Déclaration de M. Douste-Blazy, président du groupe UDF à l'Assemblée nationale et ancien ministre de la santé, à RTL le 14 novembre 1999, sur la démission de Dominique Strauss-Kahn, la réforme du Conseil supérieur de la magistrature et l'embargo sur la viande bovine britannique.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - Emission Le Grand Jury RTL Le Monde LCI - RTL

Texte intégral

Olivier Mazerolle : Bonjour Monsieur Douste-Blazy.

Philippe Douste-Blazy : Bonsoir.

Olivier Mazerolle : En cas de retour au pouvoir, la droite a averti qu’elle remettrait en cause la loi sur les 35 heures. Fera-t-elle la même chose pour le PACS qui va entrer en vigueur dès ce mois de novembre après que le Conseil constitutionnel l’ait déclaré conforme ? C’est une des questions que nous aborderons avec vous, ce soir, à un moment où on entend plus le MEDEF ou bien le président de la République que les leaders de l’opposition pour fustiger la politique du gouvernement. Après la démission de Dominique Strauss-Kahn, droite et gauche semblaient surtout d’accord, cette semaine, à l’Assemblée nationale, pour mettre en cause le pouvoir des juges et de la presse, souvent présentés comme alliés pour affaiblir les politiques. Et de plus, dans le conflit de la vache folle avec la Grande-Bretagne, là encore droite et gauche semblent partager le même point de vue.
Pierre-Luc Séguillon et Patrick Jarreau participent à ce « Grand Jury » retransmis sur RTL et LCI. « Le Monde » publiera l’essentiel de vos déclarations dans son édition de demain.
Monsieur Douste-Blazy, après la démission du ministre de l’économie et des finances, croyez-vous, comme Monsieur Chevènement, qu’il y a une sorte de lynchage judiciaro-médiatique à l’encontre des politiques ? Et croyez-vous que les hommes politiques doivent bénéficier d’une procédure particulière dans les affaires de justice ?

Philippe Douste-Blazy : Certainement pas. Je crois que Dominique Strauss-Kahn ne pouvait pas faire autrement parce que, d’une part, aux yeux de l’opinion publique, le soupçon est incompatible avec l’exercice des fonctions gouvernementales et, de l’autre, vous ne pouvez pas parler au nom de la France lorsque vous êtes soupçonné. Parce qu’au-delà de votre personne, c’est la fonction que vous occupez qui est affaiblie. La question qui est posée aujourd’hui, c’est celle de la présomption d’innocence et celle du secret de l’instruction. Alors, ce sont deux choses complètement différentes. On peut aborder l’un ou l’autre, comme vous voulez.
Je pense que Monsieur Chevènement est allé quand même très loin, en étant ministre de l’intérieur, en disant « Monsieur Strauss-Kahn est innocent ». II ne le sait pas.

Olivier Mazerolle : Vous croyez qu’il ne le sait pas ?

Philippe Douste-Blazy : S’il le sait, c’est qu’il a un rapport ou bien il y a une enquête parallèle de Monsieur Chevènement et il faut qu’il le dise.

Olivier Mazerolle : Oui, donc présomption d’innocence. En quoi est-elle bafouée dans le cas de Monsieur Strauss-Kahn ?

Philippe Douste-Blazy : Sur la présomption d’innocence, nous sommes, si vous voulez – et c’est tout le débat, aujourd’hui, qui arrive à l’Assemblée nationale, puis au Congrès de Versailles au mois de janvier –, nous sommes dans un système napoléonien qui date de deux siècles, depuis 1800, et où, tout simplement, nous sommes le seul pays au monde à donner un pouvoir aussi important à un homme qui s’appelle le juge d’instruction. Un pouvoir important, mais solitaire. En effet, est-ce qu’il est bien raisonnable, aujourd’hui – on peut se poser la question –, de donner, de confier à un homme, même s’il est bien formé par l’école de la magistrature, la responsabilité de mettre en examen qui – dans l’opinion publique est une condamnation – et est-ce qu’il bien raisonnable de laisser à un seul homme la possibilité de mettre en détention ? Madame Guigou a bien vu le problème et elle propose à l’Assemblée nationale, maintenant, un texte disant qu’il n’y aura plus un seul juge, mais deux. L’un qui instruit et l’autre qui met en détention : le juge de la détention.
Et nous, nous pensons que c’est vraiment encore insuffisant. Pourquoi ? Parce que, dans les deux cas, il reste solitaire. Et donc, le groupe UDF à l’Assemblée nationale et, en particulier, Pierre Albertini, son porte-parole, qui nous a beaucoup aidé dessus, propose deux choses.
Premièrement, que l’on renforce la garantie de la présomption d’innocence en organisant un débat contradictoire et public dans lequel le suspect peut avoir accès au dossier, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, avant sa mise en examen. C’est dire, augmenter les droits de la défense.
Et deuxièmement…

Pierre-Luc Séguillon : C’est la proposition aussi d’Édouard Balladur, si je ne me trompe ?

Philippe Douste-Blazy : Je ne sais pas si c’est la proposition d’Édouard Balladur. En tout cas, c’est la proposition du groupe UDF à l’Assemblée.
Et deuxièmement, que la décision de mise en détention soit une décision collégiale, faite par trois juges. Et je crois que c’est quelque chose évidemment de très important parce que ça ira, en même temps, dans l’esprit de la Cour européenne des droits de l’Homme, la cour de Strasbourg qui, chaque année, à plusieurs reprises, reproche à la France de ne pas garantir les droits de l’Homme et de la défense.

Pierre-Luc Séguillon : Est-ce que ce sont des conditions que vous posez ? Si elles ne sont pas réalisées, la réforme du CSM à Versailles (Conseil supérieur de la magistrature)…

Philippe Douste-Blazy : Monsieur Séguillon, je ne tomberai pas dans le piège. II y a plusieurs textes. II y a le texte sur le CSM, Conseil supérieur de la magistrature. Il y a aussi la présomption d’innocence et le secret de l’instruction. Si vous voulez bien, je crois que ça vaut le coût, d’ailleurs, que l’on prenne du temps pour parler de ces sujets parce qu’ils sont fondamentaux. Sur la question que vous posez, qui est toute autre…

Pierre-Luc Séguillon : Ma question, c’est de savoir si vous conditionnez votre vote pour la ratification en Congrès à Versailles de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature à ces modifications dans le statut des magistrats que vous venez de souhaiter ?

