Texte intégral
Mesdames et messieurs les préfets,
Je suis heureux de m’adresser à vous tous réunis et je salue la présence à mes côtés de monsieur Jean-Jack Queyranne, secrétaire d’État à l’outre-mer. Pour tous les départements et territoires d’outre-mer, monsieur Jean-Jack Queyranne exercera, en liaison constante avec moi, la conduite de l’action de l’État. Il sera bien sûr, pour ces départements et territoires, votre interlocuteur privilégié.
Quelques-uns d’entre vous me connaissent, de plus ou moins longue date ; certains, avec qui je me suis entretenu ces jours derniers. Je poursuivrai d’ailleurs régulièrement ces entretiens particuliers. Ils sont utiles. Mais je veux saisir cette première occasion d’un colloque général, non pas pour vous présenter un programme de travail – ce qui serait prématuré –, mais plutôt pour vous dire l’esprit dans lequel j’entends assumer mes fonctions, et celui dans lequel j’entends que vous assumiez les vôtres.
Dans sa déclaration de politique générale, monsieur le Premier ministre a justement rappelé qu’il convenait de « faire retour à l’esprit républicain ». Tout ici est résumé et je n’entends pas paraphraser.
Le suffrage universel a été consulté. Il s’est clairement exprimé. Le gouvernement qui a été constitué procède d’une nouvelle majorité parlementaire. Il lui revient de déterminer et de conduire la politique de la nation. Membre de ce gouvernement, je conduirai mon action à la tête du ministère de l’Intérieur conformément à la volonté populaire. Mais je sais distinguer le temps du débat démocratique, de la campagne électorale, et le temps du gouvernement. Quand ce dernier est advenu, le devoir d’un ministre, c’est de rechercher toujours, dans ses décisions, dans ses choix, dans la direction de son administration, le sens de l’intérêt général. Je m’attacherai à conduire ainsi mon action. Car c’est ainsi seulement que l’État peut être l’expression de la nation.
Vous êtes vous-mêmes des fonctionnaires, parmi les plus éminents, qui représentez l’État dans nos régions et nos départements. Vous n’êtes pas les agents d’une volonté politique particulière, mais, chacun dans votre circonscription, le premier responsable de toutes les administrations de l’État. Représentants de l’État républicain, qui se doit d’être impartial, vous devez rester impartiaux, au service de la nation tout entière. L’impartialité n’est pas l’attentisme. C’est la capacité, en se mettant à la hauteur de l’intérêt général, de tirer de chacun le meilleur, au-delà des façons de penser et des engagements qui sont naturellement divers dans une démocratie. J’attends de vous un engagement sans réserve dans l’action territoriale dont vous avez la charge.
Un engagement digne du corps auquel vous appartenez, digne de son histoire et de son rôle central dans la vie de l’État, cet État qui pour nous, Français, est plus étroitement attaché à notre existence nationale que pour tout autre peuple.
Il est en effet très remarquable que le corps préfectoral, création éminemment révolutionnaire – je veux dire que la grande loi du 28 pluviôse an VIII est le prolongement logique des réformes administratives de la Révolution de 1789 –, aura traversé bientôt deux siècles d’une succession mouvementée de régimes opposés. Et toujours, les préfets sont au cœur de l’État.
Certes les hommes ont pu subir la critique : on pense évidemment au regard acéré de Stendhal dans Lucien Leuwen, ou à celui, plus amusé, d’Anatole France dans L’orme du mail. Mais notez-le : à travers les hommes, ce sont les gouvernements qui sont jugés ; ici, ceux de la Troisième République triomphante ; là, ceux de la Monarchie de Juillet.
Les politiques ne feront pas autrement : souvent sévères, quand ils sont dans l’opposition, ils ont tôt fait, arrivés au pouvoir, de reconnaître une institution irremplaçable, une fonction indispensable à la bonne marche de l’État.
