ce chantier, nous l'avons déjà largement ouvert depuis plus d'un an. Nous l'avons fait avec réalisme et pragmatisme. Nous l'avons fait surtout en sachant que nous pourrons tenir nos engagements et le Gouvernement ne se départira pas de cette attitude.
Je comprends l'impatience des agriculteurs. Je comprends celle des élus de cette assemblée qui sont à l'écoute des réalités quotidiennes. Voilà pourquoi nous avons décidé de soumettre au Parlement à la session d'automne une "loi de modernisation".
Cette loi de modernisation comportera des dispositions d'application immédiate ainsi que le calendrier de mise en œuvre des mesures les plus complexes ou les plus lourdes. Elle sera complétée par un ensemble de mesures réglementaires relatives notamment au financement des exploitations et à l'installation.
La première priorité, c'est la poursuite de notre effort d'allégement des charges.
Je voudrais vous préciser les mesures qui sont d'ores et déjà mises à l'étude et que nous souhaitons faire aboutir.
En matière sociale, les revenus du capital et les revenus du travail doivent être mieux différenciés dans l'assiette des cotisations sociales.
J'ai pris l'engagement d'avancer rapidement sur ce dossier, notamment par une meilleure prise en compte des revenus fonciers pour les exploitants en faire-valoir direct. Je le confirme en vous indiquant que des propositions sont d'ores et déjà à l'étude.
En matière fiscale, je souhaiterais que nous réfléchissions, sans doute dans un cadre plus large, à l'impact réel et comparé avec d'autres mesures des systèmes d'amortissement des investissements en agriculture.
Je n'exclus pas, bien entendu, de notre réflexion, d'autres propositions avancées par les organisations professionnelles agricoles.
Votre assemblée a créé un groupe de travail sur ces questions. Je salue cette initiative qui va nous permettre de travailler et d'avancer ensemble.
En matière financière, nous poursuivrons nos efforts pour assouplir les critères d'octroi des prêts bonifiés en rendant éligibles notamment les formes sociétaires et en adaptant les ratios d'endettement.
Cela étant, je tiens à rappeler l'effort déjà considérable réalisé par l'État pour contribuer à la consolidation de la dette. Je souhaite poursuivre cet effort avec le concours actif de nos partenaires financiers. En effet, il convient d'adapter simultanément nos règles financières de renégociation de la dette, dans le respect des responsabilités de chacun, et dans le cadre d'un partenariat renouvelé.
Mais toutes ces avancées, dont vous mesurez, j'en suis persuadé, l'importance et le caractère novateur, doivent s'intégrer dans une réflexion sur l'évolution du statut de l'entreprise agricole. Nous ne pouvons en faire l'économie, car l'ensemble des questions précédentes est le plus souvent sous-tendu par une interrogation première.
Doit-on à tout prix conserver un modèle juridique unique pour l'exploitation, seul garant de la spécificité, ou doit-on favoriser une certaine banalisation du statut de l'entreprise agricole en favorisant son évolution vers les formes sociétaires civile ou commerciale ?
Je ne souhaite pas, à ce propos, engager un débat idéologique, mais je souhaite que l'on prenne en compte à la fois la réalité actuelle, la diversité de l'agriculture et la nécessité de répondre aux questions posées, notamment à propos de la distinction entre patrimoine privé et patrimoine professionnel.
Voilà pourquoi j'ai tracé les limites que notre réflexion devrait se fixer, même si mon souhait est plutôt de favoriser l'éclosion des formes sociétaires en agriculture ; je précise que cette évolution doit s'inscrire dans la durée. Elle doit prendre en compte les spécificités de l'entreprise agricole ; elle doit respecter le libre choix de l'agriculteur et la notion fondamentale de responsabilité individuelle.
La deuxième priorité est la relance de la politique d'installation.
Le rapport d'orientation qui sera présenté par le centre national des jeunes agriculteurs lors de son prochain congrès, dans huit jours, s'intitule : "L'installation d'une politique à l'autre". En effet, il s'agit bien d'examiner, dans le détail, quelles sont les inflexions à donner à la politique d'installation. Le dialogue est déjà bien engagé et nous avons, depuis un an, pris des mesures significatives dans le domaine du financement de l'exploitation.
Je soulignerai, dans mon propos, trois aspects de la politique que nous avons à développer, l'accès au métier, l'accès au foncier et, enfin, le financement de l'installation.