Philippe Douste-Blazy : La réponse est claire, c’est oui. Mais ça va beaucoup plus loin. Sur le Conseil supérieur de la magistrature, là aussi, Madame Guigou arrive avec un vrai sujet, un vrai débat. C’est le problème de l’indépendance des magistrats du parquet par rapport au ministre de la justice, par rapport aux politiques. Le groupe UDF, et I’UDF dans son ensemble, tient énormément à l’indépendance du parquet par rapport aux politiques.
La question qui simplement se pose, c’est que s’il y a des aspects positifs dans ce texte, il y a aussi beaucoup d’insuffisances.
Les aspects positifs, nous nous félicitons à I’UDF qu’il y ait un élargissement du nombre des membres du Conseil supérieur de la magistrature et, en particulier, qu’il y ait l’introduction de membres qui ne sont pas magistrats. II y aura onze personnes, personnalités extérieures à la magistrature. Nous trouvons cela très bien parce que c’est une garantie d’ouverture.
Deuxièmement, nous nous réjouissons du fait qu’il y ait une élection des magistrats, membres du CSM, parce que c’est une garantie d’indépendance. Et puis, depuis toujours, nous avons demandé que le CSM ait un pouvoir de nominations et de promotions des magistrats. Ça ne sert à rien de dire qu’on est pour l’indépendance de la justice, si derrière, c’est le politique, le ministre de la justice qui fait la promotion des carrières.
Mais il y a des insuffisances et c’est la chose la plus importante. Pourquoi, pour l’instant, nous ne votons pas ? Parce qu’il y a des insuffisances. Lesquelles ?
Chaque fois dans la démocratie qu’il y a des pouvoirs, il faut des contre-pouvoirs. La question que je pose est claire : quelles sont, pour la République, je dis bien pour la République, Monsieur Séguillon, pas pour le politique, pour la République, les contreparties de l’indépendance des magistrats du parquet face à la chancellerie ? Eh bien, moi, j’estime qu’il faut poser ici la question, dans cette émission, ce soir, de la responsabilité disciplinaire des magistrats.

Patrick Jarreau : Qui doit s’exercer comment d’après vous ?

Philippe Douste-Blazy : Eh bien, si un magistrat fait une erreur…

Patrick Jarreau : C’est-à-dire, comment on peut être à la fois indépendant et soumis aux risques d’une sanction disciplinaire ? Enfin, il y a une contradiction.

Philippe Douste-Blazy : Oui, la contradiction est actuelle. Pourquoi elle est actuelle ? Parce qu’aujourd’hui, lorsqu’un magistrat fait une erreur, quelle est la personne, en France, qui peut le traduire devant le CSM ? Il a un nom, c’est le ministre de la justice. Alors, si le ministre de la justice est le seul à pouvoir traduire, en effet, un magistrat devant le CSM, il y a tout de suite suspicion de sanction politique.
Si le magistrat est à droite et que le garde des Sceaux est à gauche ou vice versa, il y a toujours une suspicion.
Nous, nous proposons de revenir sur l’ordonnance. Au groupe UDF, à l’Assemblée, de revenir sur l’ordonnance de 1958 qui porte statut du magistrat sur la responsabilité du magistrat. Nous souhaitons que le CSM puisse s’autosaisir pour infliger, éventuellement, des sanctions à un magistrat qui aurait failli à ses fonctions. Ça va du simple avertissement à la révocation, comme tout fonctionnaire.
Souvenez-vous quand même de l’affaire Villemin. Quittons la politique deux secondes. L’affaire Villemin, il y a plusieurs années. On a vu un juge d’instruction s’acharner, s’acharner sur une personne suspecte qui se trouvait être innocente. Qui, en France, a demandé une sanction disciplinaire contre ce magistrat ? Personne.
Alors, moi, je veux bien qu’il y ait une indépendance des juges à condition qu’il y ait, à côté, un contre-pouvoir.

Olivier Mazerolle : Monsieur Douste-Blazy, vous êtes médecin. Vous savez que la mise en cause de la responsabilité des médecins est parfois extrêmement complexe car un médecin peut commettre un acte fautif sans le savoir. II peut commettre une erreur de diagnostic. N’est-ce pas la même chose pour un magistrat ? Par votre proposition, n’allez-vous pas paralyser l’action des magistrats ?

Philippe Douste-Blazy : Attendez, la question que vous posez est évidemment fondamentale. Vous avez raison, s’il n’y avait pas eu la proposition de Madame Guigou et sur la demande, d’ailleurs, du président de la République, de l’indépendance du parquet. Maintenant que l’on a un CSM qui n’est pas que de magistrats, c’est la raison pour laquelle je vous disais tout à l’heure, mais qu’il y a l’introduction de personnalités extérieures à la magistrature, alors je crois que nous avons une institution qui est au-delà, je dirai, de la droite et de la gauche. Et, sur le plan éthique, qui peut avoir, à mon avis, un pouvoir d’auto…

Olivier Mazerolle : Mais un magistrat peut très bien mettre une personne en examen, sans pour autant que cette personne ne soit condamnée ultérieurement ?

Philippe Douste-Blazy : Justement, c’est assez, d’ailleurs, révélateur, ce que vous dites. Mis en examen, non. Mais ça, ça ne s’appelle pas une faute. Être mis en examen voudrait dire : condamner.

Olivier Mazerolle : Non, justement, pas du tout.

Philippe Douste-Blazy : Dans une mise en examen, il y a un non-lieu.

Olivier Mazerolle : Écoutez, vous citiez tout à l’heure l’affaire Villemin où elle a été mise en examen et vous souhaitiez que quelqu’un… Enfin, vous auriez souhaité qu’on s’intéresse à la faute commise par le juge à l’époque.

Philippe Douste-Blazy : D’abord, ça dépassait tout à fait le cas d’une mise en examen, souvenez-vous. Et deuxièmement, je suis bien placé, nous, les hommes politiques ou les femmes politiques, on est bien placé pour cela, puisqu’il y a, vous le savez… Prenez l’exemple de Michel Roussin ou de Gérard Longuet, qui sont deux ministres de la République du gouvernement Balladur qui, comme d’ailleurs Dominique Strauss-Kahn, ont, dans les mêmes conditions, démissionné avant d’être mis en examen. II y a eu un non-lieu trois ans après.
Non, je ne dis pas obligatoire que ce sont des erreurs. Je dis qu’il faut, dans un pays, si on donne un peu plus de pouvoir à quelqu’un, il faut un contre-pouvoir. Ça c’est absolument majeur, c’est la présomption d’innocence.

