Texte intégral
R.P.P. : La révolution des nouvelles technologies est un véritable défi économique. Pouvez-vous nous définir les enjeux que représentent ces innovations techniques pour notre industrie en particulier et pour notre économie en général ?
Dominique Strauss-Kahn : À l'évidence, ces technologies vont jouer le même rôle structurant que le développement de l'électricité dans notre histoire industrielle. Les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) ont un potentiel de diffusion particulièrement important. Elles modifient profondément les modes de consommation, les processus de production et l'ensemble des relations de l'entreprise avec ses partenaires. Un nouveau bond technologique est en train de se produire.
Le développement du commerce électronique en est l'une des illustrations les plus marquantes. Selon certaines prévisions, le commerce électronique pourrait atteindre 200 milliards de dollars en l'an 2000.
Le dynamisme de la demande liée au développement de la société de l'information a déjà un très fort impact sur l'offre industrielle : besoin d'équipements, besoin de réseaux de plus en plus performants. Un certain nombre de secteurs de l'électronique, comme la micro-informatique ou les composants, connaissent des taux de croissance à deux chiffres qui témoignent de cet effet d'entraînement.
Les entreprises innovantes ont une place tout à fait particulière dans le processus de croissance des économies modernes. En effet, toutes les analyses font apparaître que ces entreprises tirent la croissance. On estime communément que les entreprises de hautes technologies représentent entre le tiers et la moitié de la croissance américaine des deux dernières années, et que plus d'un million d'emplois nouveaux seront créés aux États-Unis dans ces secteurs au cours des huit prochaines années. En France c'est dans ces entreprises que se sont créés le plus grand nombre d'emplois qualifiés depuis deux ans. Dans le secteur des télécommunications, le nombre d'emplois nouveaux augmente de plus de 5 % par an, aussi bien chez les équipementiers que chez les opérateurs ; dans les sociétés de services et d'ingénierie informatique (SSII), le rythme annuel d'augmentation des emplois dépasse 10 %. Ces enjeux en termes d'emplois sont compris par nos concitoyens.
L'innovation et les nouvelles technologies sont aussi une condition nécessaire de la croissance à moyen terme pour toutes les entreprises. Dans une économie mondiale de plus en plus intégrée, où la connaissance et les capitaux circulent sans entraves, les vieux pays industriels n'ont que deux armes, la qualité et l'innovation. Les NTIC constituent aussi un enjeu très lourd en termes d'efforts d'investissement que les entreprises doivent consentir pour rester compétitives. Aux États-Unis la part des investissements dans les technologies de l'information et de la communication a constamment augmente depuis 30 ans. Elle représente aujourd'hui environ 45 % de l'investissement total contre 3 % en 1960. Toutefois, si l'équipement est une condition nécessaire pour réussir dans ce nouvel environnement ce n'est pas une condition suffisante. Une utilisation efficace des NTIC suppose un vaste effort de formation et souvent une réorganisation de l'entreprise.
R.P.P. : Si l'an dernier, les industries électriques, électroniques et de communications françaises ont renoué avec la croissance, les perspectives pour 1998 restent encore incertaines. Certains, comme Jean-Pierre Desgeorges, président du syndicat professionnel dénonce « une législation du travail trop rigide, une fiscalité handicapante ainsi qu'une politique sociale défavorable aux entreprises de haute technologie ». Selon vous, que peut répondre un Gouvernement de gauche aux professionnels de cette filière ?
Dominique Strauss-Kahn : Vous évoquez les perspectives pour 1998, et il est utile de rappeler en effet que le développement des industries de haute technologie s'inscrira cette année dans une croissance retrouvée nous aurons ainsi en 1998 la plus forte croissance des grands pays européens.
En réalité, les professionnels de cette filière observent depuis presque un an combien ce Gouvernement a profondément transformé les conditions du développement des nouvelles technologies en France. Entre le discours du Premier ministre à Hourtin cet été, qui a fixé des orientations ambitieuses pour faire entrer rapidement la France dans la société de l'information, et les assises de l'innovation, que Claude Allègre et moi avons réunie le 12 mai dernier, c'est un nombre considérable de mesures que nous avons prises pour soutenir l'innovation et les nouvelles technologies.
