Déclarations de MM. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre mer et ministre de l'intérieur par intérim et Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, sur le débat d'orientation relatif à la décentralisation, au Sénat le 3 novembre 1998.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Jean-Jack Queyranne - secrétaire d'Etat à l'outre mer et ministre de l'intérieur par intérim ;
  • Émile Zuccarelli - ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation

Circonstance : Déclaration du Gouvernement sur la décentralisation au Sénat le 3 novembre 1998

Texte intégral

Déclaration de M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'État à l'outre-mer, ministre de l'Intérieur par intérim

Monsieur le président,
Mesdames, messieurs les sénateurs,


Vous avez souhaité que, dans l'ordre du jour qui lui est réservé, la Haute Assemblée débatte de l'état de la décentralisation. Le Gouvernement saisit ainsi l'occasion qui lui est donnée de rappeler ses orientations.

Celles-ci s'organisent autour de deux réflexions : les collectivités locales sont un atout majeur pour la République et il faut leur donner les moyens de fonctionner et de progresser.

Tout d'abord, les collectivités locales sont un atout majeur pour la République.

Lancées en 1981 par Pierre Mauroy, puis par Gaston Defferre, les grandes lois de décentralisation ont maintenant plus de quinze ans et, par-delà nos divergences, nous devons rendre hommage aux artisans de cette réforme profonde de nos institutions.

Dans sa déclaration de politique générale, le 19 juin 1997, le Premier ministre s'inscrivait dans cet esprit : « La démocratie doit s'exercer pleinement dans la vie locale. Les collectivités territoriales exercent aujourd'hui des responsabilités essentielles en matière économique et sociale. Par la qualité de leur engagement public, les é1us locaux font honneur à notre pays. La contrepartie de ces responsabilités accrues doit être trouvée dans un contrôle mieux assuré, une transparence plus grande des décisions, une évaluation réelle des politiques menées. »

Au-delà même de leur rôle dans les grands équilibres économiques et financiers du pays, les collectivités locales sont des éléments actifs de notre démocratie. Elles font partie intégrante du service public et partagent avec l'État la charge de l'administration territoriale de notre pays.

J'entends dire ici que la décentralisation serait au milieu du gué, ailleurs qu'elle serait même revenue sur l'autre berge, comme si, depuis la loi de 1982, le mouvement s'était, en quelque sorte, interrompu.

Je crois au contraire que la décentralisation s'est profondément enracinée dans l'organisation des pouvoirs. Il n'y aura ni recul, ni recentralisation rampante, ni retour du jacobinisme.

La décentralisation est dans une période non pas de rupture, mais de constante amélioration. Pour progresser, il faut rationaliser, simplifier et, surtout, améliorer la démocratie locale.

Le Gouvernement se situe dans cette logique. À ceux qui trouveront qu'elle manque d'ambition, je répondrai que la carte territoriale de notre pays ne se conçoit pas d'en haut, mais qu'elle se forge d'en bas, c'est-à-dire du terrain.

C'est pourquoi le Gouvernement n'envisage de remettre en cause aucun des niveaux de collectivité territoriale consacrés en 1982. Ils ont chacun leur histoire et remplissent chacun un rôle spécifique.

Certes, dans un monde vierge de toute institution territoriale, il y aurait sans doute quelques économies d'échelle à n'avoir que deux niveaux, mais un tel objectif reste utopique, il faut le dire. Je suis d'ailleurs soucieux de connaître sur ce point la position de la Haute Assemblée.

Quant au reproche de retour à l'État, il relève d'un faux procès. Il n'y a pas de décentralisation sans un État qui assume ses fonctions et qui privilégie la déconcentration. Les élus ont besoin d'un interlocuteur territorial en situation de décider et, bien évidemment, de contrôler.

Le Premier ministre, dans sa déclaration de politique générale, soulignait que la contrepartie de l'exercice par les collectivités locales de responsabilités accrues devait être trouvée dans un contrôle mieux assuré. Dans cette ligne, le ministre de l'intérieur a fixé comme priorité le renforcement de l'exercice du contrôle de légalité.

Le respect de la légalité est à la base du droit qui régit les rapports des citoyens avec l'administration. Dans le contexte français de la décentralisation, il contribue également à garantir l'équilibre constitutionnel des pouvoirs entre 1'État déconcentré et les collectivités territoriales.

La réforme du mode de scrutin régional et celle du cumul des mandats participent aussi au renforcement de la décentralisation. Dans le premier cas, il s'agit de permettre aux régions de fonctionner alors qu'elles connaissent des perturbations nées d'incertitudes dans la constitution de la majorité de leurs assemblées. Dans le second, il s'agit de bien clarifier ce qui relève de l'intérêt national et de l'intérêt local, car le cumul des fonctions constitue une sorte de poison pour la décentralisation.