Pierre-Luc Séguillon : Par de là ces réformes de justice, est-ce que vous n’avez pas le sentiment, néanmoins, qu’il y a une sorte d’acharnement, aujourd’hui, des juges à l’encontre des hommes politiques ? Quand on regarde, pardonnez-moi l’expression, le tableau de chasse, il est assez impressionnant, des hommes politiques qui, les uns après les autres, voient leur carrière interrompue ou mise entre parenthèses par les juges. Alors, certains aujourd’hui, à droite comme à gauche, disent pourquoi pas une amnistie pour des peines au moment où on arrive à l’an 2000, pour des peines, pour des condamnations qui sont inférieures à deux ou trois ans. D’autant plus que ça pourrait être populaire si, dans le même temps, on supprimait toutes les contraventions.

Philippe Douste-Blazy : Je ne pense pas, franchement, qu’une amnistie pour les hommes politiques serait populaire. La question, à mon avis, excusez-moi Monsieur Séguillon. L’affaire est beaucoup plus grave que cela.

Pierre-Luc Séguillon : Mais vous savez que l’idée circule ?

Philippe Douste-Blazy : Non, l’idée circule, mais qu’est-ce qu’il faut ? Qu’est-ce qu’il faut faire aujourd’hui ? Il faut que nous réfléchissions à ce dont je viens de parler, la présomption d’innocence, et il faut que nous réfléchissions, en effet, à la marche de la justice, aujourd’hui, sur le secret de l’instruction. Et je voudrais devant vous prendre deux exemples vécus, par vous, comme par moi.
Premier exemple : un homme politique est victime d’une dénonciation. Le parquet ouvre une instruction. À partir de là, il y a deux enquêtes qui commencent. La première, c’est l’enquête officielle, judiciaire, normal, face à un juge d’instruction qui lui connaît les règles et respecte les règles de la présomption d’innocence. Et j’ai envie de dire, le suspect doit apporter, peut et doit apporter, l’assurance de son innocence devant un juge qui instruit à charge et à décharge. Cela a un temps, ça prend deux ans, trois ans. Monsieur Strauss-Kahn le verra aussi, comme les autres.
Mais à côté de cela, il y a une autre enquête, dans l’espace médiatique que vous connaissez bien, vous, la presse. Et là, il n’y a pas de temps, parce que c’est la règle, c’est l’immédiateté de l’information, c’est l’information. Et là, il est vrai qu’il y a des policiers et des magistrats qui ont transgressé le secret de l’instruction et qui ont permis à la presse de faire déjà le procès, alors même que le premier, la première enquête n’aboutisse. À partir de là, on a envie de se dire : « mais enfin ! Qu’on se donne les moyens sur le plan législatif de faire respecter le secret de l’instruction. » Après tout, dans ce pays, on respecte le capital. Le délit d’initié est très sévèrement puni, il y en a très peu. Pourquoi on ne respecte pas les dignités des hommes politiques ou des autres, d’ailleurs, en ne respectant pas…

Patrick Jarreau : Alors, vous imaginez quoi comme mesures ?

Philippe Douste-Blazy : Ça, c’est la première histoire. Attendez !
La deuxième et c’est là où c’est compliqué. La deuxième, c’est pourquoi je ne porterai pas, moi, je ne parlerai pas de lynchage médiatique. La deuxième commence de la même manière. Un homme politique est lui aussi, là aussi une dénonciation où il est cité dans une affaire. Et là, la police commence une enquête préliminaire.
Et puis on attend, une semaine, deux semaines, un mois, deux mois, trois mois et rien ne se passe. Le parquet ne fait rien. Et là, dans certains cas, en effet, des magistrats et des policiers ont transgressé volontairement le secret de l’instruction et je dirai qu’ils ont bien fait. Et la presse a été, dans ce cas-là, non seulement la garantie, la garante du bon fonctionnement de la justice, mais également garante du respect de la démocratie.
Et ce qu’on a vu, il y a quelques semaines, avec Madame Fugerasse, c’est quoi ? Voilà une femme qui est responsable de la brigade financière du parquet de Paris, qui a l’affaire de la MNEF entre ses mains, en plein mois d’août.
Monsieur Dintillac lui propose, procureur général de Paris, lui propose d’être mutée comme chef de mission au parquet de Paris, rétrogradée. Elle dit non.
On lui propose un poste à l’étranger, elle dit non. On lui propose quelque chose à l’extérieur du parquet de Paris. Écoutez, franchement, là je crois que le politique…

Patrick Jarreau : Attendez, là, on a bifurqué. Parce que vous étiez sur le secret de l’instruction. Quelles sont les mesures ? Vous disiez qu’il faut prendre des mesures législatives. Alors lesquelles et visant qui ? Visant la presse ?

Philippe Douste-Blazy : Non, je pense… Tout ce raisonnement pour vous dire que ce n’est pas un problème de presse, que ce n’est pas un problème de juge, pour répondre à vos deux questions, mais que c’est un problème de présomption d’innocence et je crois que Madame Guigou ferait bien, aujourd’hui, d’écouter l’opposition et en particulier I’UDF sur son texte si elle veut que ce texte soit ratifié et soit voté à Versailles, en Congrès, et qu’elle comprenne évidemment, réfléchir à tout ce que nous proposons.

Patrick Jarreau : D’accord, mais vous proposez quoi sur le secret de l’instruction ? Pour l’instant, vous n’avez fait aucune proposition.

Philippe Douste-Blazy : Attendez ! Nous, nous disons que la chose la plus importante avant tout, c’est, avant la mise en examen, qu’il y ait ces débats contradictoires. Dès l’instant où vous avez un débat contradictoire et public, avant la mise en examen, vous n’avez plus les problèmes de l’enquête dont je vous parle, qui est l’enquête dans les médias.

Olivier Mazerolle : L’enquête peut durer deux ans.

Philippe Douste-Blazy : Oui.

Olivier Mazerolle : Est-ce que vous souhaitiez qu’il y ait plusieurs débats contradictoires au fur et à mesure que l’enquête se déroule ?

Philippe Douste-Blazy : Mais évidemment. Est-ce que vous trouvez qu’il est normal, vous, qu’un ministre démissionne alors qu’il n’est pas encore mis en examen et qu’il est peut être innocent ? Est-ce que vous trouvez que c’est normal ? J’espère, j’espère que vous trouvez cela tout à fait anormal.
Donc, la seule solution que c’est avant la mise en examen, qui veut dire condamnation aujourd’hui, c’est comme hier l’inculpation voulait dire condamnation. Donc, on pourrait changer les mots. On peut en trouver un troisième, puis un quatrième. Ça sera toujours condamnation.
Donc, il faut que l’espace médiatique puisse exister normalement, avant qu’il n’y ait une condamnation et qu’il y ait une grande discussion, publique, transparente et contradictoire. Alors, vous verrez que les choses changeront. C’est ce que nous avons demandé.

Patrick Jarreau : Ça veut dire qu’il n’y aura plus de secret de l’instruction, en fait, si je vous comprends bien ? On instruira à ciel ouvert et contradictoirement.