Je pourrais citer les mesures financières et fiscales mises en œuvre pour développer le capital-risque, comme par exemple la mise en place d'un fonds public pour le capital-risque doté de 600 millions de francs qui est opérationnel depuis le mois de mai 1998, ou le régime fiscal favorable pour les contrats d'assurance vie investis principalement en actions cotées et en capital-risque ou bien encore les actions engagées par la Banque européenne d'investissement, à l'initiative de la France, pour renforcer les dispositifs de garantie offerts aux investisseurs en capital-risque. Pour développer les entreprises de haute technologie, il faut aussi des nouveaux entrepreneurs, c'est le sens des incitations fiscales que nous avons fait adopter dans la loi de finance pour 1998 pour favoriser la création d'entreprises, notamment à travers la création des bons de souscription de parts de créateurs d'entreprise ou les reports d'imposition pour les « business angels » qui réinvestissent leurs plus-values de cession dans des jeunes entreprises. Enfin nous agissons pour faire émerger de nouvelles technologies, notamment en mettant en place des fonds d'amorçage pour faciliter la diffusion dans le monde de l'entreprise des innovations technologiques produites dans celui de la recherche publique ou encore en rationalisant les aides publiques à la recherche et développement des entreprises. Ce ne sont là que quelques exemples d'un premier train de mesures, d'autres actions ont aussi été engagées pour développer le commerce électronique et d'autres mesures suivront pour mettre en œuvre les choix formulés par le Premier ministre lors des assises de 1'innovation. Les professionnels de cette filière le savent, jamais un gouvernement n'avait engagé une action collective aussi cohérente et profonde pour développer les entreprises de haute technologie en France.
S'agissant enfin de la fiscalité et de la réglementation du travail, je vous renvoie à ce que répondait, lors de sa dernière visite à Paris, Bill Gates à un journaliste qui lui avait posé une question similaire à la vôtre. Il avait alors souligné que les principaux facteurs de développement de l'industrie de NTIC étaient d'abord la qualité du système de formation et la qualité des infrastructures de télécommunication.
En fait, au-delà de l'anecdote, je crois qu'il y a un élément essentiel à retenir : c'est qu'un niveau donné de pression fiscale, ou de ratification des services publics ne signifient rien en lui-même : ce qui importe, c'est le rapport de ce qui est payé ou prélevé, et du service rendu en contrepartie. Or, je crois que la qualité de nos services publics, formation, réseaux, transports... est extrêmement élevée. Nous devons et voulons maintenir ce niveau d'exigence. Cela ne signifie pas, bien sûr, qu'il n'y ait pas lieu de maîtriser les prélèvements obligatoires : nous avons commencé à le faire, dès 1998 ; nous continuerons. Quant à la réglementation du travail, je suis le premier à regretter que la dimension contractuelle n'y occupe pas une place suffisante : c'est aux partenaires sociaux d'améliorer cela; je les engage à le faire.
R.P.P. : Comment se porte le domaine de la haute technologie française et quelle est sa participation au solde positif du commerce extérieur ?
Dominique Strauss-Kahn : Le secteur de l'électronique se porte bien en France et se développe. L'amélioration des performances commerciales de cette industrie mérite d'être soulignée. Si le taux de couverture reste encore légèrement négatif (92 % en 1997), compte tenu de l'importance de nos importations, ce taux n'a cessé de s'améliorer depuis 5 ans (76 % en 1993 et 88 % en 1996).
Nous avons d'ailleurs des positions industrielles aussi fortes dans des secteurs électroniques traditionnels, comme les télécommunications, que dans des secteurs directement liés au développement de la société de l'information.
Dans les SSII, plusieurs entreprises françaises sont de taille européenne, c'est le cas notamment de Cap Gemini. Un savoir-faire immense et reconnu mondialement s'est constitué en France dans le domaine de l'ingénierie, notamment grâce à la qualité de la formation des ingénieurs et à la présence de laboratoires de recherche de premier plan.
Dans le secteur des cartes à puces ou l'on prévoit une forte croissance du marché mondial (650 millions d'unités produites en 1996 et 4 milliards prévues en 2000) les industriels français tiennent une position très forte notamment avec Gemplus, Schlumberger et Bull.
Dans le domaine de l'audiovisuel et de la TV numérique, Canal + est le premier opérateur européen de TV payante et a été le premier en Europe à diffuser un bouquet numérique de programmes (Canal satellite numérique). TMM bénéficie aussi d'une forte position en matière de décodeurs numériques.
S'agissant des éditeurs de contenus multimédias, il faut citer, par exemple, Infogrammes qui est désormais l'un des premiers éditeurs européens dans ce domaine, sans compter les compétences dont disposent les grands éditeurs traditionnels français comme, notamment, Havas ou Matra-Hachette.