En ce qui concerne l'accès au métier, j'ai clairement indiqué mon sentiment à ce sujet : il faut élargir le champ de recrutement en facilitant l'installation de candidats issus d'horizons divers ou justifiant d'expériences professionnelles diverses.
À cet effet, nous travaillons, d'ores et déjà, avec la profession sur quelques orientations précises.
Faut-il revoir la limite d'âge, qui est actuellement fixée à trente-cinq ans ?
Faut-il réexaminer le niveau de qualification lié au champ des équivalences possibles ?
Faut-il introduire une certaine progressivité dans l'installation ?
Par ailleurs, nous devons trouver une complémentarité entre le stage "six mois" et le stage "40 heures" eu égard à la diversification des publics visés et à leurs contraintes propres – charges de famille, expériences professionnelles, par exemple.
Cette liste n'est pas exhaustive, mais je souhaite proposer très rapidement une première série de mesures réglementaires sur ces quatre points. En tout état de cause, j'ai décidé de reporter la date butoir de 1996 en ce qui concerne la pleine application des dispositions du décret de 1988, relatif aux aides à l'installation, afin de procéder aux différents aménagements nécessaires.
Le problème de l'accès au foncier et aux droits à prime dépasse certes le cadre strict de l'installation, mais il constitue malgré tout l'une des préoccupations essentielles des candidats à l'installation. Vous me permettrez ainsi d'ouvrir ce dossier dans ce cadre, qui se double maintenant, vous le savez, de la très délicate question de l'accès aux droits à produire.
Nous pouvons aborder ce dossier très complexe sous quatre aspects : l'évolution du statut de fermage, le régime juridique et financier des droits à produire, la politique des structures et le financement du foncier.
Je constate la prudence avec laquelle l'ensemble des partenaires aborde ces dossiers. Je les comprends et il ne s'agit pas aujourd'hui de répondre aux multiples interrogations qu'ils soulèvent. En revanche, je suis persuadé de la nécessité pour l'agriculture française d'ouvrir ces chantiers sans a priori.
La Haute Assemblée a joué un très grand rôle dans l'élaboration de notre code rural dans les années 1960 et 1970.
Elle pourrait être en particulier un lieu privilégié de réflexion et d'innovation sur ces questions.
En ce qui concerne le statut du fermage, je présenterai, en première lecture au Sénat, un projet de loi visant à modifier les modalités de fixation du prix du fermage.
Pour préparer cette modification, qui est de nature législative, M. le Premier ministre a confié, par décret en date du 4 janvier 1994, à M. Delaneau, sénateur d'Indre-et-Loire, une mission auprès de moi-même, relative aux conditions et aux prix du fermage.
M. Delaneau, que je tiens à remercier de la qualité de son travail, a rendu son rapport le 5 avril dernier ; le projet de loi que j'ai élaboré est conforme à ses premières conclusions.
J'ai cependant des difficultés à avancer dans la voie d'une certaine modernisation du statut de fermage. Mais il ne faut pas nier la réalité le fermage est encore le meilleur moyen d'alléger la charge du foncier, notamment au moment de l'installation. Encore faut-il que les investisseurs, même d'origine familiale, y trouvent un minimum d'intérêt, que ce soit en terme de rentabilité ou à travers les modalités de transmission, à titre gratuit ou onéreux.
C'est cet équilibre d'intérêts entre bailleurs et preneurs qui doit être recherché et retrouvé !
J'en viens au régime juridique et financier des droits à produire et des droits à prime.
Notre droit rural n'a pas encore fait place à cette réalité, récente, certes, puisqu'elle est apparue avec l'institution des quotas laitiers en 1984, mais qui fait maintenant partie du paysage de l'agriculture.
Il appartiendra au Parlement de traiter de cette question pour traduire en droit français le droit communautaire. Toute rénovation du statut du fermage ne pourra éviter de prendre en compte cet aspect des relations bailleurs-preneurs. Or la notion de "droits à produire" recouvre des réalités juridiques et pratiques très différentes.
Pour ma part, mon principal souci a été, d'une part, d'éviter que le système de gestion de ces droits n'engendre des charges supplémentaires pour les exploitants et, d'autre part, qu'il ne contribue pas à provoquer certaines délocalisations de productions sur une grande échelle.