La Restauration eût pu détruire sans état d’âme une œuvre qui était, à ses yeux, celle de rebelles et d’usurpateurs. Elle s’en est abstenue. La Seconde République marqua un temps d’hésitation. En réalité, Ledru-Rollin ne changea guère que le nom des préfets. Il les baptisa « commissaires de la République », mais il ne changea rien au régime préfectoral ; et dès le 20 mai 1848, les préfets retrouvaient leur titre originel.
Plus significative encore est l’attitude des fondateurs de la Troisième République, ceux qui feront la République définitive. Ils n’avaient pourtant pas ménagé leurs sarcasmes à l’encontre des préfets de l’Empire. Mais que fait Léon Gambetta, le 4 septembre, après avoir raisonné la foule qui a envahi le palais Bourbon et protégé ainsi la dispersion sans gloire du Corps législatif ? Il se rend ici même, place Beauvau, et signe ses premières directives aux préfets, avant même d’être confirmé, quelques heures plus tard, dans ses fonctions de ministre de l’Intérieur à l’hôtel de ville. On se disputera beaucoup sur les nominations, sous la présidence de Thiers puis sous celle de Mac Mahon. On ne remettra jamais en cause l’institution préfectorale, tant elle est utile, précieuse même à l’accomplissement de la volonté générale dans le pays.
Et lorsqu’il s’est agi de rétablir la légalité républicaine en 1944, c’est encore vers les préfectures qu’on se tourne spontanément. C’est à la préfecture que les résistants se rendent tout naturellement pour changer, voire quelquefois confirmer son titulaire. Et c’est au corps préfectoral, partiellement rétabli, partiellement régénéré, que les gouvernements font appel pour organiser la tâche immense de la reconstruction.
Il reviendra à la gauche, à partir de 1981, d’organiser sur des bases nouvelles, celles de la décentralisation, les pouvoirs territoriaux. Elle l’a fait en prenant soin de préserver et, à certains égards, de renforcer l’autorité du préfet sur les administrations régionales et départementales. C’est d’ailleurs à une de mes suggestions, accueillie avec bienveillance par Gaston Defferre, que les commissaires de la République de 1982 chargés de veiller à la décentralisation, ont dû de pouvoir garder le titre de préfet.
Je ne vous apprends sans doute pas grand-chose ; je voulais seulement que vous sachiez, à l’occasion de cette première rencontre, que le ministre de l’Intérieur est particulièrement conscient de l’apport incomparable du corps préfectoral à l’action de l’État, que nous servons tous, chacun à notre place.
Je vous dirai ensuite, à grands traits, l’orientation que je veux suivre dans le domaine de l’administration territoriale d’une part, dans le domaine de la sécurité d’autre part. Je vous parlerai plus précisément enfin des instructions qui vous seront données pour traiter le cas de certains étrangers qui se trouvent en situation irrégulière sur notre territoire, mais dont la situation est devenue « intolérable ou inextricable » selon le propos du Premier ministre, pour des raisons qui tiennent à l’extrême complexité de la législation ou à des considérations humanitaires, notamment familiales.
1) L’administration territoriale :
Comme vous le savez, la direction générale des collectivités locales est de nouveau placée sous l’autorité du ministre de l’Intérieur. C’est une disposition logique. Mais comme la logique ne préside pas toujours à l’organisation des gouvernements, permettez-moi de me féliciter qu’elle ait été, pour l’occasion, respectée. Il est en effet normal que le ministre de l’Intérieur soit chargé des responsabilités de l’État à l’endroit des collectivités locales, dès lors que vous-mêmes, qui administrez le territoire, entretenez avec ces collectivités les liens les plus étroits.
C’est une question que j’aborde avec quelques convictions fortes : une conscience aiguë de l’utilité générale d’un État républicain puissant, mais aussi celle, non moins vive, du progrès pour la démocratie et du dynamisme de l’action publique, qu’a engendrés la décentralisation. Celle-ci a permis l’émergence de nouveaux foyers d’initiative et de responsabilité. C’est une bonne chose pour le pays. J’aborde également cette tâche, vous vous en doutez, avec l’expérience de l’élu local que je suis à Belfort depuis maintenant vingt ans. J’ai toujours considéré que les collectivités locales ne devaient pas s’opposer à l’État mais au contraire travailler avec lui, dès lors que chacun se plaçait du point de vue de l’intérêt général. De ce double point de vue, je tire trois observations.