Le Gouvernement souhaite que nous sortions – ensemble – du débat traditionnel entre jacobins et girondins.

Je ne crois pas que ce débat structure encore le paysage politique. Si l'État doit affirmer ses priorités, prendre ses responsabilités, cela n'empêche en rien les collectivités locales d'être pleinement majeures, bien au contraire, car c'est dans la clarté des conceptions et des compétences de chacun que nous pourrons travailler à la refondation du pacte républicain.

C'est bien cette conception qui guide le Gouvernement dans son action, dans la forme comme au fond, depuis maintenant dix-huit mois. L'État et les collectivités locales sont ainsi étroitement associés aux grandes politiques publiques que nos concitoyens appellent de leurs voeux : lutte contre l'exclusion, contre le chômage et l'insécurité.

En matière de lutte contre les exclusions, nous disposons maintenant d'une loi d'orientation qui permet de couvrir tous les domaines : l'accès à l'emploi, au logement, aux soins, la prévention et le traitement du surendettement, l'exercice de la citoyenneté.

Le dispositif institutionnel n'a pas été modifié, mais au contraire renforcé par une plus grande coordination des actions des communes, des départements et de 1'État, notamment pour l'action sociale d'urgence.

En matière d'emploi, le dispositif de développement des activités pour l'emploi des jeunes est un atout décisif. Mme Martine Aubry a récemment rappelé que l'objectif de 150 000 emplois-jeunes en 1998 serait atteint.

Les collectivités locales prennent, avec les associations, toute leur part à cette réussite. Le premier bilan montre que les emplois créés, définis selon une démarche conventionnelle par l'employeur, satisfont des besoins nouveaux sans effet de substitution aux emplois existants assurés par la fonction publique territoriale. L'effort financier de l'État et celui, complémentaire, des collectivités ne sont ainsi pas mobilisés en vain.

Dans le domaine de la sécurité, la démarche des contrats locaux de sécurité associe les collectivités à l'analyse des besoins comme à la mobilisation des moyens. La méthode qui consiste à mobiliser tous les acteurs autour de priorités définies par eux, en concertation avec les habitants, est de nature à progresser sur ce terrain décisif qui est fondamental pour nos concitoyens.

Lors du dernier conseil de sécurité intérieure, nous avons décidé d'associer à l'élaboration ou à l'amélioration des contrats locaux de sécurité de nouveaux partenaires et, tout particulièrement, les conseils généraux, compte tenu de leurs compétences dans le domaine de la prévention et de l'action sociale.

Ce sont là trois priorités nationales où le Gouvernement a souhaité mobiliser les collectivités locales, persuadé que la réussite de ces politiques dépendra pour partie de leur action.

Cela a été fait dans la clarté, l'État prenant ses responsabilités tout en constatant la convergence entre ses objectifs et ceux des élus locaux.

L'Association des maires de France tiendra prochainement son congrès. Je rends hommage à son président, votre collègue Jean-Paul Delevoye, de l'avoir placé sous le signe du lien social. J'y vois la parfaite illustration que les maires et le Gouvernement ont le souci commun de la cohésion de la République.

J'en viens maintenant à la deuxième orientation : les collectivités doivent disposer des moyens de fonctionner et de progresser.

Une bonne articulation de l'action de l'État et de celle des collectivités locales passe par une amélioration de leurs moyens d'action.

S'agissant des moyens humains, la construction du dispositif statutaire de la fonction publique territoriale est maintenant achevée. Mon collègue Emile Zuccarelli, qui en a la responsabilité, vous fera part des orientations et des priorités de travail envisagées, afin de donner une suite au rapport Schwartz.

S'agissant des moyens financiers, conformément aux engagements pris, la sortie du « pacte de stabilité » a fait l'objet d'une large concertation, qui s'est prolongée pendant cinq mois. Ces discussions ont porté leurs fruits : le Gouvernement a pu tenir compte des attentes des élus et intégrer ce que sont leurs préoccupations au niveau national. Cela marque déjà une rupture de méthode par rapport à celle qui a été suivie en 1995, qui avait conduit le Gouvernement de l'époque à imposer ce qui avait été appelé le « pacte de stabilité ».

Le Gouvernement a une approche globale des relations financières entre les collectivités locales et l'État, avec le souci de garantir une règle du jeu précis et stable.

Sur le plan du diagnostic, nous pouvons, me semble-t-il, dresser trois constats.