Cette orientation implique également que ces droits soient attachés sinon au foncier, du moins à un territoire. Cette conception qu'il conviendra d'approfondir doit permettre d'éviter qu'ils soient un élément constitutif de l'accès au métier.
Attacher ces droits à un territoire donné, pour l'instant au territoire départemental comme nous l'avons fait dans le secteur ovin et dans celui des bovins allaitants, me paraît répondre à l'objectif de notre politique qui doit lier localisation souple des productions et gestion et animation de l'espace. Vos avis me seront précieux sur ce dossier.
J'en arrive à la politique des structures. Celle-ci a constitué le noyau dur des lois d'orientation de 1960 et 1962 et a modulé nos exploitations. En effet, ces lois étaient fondées sur un seul et unique modèle d'exploitation.
On peut s'interroger sur l'adéquation du dispositif actuel avec la réalité d'aujourd'hui. Je songe à la diversification des statuts des exploitations, aux contraintes nouvelles de la PAC réformée et du GATT, avec l'apparition de la jachère et des droits à produire, à l'extensification, à la pluriactivité et aux nouvelles missions de l'agriculture.
Ainsi, avant de rénover les organismes actuels de gestion des structures ou, plutôt, de recomposer les commissions départementales des structures, il convient sans doute de réfléchir à l'adaptation et à la simplification des outils existants.
Le financement de l'acquisition du foncier reste une grave préoccupation en effet, 50 % de notre territoire est en faire-valoir direct.
Faut-il généraliser les mutations à taux réduit ? Faut-il abaisser encore le coût du crédit ? Faut-il, dans cet esprit, après la suppression des parts départementales et régionales de la taxe sur le foncier non bâti, faire évoluer la part communale pour augmenter à la marge la rentabilité des investissements ? Faut-il encourager la dissociation complète du foncier et du capital d'exploitation et, donc, admettre une cessibilité beaucoup plus grande du foncier ?
J'évoque devant vous les questions posées par l'accès au foncier. Ne nous leurrons pas ! Elles sont au cœur du débat sur l'installation, même si la puissance publique est prête à poursuivre son effort pour faciliter le financement global de l'installation.
Au sujet de ce financement, je confirme que nous poursuivons les efforts déjà engagés dans trois directions, à savoir l'amélioration des conditions d'octroi de la dotation aux jeunes agriculteurs par une évolution des critères de versement de celle-ci et l'élargissement de l'accès aux aides aux pluriactifs, la globalisation du financement et, enfin, la restructuration des exploitations en reconduisant le dispositif de préretraite agricole qui vient à échéance à la fin de 1994.
La troisième priorité concerne l'amélioration du statut social des agriculteurs et, en priorité, celui des femmes d'exploitants.
Nos anciens jouent un rôle essentiel dans la vie sociale du monde rural. Assurer une vie décente à ceux et à celles qui quittent le métier d'agriculteur est un devoir de solidarité nationale.
Ce devoir constitue, pour nous, une exigence prioritaire à l'égard des femmes d'exploitants qui tiennent leur place dans l'exploitation avec une énergie, une compétence et un désintéressement tout à fait remarquables.
Je souhaite que leur situation sociale face aux épreuves de la vie puisse continuer à être améliorée. Voilà pourquoi, en toute priorité, après l'amélioration des petites retraites agricoles, que vous avez décidée au mois de janvier, j'estime que nous devrions poursuivre nos efforts en faveur des veuves, en examinant la possibilité, pour elles, de cumuler pensions de réversion et droits propres dans les mêmes conditions que les autres régimes sociaux.
Je suis très attaché à une telle réforme car il s'agit d'une mesure de justice sociale. Le coût en est très élevé, mais le Gouvernement a su, dans d'autres occasions récentes, marquer l'importance qu'il accordait à de telles mesures de solidarité.
C'est pourquoi je crois que nous devons, enfin, progresser dans cette direction, même si l'application de cette réforme devait être échelonnée sur plusieurs années.
J'en arrive à la troisième et dernière partie de mon intervention, qui a trait à la performance et à l'équilibre du territoire.
Comme je le soulignais en introduction, notre politique ne peut se limiter au seul soutien direct des exploitants, quels que soient nos efforts budgétaires pour alléger leurs charges, améliorer l'efficacité des multiples aides ou faciliter l'installation.