D’une part, vous n’êtes pas, mesdames et messieurs les préfets, dans les départements et les régions, les représentants du seul ministère de l’Intérieur. Vous êtes, par excellence, les représentants de l’État tout entier. Vous exercez votre autorité sur tous les services déconcentrés de l’État. Je connais bien la tendance, naturelle, des ministères, à maintenir la plus grande dépendance de leurs services extérieurs vis-à-vis d’eux-mêmes, sinon d’eux seuls. N’omettez pas de me signaler les difficultés que vous pourriez rencontrer à cet égard. C’est qu’il ne s’agit pas seulement de défendre vos prérogatives, ce qui n’est d’ailleurs pas négligeable. Il s’agit surtout d’agir conformément à l’esprit de la décentralisation. Celle-ci, qui confère aux collectivités des pouvoirs considérables et vivifie ainsi la démocratie locale, courrait au-devant de graves risques, si elle n’était accompagnée d’un effort constant de l’État pour assurer la cohérence de son intervention. Vous êtes les garants de cette cohérence et ce rôle, vous ne pouvez le tenir efficacement qu’avec la pleine maîtrise des services départementaux et régionaux des administrations centrales.
J’attends aussi de vous que vous me teniez informé, par des notes brèves, rédigées à mon attention personnelle, des affaires importantes qui surgiraient et dont il est important que le gouvernement soit conscient pour la bonne marche de l’État.
D’autre part, vous n’ignorez pas que nos concitoyens, tout attachés qu’ils sont à la protection qu’ils attendent de l’État, à l’égalité de traitement qu’il doit leur assurer, aux idées de justice et d’impartialité qu’ils associent spontanément à l’administration, sont aussi volontiers frondeurs et manifestent à l’occasion leur incompréhension ou leur impatience à l’endroit de l’appareil administratif. La France est un pays de tradition où l’on se plaît, depuis fort longtemps, à regimber contre l’impôt tout en demandant à l’État toujours davantage d’écoles et d’hôpitaux, à réclamer à la fois plus de liberté et plus de réglementation, à critiquer la prolifération des normes, tout en étant prompt à saisir le juge. Il n’empêche qu’il y a un fond de vérité dans le sentiment des Français, qui jugent l’État souvent trop éloigné d’eux.
On revendique à juste titre une administration de proximité, un État plus proche du citoyen. On n’a pas tort. Qu’est-ce que cela signifie ?
D’abord une administration qui sache écouter la société, à travers ses élus, ses associations, ses entreprises. Cela, vous le faites tous les jours. L’organisation de nos collectivités locales institue pour ainsi dire des relations par nature contractuelles, où l’information mutuelle, la discussion, la négociation sont la règle.
Ensuite, une administration toujours plus respectueuse du citoyen, un État au service du citoyen, ce qui est la définition même de l’État républicain. Et sur ce point, on ne fera jamais assez. C’est une question d’état d’esprit, de la part des agents de l’administration, particulièrement de ceux qui sont au contact permanent du public. C’est aussi une question de compétence : on sert d’autant mieux le citoyen, on lui est d’autant plus utile qu’on maîtrise les règlements qui s’appliquent à lui, qu’on connaît bien les dispositions dont il peut légitimement bénéficier, qu’on est en mesure de répondre à sa demande. Le plus souvent, l’usager, le contribuable, le créateur d’entreprise qui sont indéfiniment renvoyés de bureau en bureau l’ont été par des fonctionnaires insuffisamment formés à l’accomplissement de leur tâche.
