Texte intégral
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
C'est avec beaucoup de plaisir que je réponds cet après-midi à vitre invitation pour examiner ensemble le projet de loi d'orientation pour le développement du territoire.
Ce projet qui est à l'ordre du jour du conseil des ministres, le 15 juin prochain, fait d'ores et déjà l'objet d'affirmation dont certaines sont contradictoires. Sans en dresser un florilège, on peut entendre :
- que le projet est dépourvu de contenu ;
- qu'il préfigure une recentralisation ;
- qu'il est l'expression d'un ruralisme nostalgique ;
- que ce projet est contre les villes ;
- mais aussi, qu'il n'assure pas une réelle péréquation des ressources ;
- ou encore, qu'il ne met pas en place une vigoureuse politique en faveur des activités économiques, notamment en milieu rural.
Ces réflexions, ces contradictions sont le reflet de la multiplicité des attentes nées en particulier du grand débat. L'aménagement du territoire est, à l'évidence, le lieu de conflits d'intérêts, de pouvoirs, de point de vue différents.
Mais de quoi s'agit-il ?
Vous l'aurez noté, l'intitulé du projet de loi fait référence au développement et non simplement à l'aménagement du territoire. Par cette formule, le Gouvernement souligne que son projet ne se réduit pas à un simple programme de grands équipements et de redistribution des fruits de la croissance, ce qui serait d'ailleurs stérile.
Il s'agit d'une politique globale qui consiste d'une part, à donner les moyens de leur développement aux régions et métropoles déjà bien placées dans la compétition économique et d'autre part, à réduire les disparités, à assurer la cohésion sociale et territoriale du pays, en permettant à chaque territoire de valoriser ses atouts spécifiques.
Ces deux objectifs sont, dans notre esprit, indissociables.
Ce projet, en fixant pour les années à venir les orientations de l'action et de la coopération entre l'État, les collectivités territoriales, les entreprises et les services publics, a pour ambition de mettre en œuvre les principes qui fondent la politique de développement du territoire.
Compte tenu de la nature même de cette ambition, il comporte des dispositions d'application directe et des règles de caractère général qui devront être complétées par des lois ultérieures.
Il s'agit donc bien d'une loi d'orientation.
1°) Les deux objectifs fixés par le projet, de solidarité et de développement territorial, font l'objet d'ores et déjà de mesures concrètes et de dispositions normatives.
La solidarité exige tout d'abord que l'État fixe, après concertation, les grands choix en matière d'infrastructures et d'équipements, de sorte qu'aucun territoire ne soit en marge du progrès économique.
C'est l'objet du schéma national de développement grâce auquel la politique d'investissements publics retrouvera toute sa cohérence.
Ce schéma national sera mis en œuvre à travers les directives territoriale d'aménagement.
Mais la compétence des régions, par l'élaboration des chartes régionales d'aménagement du territoire, est aussi réaffirmée dans cette matière. En outre, la région Île-de-France voit ses compétences élargies pour l'élaboration de son schéma directeur.
Plus concrètement, la solidarité trouver sa traduction en termes financiers, par la mise en œuvre d'une péréquation efficace.
Le projet prévoit dès 1995 la création d'un fonds de péréquation doté de trois milliards. À partir de 1995, il est prévu de réduire de 120 MF par an la DGF de l'Île-de-France, avec en contrepartie l'affectation progressive du produit du FARIF à cette région. Cette opération permettre d'augmenter la DSU versée aux communes confrontées à des problèmes graves dans certains quartiers.
Corollaire de cet effort de solidarité, des mesures sont proposées en faveur du développement du territoire. Il s'agit de la définition d'une fiscalité dérogatoire différenciée dans les zones urbaines défavorisées comme dans les zones rurales les plus fragile, à travers une réduction des droits de mutation et des exonérations de taxe professionnelle et de la mise ne place du fonds national d'aide à la création d'entreprises.
