Interview de M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget, dans "Le Parisien" le 9 septembre 1998 et à France 2 le 11 septembre 1998, sur les orientations du projet de budget pour 1999, les prévisions de croissance et les mesures d'allègement fiscal en faveur des ménages et des entreprises.

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Circonstance : Présentation du projet de loi de finances 1999, à Paris le 9 septembre 1998

Média : France 2 - Le Parisien - Télévision

Texte intégral

LE PARISIEN - 9 septembre 1998

Le Parisien
- Vous présentez ce matin le projet du budget pour 1999 dans un contexte de forte croissance économique. Pourtant, les Français ne devaient guère en profiter, les cadeaux fiscaux sont plutôt rares pour l’an prochain.

Christian Sautter
- Dominique Strauss-Kahn et moi attendons cette année une croissance de l’ordre de 3,1 %, un niveau jamais atteint depuis plusieurs années. Tirée par la consommation et l’investissement des entreprises, elle se poursuivra l’an prochain à hauteur de 2,7 %. Cette croissance est le fruit du travail des Français, elle va leur revenir sous forme d’emplois et de salaires supplémentaires.

Le Parisien
- Une majorité des Français attendent une baisse de l’impôt sur le revenu. Elle n’aura pas lieu l’an prochain. Pourquoi ?

Christian Sautter
- Il n’y aura pas de baisse d’impôt sur le revenu car il n’est payé que par une partie seulement des contribuables. Au contraire, les diminutions programmées pour 1999 portent sur la TVA, une taxe qui pèse sur tous les ménages, et notamment les plus modestes d’entre eux. Celle de l’abonnement EDF-GDF va passer de 20,6 % à 5,5 % avec à la clé une économie de 130 F par an pour les familles. Le gouvernement a également prévu la baisse de la TVA sur des appareillages pour diabétiques et handicapés, sur le tri sélectif des déchets et sur les travaux effectués par des propriétaires de logement sociaux en vue de locations bon marché. Enfin, à partir de l’an 2000, de nombreux ménages modestes bénéficieront d’une diminution de la taxe d’habitation.

Le Parisien
- Pour le grand public, la redistribution des fruits de la croissance paraît modeste au regard des 70 milliards de rentrées fiscales supplémentaires attendues l’an prochain.

Christian Sautter.
- Dominique Strauss-Kahn et moi avons répartis ces rentrées fiscales en trois parts. La première concerne le financement des dépenses prioritaires : éducation, emploi, santé, environnement, justice, culture, sécurité… Deuxième part : la réduction du déficit budgétaire de l’Etat d’une vingtaine de milliards de francs. Pour la première fois depuis 1991, l’Etat n’aura pas à emprunter pour payer les intérêts de sa dette, c’est très important. Enfin, ménages et entreprises bénéficieront de 16 milliards de diminution d’impôts. Si l’on avait tout mis sur les baisses d’impôts, nous n’aurions pas réduit le déficit ni financé les dépenses prioritaires.

Le Parisien
- Quelle sera la part réelle des ménages dans cette remise fiscale de 16 milliards ?

Christian Sautter
- Cette somme sera partagée par la moitié entre les ménages et les entreprises. Outre les baisses de TVA, les particuliers bénéficieront également de la baisse sensible des frais de notaire lorsqu’ils vendent une maison ou un terrain. Cette mesure va faciliter l’activité du bâtiment.

Le Parisien
- Les fonctionnaires, eux, devraient bénéficier d’un coup de pouce d’une douzaine de milliards en 1999. N’est-ce pas disproportionné par rapport aux ménages ?

Christian Sautter
- Les fonctionnaires bénéficient d’un accord salarial qui leur assure un progrès de leur pouvoir d’achat. Mais l’ensemble des ménages français bénéficiera l’an prochain d’un gain de pouvoir d’achat de l’ordre de 2,5 %. Les fonctionnaires seront dans la moyenne et en aucun cas privilégiés par rapport aux autres.

Le Parisien
- Les entreprises, elles, font figure de gagnantes !