Premier constat, une vision pluriannuelle de révolution des dotations est nécessaire pour assurer au mieux les efforts de planification et de gestion.

Deuxième constat, il faut prendre en compte la situation respective de l'État et des collectivités locales et, de ce point de vue, l'amélioration de la situation financière des collectivités locales est une réalité. Cette amélioration tient notamment à un effort de gestion important, qui a permis de dégager une capacité supplémentaire de financement en 1997. Cette situation devrait perdurer en 1998 et, probablement, en 1999, ce qui sera bénéfique pour l'investissement public, qui, je le rappelle, est supporté par les collectivités locales à plus des deux tiers.

Enfin, troisième constat, même si la situation financière des collectivités locales s'est améliorée, elle reste marquée par de fortes inégalités.

C'est pourquoi le Gouvernement a souhaité passer du pacte de stabilité à un contrat de croissance et de solidarité permettant de tirer parti de la croissance revenue de l'économie française pour renforcer la péréquation.

Le principe d'un engagement triennal est reconduit, mais l'enveloppe des concours ne sera plus seulement indexée sur les prix. Une fraction croissante de l'indice prévisionnel du produit intérieur brut, donc de l'évolution de la richesse nationale, sera prise en compte, soit 15 % en 1999 – taux porté par l'Assemblée nationale à 20 % – puis 25 % en 2000 et 33 % en 2001.

Le Sénat examinera prochainement la loi de finances, et donc ces mesures ; je ne doute pas que l'évolution des dotations nourrira la discussion.

En ce qui concerne la réforme fiscale, dont vous débattrez également, je veux seulement évoquer la suppression de la part salaires de la base de la taxe professionnelle.

La taxe professionnelle a été décrite depuis de très nombreuses années comme un impôt absurde. En fait, la réforme proposée sera favorable à l'emploi puisqu'elle profitera aux entreprises fortement utilisatrices de main-d'oeuvre, notamment aux petites entreprises. En outre, elle simplifiera les formalités puisque le régime de la déclaration sera nettement allégé.

Cette réforme a été contestée au nom du principe de la libre administration des collectivités locales. Pourtant, le Gouvernement propose une compensation qui offre une garantie durable, permettant aux élus locaux d'élaborer leurs budgets sur des bases solides, prévisibles et aussi justes que possible.

La compensation de la part salaires de la taxe professionnelle, intégrale en 1999, sera indexée chaque année selon l'indice de la DGF, c'est-à-dire en fonction des prix et de la moitié du taux d'évolution du PIB. Au terme de la période, cette compensation, qui atteindra environ 60 milliards de francs, sera intégrée dans la DGF. Le Gouvernement répond ainsi à l'inquiétude souvent manifestée par les élus locaux, et dont vous vous êtes fait les interprètes ; l'histoire chaotique de la dotation de compensation de la taxe professionnelle ne se répétera pas.

En fin de période, les dotations de l'État aux communes seront passées, en moyenne, de 30 % à 36 % de leurs recettes totales. On ne peut donc pas parler de recentralisation.

Au surplus, la méthode de compensation est favorable aux zones en difficulté économique ou confrontées à des restructurations, puisque celles-ci ne subiront plus le contrecoup des réductions en matière d'effectifs.

Enfin, les collectivités conservent la part la plus dynamique de l'assiette – pratiquement les deux tiers – tandis que la suppression de la réduction de taxe professionnelle pour embauche et investissement redonne aux budgets locaux une marge de manoeuvre fiscale.

Telle est donc cette réforme de la taxe professionnelle, incluse dans la loi de finances, dont vous aurez l'occasion de discuter prochainement.

Par ailleurs, la révision des valeurs locatives sera mise en oeuvre. Vous le savez, les travaux de révision, commencés en 1990, sont achevés depuis sept ans. Le Gouvernement souhaite maintenant proposer au Parlement d'en tirer les conséquences.

C'est une source de plus grande justice entre les contribuables, notamment en matière de taxe d'habitation. Cela permet également d'améliorer la comparaison des situations de richesse relative des collectivités, à partir de laquelle s'opère la péréquation.

Enfin, s'agissant des charges, des décisions ont été prises dans deux domaines qui inquiètent les élus.

En ce qui concerne, d'abord, la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, la CNRACL, un groupe de travail a été constitué au sein du comité des finances locales afin d'aboutir à une solution à long terme dans le cadre des travaux sur l'avenir des retraites que le Premier ministre a demandé au Commissariat général au plan. D'ici là, en 1999, comme en 1998, toute augmentation de la cotisation des collectivités employeurs a la CNRACL a été écartée.