Philippe Douste-Blazy : Évidemment.

Patrick Jarreau : Donc, on supprime le secret de l’instruction.

Philippe Douste-Blazy : C’est ce que certains ont proposé depuis longtemps.

Olivier Mazerolle : Alors, ça veut dire que l’enquête, tout au long de l’enquête, puisque celle-ci, après la mise en examen, peut encore durer un certain temps, peut durer plusieurs mois, il y aura d’autres débats contradictoires ?

Philippe Douste-Blazy : II y aurait débats contradictoires et il y a une deuxième chose dont il faut parler, puisque vous me parlez du texte de loi de Madame Guigou, qui est le problème des indications personnelles que peut faire, des instructions individuelles, que peut faire un ministre de la justice par rapport aux affaires un peu sensibles. Et là, je voudrais quand même dénoncer l’hypocrisie générale.
Car je ne sais pas si vous avez vu, hier, l’enquête de la SOFRES qui a paru dans un hebdomadaire samedi matin ? On demande aux Français : « Est-ce que vous êtes pour que la justice soit plus indépendante ? » 80 % disent « oui ». Deuxième question : « Même si la justice est plus indépendante, le parquet est plus indépendant du politique, est-ce que vous croyez que le politique va quand même influencer le cours de la justice ? ». 80 % répondent « oui ». Pourquoi ? Parce qu’il y a ces fameuses relations. Moi, je crois que Madame Guigou a tort de dire : « Moi, je suis la première ministre de la justice à ne jamais faire d’instruction individuelle. Je ne vois rien, je n’entends rien, je ne fais rien. »

Olivier Mazerolle : Vous ne la croyez pas ?

Philippe Douste-Blazy : Attendez ! Non seulement je ne la crois pas, mais je dis que, tant que dans le texte de loi qu’on nous propose, il n’y a pas une définition précise, précise, de ce que peut faire un ministre de la justice dans ce type de relations entre le parquet et lui-même, tant que ce n’est pas vraiment écrit noir sur blanc dans la loi…

Olivier Mazerolle : Vous pensez à quoi là ?

Pierre-Luc Séguillon : Je croyais qu’il n’y avait plus d’instruction individuelle ?

Philippe Douste-Blazy : Non, mais attendez. S’il n’y a pas d’instruction individuelle, alors vous reviendrez à la bonne époque ou à la très mauvaise, néfaste, horrible époque du coup de téléphone. Et si ce n’est pas le ministre de la justice, vous voyez que je n’ai pas la langue de bois, si ce n’est pas le ministre de la justice qui téléphone, ça sera son directeur de cabinet ou son chargé de mission ou son conseiller technique. Donc, qu’elle ne nous raconte pas n’importe quoi.

Patrick Jarreau : Donc, vous préféreriez qu’on maintienne les instructions écrites, alors, avec obligation qu’elles soient écrites ?

Philippe Douste-Blazy : Attendez, je vais vous dire. Moi, je souhaiterais qu’on revienne à 1993 avec ce qu’avait proposé Pierre Méhaignerie qui était un excellent garde des Sceaux.
Premièrement, il est interdit pour un ministre de la justice de donner des instructions pour placer un dossier sans suite. C’est l’affaire Urba, 1991, où Monsieur Nallet, ministre de la justice socialiste, avait dit au procureur général : « Écoutez, non, arrêtez. Classez sans suite ».
Ça, c’est fini. II faut l’interdire.
Deuxièmement, il faut permettre, à l’inverse, au ministre de la justice, d’écrire noir sur blanc, en toute transparence, de continuer à instruire un dossier.
Et c’est l’exemple des sectes qui ont un jour, souvenez-vous, infiltré le système policier et judiciaire d’une raison et là, il est normal que le ministre de la justice puisse se dire, noir sur blanc, il faut continuer à poursuivre.

Pierre-Luc Séguillon : Est-ce que des instructions écrites empêchent d’utiliser le téléphone ? Excusez-moi, je ne comprends pas pourquoi ?

Philippe Douste-Blazy : C’est très différent. C’est que, si les instructions individuelles sont écrites et versées au dossier, ça veut dire qu’il est absolument interdit de faire sans. C’est très important. S’il est écrit dans la loi que les instructions individuelles sont possibles, mais il faut les écrire et les verser au dossier, ce qui est tout à fait normal. Je veux dire, prenez une vague d’attentats, comme en 1995. II me paraît quand même normal que le politique, le chef du gouvernement, via le ministre de la justice, puisse dire à ses 33 procureurs généraux, voilà la politique de l’État en matière d’attentats. Ça, ce sont des instructions.

Olivier Mazerolle : Alors, juste encore un mot. Vous êtes prêt à voter un énorme accroissement du budget de la justice. Parce qu’il faudra beaucoup de magistrats pour mettre en application...

Patrick Jarreau : C’était la raison, d’ailleurs, pour laquelle le gouvernement, auquel vous participiez, avait annulé la collégialité que vous revendiquez maintenant. En 1993, vous y aviez mis fin, avant même qu’elle ne commence, à vrai dire.

Philippe Douste-Blazy : Moi, je trouve que le budget du ministère de la justice est trop bas. Je ne le dirai pas de tous les ministères. Mais, celui-là est parfaitement trop bas. Je crois que nous avons – enfin ce n’est pas je crois, je suis sûr –, nous avons le même nombre de magistrats aujourd’hui qu’en 1920. Nous avons quatre fois moins de magistrats qu’en Allemagne et il faut désengorger les tribunaux. Le président de la République avait dit : « Il faut rendre une justice plus impartiale. II faut aussi qu’elle soit plus proche et il faut qu’elle soit plus efficace et plus rapide ». Je crois que là pour être plus proche, plus rapide et plus efficace, il faut multiplier le nombre de juges, ça me paraît important.

Olivier Mazerolle : Alors, parlons de la MNEF, maintenant. L’autre semaine, le RPR avait posé une question directe à M. Jospin qui lui avait permis de faire la réponse que l’on connaît. Cette semaine, c’est Démocratie libérale qui est montée au feu, mais I’UDF est d’une discrétion exemplaire. Pourquoi ?

Philippe Douste-Blazy : Écoutez, cela fait deux semaines que l’affaire de la MNEF a éclaté, que Monsieur Strauss-Kahn, en tout cas, a démissionné. Nous avons eu jusqu’à maintenant six questions d’actualité, il y en a eu cinq sur la MNEF. Peut-être que vous ne regardez pas Monsieur Mazerolle, tous les mardis après-midi et tous les mercredis après-midi.

