Texte intégral
France 2 : 70 % des Français se disent choqués par la mise en liberté de M. Papon ; Me Boulanger, avocat des parties civiles, à Bordeaux, demande une réforme de la détention préventive. Il est vrai qu’il y a quelque chose de choquant : on est jugé pour crime contre l’humanité, on est libre ; on vole une mobylette, on arrive avec des menottes au tribunal.
É. Guigou : Oui, je comprends cette émotion. Il y avait d’autres solutions, comme, par exemple, mettre M. Papon à l’hôpital, sous surveillance de l’administration pénitentiaire. Le choix a été fait par le président de la Cour d’assises et ses assesseurs. C’est le choix. C’est leur indépendance. À partir de là, maintenant, le plus important, c’est le procès. C’est : est-ce que véritablement, on va arriver à faire la lumière sur les responsabilités personnelles de M. Papon à cette époque. De terribles accusations pèsent contre lui. Je crois qu’il faut espérer que la justice soit rendue.
France 2 : Faudrait-il réformer la détention préventive ?
É. Guigou : Il est vrai qu’à la Cour d’assises, on ne peut pas faire ce qu’on peut faire au tribunal correctionnel, c’est-à-dire, décider d’un mandat d’arrêt ou d’un mandat de dépôt à l’audience pour mettre immédiatement en prison quelqu’un qui est définitivement condamné. Je pense que c’est en effet, probablement, une des réformes qu’il faudra étudier, qu’il faudra faire, mais je ne suis pas pour des lois de circonstance. Je crois que les lois qu’on fait sur des cas particuliers ne sont jamais de bonnes lois. Par conséquent, c’est une question que je voudrais traiter dans l’ensemble de la réforme de la justice que je présenterai au Parlement, au début de l’année prochaine.
France 2 : Il y a une réforme du parquet qui va être présentée la semaine prochaine en conseil des ministres. Dans cette réforme, quelle est l’idée ? Accentuer encore l’indépendance des juges du parquet par rapport au pouvoir politique ?
É. Guigou : Les juges du siège sont indépendants – je viens de le dire à propos du procès Papon – mais, les magistrats du parquet, c’est-à-dire, ceux qui engagent les poursuites ou qui instruisent les affaires, dépendent des instructions du garde des sceaux. Je me suis interdit, depuis que je suis là, de donner des instructions dans des affaires qui pouvaient dévier le cours de la justice, par exemple, les affaires politico-judiciaires. Donc, ce qu’il faut faire, c’est faire passer dans la loi cette pratique qui est la mienne. Je crois que nous avons besoin de tenir un équilibre : il faut davantage d’indépendance pour les magistrats du parquet et de garanties dans leur carrière…
France 2 : Qu’ils ne dépendent plus du ministère mais, comme les autres, du Conseil supérieur de la magistrature ?
É. Guigou : Exactement ! Qu’ils ne soient plus soumis ou qu’ils ne puissent plus être soumis à des personnes du pouvoir politique car, même si je me l’interdis à moi maintenant, il faut des garanties pour l’avenir. Deuxièmement : il faut aussi davantage de responsabilités. Je crois qu’il faut qu’il puisse y avoir des recours contre, par exemple, des décisions de classement. Les procureurs, contrairement aux juges du siège qui doivent tout juger dès qu’on leur pose une question, dès qu’on le saisit, ils doivent juger – les procureurs peuvent choisir : soit ils décident de poursuivre, soit ils décident de classer. Il y a quand même un nombre, très important – environ 50 % de classements sans suite. Donc là, à partir du moment où il y a choix, ça veut dire qu’il doit y avoir une politique pénale. Il faut donc à la fois que le Gouvernement, qui a été élu pour ça, ait une politique pénale mais il ne faut pas pouvoir dévier dans des affaires particulières.
France 2 : Un certain nombre de magistrats demandent qu’il y ait également des officiers de police judiciaire qui soient rattachés aux juges d’instruction pour éviter certains cafouillages. On l’a vu, par exemple, au moment de l’affaire Le Foll où, effectivement, un juge essayait de faire une investigation et n’avait pas le soutien de la police judiciaire.