Quant aux normes, elles représentent un coût sans cesse croissant et mal maîtrisé. L'État et les élus locaux doivent trouver une méthodologie qui permette de mesurer et de limiter les conséquences sur les budgets locaux des normes techniques, qu'elles soient d'origine européenne ou nationale. Un groupe de travail sera institué à cette fin.

J'en viens, pour finir, aux grands chantiers d'avenir.

En effet, les lois de décentralisation sont perfectibles. Nous devons nous employer à les aménager en tenant compte des attentes des élus et des citoyens.

En matière de clarification des compétences, le Gouvernement préfère engager une démarche pragmatique sur des dossiers clairement identifiés.

C'est le cas, par exemple, du secteur sanitaire et social, où la concertation avec les départements a permis de faire de grands progrès. Cela vaut pour la réforme de la tarification des établissements pour personnes âgées comme pour la couverture maladie universelle. Le projet de loi qui sera prochainement déposé permet de satisfaire la demande des départements, qui souhaitent que soient recentralisées l'assurance personnelle et l'aide médicale aux plus démunis.

C'est également le cas des interventions économiques des collectivités locales, qui font l'objet d'un projet de loi présenté par Emile Zuccarelli.

Enfin, la concertation sur la réforme du code des marchés publics sera prochainement lancée, avec le double souci de simplification et de sécurité juridique pour les élus locaux.

Si le Gouvernement n'a aucune intention de rupture brutale, il souhaite aussi favoriser de nouveaux équilibres nécessaires à la décentralisation. C'est vrai du projet de loi sur l'aménagement du territoire comme du projet de loi sur l'intercommunalité, qui vient d'être adopté en conseil des ministres.

Vous aurez à débattre de ces deux textes au début de l'année prochaine. Tous deux, chacun dans leur domaine, ont des objectifs ambitieux pour l'action publique, notamment celle des collectivités locales.

Vous le savez, lors du comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire du 15 décembre 1997, le Gouvernement a arrêté les grandes lignes de l'aménagement et du développement durable du territoire qui doivent nous guider dans la préparation d'une nouvelle génération de contrats de plan entre l'État et les régions avant le 1er janvier 2000. Cette date est aussi celle de la mise en place des programmes structurels européens, dans lesquels les régions seront partenaires.

Les choix stratégiques en matière de politique nationale d'aménagement du territoire sont les suivants : le renforcement de pôles de développement à vocation européenne et internationale ; l'organisation d'agglomérations participant au développement des bassins de vie et d'emploi qui les entourent ; le développement local au sein des pays présentant une cohésion géographique, culturelle, économique et sociale ; enfin, le soutien aux territoires en difficulté notamment les territoires ruraux en déclin, les zones de reconversion industrielle, les régions insulaires et les départements d'outre-mer.

Telles sont donc les quatre grandes orientations retenues.

Les schémas de services collectifs remplaceront le schéma national d'aménagement du territoire, resté lettre morte. Ils constitueront également les bases d'une même stratégie de l'État en région pour les contrats de plan et pour les programmes européens.

Le projet de loi introduit un volet territorial aux contrats de plan conclus entre l'État et les régions, dès lors que les communes ou leurs groupements intéressés auront constitué un syndicat mixte ou un établissement public de coopération intercommunale, en zone urbaine comme en milieu rural, dont la spécificité sera reconnue au sein des projets de pays.

Le projet de loi établit ainsi un équilibre entre monde rural et aires urbaines, tout comme l'élaboration de la prochaine génération de contrats de plan, pour lesquels la concertation sera lancée en janvier prochain, lorsque le Gouvernement aura arrêté les orientations fondamentales de l'État.

Ce n'est qu'au terme de cette concertation, qui associera non seulement les régions mais aussi les autres niveaux de collectivités, notamment les départements et les réseaux de villes, que les préfets recevront un mandat de négociation, soit avant le 1er juillet 1999.

S'agissant de la coopération intercommunale, le projet de loi qu'avait préparé Jean-Pierre Chevènement et que j'ai présenté en conseil des ministres constitue une nouvelle étape de la décentralisation en refondant ce processus de coopération qui avait été lancé par la loi du 6 février 1992. La forte identité de l'institution communale dans notre pays, qu'il faut préserver, n'a pas fait obstacle au développement de la coopération. Ainsi, depuis 1992, 1 557 structures de coopération intercommunale à fiscalité propre ont vu le jour.