Christian Sautter
- Dans ce budget, il n’y a ni gagnants ni perdants. Le seul gagnant, c’est l’emploi : nous voulons faire tout ce qui est possible pour le développer. Lorsqu’on diminue la taxe professionnelle assise sur les salaires, c’est pour favoriser l’embauche. De très nombreux chefs d’entreprise ont déjà fait savoir que cette mesure, qui commencera par les PME, va les encourager à investir d’avantage, et donc créer des postes. Nous allons par ailleurs simplifier la vie de toutes petites entreprises en portant de 100 000 F à 500 000 F le chiffre d’affaires au-dessous duquel elles n’ont pas à payer de TVA.

Le Parisien
- Allez-vous réduire comme annoncé le quotient familial l’an prochain ?

Christian Sautter
- Le gouvernement avait pris l’engagement de revenir sur le plafonnement des allocations familiales et d’y substituer une diminution du quotient familial. A la suite des remarques du Conseil d’Etat, le quotient familial sera redescendu à 11 000 F en 1999.

Le Parisien
- En quoi la hausse de 7 centimes de la taxe sur le gazole pour les seuls automobilistes est-elle une mesure écologique ?

Christian Sautter
- L’augmentation des 7 centimes par an sur sept ans de la taxe sur le gazole devrait pousser à un rééquilibre entre les voitures au diesel et au super sans plomb, c’est donc une mesure écologiste. Je rappelle que la taxe sur le super sans plomb ne bougera pas pour la première fois depuis vingt ans. De plus, cela devrait encourager les constructeurs à accélérer leurs recherches sur le diesel propre.

France 2 - 11 septembre 1998

F. Laborde
J. P. Chevènement est sorti du coma, c’est, j’imagine, une très bonne nouvelle !

C. Sautter
- « C’est la bonne nouvelle de la journée d’hier. J. P. Chevènement, c’est un collègue, un excellent ministre, mais c’est surtout un ami de longue date et, du fond du cœur, je suis très heureux. Je crois que beaucoup de Français le respectent, l’aiment. C’est une très bonne nouvelle ».

F. Laborde
Vous avez présenté le budget cette semaine, avec des prévisions de croissance qui sont relativement optimistes. Vous parlez de 2,7 %. Certains économistes distingués, pour employer la formule consacrée, disent que c’est peut-être un peu beaucoup, un peu trop.

C. Sautter
- « Ces mêmes économistes distingués disaient, il y a un an : en 1998, la France ne fera pas 3 % de croissance. On va faire 3,1 ! Ces 2,7 %, c’est une prévision solide, parce que c’est une croissance, si je puis dire, française, tirée par la consommation, par l’investissement des entreprises, aussi un peu par le budget de l’Etat. Moi j’ai confiance, sauf catastrophe internationale, que cette croissance se réalise. Et c’est très bon pour l’emploi ».

F. Laborde
Justement, la catastrophe internationale, on a vu la crise en Russie, en Asie et puis aujourd’hui, il y a un risque politique majeur du côté des Etats-Unis. Si, effectivement, les places boursières s’affolent, comme on a vu au cours de la journée d’hier, est-ce que cela peut peser sur la croissance ?

C. Sautter
- « Les turbulences politiques, évidemment, affectent beaucoup les marchés financiers, qui sont tous connectés les uns aux autres. Ce qui est important, c’est la croissance américaine, c’est-à-dire la production américaine. Elle croit depuis six ans, il est très important pour le monde que la croissance américaine et la croissance européenne, dont la croissance française, continuent à tirer l’économie mondiale. Donc si la croissance américaine n’est pas affectée par ces turbulences politiques, je crois qu’on peut être tout à fait confiant ».

F. Laborde
Si Wall Street s’effondre ou se sent mal, est-ce qu’il n’y a pas, quand même, en effet sur l’ensemble des marchés internationaux et qui, forcément, va jouer, y compris sur le cours des monnaies et sur la croissance ? Est-ce qu’il y a un risque systématique, comme disent les spécialistes ?

C. Sautter
- « Un risque systématique, non. Je pense que l’économie américaine est fondamentalement saine. Il y a un excédent budgétaire, le chômage est à un niveau très bas, l’innovation avance. Donc, je pense que l’économie américaine est solide et je ne pense pas qu’une crise boursière, ou un recul de Wall Street, l’affecte considérablement. Donc pour les Etats-Unis et pour l’Europe, je suis vraiment confiant. »

F. Laborde
La zone euro protège effectivement, même si elle n’est pas encore complètement en place, l’Europe ?

C. Sautter
- « On le voit. Lorsqu’il y a eu récemment des crises internationales, en 1992 et en 1994, les monnaies européennes, les taux d’intérêts européens ont été chahutés. Là, pour l’instant, c’est le calme plat, donc les 11 pays de l’euro sont, par la perspective de l’euro, qui n’existe pas encore, protégés par une sorte de paratonnerre des orages qui se déroulent au loin ».