Enfin dans le domaine des terminaux, les industriels français du minitel sont bien placés pour la conception et la production de terminaux d'accès Internet. Alcatel, Matra, Thomson, disposent ou sont sur le point de disposer d'une offre de produits d'accès à Internet à bas coûts utilisant les technologies JAVA, autour du téléphone ou autour de l'écran de télévision. Des PME françaises s'introduisent par ailleurs sur ces technologies.
Je pourrais citer encore des dizaines d'autres entreprises françaises de ce secteur qui illustrent combien notre pays dispose d'atouts majeurs dans la compétition internationale vigoureuse qui caractérise ce secteur.
R.P.P. : Vecteurs d'une compétitivité globale, comment les NTIC sont-elles perçues et utilisées par les industriels ?
Dominique Strauss-Kahn : Les technologies de l'information et de la communication ont longtemps été perçues par les entreprises comme de simples facteurs de réduction des coûts. Or les NTIC ont une vocation beaucoup plus large que les entreprises commencent mieux percevoir. L'évolution est en cours et je m'en félicite. Le niveau d'équipement des entreprises progresse rapidement, 24 % des PME françaises disposaient fin 1997 d'au moins une connexion Internet contre seulement 14 % en 1996 ; ce aux de connexion devrait passer à 48 % à la fin de l'année 1998. Mais Internet reste encore largement perçu comme un outil de communication. Internet n'est pas encore suffisamment compris comme un outil de veille économique et de développement commercial. De ce point de vue, les entreprises françaises se différencient encore trop de leurs concurrents d'Amérique du Nord. Car Internet est un vecteur de compétitivité essentiel pour tous les secteurs de notre économie.
C'est pourquoi, il me paraît nécessaire que les pouvoirs publics mettent en place une action volontariste pour développer l'utilisation d'Internet dans les entreprises, notamment les PME. Le programme Internet PMI que Christian Pierret et moi mettons en place vise à les inciter à le faire. 50 millions de Francs ont été mobilisés dès 1998 pour développer des actions de sensibilisation, de formation, ou encore de diffusion de projets exemplaires. Plus généralement toutes les actions que j'ai engagées pour multiplier les téléprocédures administratives sur Internet, pour mettre en ligne les marchés publics, ou pour faciliter le paiement des impôts sur Internet poursuivent un même objectif : encourager un nombre croissant d'entreprises à utiliser toutes les opportunités offertes par Internet.
Là encore, ce n'est qu'un début. Il nous faut mettre en ligne la plus grande partie des informations économiques disponibles au sein des administrations pour renforcer les capacités de veille économique de nos entreprises. Il nous faut dématérialiser la plus grande partie des procédures administratives pour réduire les coûts des échanges entre l'administration et les entreprises. Il nous faut, partout où l'État peut le faire, développer les usages d'Internet au service des citoyens et des entreprises pour que l'État montre l'exemple.
Mais il faut que l'ensemble des relais d'opinions, Chambres de commerce et d'industrie, Chambres des métiers, organisations professionnelles, cabinets de conseil, participent à cette sensibilisation : car la responsabilité des décisions incombe à chaque entreprise prise individuellement.
R.P.P. : Malgré un certain retard de l'entrée de la France dans la société de l'information, de quels atouts dispose-t-elle aujourd'hui pour participer à cette révolution ?
Dominique Strauss-Kahn : Soutenir l'innovation et faire entrer la France dans la société de l'information, c'est pour moi le choix d'une certaine indépendance industrielle, et c'est un choix de puissance industrielle. Nous savons tous que la maîtrise des technologies nouvelles, et singulièrement la maîtrise des technologies de l'information et de la communication, constitue un enjeu stratégique de premier ordre. La richesse et la puissance se concentreront demain sur les lieux ou seront maîtrisées ces technologies. Les États-Unis dominent à présent le marché mondial des industries de l'information. En 1991, cinq groupes européens se classaient encore parmi les vingt-cinq premières entreprises informatiques mondiales. En 1997, il n'en reste qu'une. La France ne doit pas devenir simplement un grand pays consommateur de nouvelles technologies. Notre pays doit et peut tirer le plus grand parti des révolutions technologiques que nous vivons.