Olivier Mazerolle : Non, je n’ai pas entendu de questions de I’UDF au gouvernement.

Philippe Douste-Blazy : Non, la question que nous avons posée est très simple. En fait, il y a deux questions intéressantes sur le problème de la MNEF et du PS.
Première question d’actualité en effet, la deuxième sur le fond.
Première d’actualité : est-ce que les cotisations sociales payées par les salariés, par les Français et par les étudiants, parce qu’on ne parle jamais des étudiants. C’est une mutuelle étudiante. Et par les étudiants, ont servi à payer ou à renflouer les caisses du Parti socialiste. Et là, l’ancien secrétaire du PS, Monsieur Jospin, aujourd’hui Premier ministre, qui a quand même été premier secrétaire du PS de 81 à 87 et de 95 à 97, nous dit non. Alors, question subsidiaire : si ça n’a pas servi à renflouer les caisses du PS, est-ce que ça a servi – les cotisations sociales toujours – ont servi à enrichir personnellement des dirigeants du parti ou des cadres de la MNEF. Ça, il y a une enquête qui est faite. La justice, j’y crois personnellement. C’est pour ça d’ailleurs que c’est Madame Fugerasse était vraiment mutée pendant les vacances de Noël, je crois que ça serait commencer le siècle avec un scandale d’État. Bon.
Deuxième question qui est importante, c’est la question de fond, c’est le financement des partis politiques.
Chaque fois que l’on parle du financement du parti politique, on parle uniquement des campagnes électorales. Or, un parti politique a besoin d’argent pour deux choses : pour les campagnes électorales, c’est important. D’ailleurs, la loi de 90 règle ce problème et je dois dire que, depuis la loi de 90, on a beaucoup plus de modestie dans la communication des partis politiques pendant les campagnes, c’est très bien. Et aujourd’hui, il serait fou, il faudrait d’ailleurs punir les gens, si ce n’était pas le cas.
Deuxièmement, il y a le bon fonctionnement d’un parti politique. Comment marche un parti politique ? Par des militants. Et bravo et merci aux militants qui sont bénévoles. Mais on ne peut pas leur demander tout et n’importe quoi aux militants. S’il n’y a pas de militants, il n’y a pas de partis politiques. S’il n’y a pas de partis politiques, il n’y a pas de démocratie. Mais il y a aussi les permanents. Et bien, les permanents, c’est la solidité, la pérennité, la continuité d’un parti politique. S’il n’y a pas de permanents dans un parti, alors le parti devient une machine à slogans, une machine à élections.

Olivier Mazerolle : Donc, vous voulez un financement ?

Philippe Douste-Blazy : Donc, je dis. Je pose le problème. Je dis qu’aujourd’hui, on voit que les partis politiques, pour payer leurs permanents, se sont, gauche à droite, s’adossent – parfois peuvent s’adosser – sur des structures qui sont déjà payées. Et je voudrais faire ici deux comparaisons très rapides. Une européenne et une dans notre pays.
Européenne, en Allemagne, il y a des fondations qui, sur lesquelles peuvent s’adosser les partis politiques. Et ces fondations reçoivent de l’argent de manière très transparente, de l’argent public. Et si vous prenez une fondation qui est proche du centre droit en France, elle reçoit plus d’argent à elle toute seule que l’ensemble des partis politiques en France.
Et deuxièmement, si vous prenez les syndicats en France, vous vous apercevez que les syndicats peuvent fonctionner avec des permanents, des salariés, mis à la disposition soit par la fonction publique, soit par les entreprises. Je ne dis pas qu’il faille faire pareil. Je dis qu’il faudra un jour poser la question des permanents dans les partis politiques.
Ça sera beaucoup moins hypocrite. Parce que, vous savez, aujourd’hui, on fait des grands procès, à gauche comme à droite, qui ont fait marcher les partis politiques, il y a encore six ans, et bien ces gens-là, tout le monde savait qu’il fallait bien qu’ils se débrouillent.

Patrick Jarreau : C’est peut-être aux dirigeants de l’ancien CDS de votre parti, qui vont comparaître le mois prochain, pour infractions aux règles de financement des partis.

Philippe Douste-Blazy : Je voudrais dire qu’en ce qui me concerne, je suis d’autant plus à l’aise, que je n’avais pas de responsabilités en 1990. Je suis très à l’aise pour en parler. Ils n’ont jamais enfreint la loi de 1990. Vous savez, il y a un problème de deux chèques pour le CDS qui ont été décidé avant la loi de 1990 et qui ont été versés après la loi. C’est donc un cas qui fera jurisprudence, qui sera intéressant pour beaucoup de personnes en France. Est-ce que le juge va estimer que c’est la date de la décision ou la date du versement ? J’ajoute que ni Monsieur Méhaignerie, ni Monsieur Baroud, ni Monsieur Bosson n’ont un procès, ni parce qu’il y a enrichissement personnel, ni parce qu’il y a corruption, ni parce qu’il y a détournement de fonds publics. Je le dis, pour que l’amalgame ne soit pas fait.

Olivier Mazerolle : Bien, nous allons marquer une pause pour les informations de 19 heures. Et puis tout de même, on va parler de la cohabitation. La controverse Chirac/Jospin, une question de Patrick Jarreau.

Patrick Jarreau : Oui, depuis la démission de Dominique Strauss-Kahn à laquelle on faisait allusion tout à l’heure, le débat entre le président de la République et le Premier ministre a pris une curieuse tournure. Le Premier ministre met en cause le président de la République sans le nommer à propos de la situation des affaires parisiennes. Le président de la République lui répond en l’accusant de manquer de sang-froid. Jacques Chirac a redit ça d’une autre manière, samedi, en parlant des hommes politiques qui s’affolent et qui sont dangereux. Alors est-ce qu’il y a un changement dans la cohabitation, est-ce que ce climat peut durer pendant deux ans et demi ?

Philippe Douste-Blazy : On va dire que l’on est habitué aux cohabitations de transition qui durent deux ans et qui arrivent en fin de septennat. Et là, nous rentrons dans des terres inconnues de la cohabitation. On voit très bien que le débat présidentiel qui existera dans quelques mois…

Patrick Jarreau : Qui existe déjà, semble-t-il !

Philippe Douste-Blazy : Oui. II tournera autour de deux grands axes. D’abord, l’axe de questions de société. On voit bien le financement des retraites, l’éducation, la possibilité pour les enfants de rentrer dans les nouveaux moyens de communication, les grands sujets, l’environnement, etc. L’éthique et puis le débat institutionnel et, moi, je ferais partie de ceux qui pensent, qui vont défendre l’idée du quinquennat, du quinquennat de cohérence, c’est-à-dire un mandat présidentiel à cinq ans avec une simultanéité des élections, on va dire des élections législatives trois semaines après l’élection présidentielle.