Ce succès masque toutefois des déséquilibres géographiques, démographiques et fiscaux. Il y a eu très peu de groupements urbains, cinq communautés de villes seulement, et la taxe professionnelle unique, qui permet sur un même périmètre d'unifier les taux de cet impôt, n'a pas rencontré le succès espéré ; un peu plus de quatre-vingts collectivités seulement l'ont adoptée.

C'est pourquoi nous visons, au travers de ce projet de loi, quatre objectifs.

Nous proposons une nouvelle architecture de l'intercommunalité en milieu urbain grâce à une formule juridique nouvelle, la communauté d'agglomération, tout en consolidant l'intercommunalité en milieu rural à travers une rénovation des communautés de communes.

Nous engageons une simplification institutionnelle de l'intercommunalité, en réduisant le nombre de catégories juridiques actuellement existantes, et nous mettons en place un corps de règles unifiées de fonctionnement et d'organisation de l'ensemble des établissements publics de coopération intercommunale.

Nous renforçons la démocratie et la transparence dans le fonctionnement des groupements de coopération intercommunale.

Nous prévoyons, enfin, d'instituer des mesures fiscales et financières incitatives en vue de développer la taxe professionnelle unique dans .les agglomérations.

Nous restons dans un mécanisme d'incitation, et non de contrainte.

Avec ce projet de loi, le Gouvernement marque explicitement son engagement pour le franchissement d'une nouvelle étape de la décentralisation, qui en respecte les principes, notamment celui d'une libre décision des collectivités locales dans l'adhésion à un groupement de communes.

Le Gouvernement a ainsi rejeté l'hypothèse d'un passage forcé à l'intercommunalité, de même qu'il n'a nullement l'intention de faire des « pays » des structures juridiques nouvelles.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement se veut à la fois ambitieux et pragmatique en matière de décentralisation.

Les projets de loi, soumis à la représentation nationale après une large concertation et assez tôt pour que les assemblées puissent en débattre en toute connaissance de cause, feront progresser, j'en suis persuadé, la décentralisation. Ils prolongeront la dernière grande loi en la matière, celle de 1992 sur l'administration territoriale de la République. Je n'oublie pas la loi Hoeffel sur la dotation globale de fonctionnement, en 1993, ni la loi Perben sur la fonction publique, en 1996. J'observe cependant qu'après 1982 et 1992, c'est de nouveau une majorité de gauche qui entend redonner du souffle aux collectivités territoriales, lesquelles sont bien les partenaires naturels du développement local et de la solidarité face aux difficultés que rencontre notre République.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il faut tout de même vous souvenir que la décentralisation, pour la mise en place de laquelle vous avez si longtemps piétiné, voire échoué, a été réalisée dans ce pays par un gouvernement de gauche, dirigé par Pierre Mauroy, ici présent.


Déclaration de  M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'État et de la décentralisation

Monsieur le président,
Mesdames, messieurs les sénateurs,


La Constitution confère à la Haute Assemblée le rôle de représentant des collectivités territoriales de la République.

II est donc naturel que vous ayez souhaité organiser ce débat d'orientation sur la décentralisation et que les membres du Gouvernement en charge de ce dossier vous fassent part des orientations gouvernementales en la matière.

La décentralisation approche précisément de l'âge de sa majorité, qu'elle atteindra en l'an 2000. Ce débat nous donne l'occasion de préciser que l'action gouvernementale découle d'une philosophie politique claire, s'affirmant dans des décisions concrètes et des projets de loi ambitieux.

Depuis seize ans, la République s'est décentralisée, et la démocratie a progressé En effet, la décentralisation n'est pas seulement une mesure de rationalisation, d'optimatisation de la répartition des compétences entre les différents niveaux territoriaux, dont le découpage, au demeurant, renvoie largement à la Révolution française.

La décentralisation doit d'abord permettre d'améliorer le fonctionnement démocratique, et donc la définition de l'intérêt général. Il nous appartient à tous, mesdames, messieurs les sénateurs, de redonner du sens à l'action publique.

Dans le cadre de notre réflexion, l'État n'est pas à opposer aux collectivités, car l'État et les collectivités territoriales forment la République, au service de l'intérêt général, en mettant en oeuvre des services publics plus performants, plus accessibles.

Ici ou là – et je reprendrai le propos de mon collègue Jean-Jack Queyranne –, certains ont pu s'inquiéter de l'évolution de la décentralisation. Permettez-moi de vous rassurer, s'il en était besoin. Ne doutez pas de la volonté du Gouvernement de se placer dans le droit-fil du mouvement initié par la loi du 2 mars 1982, présentée en effet par Gaston Defferre sous le gouvernement de Pierre Mauroy.