Je suis convaincu que cet objectif est à notre portée, si nous savons valoriser nos atouts. Car les fondamentaux humains et technologiques de notre pays sont excellents. Or, ces éléments constituent un capital accumulé qui nous fournit de très importants avantages concurrentiels. Je voudrais simplement rappeler les performances de nos infrastructures de télécommunication dont la qualité est unanimement reconnue avec un taux de couverture géographique particulièrement élevé et avec un des réseaux les plus numérisés du monde (95 %). L'expérience de services en ligne et de commerce électronique accumulée avec le développement du minitel au cours des quinze dernières peut aussi constituer un atout majeur pour entrer dans le monde d'Internet, car c'est plus de seize millions d'utilisateurs qui ont pris, grâce au minitel, l'habitude de la relation clavier/écran/fournisseur. Avec environ 25 000 services en ligne sur le minitel et un chiffre d'affaires de 6,5 milliards de francs en 1996, c'est toute une industrie qui peut opérer le basculement sur Internet ; car il demeure plus facile de changer de technologie que de trouver des clients nouveaux.
Je voudrais évoquer aussi notre important réseau de recherche publique. Citons notamment l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) qui a su développer une recherche orientée vers les besoins des entreprises dans le domaine des technologies de l'information et qui est le chef de file européen du World Wide Web consortium. Par ailleurs dans les domaines de recherche en amont, comme dans la micro-électronique, de nombreuses grandes entreprises mondiales se sont implantées en France et ont engagé une coopération étroite avec les grands centres de recherche comme le CNET ou le LETI.
Ne nous y trompons pas, la diversité de notre infrastructure industrielle, la qualité de notre capital humain et de notre système de formation, les performances de notre recherche fondamentale, notre positionnement dans la zone euro, sont autant de paramètres fondamentaux qui, jouent aujourd'hui, dans la compétition industrielle mondiale, le rôle que notre climat et notre réseau de fleuves ont joué pendant des siècles dans le développement de notre agriculture.
Ce sont là des atouts certes, mais des atouts qu'il faut valoriser. Pour cela, un préalable s'impose : réconcilier les Français avec l'innovation et le risque.
R.P.P. : Le commerce électronique est pour nos entreprises une extraordinaire opportunité d'ouverture commerciale au monde entier. Si le rapport de Francis Lorentz montre la nécessité impérieuse pour la France de s'engager dans cette voie, cette étude met également l'accent sur l'élaboration d'un cadre réglementaire stable et favorable aux échanges. À cet égard, quel est votre sentiment réel sur les garanties nécessaires à la sécurité des transactions, la confidentialité des informations échangées et la protection des consommateurs ?
Dominique Strauss-Kahn : Dans le domaine des échanges électroniques au sens large, les problèmes de sécurité sont fondamentaux pour gagner la confiance des acteurs. Ces préoccupations de sécurité sont naturelles dans les communications entre entreprises qui échangent des travaux de recherche et développement en commun, qui négocient avec leurs fournisseurs ou qui mettent au point d'accord de partenariats multilatéraux. Ce souci est également présent dans les échanges entre particuliers et entreprises pour sécuriser les commandes, les paiements et les livraisons de services en ligne. La disponibilité de services de sécurité permettant d'assurer l'authentification mutuelle des acteurs, l'intégrité de l'information échangée, sa non répudiation et, si nécessaire, sa confidentialité sont indispensables.
Le développement du commerce électronique est subordonné à l'utilisation de deux types de techniques cryptographiques : la signature électronique, qui permet l'authentification de l'émetteur et du récepteur, la non-répudiation d'un accord et la vérification de l'intégrité d'un document et le chiffrement, qui permet de transmettre des documents, de nature le plus souvent contractuelle (appels d'offres en ligne, spécifications techniques, bons de commande, factures, certificats d'achat, garanties, relevés de compte et d'opérations...). Par ailleurs, l'État doit assurer le maintien de l'ordre et des intérêts de la sécurité nationale. Toute réglementation de la cryptologie est donc nécessairement un compromis entre les besoins de protection, notamment demandés par les acteurs économiques et les nécessités de la sécurité publique.
La nouvelle réglementation, mise en place en application de la loi de réglementation des télécommunications de juillet 1996, simplifie considérablement la possibilité, pour l'utilisateur final, de recourir à des moyens de cryptologie et, pour le fournisseur, d'accéder au marché. Ce nouvel environnement réglementaire devrait permettre l'éclosion d'une forte demande nationale de moyens de cryptologie, favorable également au développement de l'offre industrielle, qui peut se baser sur de solides compétences françaises existant dans ce domaine. D'ailleurs, les conditions de la compétition sur les marchés internationaux rendent indispensables le développement à brève échéance d'une offre de produits d'un haut niveau de sécurité développée en France.