Le double objectif de la performance économique et de l'équilibre du territoire nécessite une politique plus vaste s'intéressant, d'une part, à la recherche systématique de la valeur ajoutée par un triple effort en matière de technologie, d'organisation économique et d'organisation professionnelle et, d'autre part, à l'insertion de l'agriculture dans un tissu rural vivant.
La recherche systématique de la valeur ajoutée doit être présente en permanence dans nos esprits. À cet égard, il faut, d'abord, conforter notre avance technologique.
J'ai défini, à ce sujet, deux priorités. La première tend à soutenir l'investissement pour permettre à toute entreprise du secteur agro-alimentaire et agro-industriel d'avoir accès aux technologies les plus performantes et la seconde, à maintenir notre avance technologique par la recherche et la formation.
Il convient donc de soutenir l'investissement. À cet effet, le maintien et le développement de notre politique industrielle dans ce secteur sont une nécessité. J'en ai cité les deux raisons essentielles.
Cette politique constitue un instrument souple d'orientation dans cette période d'adaptation par l'effet de levier qu'elle induit. Elle permet, en outre, l'exploitation de ce que j'ai appelé les "niches de valeur ajoutée" dans des secteurs nouveaux et porteurs.
Premier pilier de notre politique de valorisation de nos productions, elle doit être accompagnée d'une politique dynamique de recherche et de recherche-développement.
Il faut également amplifier notre avance technologique par la recherche et la formation. La France a une large avance en ce domaine sur ses partenaires. Elle est l'un des seuls grands pays à avoir maintenu et développé un appareil de recherche aussi diversifié et performant, reconnu dans le monde entier.
Une meilleure valorisation des atouts que constitue cet investissement immatériel, qui représente neuf milliards de francs, dont près de six milliards de francs d'argent public, doit être, dans les années à venir, le second pilier de notre politique d'orientation, d'adaptation et de compétitivité.
Afin d'éclairer nos choix, j'ai, vous le savez, sollicité, tout d'abord, l'un de vos collègues, M. Pierre Laffitte, sur les évolutions souhaitables de notre recherche et de notre enseignement supérieur. Il m'a rendu ses conclusions.
Nous en débattrons le 7 juillet au Sénat, sous sa haute autorité, lors d'un forum ouvert, notamment, à l'ensemble des établissements. J'ai également demandé à M. René Rémond de mener une mission approfondie sur notre enseignement technique. Il m'a remis son rapport qui est actuellement soumis à la concertation.
Ces travaux, que j'ai lancés dès ma prise de fonctions, ont été conduits en parfaite harmonie avec le ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche pour les premiers, et avec le ministère de l'Éducation nationale pour les seconds.
Notre politique doit traduire les trois axes prioritaires qui sont à la source de toute valeur ajoutée, à savoir l'industrie agro-alimentaire, l'agro-industrie, la sécurité et l'hygiène alimentaire.
Elle doit instaurer une forte interactivité entre les réseaux d'enseignement et les réseaux de recherche, par une définition de fonctions communes et par la constitution de pôles régionaux regroupant les établissements d'enseignement supérieur et de recherche.
Elle doit également mettre en œuvre une politique de contractualisation initiée par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche avec l'institut national de la recherche agronomique, l'INRA, notamment, tenant compte des orientations stratégiques définies par ce prestigieux établissement.
Elle doit, enfin, procéder à une évaluation stratégique et territoriale de notre dispositif de recherche-développement, accompagner les restructurations nécessaires et renforcer les moyens financiers de ce maillon.
S'agissant du secteur agro-alimentaire, j'ai demandé, en accord avec mon collègue M. Fillon, à M. Caugan, président de l'association pour le développement de la recherche appliquée aux industries agricoles et alimentaires, l'ADRIA, de réaliser cette évaluation.
Notre politique doit aussi accompagner la réforme du développement agricole qui doit être conduite par la profession afin de parachever la réforme du financement de l'association nationale pour le développement agricole, l'ANDA, qui vient d'être décidée. Je vous indique que le projet de décret a été rédigé et qu'il vient d'être transmis au Conseil d'État.
Elle doit, enfin, conforter notre enseignement technique agricole, public et privé, en valorisant au mieux les quatre missions qui lui sont dévolues par la loi, en développant son rôle promotionnel et social et en améliorant encore ses performances pédagogiques.