Il vous appartient de veiller à améliorer, autant que vous le pourrez cet état de choses. L’administration de proximité, comme on dit, c’est vous qui en êtes les premiers responsables. Vous savez bien ce qui arriverait, si nous ne prêtions pas suffisamment d’attention à cette question, si nous ne parvenions pas à corriger les défauts de l’État aux yeux de nos concitoyens : ils opteraient, partout où c’est possible, pour des services privés. Vous l’avez compris, je ne fais pas ici de prospective. La question est d’une actualité brûlante. Le service public pour être défendu, ne doit pas oublier qu’il est d’abord le service du public.
Enfin, j’attache un grand prix à ce que vous puissiez assurer, dans de meilleures conditions, le contrôle de la légalité des actes de collectivités locales. Il s’agit d’une prérogative que vous tenez de la Constitution. Rien n’est plus néfaste à la République que l’inobservation du droit, qui paraît comme tolérée, par l’affaiblissement du contrôle de légalité. Vous exercerez d’autant plus facilement cette mission d’ailleurs que vous aurez su remplir au préalable votre rôle de conseil juridique auprès des collectivités locales.
Je n’ignore pas que parmi les obstacles à l’accomplissement de cette mission essentielle des préfets, il y a l’insuffisance quantitative et qualitative des moyens qui sont mis à votre disposition ; mais soyez assurés de ma vigilance et de ma détermination. S’agissant de la volonté politique, qui a pu, dans le passé, manquer, vous aurez compris, en ayant pris connaissance de la déclaration de politique générale de monsieur le Premier ministre, qu’elle ne fera pas défaut. Soyez certains que j’en sera le fidèle relais.
2) La sécurité :
J’ai déjà dit et je redirai souvent que le ministère de l’Intérieur doit être le ministère de l’intégration républicaine. Par-là, j’entends non seulement l’intégration des immigrés ou des jeunes d’origine étrangère, à la nation, mais aussi l’intégration de tous les Français à la République. Je ne vous surprendrai pas en affirmant ici que la sécurité est un facteur primordial de cette intégration.
C’est qu’en effet la sécurité est la mère de toutes les libertés. C’est le premier des droits du citoyen. C’est la mission première de l’État.
Or il faut bien reconnaître que cette mission n’est pas remplie aujourd’hui de manière satisfaisante Sans doute est-il toujours possible de présenter habilement quelques statistiques sur les crimes et les délits. Le tableau généralement rassurant qu’on en dresse ne correspond pas au sentiment le plus commun de nos concitoyens. D’ailleurs, en longue période, les chiffres ne mentent pas : ces trente dernières années, les faits délictueux sont passés de 500 000 à 3,6 millions par an. Disons-le net : la sécurité est l’un des domaines où l’écart entre les attentes légitimes des citoyens et l’action publique est le plus fort. Car l’insécurité est, pour beaucoup d’entre eux, une réalité dans leur vie de tous les jours, dans leur quartier, dans leur immeuble, sur le chemin de l’école pour leurs enfants. S’ils éprouvent tant la peur de la délinquance et de la criminalité, ce n’est pas par l’effet de quelque psychose médiatiquement orchestrée, comme peuvent l’imaginer ceux qui n’habitent pas ces quartiers.
Mais l’insécurité ne frappe pas tous les Français de la même façon. Elle est plus répandue dans les départements urbanisés que dans les départements ruraux. Elle se développe davantage dans ce qu’on appelle pudiquement les zones urbaines périphériques, et que j’appelle, moi, les banlieues pauvres. Or elle frappe plus durement les plus démunis de nos concitoyens. Chacun peut comprendre qu’une automobile saccagée est une violence plus intolérable pour une famille dont elle est tout le patrimoine ; ou qu’un téléviseur volé, alors qu’on n’a pas fini de le payer à tempérament, est une perte plus difficile à réparer. Ou bien encore, la façon dont on parle, dans les familles les plus défavorisées, des « quartiers » ou de « la cité » ne laisse planer aucun doute : ces mots-là sont associés au vol, à l’agression, à la drogue, à la jungle des bandes. L’expression « zone de non-droit », qui doit faire horreur à tout républicain, n’est pas un produit de l’imagination. C’est, malheureusement, la désignation d’un fait.