Je souhaite procéder à une large explication de la nouvelle législation française vers les citoyens, les consommateurs et les entreprises. À l'initiative de Christian Pierret, les services de la direction générale des stratégies industrielles ont élaboré un "vade-mecum" de la réglementation de la cryptologie pour rendre le nouveau cadre réglementaire accessible au plus grand nombre de citoyens et d'entreprises.
Compte tenu du changement récent de réglementation du secteur et de la nécessité de disposer de moyens de cryptage très sécurisé d'origine française, les entreprises seront incitées à développer des produits compatibles avec cette réglementation (algorithmes de cryptologie, produits de sécurisation. produits pour tiers de séquestre...) et les entreprises de service seront encouragées à mettre en place des systèmes de tiers de confiance. Pour ce faire, un appel à propositions, doté de 40 millions de francs, sera lancé par la direction générale des stratégies industrielles, afin de soutenir les projets les plus innovants.
En ce qui concerne le droit de la signature électronique, les résultats des travaux du Conseil d'État seront analysés pour modifier aussi rapidement que possible les textes nécessaires au développement de la signature électronique. Par ailleurs, le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie anime, en liaison avec le secrétariat général à la Défense nationale, un groupe de travail interministériel incluant des représentants du secteur privé, chargé de proposer, avant la fin 1998, les conditions techniques et juridiques d'authentification et de validation de la signature électronique par l'administration. Ces travaux seront conduits parallèlement aux discussions communautaires en vue de l'élaboration d'une directive européenne sur la signature électronique.
Je suis convaincu que la qualité du service « réseau » offert par l'Internet, au même titre que la qualité des infrastructures ou que la tarification sur la boucle locale, est une condition essentielle du développement des échanges électroniques. Si des conditions minimales d'accessibilité, de fiabilité, de débit ne sont pas atteintes, les entreprises hésiteront à confier leurs communications au réseau, les utilisateurs se lasseront, les non-utilisateurs continueront d'attendre.
La qualité est l'une des composantes de l'environnement de confiance nécessaire au développement du commerce électronique. Outre l'amélioration de la qualité moyenne des échanges sur l'Internet, les utilisateurs doivent pouvoir être renseignés de manière transparente sur les engagements de qualité de leurs prestataires Internet. Ils doivent également disposer d'indicateurs leur permettant de comparer les offres et les recours si la prestation qui leur est rendue ne correspond pas aux engagements souscrits. C'est pourquoi nous avons décidé, avec Marylise Lebranchu chargée du commerce et de l'artisanat, d'élaborer en concertation avec les professionnels une charte qualité.
R.P.P. : L'avènement de la société de l'information a une forte influence sur nos pratiques sociales et culturelles. Elle rend nécessaire une large réflexion politique. D'après vous, comment sensibiliser le citoyen à ce débat ?
Dominique Strauss-Kahn : L'innovation et les nouvelles technologies doivent concerner tout le monde. On ne peut pas innover durablement si trop de gens restent au bord du chemin, si les fruits de la croissance ne se diffusent pas dans toute la société, notamment en emplois, et si les citoyens n'adhèrent pas à ce projet commun. La formule ancienne « le progrès ne vaut que s'il est partagé par tous » retrouve aujourd'hui toute son actualité Et face aux échéances auxquelles nous sommes confrontés, je pense que le progrès n'est possible que s'il est voulu par tous. Mon ambition est donc de réconcilier les Français avec l'innovation, les technologies nouvelles et le risque.
Au-delà des aspects strictement économiques que nous avons largement évoqués tout à l'heure, vous avez raison de rappeler que la société de l'information est également un enjeu politique. Nos concitoyens n'ignorent pas les modifications sociales profondes que les technologies nouvelles vont entraîner dans leur vie quotidienne et dans leur entreprise. Cette prise de conscience est sans doute beaucoup plus répandue que l'on ne l'imagine parfois.
Il reste qu'un immense effort d'explication est à faire : l'école en est le vecteur naturel. Car c'est à travers l'école que se développera une véritable maîtrise des nouveaux outils, non seulement dans leurs fonctionnalités et leurs aspects techniques, mais également dans le mode de réflexion et le mode de relation qu'elles induisent.
L'enjeu n'est pas seulement la compétitivité de nos entreprises et de notre économie : bien plus encore, il est la préservation de notre modèle républicain. Car la maîtrise de l'information est la condition du débat, de la participation aux décisions, en d'autres termes, de la vie démocratique.