Certes, les modalités d'intervention de ce fonds sont encore limitées et les moyens financiers ne sont pas encore arrêtés. Mais le principe de l'intervention directe de l'État dans ce domaine est clairement posé et un cadre est créé.
Par ailleurs, la loi insiste sur la nécessité d'un renforcement de la coopération, qu'elle soit transfrontalière, interrégionale ou intercommunale, qui est un élément décisif pour le développement local. À cet effet, les possibilités de coopération interrégionale et transfrontalière sont étendues tandis que les structures de coopération intercommunale devront être simplifiées.
Mais, je suis convaincu que la solidarité et le développement territorial seront pleinement assurés si l'État est lui-même mieux organisé, renforcé et plus efficace.
C'est pourquoi le projet de loi accélère la déconcentration par laquelle l'administration de l'État s'adapte à la décentralisation, et qui renforce la cohérence interministérielle de l'action publique à un échelon territorial pertinent.
Ce renforcement de l'autorité déconcentrée répond à une forte demande locale de contrôle dans certains domaines, et tout particulièrement en matière d'urbanisme et de marchés publics. En outre, le préfet jouera un rôle dans toute décision de suppression d'un service aux usagers, par les établissements, organismes publics et entreprises nationales chargés d'un service public.
La logique interministérielle est renforcée par la création d'un fonds national de développement du territoire. Compte tenu des problèmes spécifiques du monde rural, tenant principalement à la crise agricole, le projet de loi crée un fonds de gestion de l'espace rural dont il est clair qu'il devra prendre en compte non seulement les projets collectifs mais aussi des projets individuels.
Dans le même souci d'efficacité et d'égalité devant le service public, le principe de péréquation est mis en œuvre dans le domaine des transports. C'est la raison d'être du nouveau fonds d'investissement et de développement des infrastructures et de ses diverses sections.
Renforcement de la solidarité, péréquation, développement local, coopération, déconcentration, pour importants qu'ils soient, ces dispositifs ne sauraient épuiser l'ensemble des réformes que le Gouvernement entend faire aboutir.
2°) Aussi, et cela a été critiqué non sans quelque facilité, le projet de loi renvoie sur certains sujets à des rapports ou des lois ultérieurs.
Il est en effet des domaines où toute précipitation serait dangereuse et remettrait en cause les objectifs poursuivis.
Compte tenu de leurs conséquences et des masses financières en jeu, c'est particulièrement le cas de la clarification des compétences et de la réforme des finances locales.
Sur le premier point, l'exposé des motifs du projet détermine que, dans le délai d'un an, des lois fixeront les conditions d'une clarification des compétences, notamment dans le domaine de la dépendance des personnes âgées, des handicapés, de l'action économique des collectivités locales.
Mais les collectivités locales pourront aussi demander à exercer une compétence dévolue actuellement à l'État. Bien entendu, le Gouvernement veillera à ce qu'il n'y ait pas de transfert de compétences sans parallèlement un transfert de ressources.
Sur le plan financier, un rapport présentera au Parlement des propositions pour moduler les concours de l'État aux dépenses d'équipement des collectivités locales, et notamment le regroupement de la DGE des communes et des départements et du FCTVA. Cela mérite, vous en conviendrez aisément, un examen approfondi.
En outre dans le délai d'un an, un rapport au Parlement présentera des propositions de réforme de la taxe professionnelle, comportant trois options : un taux unique de TP intercommunale, un taux unique de TP fixé au plan national, une TP divisée en deux tranches.
L'enjeu financier porte sur 140 milliards de francs, ce qui justifier la encore des expertises et des simulations préalables.
Vous le voyez, ce projet de loi d'orientation, compte tenu de l'ampleur des réformes envisagées, ne peut être qu'un point de départ.
3°) Mais permettez-moi de revenir sur trois questions qui ont alimenté les polémiques.
Ainsi, le projet de loi préfigure-t-il une recentralisation ?