C’est assez, c’est trop déjà que les inégalités sociales, le chômage, la grande pauvreté sapent l’édifice de la République. N’y ajoutons pas une discrimination supplémentaire, entre ceux qui vivent en sécurité et ceux qui en seraient privés par la défaillance de l’État.
Pour assurer une présence plus apparente et plus étendue des forces de police sur la voie publique, il faudra procéder à de nouveaux redéploiements. De surcroît, le gouvernement créera 35 000 emplois jeunes affectés aux tâches de sécurité. C’est de vous, mesdames et messieurs les préfets, que j’attends des suggestions. Ce sera à vous aussi de veiller à ce que les moyens ainsi dégagés soient utilisés à bon escient là où ils seront le plus utiles.
Monsieur le Premier ministre a d’autre part annoncé que le gouvernement proposerait aux communes des contrats locaux de sécurité. Ces contrats qui pourront relayer, là où ils existent, les plans locaux de sécurité, seront élaborés par des groupes de travail associant le maire et le commissaire de police ou le commandant de compagnie de gendarmerie. Ils associeront les représentants des services de l’État, de la justice, des associations intéressées. Ils pourront s’appliquer à l’amélioration de l’accueil dans les commissariats, à l’accélération des interventions, à l’information des victimes, à la prévention et, en vérité, à toute autre question qui pourra contribuer à relever le niveau de la sécurité des personnes et des biens dans la commune.
C’est vous, mesdames et messieurs les préfets, qui négocierez et signerez ces contrats, au nom de l’État. C’est vous qui donnerez aux fonctionnaires de police les instructions nécessaires à leur exécution. Et c’est d’abord vous qui devrez les susciter dans les communes, et en animer l’élaboration.
C’est dans le même esprit que le gouvernement a décidé la mise en place d’un plan pour lutter contre la violence à l’école. Dès cette semaine, je m’en entretiendrai avec mon collègue, monsieur Allègre. La violence à l’école, c’est la violence à l’intérieur de l’école ; c’est aussi et souvent la violence hors de ses murs, à ses abords. Il importe que les chefs d’établissement scolaire et les personnels d’éducation agissent de concert avec les fonctionnaires de police ou les gendarmes. Mais sur la voie publique, aux alentours du collège ou du lycée, là où se produisent contre des enfants et des adolescents des tentatives de racket, des agressions diverses, la police et les gendarmes ont seuls compétence pour intervenir. Ici encore, la formule du contrat local de sécurité devra être expérimentée.
Des moyens nouveaux accordés par l’État pour la police, une reconnaissance confortée de son rôle de la part de nos concitoyens, cela signifie aussi de plus hautes exigences dans l’exercice de ses missions. C’est pourquoi nous devons admettre comme une impérieuse nécessité le respect le plus scrupuleux de la déontologie. Le fonctionnaire de police, dépositaire de l’autorité de l’État, ne saurait en mésuser ; il doit être irréprochable. C’est la condition d’un lien de confiance avec la population, indispensable à l’efficacité de son action. On ne le voit que trop : dans ces quartiers où s’est installée l’hostilité de quelques-uns à l’encontre de la police, dès lors que cette hostilité est relayée par la méfiance ou seulement l’indifférence du plus grand nombre, la police n’est tout simplement plus en état de se montrer efficacement, et la sécurité n’est plus assurée.
Il revient à la loi de créer l’instrument adéquat au contrôle du respect de la déontologie de la force publique. En attendant, il vous appartient d’y porter vous-mêmes une attention vigilante.
3) Le cas de certains étrangers en situation irrégulière sur notre territoire :
Je veux maintenant vous entretenir des dispositions qu’après une concertation interministérielle approfondie, je vais prendre, par une circulaire qui vous sera destinée dès demain, relative à la situation de certains étrangers qui se trouvent irrégulièrement sur notre territoire.
