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Valeurs actuelles : L'actionnariat salarié peut-il être le remède miracle pour associer le capital et le travail, ce que n'a jamais été la participation ?
Philippe Douste-Blazy : La participation sans sa version gaullienne des années soixante reposait sur l'idée d'un revenu différé lié aux résultats de l'entreprise. Cette idée reste juste, mais elle doit être adaptée à la nouvelle donne de l'économie mondiale : il faut compléter la réserve de participation inscrite dans les textes par le versement de dividendes aux salariés eux-mêmes. Les bénéfices des entreprises sont importants, mais les salariés n'en profitent pas.
Le partage du capital est une nécessité si l'on veut renouer avec une véritable politique des revenus. Les intérêts des salariés rejoindront alors ceux des actionnaires. Il sera plus difficile de supprimer sept mille cinq cents emplois pour satisfaire les intérêts des seuls actionnaires.
Les salariés apporteront à l'entreprise non seulement leurs compétences et leur force de travail, mais aussi leur capital et leur épargne. La mécanique incitée par les PEE (plans d'épargne d'entreprise) placés en actions doit se développer et parallèlement les stock-options réservées jusqu'à présent à une élite de cadres dirigeants doivent se démocratiser pour profiter au plus grand nombre.
La question n'est donc pas d'associer, car l'entreprise est et demeure le lieu d'association du capital et du travail, mais d'équilibrer les droits des uns et des autres, et de mieux partager les profits entre les attentes voire les exigences des salariés et celles des actionnaires.
Il faut également baisser la fiscalité sur les plus-values réalisées grâce aux stock-options. On assiste aujourd'hui à une fuite incontrôlable des jeunes talents vers les pays anglo-saxons, alors que trois emplois sur quatre vont être créés dans les entreprises de haute technologie.
Valeurs actuelles : Comment voyez-vous l'articulation dans l'entreprise entre les syndicats et les associations d'actionnaires salariés qui fleurissent aujourd'hui ?
Philippe Douste-Blazy : Les syndicats défendent les droits des salariés en tant que salariés. Je suis certain, cependant, que des syndicats modernes participeront au renouvellement du capitalisme français, parce qu'ils en ont déjà compris l'enjeu : élargir la source des revenus des salariés aux dividendes d'actions. Les associations ne seront ni les concurrentes, ni les vassales des syndicats : elles créeront un nouvel espace et un nouvel esprit de dialogue social. Elles sont appelées à compléter le rôle des syndicats.
Valeurs actuelles : Estimez-vous que l'actionnariat salarié permettra de résoudre le problème des retraites des salariés du privé ?
Aujourd'hui, le travail peut être rémunéré sous deux formes complémentaires : le salaire et les dividendes d'actions. C'est ce qui existe dans la plupart des grands pays, avec une exception majeure, la France. Dans ce contexte et à très court terme, les retraites devront elles aussi être financées et garanties par une alliance entre les fruits du travail et ceux du capital.
Un retraité du secteur privé devrait pouvoir disposer à la fois de sa pension de retraite, alimentée par les cotisations des actifs, et des dividendes tirés de la possession d'actions de l'entreprise où il travaillait. Une telle diversification des revenus du retraité de demain est le meilleur gage de sécurité et le meilleur moyen pour faire profiter les inactifs de la croissance de notre économie sans pénaliser les actifs par une augmentation insupportable des cotisations.
Valeurs actuelles : Le développement de l'actionnariat salarié dans les grandes entreprises ne va-t-il pas accroître les inégalités entre les différentes catégories de salariés ?
Philippe Douste-Blazy : Les inégalités existent déjà entre les salariés qui ont accès à un PEE ou à des stock-options, voire à l'épargne retraite, ceux des grosses entreprises, et les autres. Et je ne parle pas des inégalités entre les salariés du privé et les fonctionnaires.
L'actionnariat salarié réduira les inégalités à condition que des fonds de pensions soient ouverts aux salariés des entreprises non cotées. Mais attention, ces fonds de pensions doivent être « externalisés », c'est-à-dire ne pas dépendre d'une seule entreprise, afin de limiter les risques et d'atteindre la masse critique nécessaire à la rentabilité des placements.
Enfin, il conviendrait que ces fonds de pensions à la française soient gérés sur le modèle suisse ou hollandais : le paritarisme permettrait de définir, à côté des exigences de rentabilité, une véritable performance sociale.