F. Laborde
Donc aujourd’hui, ce que l’on peut dire, c’est qu’en Occident, l’organisation est telle que les spéculateurs ne peuvent plus faire effondrer une monnaie, comme ils l’ont fait il y a quelques années encore ?

C. Sautter
- « On a vu en Asie, et ailleurs, des monnaies souffrir considérablement. Ce que je dis simplement, qui est plus prudent, c’est que l’Europe, ainsi je l’espère que les États-Unis, sont des économies suffisamment solides pour résister à des tempêtes boursières ».

F. Laborde
Revenons au budget, l’objectif principal, c’est l’emploi, vous l’avez dit et répété. Il y a une mesure sur laquelle il y a un peu de flou, semble t-il : l’allègement de charges du côté du budget souhaité par D. Strauss-Kahn et vous-même, mais peut-être pas aussi fort que vous le souhaitiez. M. Aubry parle de baisse des cotisations sociales. Comment cela va s’organiser ? C’est une question de sous, de personnes ?

C. Sautter
- « C’est une question d’organisation dans le temps. Tout le Gouvernement est d’accord, d’ailleurs L. Jospin l’avait dit durant la campagne de 1995, sur le fait que le coût du travail peu qualifié est élevé. Il y a le salaire minimum, qui est très important et qui a été relevé, par parenthèses, de 5 % depuis un an et quart. Et puis, il y a les charges sociales. Donc l’idée d’alléger les charges sociales sur les bas salaires est une bonne idée et c’est une idée de gauche, puisque L. Jospin l’avait évoquée. La question est de savoir si on va au-delà de ce qui existe actuellement – actuellement, cela coûte 43 milliards de francs au budget de l’Etat – et quand et de quelle façon on le fait ? M. Aubry, en plein accord, évidemment, avec l’ensemble du Gouvernement a engagé une consultation pour voir quelles étaient les meilleures modalités et le meilleur calendrier en la matière ».

F. Laborde
Hier, le RPR a riposté à ce budget en disant que, finalement, vous dépensiez trop et que vous profitiez des fruits de la croissance pour lâcher un peu trop sur les dépenses publiques.

C. Sautter
- « La critique est aisée en la matière, mais, personnellement, comme responsable du budget, je trouve, - et il y a une bonne rentrée scolaire dans les écoles, dans les collèges, dans les lycées – que mettre 4 % de plus sur l’Education nationale, c’est un bon investissement pour l’avenir. Mettre 5,5 % de plus sur la justice, c’est très important pour les Français. Mettre 3 % de plus sur la sécurité publique, c’est tout à fait essentiel. L’emploi, vous en avez parlé, le budget progresse de 4 %. Je pense que ce sont de bonnes dépenses. Mais au total, les dépenses de l’Etat ne progressent que de 2,3 %, c’est-à-dire beaucoup moins que la production nationale. Donc c’est ni trop, ni trop peu, c’est juste ce qu’il faut pour financer les priorités des Français et aussi apporter un soutien à la croissance, parce qu’il faut que la demande intérieure tire nos entreprises vers plus de dynamisme ».

F. Laborde
Sur les familles, l’opposition vous reproche, l’an dernier, d’avoir supprimé les allocations familiales, cette année de changer le quotient familial. Pour certaines familles, cela ne va pas être des baisses d’impôts !

C. Sautter
- « En ce qui concerne les familles, l’an dernier, le Gouvernement avait pris la décision de plafonner les allocations familiales. Les associations qui représentent les familles – qui, je crois, sont vraiment représentatives – ont dit que ce n’était pas la bonne façon de procéder et elles ont suggéré de diminuer le quotient familial. Cette année, on diminue le quotient familial, si bien que, l’an prochain, les familles qui n’avaient pas d’allocations familiales vont les retrouver, et les mêmes, grosso modo, vont payer, par la diminution du quotient familial, un peu plus d’impôts. Donc, grosso modo, chacun va s’y retrouver et même si on fait les calculs, les familles verront qu’elles auront un peu plus que ce qui était prévu ».