Les collectivités territoriales sont aujourd'hui des acteurs essentiels de la vie économique et sociale de la France. La décentralisation, en mobilisant les énergies locales, a gagné son pari ; le dynamisme, l'esprit d'initiative et l'engagement au quotidien des élus locaux et de leurs collaborateurs y contribuent.

Le Gouvernement a défini quatre priorités qui guideront son action dans la démarche d'approfondissement de la décentralisation qu'il souhaite conduire, en lien avec la réforme de l'État. Il s'agit, premièrement, de préciser les compétences de l'État et des collectivités territoriales, deuxièmement, de revivifier la démocratie locale, troisièmement, de renforcer les solidarités locales et, quatrièmement, d'améliorer la transparence de la gestion publique.

Ces quatre grands chantiers donnent lieu – vous m'en donnerez acte – à une concertation étroite et régulière entre l'État et les élus locaux.

Il importe, c'est clair, de permettre aux collectivités territoriales de prendre toute leur part à la nécessaire modernisation de l'action publique, et d'être ainsi encore plus performantes au service de nos concitoyens.

L'heure est donc bien à l'approfondissement de la décentralisation, non à sa remise en cause. Cet approfondissement passe par un examen lucide de ce qui a été accompli, des nombreuses réussites qui sont bien identifiées tant par vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que par l'État et, surtout, par nos concitoyens, ce qui est essentiel. Mais il faut aborder certains dysfonctionnements ou carences auxquelles il faut remédier.

Surtout, nous savons bien qu'au-delà d'une décennie aucune construction juridique ne saurait être dispensée de quelques retouches. Depuis 1982, la France a connu en effet de considérables mutations : 80 % de nos concitoyens vivent aujourd'hui dans des centres urbains ; la majorité d'entre eux travaillent dans le secteur tertiaire ; les difficultés économiques ont mis à mal les liens sociaux. Tout cela n'est pas sans incidence sur les budgets des collectivités. Approfondir la décentralisation, je le répète, ce n'est pas seulement transférer de nouveaux pouvoirs aux élus locaux, c'est aussi adapter les espaces d'expression politique à la vie de nos contemporains pour renforcer la démocratie locale et pour refonder le pacte républicain, comme l'a rappelé le Premier ministre.

C'est bien dans cet esprit que le Gouvernement prépare un ensemble de réformes cohérentes contenues dans des textes complémentaires qui, bien que placés chacun sous la responsabilité d'un ministre, ont toutefois donné lieu a un travail d'élaboration commun : le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, présenté par Mme Dominique Voynet, le projet de loi relatif à l'organisation urbaine et à la simplification de la coopération intercommunale, préparé par M. Jean-Pierre Chevènement et, enfin, le projet de loi sur l'intervention économique des collectivités locales que je soumettrai prochainement au Conseil des ministres.

Ces trois textes et les débats qu'ils occasionneront vont permettre de poursuivre, voire d'amplifier la décentralisation.

Approfondir la décentralisation, cela passe aussi par une adaptation de l'État. Je m'y emploie patiemment, de manière déterminée et méthodique, dans le cadre de la réforme de l'État, en m'intéressant en priorité aux relations entre l'administration et les citoyens c'est l'objet du projet de loi DCRA, droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, que vous aurez, mesdames, messieurs les sénateurs, à examiner prochainement.

Réformer l'État, c'est aussi moderniser les modes de gestion et d'intervention de ce dernier.

À cet égard, la priorité est d'assurer la poursuite de la déconcentration, condition sine qua non de la réussite de la décentralisation. Tous les élus locaux m'ont exprimé maintes fois leurs attentes et je partage leur avis.

L'enjeu est décisif puisque les services déconcentrés de l'État regroupent 96 % des agents de l'État et prennent les trois quarts des décisions administratives individuelles. D'ores et déjà, sur mon initiative, un millier d'entre elles ont été transférées à l'échelon départemental en décembre dernier.

Il ne s'agit pas seulement de rapprocher les centres de décision des usagers ; il convient aujourd'hui que les services déconcentrés de l'État se donnent des moyens nouveaux de fonctionner ensemble, de façon coordonnée et plus efficace. Il s'agit de réorganiser les services déconcentrés, tâche à laquelle je m'emploie très activement. Je viens d'ailleurs de transmettre récemment des propositions au Premier ministre, qui vont maintenant faire l'objet de concertations.