Patrick Jarreau : Mais est-ce que ça vaut dans votre esprit pour les mandats en cours ou c’est pour l’avenir ?

Philippe Douste-Blazy : Alors, vous pouvez pas demander, aujourd’hui, au président de la République d’aller au-delà des institutions et de faire des modifications qui méritent un énorme débat national. Enfin je veux dire, ça ne peut se passer que dans une campagne, me semble-t-il, une campagne nationale en particulier présidentielle. Là, je crois, il y aura un vrai débat en effet. Est-ce qu’il est bon, je crois qu’il faut essayer d’éviter, au maximum quand même, la cohabitation parce qu’on voit très bien que l’esprit de la Ve République, c’est d’avoir un président et un Premier ministre d’une même couleur politique.

Pierre-Luc Séguillon : En attendant ce débat sur les institutions, est-ce que l’on va bientôt voir la proposition de loi de François Bayrou et j’imagine, cosignée par vous, pour que les élections législatives aient lieu après les présidentielles ?

Philippe Douste-Blazy : Oui, mais il l’a dit.

Pierre-Luc Séguillon : Il l’a dit, mais c’est un peu comme l’arlésienne. On ne la voit pas venir

Philippe Douste-Blazy : Non, pas du tout ! On a eu un comité exécutif, aujourd’hui, de l’UDF.

Pierre-Luc Séguillon : Dites-nous alors !

Philippe Douste-Blazy : Nous en avons parlé : nous sommes évidemment, et les sénateurs et les députés, qui étaient présents à ce comité exécutif, ont dit qu’ils allaient évidemment se retourner devant leur groupe pour en discuter. En tout cas, on sera nombreux à déposer une proposition de loi comme celle-là. Alors est-ce que ce sera au moment d’une fête parlementaire ? Ou est-ce que ce sera en dehors, je ne le sais pas encore, il faut que nous en discutions.

Pierre-Luc Séguillon : Simplement une précision, on avait cru comprendre que ça viendrait avant la fin de l’année, c’était une erreur !

Philippe Douste-Blazy : Ah oui, mais François Bayrou peut déposer cette proposition à tout moment et y compris dans les… D’ailleurs, ce ne sera pas uniquement pour 2002, ce sera en général. Vous savez une proposition de loi qui sera plus générale, mais je lui laisse le soin de vous en parler.

Patrick Jarreau : Vous disiez, à l’instant, que l’on entrait avec la cohabitation dans une zone inconnue pour la période qui vient. Est-ce que ça veut dire que, dans votre esprit, la situation dans laquelle on se trouve maintenant, est très incertaine et que tout peut arriver d’ici ou avant 2002 ?

Philippe Douste-Blazy : Non mais je prends un exemple. Le président de la République a eu raison de tirer le signal d’alarme à un moment donné, lorsque le ministre des affaires sociales en personne a expliqué qu’elle allait payer les 35 heures, elle ne savait plus comment payer les 35 heures, donc elle voulait les payer sur l’UNEDIC. L’UNEDIC ça dépend des partenaires sociaux, bon il l’a dit, il a eu raison, je crois, que c’est son rôle à un moment donné, d’être le garant des grands sujets comme le paritarisme. Alors la cohabitation arrive à un moment où le gouvernement arrive à la fin…

Olivier Mazerolle : Hier il a pas parlé de çà. Il a dit : un homme politique doit toujours rester maître de soi. Les gens qui s’affolent, sont toujours dangereux. Ça, c’est une attaque personnelle !

Philippe Douste-Blazy : Non, on a tous été, pour tout vous dire franchement un petit secret, on a tous été un peu étonnés, pas choqués mais un petit peu étonnés, de la manière avec laquelle le Premier ministre a répondu l’autre jour. C’était un peu, on avait l’impression un peu trop…

Pierre-Luc Séguillon : Un renvoi de l’ascenseur !

Philippe Douste-Blazy : Oui, enfin on trouvait ça un petit peu étonnant qu’à l’occasion…

Pierre-Luc Séguillon : Pour les affaires, regardez de l’autre côté, disait-il !

Philippe Douste-Blazy : Oui enfin, il y avait quand même son principal ministre, le ministre de l’économie et des finances et de l’industrie, c’est pas rien quand même, qui a démissionné dans une ambiance de scandale financier. Bon, on verra ensuite s’il est innocent ou pas. Je ne dis pas ça mais, dans une ambiance quand même, sale ambiance, bon... Nous avons tous à l’Assemblée, vous en parliez sur RTL, vous en parliez sur LCI, dans « Le Monde », on ne parlait que de ça depuis quatre jours. Il me semblait quand même normal que la représentation nationale puisse poser une question au Premier ministre. Ce n’était pas quand même tout à fait anormal. II a répondu de manière excessivement sèche, pas du tout sur le fond d’ailleurs, et en disant : voyez du côté de la mairie de Paris. Franchement, c’était un peu court !

Patrick Jarreau : Mais quand même sur ce point, vous disiez, tout à l’heure, parlant de la démission de Dominique Strauss-Kahn, quand on est soupçonné, on ne peut pas parler au nom de la France, mais on peut être soupçonné et parler au nom de Paris ?

Philippe Douste-Blazy : Alors là, je me doutais de cette question. Vous posez la question de la responsabilité politique dans notre pays. Quand vous êtes maire, nous n’êtes pas nommé maire ; vous êtes élu maire ; vous êtes responsable devant vos concitoyens.
Lorsque vous êtes élu au suffrage universel, vous engagez régulièrement votre responsabilité politique, tous les cinq ans si vous êtes député, tous les six ans si vous êtes maire et donc les citoyens peuvent ajouter à la sanction judiciaire éventuelle, une autre sanction s’ils le souhaitent – la sanction politique –, ils votent plus pour vous ; vous êtes battu. Quand vous êtes nommé ministre, directeur de cabinet, chargé de mission, conseiller technique dans un cabinet ministériel, préfet, haut fonctionnaire, là vous n’avez, si vous êtes suspecté, que la sanction judiciaire devant vous et il se trouve qu’aux yeux…

Patrick Jarreau : Vous pouvez être battu aux élections ensuite !

Philippe Douste-Blazy : Quand vous êtes préfet ou ministre, vous n’êtes pas obligatoirement maire !

Patrick Jarreau : Non, bien sûr !

Philippe Douste-Blazy : Vous pouvez ne pas être élu du tout. Non, mais c’est très important parce qu’il n’y a que la sanction judiciaire devant vous et l’opinion publique presse de plus en plus pour qu’il y ait des sanctions politiques avant, mais c’est deux cas différents donc la responsabilité politique est engagée par un maire et dans le cas précis…

Patrick Jarreau : Dans le cas de Jean Tibéri donc, vous trouvez normal qu’il ne démissionne pas !