Il s’agit d’une mesure transitoire, qui ne préjuge pas le texte du projet de loi qui sera présenté au Parlement à l’automne, après que la mission que le Premier ministre a confiée à monsieur Patrick Weil aura porté ses fruits. Je vous indique que, dans le cadre de sa mission, monsieur Patrick Weil sollicitera vos avis de façon à ce que ses travaux préalables à la délibération des assemblées soient nourris de votre expérience. Cette refonte de notre législation devra aller à l’essentiel. Il s’agira de définir une politique simple et lisible à partir d’une orientation générale claire.
Les demandes d’examen seront donc reçues par vous, dans des conditions que je vous préciserai, à titre transitoire jusqu’à la refonte de la législation sur le statut des étrangers, sur les problèmes de l’immigration et sur l’accès à la nationalité française, dont le Parlement aura à débattre à l’automne.
Vous connaissez les raisons du gouvernement : d’une part la loi, dans son état actuel, résulte de plus de quarante modifications d’une ordonnance datant de la Libération. Elle porte la marque des inévitables contradictions de la façon dont s’est élaboré le droit. D’autre part – et c’est l’effet de notre législation et de nos règlements –, certains étrangers se trouvent aujourd’hui en France dans une situation absurde : ni régularisables, ni expulsables. Pour sortir de la première difficulté, nous changerons la loi ; pour sortir de la seconde, vous recevrez une circulaire provisoire, applicable seulement au territoire métropolitain. Ainsi sera mis fin aux situations « intolérables et inextricables » évoquées par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale.
Au vu de chaque situation individuelle qui vous sera présentée, vous ferez usage de votre pouvoir de procéder à l’attribution d’un titre de séjour, par mesure gracieuse. Dans un avis du 22 août 1996, le Conseil d’État a rappelé que ce pouvoir vous était dévolu, dans des termes que je cite : « La régularisation, par définition, est accordée dans l’hypothèse où le demandeur d’un titre de séjour ne bénéficie pas d’un droit, sinon il suffirait qu’il le fasse valoir. Au contraire, l’autorité administrative a le pouvoir d’y procéder, sauf lorsque les textes le lui interdisent expressément (…). Ainsi, cette autorité peut prendre à titre exceptionnel, et sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, une mesure gracieuse favorable à l’intéressé, justifiée par la situation particulière dans laquelle le demandeur établirait qu’il se trouve. »
L’application de ce dispositif de réexamen doit être juste. Elle ne doit donner lieu ni à un excès de rigueur, qui ne permettrait pas véritablement de mettre fin aux « situations intolérables et inextricables » dans lesquelles se trouvent les personnes concernées, ni à un laxisme qui irait à l’encontre des objectifs poursuivis par le gouvernement. Le contrôle d’un flux migratoire est en effet nécessaire pour atteindre les deux objectifs majeurs que sont pour la France l’intégration républicaine sur le territoire national et le co-développement avec les pays d’origine.
Mais c’est là une autre affaire qui sera réglée par une loi que je voudrais juste, claire et pratique.
Le réexamen qui vous est demandé obéit à des considérations d’humanité, notamment pour ce qui concerne le droit de vivre en famille, et à des considérations d’intérêt national : la France doit ainsi rester un grand pays d’accueil pour les étudiants, les enseignants et les chercheurs du monde entier. Ce réexamen pourra s’appliquer aux catégories suivantes :
– les conjoints de Français, les conjoints d’étrangers en situation régulière, sous certaines conditions, et les conjoints de réfugiés statutaires ;
– les enfants d’étrangers en situation régulière hors regroupement familial ;
– sous réserve de leur bonne insertion dans la société française, pour l’appréciation de laquelle un faisceau d’indices vous est suggéré, certaines familles étrangères constituées de longue date en France et, à titre exceptionnel, certains étrangers sans charge de famille ;
– les étrangers malades, lorsqu’ils sont atteints d’une pathologie grave ;
– les étudiants en cours d’études supérieures ;
– enfin, les personnes n’ayant pas le statut de réfugié politique et qui pourraient néanmoins courir des risques vitaux en cas de retour dans leur pays d’origine.