Dans le domaine de la modernisation administrative, l'État est prêt à nouer avec les collectivités locales des relations fécondes de partenariat permettant des solutions innovantes. Cela vous intéresse concrètement, vous qui représentez les collectivités. Les nouvelles technologies ne sont pas l'apanage de l'administration de l'État, nous le savons bien ; les maisons de services publics sont des structures qui accueillent toutes les administrations possibles : Etat, collectivités, voire concessionnaires de services publics. Quant à l'évaluation des politiques publiques, nombre de collectivités ont marqué – je les en remercie – leur intérêt pour son développement et sa promotion ; notre pays, malgré les efforts consentis depuis quelques années, connaît un certain retard dans ce domaine. Sur tous ces sujets touchant à la modernisation, je serais heureux que l'État puisse bénéficier de vos réflexions.

Concourant directement à l'aménagement du territoire, les collectivités locales sont associées à la plupart des politiques publiques. Mais, pour que les élus responsables des collectivités territoriales soient en mesure de donner le meilleur de leurs capacités d'initiative, encore faut-il que les textes qu'on leur demande d'appliquer soient clairs et cohérents.

Nous en arrivons là à un thème auquel, tout comme moi, vous êtes particulièrement sensibles celui de la sécurité juridique. Je m'y suis attaché dès ma prise de fonction avec un dossier que j'ai jugé prioritaire : celui de l'intervention économique des collectivités locales et du régime juridique des sociétés d'économie mixte locales. Sans entrer dans les détails d'un projet qui vous sera bientôt soumis, je voudrais en rappeler les principaux axes.

En premier lieu, il s'agit de mieux adapter les aides aux besoins des entreprises, tout d'abord par la suppression de certaines rigidités telles que la distinction entre aides directes et indirectes qui n'a plus de signification, ensuite par la mise en place d'un système d'aides différenciées selon la taille des entreprises.

S'agissant de l'assiette des dépenses éligibles, elle ne pourra comprendre, à l'exception de quelques secteurs particuliers – innovation-recherche, environnement et cinéma – que les dépenses d'investissement, matériel et immatériel.

Quant à l'intensité des aides, elle pourrait s'échelonner de 7,5 % à 25 % du montant de l'investissement selon la taille de l'entreprise et selon qu'elle se situe ou non en zone de prime d'aménagement du territoire.

Sur tous ces sujets, et pour toutes ces interventions, il n'y aura pas subordination d'un niveau de collectivité locale à l'autre : les communes et les départements pourront agir à égalité de droits et de devoirs avec les régions même si, par ailleurs, sont bien prises en compte les responsabilités spécifiques confiées à la région dans le domaine du développement économique et de l'aménagement du territoire.

Au-delà de la sécurisation juridique de l'élu, il convient de prévoir une sécurisation financière. Le nouveau régime instaure donc un plafonnement des aides par entreprise selon les règles européennes – cela a été évoqué – mais également un plafonnement pour les collectivités locales par une série de ratios prudentiels variables selon le type de collectivité et selon qu'elles interviennent en groupement ou isolées.

Le dispositif vise aussi à favoriser l'intermédiation au travers de sociétés de capital-risque ou de sociétés de garantie. Les collectivités pourront loger des fonds dans des structures de ce type sans en être actionnaires.

Enfin, et ce point n'est pas le moindre en matière de sécurisation juridique, un toilettage de la loi de 1982 sur les sociétés d'économie mixte locales est prévu.

Le projet vise deux objectifs. Le premier est de conserver la place des SEM dans le développement local en renforçant le rôle des collectivités actionnaires.

Le second objectif est de déterminer, dans un souci de protection des finances locales, un régime de relations clarifiées et mieux maîtrisées entre les collectivités et ces sociétés.

Les collectivités seront ainsi mieux armées dans leur lutte en faveur de l'emploi.

Pour terminer, je voudrais aborder la fonction publique territoriale et les suites que j'entends donner au rapport Schwartz.

Je rappelle, tout d'abord, que la mission confiée à M. Schwartz tendait non pas à redéfinir le statut de la fonction publique territoriale dans son ensemble, mais simplement à identifier les points prioritaires sur lesquels des corrections apparaîtraient nécessaires dans le domaine du recrutement, de la formation et du déroulement de carrière des fonctionnaires territoriaux. L'objectif unique, évident, est de faire en sorte que les collectivités territoriales puissent recruter les fonctionnaires en nombre, en qualité et en compétences, dont elles ont besoin.

Le rapport de M. Schwartz m'a été remis en mai dernier ; il a été largement diffusé. J'ai rencontré tous les partenaires : associations d'élus, centres de gestion et syndicats. C'est seulement ensuite que j'ai arrêté mes orientations – tout n'est pas figé il s'agit d'orientations – dont j'ai fait part au Conseil supérieur de la fonction publique territoriale du 13 octobre dernier. Je profite de l'occasion de ce débat pour vous en présenter les grandes lignes.