Philippe Douste-Blazy : Non, dans le cas de Jean Tibéri, c’est à lui à juger, mais enfin, avec ce que l’on a dit depuis le début, j’ai envie de dire qu’il faut quand même faire attention avant de porter atteinte gratuitement à la dignité d’un homme s’il n’est pas condamné. On ne le fait pas pour Monsieur Strauss-Kahn…

Patrick Jarreau : Non, mais il est mis en examen, comme Monsieur Strauss-Kahn ne l’est pas d’ailleurs, pas encore !

Philippe Douste-Blazy : Voilà. Non d’accord, mais enfin, « mise en examen » ne veut pas dire condamnation. C’est Monsieur Mazerolle qui nous l’a dit tout à l’heure donc tant qu’on n’est pas…

Olivier Mazerolle : Ce n’est pas moi qui le dit. C’est la vérité !

Philippe Douste-Blazy : C’est la vérité. Voilà oui, mais je préfère le dire quand même parce qu’au bout d’un moment…

Patrick Jarreau : Non, je voudrais comprendre pourquoi l’un devait démissionner d’après vous et pourquoi…

Philippe Douste-Blazy : Vous expliquez qu’il y en a un qui est élu et qui donc engage sa responsabilité politique régulièrement, l’autre est nommé et il n’y a pas là, il ne peut pas engager sa responsabilité politique puisqu’il est nommé, il n’est pas élu. C’est très important comme différence, très, très important et Monsieur Tibéri doit savoir ce qu’il doit faire. Il se représente ou il ne se représente pas, ça c’est autre chose. Ça le regarde.

Olivier Mazerolle : II n’y a pas si longtemps, des sondages indiquaient que vous ne seriez pas si mal placé que cela, en cas de candidature à Paris, c’est une idée qui vous tente ? Aux municipales, j’entends.

Philippe Douste-Blazy : En tout cas, puisqu’on parlait de Monsieur Tibéri, sachez que je ne hurle pas avec les loups. Je ne suis pas qui hurlent avec les loups et je ne suis pas de ceux qui ouvrent les successions avant l’heure.
Pierre-Luc Séguillon : Donc vous pourriez aussi aller à Toulouse !

Philippe Douste-Blazy : Voilà…

Olivier Mazerolle : Ah non mais, à Toulouse, c’est différent. On dit que Dominique Baudis ne veut pas se représenter. Et qu’il va le dire bientôt de surcroît !

Philippe Douste-Blazy : Je vais vous proposer quelque chose : invitez Dominique Baudis ici. Je pense que c’est lui qui est en pleine possession de ses moyens et qui a la ville qui marche le mieux en France…

Olivier Mazerolle : Ça veut dire que vous ne serez candidat à Toulouse que si Dominique Baudis n’est pas candidat ?

Philippe Douste-Blazy : Ah ! Me présenter contre Dominique Baudis, jamais !

Olivier Mazerolle : Bon et contre Jean Tibéri ?

Philippe Douste-Blazy : Non mais je vous dis, ce n’est pas moi qui vais ouvrir les hostilités avant l’heure de quoi que ce soit. La gauche n’a pas encore dit ce qu’elle faisait…

Olivier Mazerolle : Vous ne dites pas jamais là…

Philippe Douste-Blazy : Non mais attendez ! J’ai déjà dit mille fois que je ne grossirai pas la liste, non, de ceux qui se croient être prétendants et qui ont des ayant-droits à la mairie de Paris. Je n’ai pas d’ayant droit à la mairie de Paris.

Pierre-Luc Séguillon : Pardonnez-moi une curiosité, qu’est-ce que vous dites aux habitants de Lourdes comme ça au passage ?

Philippe Douste-Blazy : Je leur parle beaucoup de tous les problèmes qui existent aujourd’hui à Lourdes…

Pierre-Luc Séguillon : Pour 2001 !

Philippe Douste-Blazy : J’essaie d’augmenter le moins possible les impôts locaux et j’essaie de préparer le jubilé de l’an 2000 où, j’espère, on vous verra tous les trois !

Pierre-Luc Séguillon : Vous leur en dites pas plus pour 2001 ?

Philippe Douste-Blazy : Pour 2001 ? Mais on ne va pas ouvrir la campagne municipale trop tôt à Lourdes non plus.

Olivier Mazerolle : Bon alors, le PACS ! Le président de la République, quelques jours avant que le Conseil constitutionnel ne se décide, a dit ses critiques sur le PACS, mais le Conseil constitutionnel estime que, finalement, le PACS est conforme à la Constitution et il va entrer en vigueur très rapidement, a dit Madame Guigou, avant la fin du mois de novembre, vous avez eu tort de lutter contre le PACS ?

Philippe Douste-Blazy : Non, nous, nous prenons acte de ce que vient de dire le Conseil constitutionnel, je dis simplement deux choses : en lisant ce qu’a dit le Conseil constitutionnel, je m’aperçois que, ce que nous avions malheureusement dénoncé, à l’époque, était réalité. C’est que celui qui est le plus faible, qui pouvait être laissé dans le cadre du PACS, celui-là sera, aura, je dirais, un filet de sécurité supplémentaire depuis le Conseil constitutionnel et ainsi on arrive à une institution qui est très proche du mariage, et donc l’hypocrisie du gouvernement, qui n’osait pas dire que c’était, en fait, pour les couples homosexuels. Et bien le Conseil constitutionnel a aussi tranché ; il a dit qu’en raison des incestes, il ne le ferait pas pour les fratries.
Voilà et donc je pense que l’on aurait pu, si on avait eu un vrai débat qui n’était pas hypocrite, le vrai débat était le suivant : est-ce que, oui ou non, on mettait en place une loi de finance, des mesures législatives qui permettaient d’avoir de meilleurs droits de succession, des meilleurs droits de mutation pour des couples homosexuels car on sait et on est bien placé, depuis l’affaire du SIDA, qu’il y a des drames dans ces couples-là aussi.

Olivier Mazerolle : En cas de retour au pouvoir, vous reviendrez sur le PACS ?

Philippe Douste-Blazy : Ça ne se pose pas dans ces conditions, enfin je veux dire, il y aura d’abord un grand débat pour savoir ce que l’on fait. À titre personnel, je ne veux pas donner l’impression d’une opposition revancharde qui va revenir sur tout ce que fait la République aujourd’hui, je veux dire, il faut dépasser et un peu élever le niveau.