Certainement pas. Aucune des compétences actuellement exercées par les collectivités locales n'est reprise. Le projet prévoit au contraire une poursuite de la décentralisation.
Simplement, l'État se réforme. Il développe ses moyens, le plus souvent à l'échelon déconcentré, pour l'exercice de ses propres compétences : la déconcentration, le renforcement du contrôle de légalité, la tutelle sur les entreprises publiques, le redécoupage des arrondissements en fonction des "pays" participent à cette réorganisation.
De plus, l'État met en place de nombreuses instances de concertation dans le cadre de ce projet de loi : observation national d'aménagement du territoire, conférence régionale d'aménagement du territoire, commission d'élus consultée sur la réforme des finances locales, recours à la commission départementale de coopération intercommunale pour la délimitation des "pays", rapports soumis au Parlement pour certains aspects du projet de loi.
Aussi, la menace vue par certains d'un retour de l'étatisme, du dirigisme ou du jacobinisme me paraît excessive.
Une autre polémique est née avec la publication par la presse d'une carte, d'ailleurs inexacte, du schéma national du développement du territoire et relative aux sept espaces interrégionaux.
Cette carte préfigure-t-elle des redécoupages territoriaux ? C'est ma deuxième question.
En premier lieu, je voudrais rappeler que ce schéma sera bien entendu amendable par le Parlement.
En second lieu, il n'a jamais été dans l'esprit du Gouvernement de redécouper les régions, ni d'en diminuer le nombre. La carte publiée par la presse ne se trouve en l'état, dans aucun document de la DATAR.
En revanche, le schéma national dégage des espaces interrégionaux non strictement délimités géographiquement. Ces espaces interrégionaux ne constituent qu'un lieu privilégié de cohérence des réflexions liées à la planification régionale, un cadre pour la concertation et la coopération entre l'État et les régions, et qui dans certains cas, a déjà une existence.
Enfin, la publication des dix propositions faites par les maires des grandes villes, a pu laisser croire que le sort de nos villes n'était pas pris en compte par le projet de loi d'orientation.
En clair, ce projet est-il contre les villes ? C'est ma dernière question.
L'exposé des motifs précise toute l'importance accordée au maillon intermédiaire que constituent les villes, entre les métropoles et les campagnes, qui sont au cœur de la stratégie de reconquête du territoire.
La mise en réseau de toutes les villes, des plus grandes jusqu'aux plus petites, doit être largement favorisée pour permettre à chacune de jouer son rôle et pour que les complémentarités et les solidarités soient renforcées.
Le schéma national d'aménagement du territoire met en avant ce que pourrait être dans vingt ans de véritables systèmes urbains.
Pour ce qui concerne les villes à quartiers difficiles, je l'ai dit, d'une part la disparition progressive de la dotation globale de fonctionnement de l'Île-de-France permettra d'abonder la dotation de solidarité urbaine, et d'autre part le régime d'exonérations de taxe professionnelle touchera les zones urbaines défavorisées.
En outre, la péréquation, qui sera assurée pour réduire les écarts de ressources entre collectivités territoriales, tiendra compte à la fois des disparités de richesses mais également de charges. Cela permettra de prendre en compte le coût de la centralité, c'est-à-dire des investissements pris totalement en charge par une ville et qui profitent à l'ensemble de l'agglomération.
J'observe que parmi les dix propositions faites par l'Association des maires des grandes villes de France, certaines sont reprises ou permises, soit dans l'exposé des motifs, soit dans le projet de loi lui-même : en particulier afin de renforcer les villes à l'échelle européenne.
Ainsi des contrats de plan ont retenu des chartes d'objectifs pour les dix principales agglomérations, dont la première a été signée le 28 mars dernier par Nantes et Saint-Nazaire.
D'autres possibilités sont ouvertes concernant l'élection des groupements de communes au suffrage universel direct, par référence à la loi PML.
Tel est le sens du message que je souhaitais vous transmettre cet après-midi.