S'agissant de l'amélioration de notre organisation économique, j'ai engagé notre action dans trois directions. La première concerne la coordination de nos politiques d'intervention sectorielle avec les autres aspects de la politique agricole. Telle a été la finalité de la rénovation des missions et du fonctionnement du Conseil supérieur d'orientation, le CSO, que j'ai conduite avec les organisations professionnelles agricoles.
La deuxième direction est le développement de politiques de filières.
L'agriculture est de plus en plus tirée par les activités en aval, 70 % des produits faisant désormais l'objet d'une transformation. Pour sa part, l'industrie alimentaire, pour être performante, doit bénéficier d'approvisionnement sûr et régulier. La filière agro-alimentaire a besoin de règles de mises sur le marché ou d'accords interprofessionnels. Je suis déterminé à défendre ces orientations et à leur donner un nouvel élan car leur mise en œuvre est encore plus justifiée aujourd'hui qu'elle ne l'était hier.
La troisième direction concerne les relations entre la production, la transformation et la grande distribution. Je sais quelle est votre préoccupation face à la dégradation continue de ces relations. Quelle que soit la complexité du dossier, je crois qu'il faudra avancer, en priorité, par la voie contractuelle et, si nécessaire, en définitive, par la voie législative. Il faut, en effet, lutter contre les abus de position dominante et les pratiques déloyales.
Je souhaite, à cet effet, qu'il soit procédé à une expertise comparée de la situation chez nos partenaires européens. Cette mission sera confiée par mon collègue M. Edmond Alphandéry à M. Claude Villain.
Je souhaite également que cette question soit examinée en fonction des exigences d'une répartition équilibrée des industries agro-alimentaires sur le territoire et que l'expérience contractuelle acquise pour traiter le problème des délais de paiement puisse être étendue au traitement d'autres questions, comme la transparence des comptes, l'affichage des conditions de vente et les droits de saisine du juge des référés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, sans agriculture, il n'y a pas d'aménagement et de développement ruraux, mais sans activités économiques et sociales diversifiées, il n'y a pas d'agriculture.
Il faut ainsi aider l'agriculture et la forêt à tenir l'espace. Ces activités doivent, par ailleurs, pouvoir bénéficier de l'environnement économique et social qu'elles sont en droit d'espérer.
Tenir l'espace, pour l'agriculture comme pour la forêt, c'est, en définitive, parvenir, en tout point du territoire, à un niveau de performance économique satisfaisant, notamment en montagne et dans les zones défavorisées.
S'agissant de l'agriculture, nous devons orienter nos actions dans trois directions. Il faut renforcer l'efficacité des aides directes dans les zones difficiles, développer la pluriactivité et améliorer les outils de gestion de l'espace.
S'agissant du renforcement de l'efficacité des aides directes en montagne et dans les zones fragiles, l'effort entrepris est déjà important, mais il devra être accru.
Ces aides sont très diverses. Citons les indemnités compensatoires de handicaps naturels, telles que l'indemnité spéciale de montagne, l'ISM, la dotation aux jeunes agriculteurs majorée, la bonification de prêts à taux réduits pour l'installation des jeunes et la modernisation des exploitations, les aides à l'investissement et à l'acquisition de matériels, les aides particulières destinées à compenser les surcoûts ou les contraintes dues aux pratiques agricoles respectueuses de l'environnement.
Le champ d'intervention de ce type d'aides a été élargi dans le cadre des mesures agri-environnementales. Je pense, notamment, à la prime à l'herbe qui concerne de façon significative la montagne et qui a été revalorisée dans des proportions importantes. Elle est, en effet, passée de 120 francs à 200 francs par hectare en 1993. Elle s'est élevée à 250 francs en 1994 et elle sera de 300 francs au 1er janvier 1995.
Elle représente déjà 1,2 milliard de francs, dont 650 millions de francs pour la part nationale. L'ISM s'élève à 1,6 milliard, dont 350 millions de francs pour la part FEOGA. J'ai engagé auprès de la Commission la procédure conduisant au déplafonnement du remboursement actuel de l'ISM par le FEOGA, et j'ai bon espoir de l'obtenir.
Le développement d'activités complémentaires est, pour beaucoup d'agriculteurs, dans certaines régions, la condition du maintien de leur activité principale agricole.
Afin de favoriser cette pluriactivité, il me semble donc nécessaire d'alléger la complexité des démarches et de supprimer les blocages, qui sont trop nombreux encore et qui pénalisent les pluriactifs.