Il importe, vous le comprendrez, d’éviter tout afflux désordonné de demandeurs à la porte des préfectures, dès les premiers jours qui suivront la parution de la circulaire. C’est pourquoi, les demandes de réexamen devront vous être adressées par écrit et par voie postale ; leurs auteurs seront convoqués par vos services aussitôt que possible. Vous veillerez particulièrement aux conditions matérielles et morales de leur accueil. Les étrangers sont des hommes dont la France, fidèle à sa meilleure tradition, se doit de respecter la dignité.
Ces dispositions seront l’occasion, j’en suis conscient, d’un surcroît de travail pour vos personnels, dans une période estivale où beaucoup ne sont pas disponibles. C’est pourquoi j’ai décidé un allègement de vos tâches en supprimant le visa de retour, formalité inutilement imposée aux résidents étrangers et à certaines catégories de personnes en situation régulière.
J’ai d’autre part examiné, en liaison avec madame le ministre de l’Emploi et de la Solidarité, les possibilités de développer le pré-accueil effectué par des personnels de l’office des migrations internationales, dans les préfectures où le nombre des demandes de réexamen sera particulièrement élevé.
J’ai par ailleurs demandé à monsieur le secrétaire d’État au budget l’abondement de crédits indemnitaires et l’embauche de personnels complémentaires pour la période de l’application de la circulaire.
J’ai souhaité pour mettre en œuvre ce dispositif, rester dans le cadre des procédures habituelles d’accès au séjour, conduites sous votre autorité. Je compte sur vous pour le conduire avec fermeté et humanité, avec doigté, dans le double souci des intérêts de la nation et des droits des personnes. La mission que j’ai confiée à monsieur Galabert, conseiller d’État, est une mission de coordination et de proposition, non de médiation. Monsieur Galabert recevra les associations concernées ; il se rendra, s’il le souhaite, dans les préfectures pour prendre connaissance des difficultés que vous pourriez rencontrer dans l’application de la circulaire ; il me soumettra ses propositions pour que ces difficultés soient résolues. Les décisions concernant les personnes qui auront demandé le réexamen de leur situation resteront de votre seul ressort.
Voilà, mesdames et messieurs les préfets, ce que je souhaitais vous dire en marge de la circulaire dont vous prendrez connaissance dès demain. C’est un texte qui ouvre droit à des mesures réparatrices, pour répondre à des circonstances particulières. L’intention du gouvernement est de refondre le droit de la nationalité et du séjour des étrangers en France, en prenant pleinement en compte l’intérêt national dans la situation actuelle et prévisible de la France et du monde.
Vous mesurez ce qui est en cause : d’une part, notre conception de la nation, fondée sur le droit du sol, sur la volonté de vivre ensemble, par une libre adhésion aux valeurs de la République ; une nation qui ne procède d’aucun principe ethnique, linguistique ou religieux, et qui s’est constituée dans une construction éminemment politique, depuis les rois capétiens jusqu’aux fondateurs de la République ; d’autre part, une politique de l’immigration adaptée à notre temps, tenant compte des déséquilibres générés par le développement inégal de part et d’autre de la Méditerranée et, plus largement dans les pays industrialisés et les pays en voie de développement, mais tenant compte aussi de la crise économique et sociale qui nous frappe depuis maintenant plus de vingt ans ; une politique qui, dans un pays à vocation mondiale saura reconnaître la réalité de flux migratoires, tout en affirmant la nécessité de les organiser, de les contrôler et de les maîtriser. Je suis pour ma part convaincu qu’il est possible de trouver le chemin, assurément étroit, qui nous conduira sûrement, loin des surenchères démagogiques et des cris d’orfraie, à l’écart de l’angélisme comme du repliement frileux, vers l’intérêt national. Je suis convaincu qu’en la matière une politique républicaine, à la fois ferme et généreuse, peut recueillir l’assentiment d’une très large majorité de nos concitoyens.
C’est là un vrai chantier qui s’ouvre. Je compte sur vous pour m’aider à le mener à bien, avec objectivité, fermeté et humanité.