Je tiens à vous indiquer d'emblée que je n'ai pas retenu le principe d'une obligation de recrutement sur liste d'aptitude en cas de déclaration de vacance d'emploi. Il n'en demeure pas moins qu'il subsiste de vrais problèmes tels que celui des « reçus-formés-collés » ; chacun d'entre vous est familiarisé avec cette formule. La question, en réalité, se pose souvent en termes d'inadéquation entre les profils des lauréats et les besoins d'emploi des collectivités. La démarche à retenir me semble donc devoir surtout porter sur le « toilettage » des concours et des spécialités. Je suis prêt à examiner toutes les propositions que vous pourriez me faire.

S'agissant de l'organisation des carrières, l'un des thèmes principaux est celui des seuils. Je suis favorable à un certain assouplissement, par exemple en abaissant à 3 500 habitants le seuil aujourd'hui fixé à 5 000 habitants pour le recrutement des secrétaires généraux. Je suis également prêt à ouvrir aux villes de 40 000 habitants le droit de recruter des administrateurs territoriaux, mais je ne suis pas favorable à la suppression des seuils. En effet, leur démantèlement jouerait à l'encontre tant de la valorisation des carrières que des conditions de gestion des ressources humaines par les employeurs locaux.

La question des seuils est surtout sensible compte tenu des exigences croissantes de la gestion locale. Un débat aussi large ne pourra être abordé qu'autant que l'on aura apporté des garanties supplémentaires en matière de transparence et de régulation. Ce sont là des conditions indispensables au renforcement de la fonction publique territoriale, tant sur le plan de l'attractivité que de la qualité.

S'agissant des quotas, plutôt que de procéder à un élargissement général en matière d'avancement de grade, tel qu'il m'a été parfois suggéré, je préfère emprunter la voie d'aménagement sur des secteurs prioritaires. À cet égard, l'accord salarial du 10 février 1998 a permis une importante évolution pour les emplois de catégorie C. Un assouplissement des règles d'avancement ou de promotion reste possible en cas d'assiette trop étroite.

Tout cela suppose une meilleure coordination des différentes institutions de la fonction publique territoriale : le CNFPT, le Centre national de la fonction publique territoriale, les centres de gestion et les grandes collectivités. À ce stade, je n'ai pas d'a priori sur le support juridique le plus adéquat pour cette coordination. Comme le suggère le rapport Schwartz, il faut cependant retenir une formule « souple, légère et non onéreuse ». Sur ce plan, la création d'un groupement d'intérêt public, suggérée par le rapport, me paraît une réponse tout à fait pertinente.

D'autres chantiers sont ouverts. Comme l'a évoqué Jean-Jack Queyranne à l'instant, sur le devenir de la CNRACL, le Gouvernement a décidé, sur ma proposition, la mise en place d'un groupe de travail au sein du Comité des finances locales. Sur l'action sociale dans les collectivités locales, Mme Escoffier remis son rapport : j'ai immédiatement engagé une concertation avec l'ensemble des parties concernées. Enfin, sur le temps de travail, une importante mission d'expertise sur l'état des lieux dans son immense diversité a été confiée à M. Roché. Je lui ai demandé de rencontrer toutes les associations d'élus. Les rendez-vous sont en cours de fixation. M. Roché poursuit sa mission : nous en tirerons les conclusions avec nos partenaires en temps voulu. Il est prévu que le rapport sera remis avant la fin de cette année et, sur cette base, nous entamerons la concertation en 1999.

Pour conclure sur ce point, je vous ferai part de ma conviction que l'attachement au statut de la fonction publique territoriale constitue un élément fondamental de la réussite de la décentralisation. Mais l'attachement au statut se justifie en ce qu'il exprime un équilibre entre deux préoccupations légitimes : d'une part, les exigences statutaires, qui sont garantes d'une administration de qualité et, d'autre part, les exigences de la libre administration des collectivités locales.

Tels sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments que je souhaitais apporter à votre réflexion. Ils n'épuisent certes pas la totalité des préoccupations qui nous animent les uns et les autres.

Aujourd'hui, la décentralisation a plus que l'âge de raison — je disais qu'elle approchait de sa majorité – et elle fait la preuve de son efficacité. Il convient maintenant de poursuivre le mouvement, pour approfondir la démocratie locale et, par la même, conforter l'assise de la République.

À cet égard, les travaux que, comme aujourd'hui, vous conduisez, revêtent une importance toute particulière.