Mais il faut en même temps être vigilant pour que le développement de ces activités complémentaires ne fausse pas la concurrence avec les autres acteurs économiques du milieu rural : les artisans et les commerçants.
Quelles sont les pistes que nous devons explorer ? J'ai demandé à M. Gaymard, député, chargé d'une mission sur ce sujet par M. le Premier ministre, de me faire des propositions qu'il doit d'ailleurs me remettre en fin de soirée.
Celles-ci s'articulent autour de quatre domaines de réflexion : une plus grande équité dans le traitement fiscal du pluriactif, une protection sociale moins complexe et prenant mieux en compte toutes les caractéristiques de la pluriactivité, une adaptation de notre appareil de formation pour qu'il comporte des modules de formation à la pluriactivité, ce qui ne s'improvise pas et, enfin, une meilleure organisation non seulement du marché de l'emploi, mais aussi du travail pour le pluriactif.
Je souhaite que plusieurs de ces propositions trouvent leur première concrétisation au cours du prochain comité interministériel de développement et d'aménagement rural, le CIDAR, que présidera M. le Premier ministre à la fin du mois.
D'autres propositions, notamment le rapprochement entre les statuts des différents types d'entreprises agricoles, artisanales et commerciales en milieu rural, constituent des pistes intéressantes, mais nécessitent encore un travail d'approfondissement.
Nos outils de gestion de l'espace doivent être améliorés.
À ce sujet, la politique du ministère de l'Agriculture et de la Pêche en faveur de la montagne comporte trois axes.
Il faut d'abord prévenir les risques naturels, grâce aux programmes de restauration des terroirs en montagne.
Il faut ensuite encourager des méthodes de production agricole compatibles avec la protection de l'environnement et l'entretien de l'espace, grâce à des opérations agri-environnementales, dont vingt-cinq sont déjà en cours d'examen ou agréées, pour un budget de 300 millions de francs.
Il faut enfin soutenir les efforts d'entretien de l'espace rural par la création d'un fonds de gestion de l'espace rural qui vous sera proposé à l'occasion du projet de loi sur le développement du territoire.
Lors du prochain comité interministériel de développement et d'aménagement rural, le Gouvernement précisera les missions et les modalités de fonctionnement de ce fonds, qui devrait notamment permettre de rémunérer les prestations de services fournies par les agriculteurs.
La politique forestière doit être relancée.
Lorsque j'ai pris mes fonctions, la politique forestière était en "jachère". Or la filière bois contribue très largement à l'activité en milieu rural, en fournissant 500 000 emplois, qui sont, pour la plupart, répartis dans les zones à faible densité de population.
Comme l'agriculture, la forêt est le plus sûr garant, à long terme, de la sauvegarde et de la qualité de notre environnement. Il faut prendre des mesures immédiates.
Nous ne pouvions laisser se dégrader ainsi plus longtemps une situation catastrophique.
Le Gouvernement a mis en place des mesures de soutien immédiates, dès juillet 1993, qui ont concerné près de 500 scieries et près du quart des entreprises forestières.
Nous avons, enfin, redressé la situation du fonds forestier national, que nous avons trouvé, il faut bien le dire, sans vouloir engager de polémique, en quasi-faillite !
Des perspectives doivent être dégagées pour l'exploitation forestière en privilégiant la qualité des peuplements, des bois, des produits, et en sauvegardant la biodiversité de notre patrimoine forestier, qui constitue une très grande richesse et grâce auquel la forêt conserve, outre son rôle économique, ses rôles d'espace d'accueil, de loisirs et de maintien des grands équilibres naturels et spatiaux.
Il convient encore d'assurer l'équilibre entre agriculture et forêt afin de valoriser de façon raisonnée la forêt paysanne et, enfin, de dégager de nouveaux champs d'utilisation pour promouvoir le bois, non seulement en tant que source d'énergie, mais encore en tant que matériau plus noble de construction. Le haut niveau de notre enseignement forestier y concourt largement tout en assurant le rayonnement international de notre politique forestière.
Je m'attacherai, soyez-en sûrs, à conforter ces différentes orientations en liaison et en collaboration avec l'ensemble des partenaires de cette filière, qu'ils soient publics ou privés.
Il faut favoriser tout ce qui permettra de préserver ou de retrouver un tissu rural vivant et actif.