É. Guigou : Un parquet qui sera indépendant du pouvoir politique, encore faut-il qu’il soit indépendant d’autres influences. Pour pouvoir faire normalement ses poursuites, il faut qu’il puisse avoir effectivement à sa disposition la police judiciaire. Ce n’est pas toujours le cas. Les procureurs à qui j’en ai parlé s’en plaignent souvent, parce qu’on leur dit qu’il n’y a pas assez d’effectifs. Il faut donc qu’ils puissent avoir un droit de regard sur l’utilisation des officiers de police judiciaire aussi bien dans la police que dans la gendarmerie, puisque les gendarmes sont aussi officiers de police judiciaire.
France 2 : J. Toubon avait prévu une grande réforme des assises avec une double juridiction pour qu’on puisse faire appel quand on est condamné en assises. Où en est cette réforme ? Est-elle enterrée ? Cela coûte trop cher ?
É. Guigou : Non. Je crois qu’il faut un appel de la cour d’assises, qui n’existe pas aujourd’hui, justement parce que c’est la contrepartie d’un jugement, de l’indépendance. En même temps, il est vrai que le système présenté par J. Toubon était très coûteux. Et comme nous sommes obligés de dégager des priorités, je préfère un système plus simple dans lequel on ait besoin moins systématiquement de créer de nouveaux tribunaux. Nous sommes en train d’y travailler.
France 2 : Sur les cafouillages de la justice, pensez-vous que, dans l’affaire Y. Piat, à la lumière du livre qui vient de sortir, il faudrait un supplément d’information ? Tout le monde dit, les avocats des parties civiles comme les autres, que l’instruction n’a pas été faite de façon satisfaisante.
É. Guigou : Il y a le livre. Il va y avoir une décision de justice. Il est déjà suspendu. Et il faut que les auteurs apportent des preuves. Il est inconcevable de porter des accusations aussi graves sans aucune espèce de preuve. Et puis, il y a l’instruction sur le meurtre de Y. Piat et le procès qui doit s’ouvrir au printemps prochain. Il est vrai qu’il y a des questions troublantes et que le rôle de la justice est d’apporter des réponses à toutes les questions – en tout cas, toutes celles sur lesquelles on a suffisamment d’éléments. Il appartient maintenant au président de la cour d’assises de décider si, oui ou non, il y a lieu d’ouvrir une information supplémentaire.
France 2 : Le souhaiteriez-vous ?
É. Guigou : Je n’ai pas à émettre de souhait. C’est l’indépendance de la justice. Ce que j’observe c’est que, deux fois déjà, la chambre d’accusation a dit : « tous les éléments ont été rassemblés ; il n’y a pas lieu d’ouvrir d’information supplémentaire ». J’observe aussi que les parties civiles le demandent. J’observe que beaucoup de questions restent posées. Mais, encore une fois, c’est la responsabilité et l’indépendance du président de la Cour d’assises.
France 2 : Mais un procès peut-il se dérouler de façon sereine, sans instruction supplémentaire, alors que ce livre est sorti ? Peut-on faire ce procès en mars comme si de rien n’était ?
É. Guigou : Sur les allégations contenues dans ce livre, il y a une procédure de justice déjà en cours. Le Gouvernement s’est engagé à aider, à pouvoir faire toute la lumière mais ce n’est pas le Gouvernement qui va pouvoir donner des éléments. En tout cas, il y a une enquête au ministère de la défense pour déterminer si, oui ou non, on identifie le ou les personnes qui auraient informé – je mets tout ça au conditionnel – les journalistes. Cela, c’est une chose. Et puis, si la justice dit que ce livre n’était finalement que de la manipulation, à ce moment-là, de toute façon, il reste à juger les meurtriers de Y. Piat qui sont aujourd’hui en prison. Il reste à déterminer si toutes les questions ont été abordées. Là encore, jusqu’au procès, c’est la responsabilité du président de la Cour d’assises. Après l’ouverture du procès, c’est la responsabilité de la Cour d’assises de décider si, oui ou non, on doit ouvrir une enquête. Ce n’est pas au moment où je vais faire une réforme sur l’indépendance accrue des magistrats du parquet que je vais porter une appréciation que je n’ai pas à porter sur une décision qui relève d’un juge du siège, du président de la Cour d’assises.