J'ai eu, à maintes reprises, l'occasion d'affirmer la nécessité d'une politique de développement rural. J'ai aussi toujours répété que la politique conduite à cet égard par mon département ministériel ne pouvait être pleinement efficace que si elle reposait sur une politique volontariste d'aménagement du territoire.
Nous y sommes : le projet de loi du Gouvernement sur le développement du territoire va être déposé devant le Parlement.
En outre, sans attendre l'examen de ce texte, le prochain comité interministériel de développement et d'aménagement rural arrêtera un certain nombre de mesures très concrètes qui préfigureront les grandes lignes de la politique d'aménagement et de développement rural qu'il convient de relancer.
Nos axes d'action immédiats sont les suivants : d'une part, diversifier les activités économiques en milieu rural, et donc participer à la relance de l'emploi ; d'autre part, améliorer les conditions de vie des ruraux, notamment par une amélioration du parc de logements et par un meilleur accès aux services publics ou privés.
Diversifier les activités économiques, c'est agir sur les conditions d'installation et de développement des entreprises en milieu rural.
Afin de favoriser cette diversification des activités, je plaide personnellement pour la reconnaissance d'un droit à la différence pour certaines zones très défavorisées en matière tant fiscale que sociale ou financière.
C'est dans ce cadre que nous devons réfléchir à un aménagement de la fiscalité locale et des nécessaires mécanismes de péréquation.
Je suis par ailleurs persuadé que nous disposons encore, en milieu rural, de gisements d'emplois importants dans le secteur des services. Le fonds de gestion de l'espace rural nous permettra de les exploiter, à travers l'entretien de l'espace et du patrimoine rural.
Mais le développement des emplois de services aux personnes doit aussi être encouragé. Tel est bien l'enjeu d'un partenariat clair et équilibré avec les collectivités territoriales.
Pour améliorer les conditions de vie des ruraux, nous nous sommes fixé, je l'ai dit, deux objectifs : le logement en milieu rural et l'accès aux services publics.
Des dispositions seront arrêtées pour favoriser l'offre de logements locatifs tant privés que publics. Le nombre d'opérations programmées d'amélioration de l'habitat, les OPAH, devrait être notablement augmenté en milieu rural.
L'effort pour un meilleur accès aux services publics et pour une meilleure qualité de ces services en milieu rural est déjà largement engagé. Nous le poursuivrons en améliorant l'efficacité des schémas départementaux de services publics, en organisant de façon concertée le réseau scolaire, en améliorant l'accueil des jeunes enfants et en étendant les formules de "guichets uniques".
Ces orientations requièrent, là encore, une concertation préalable et approfondie des collectivités, qui partagent avec l'État une mission de service public et assurent maintenant nombre de services de proximité.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les orientations que j'ai proposées à M. le Premier ministre de mettre en œuvre par des mesures concrètes lors du prochain comité interministériel de développement et d'aménagement rural, dans quelques jours. C'est un premier pas qui ne sera pas sans lendemain.
Telles sont les termes du contrat que le Gouvernement propose à l'agriculture française pour les prochaines années et qui exprimera la reconnaissance de la double mission de l'agriculture par la société française : être la plus performante d'Europe et maintenir le territoire.
Ce contrat marquera une triple ambition. L'ambition européenne se traduira par le biais du mémorandum que la France déposera d'ici à la fin de l'année auprès de la Commission et du Conseil.
L'ambition de la nation pour l'agriculture et la forêt se traduira par la loi de modernisation que présentera le Gouvernement dès la session d'automne, évitant ainsi les simples déclarations d'intention ou, à l'inverse, des mesures sans lendemain.
L'ambition de l'ensemble du secteur agricole forestier et agro-alimentaire se traduira par l'effort renouvelé d'innovation, de formation, de restructuration, d'organisation économique et professionnelle, effort qui sera soutenu et encouragé par l'État.
Je sais que vous partagez cette triple ambition et que je peux compter sur le concours du Parlement pour la traduire dans les faits et pour enrichir notre réflexion et notre travail.
Il faut bien le reconnaître, le monde agricole et rural a perdu, ces dernières années, bon nombre de ses certitudes ou de ses références. L'ambition de ce gouvernement est bien de l'aider à se forger de nouveau quelques convictions profondes, seules aptes à permettre la renaissance de l'espoir.
Dans ce monde où tout change très rapidement, définir clairement les missions de l'agriculture est déjà une grande ambition. C'est celle que le Gouvernement s'est fixée et pour laquelle je sollicite votre concours.