Pierre-Luc Séguillon : Alors vous avez été ministre de la santé et j’imagine que vous suivez avec beaucoup d’intérêt ce qui se passe à propos du dossier de la vache folle, c’est-à-dire de la levée ou non de l’embargo. Est-ce que vous êtes, vous, sur la position partagée, semble-t-il d’ailleurs, par Matignon et l’Élysée, d’intransigeance sur la levée de cet embargo. Quitte à être en infraction avec la discipline européenne !

Philippe Douste-Blazy : II y a d’abord une question immédiate et une question de fond. La question immédiate, évidemment, il faut que la France obtienne gain de cause sur trois choses : le renforcement du contrôle, la traçabilité des animaux et bien sûr, l’étiquetage de la viande bovine britannique importée. Mais le vrai sujet n’est pas là. Le vrai sujet c’est que, tous les mois, tous les deux mois ou tous les six mois dans ce pays, je pense que c’est pareil dans d’autres pays, il y a des formules qui sont des formules derrière tout le monde s’abrite. Tout le monde s’abrite derrière ces formules qui sont magiques, qui font florès et qui ne veulent rien dire. Et là actuellement la formule, c’est le principe de précaution. Alors au début, c’est un expert qui le dit, un médecin et puis, ensuite c’est un journaliste médical, ensuite c’est un journaliste généraliste, ensuite c’est un éditorialiste comme vous, ensuite c’est un ministre, ensuite c’est le Premier ministre, ensuite c’est le chef de l’État et j’ai entendu encore, pendant ce week-end, et le Premier ministre et le chef de l’État parler de principe de précaution.
Alors moi, je voudrais en tant que médecin et épidémiologiste poser une question puisque, à RTL, sur LCI et dans « Le Monde », on entend parler que de ce mot. Qu’est-ce ça veut dire le principe de précaution ? Le principe de précaution, est-ce que c’est faire attention à ne pas importer des aliments qui contiennent beaucoup de cholestérol et qui vont entraîner des infarctus dans vingt ans ? Le principe de précaution, est-ce que c’est empêcher des aliments qui vont empoisonner l’ensemble des habitants français, des Français ? Ou est-ce que c’est empêcher l’importation d’aliments qui vont empoisonner une personne sur un million ou une personne sur 10 000, ou une personne sur 10, ou une personne sur 2, ce n’est pas pareil. Tout ça pour vous dire que c’est une affaire d’experts et il faut, c’est une affaire d’experts et il faut que les scientifiques européens puissent se retrouver et aujourd’hui nous sommes en train de vivre une crise européenne entre deux grands pays de l’Union européenne qui sont la France et l’Angleterre parce qu’il faut, en fait, bien constater un vide institutionnel au niveau européen. Et bien moi, j’ai envie de vous dire, ici : il faut combler ces vides institutionnels et il faut créer l’agence européenne et sécurité sanitaire.

Patrick Jarreau : Donc l’équivalent de celle qui existe pour la France !

Philippe Douste-Blazy : Oui, mais alors le réflexe français a été... Attendez Monsieur, j’aimerais vous poser une question importante : le réflexe français a été quoi ? Le réflexe français a été de dire, et bien nous, nous allons faire une agence française de la sécurité sanitaire. Très bien, mais l’articulation entre l’Agence française de sécurité sanitaire et le fameux comité directeur européen scientifique, évidemment, ne peut pas se faire. Alors il y a deux règles, il y a deux solutions : ou on estime et on accepte la loi communautaire ; ou alors on est en situation de rupture et il y a le retour de bâton parce que, après avoir fait l’Agence française de sécurité sanitaire, les Allemands vont faire l’agence allemande, les Anglais vont faire l’agence anglaise, etc., etc. Et on va voir le foie gras, et là je rigole pas parce que c’est dans ma région Monsieur Séguillon, vous venez d’en parler et, a fortiori le foie frais, puis le jambon, a fortiori le jambon cru, puis le fromage et a fortiori le fromage cru qui seront considérés par les agences nationales de tous ces pays comme des affreux produits dangereux. Et donc vous mettez en l’air le marché unique et vous détruisez la libre circulation des produits. Je dis que le gouvernement de Monsieur Jospin aurait dû faire attention avant et aurait dû avoir un réflexe sanitaire européen et non pas national.

Olivier Mazerolle : Oui, mais est-ce que ce n’est pas un peu contradictoire parce que, dans un premier temps, on a compris, vous appuyez la position française de refus de lever l’embargo, et puis là vous dites, c’est trop dangereux !

Philippe Douste-Blazy : Non, Monsieur Mazerolle. Je dis qu’il y a trois ou quatre mois, on aurait dû créer une agence sanitaire européenne, de sécurité sanitaire européenne. Alors là, les scientifiques anglais, les épidémiologistes allemands, français, italiens se seraient retrouvés et on aurait une position commune.

Olivier Mazerolle : Oui, mais ça n’a pas été fait. Alors qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui ?

Philippe Douste-Blazy : Bon d’accord, donc, à court terme, on fait l’histoire de l’étiquetage. Je viens de vous en parler, mais je dis que c’est pour en fait, il y a une carence et un vide institutionnel qui est très grave.

Pierre-Luc Séguillon : Mais moi, je ne comprends pas une chose. Vous dites : il y a une carence institutionnelle, mais il y a des experts européens qui se sont prononcés. Alors expliquez-nous comme médecin peut-être, comme scientifique. Comment peut-il y avoir cette divergence entre experts scientifiques français et experts européens ? Et pourquoi faut-il davantage écouter, en l’absence de cette structure européenne telle que vous l’avez définie, davantage les experts français que les experts européens, pourquoi ?

Philippe Douste-Blazy : Justement, c’est tout le problème de l’articulation entre les deux. C’est pour ça que je vous propose de sortir par le haut et de faire une agence de sécurité sanitaire européenne car, sinon, on ne pourra jamais…

Pierre-Luc Séguillon : Et là les scientifiques seront d’accords, quand il y aura une structure. Ils seront tous d’accord ?

Philippe Douste-Blazy : Vous savez les scientifiques : ils ont à gérer des conférences de consensus tous les jours, tous les jours, mais je voudrais revenir sur ce qui me paraît encore plus grave…

Pierre-Luc Séguillon : Attendez, expliquez-moi comme scientifique pourquoi, à votre avis, il y a cette divergence entre des experts scientifiques français et des experts scientifiques européens ? Parce qu’il y en a qui sont chauvins et d’autres qui sont européens ?

Philippe Douste-Blazy : Non, parce que, Monsieur Séguillon et j’allais le dire, j’y arrive, le risque zéro en médecine n’existe pas. Le risque zéro n’existe pas et c’est pour ça que la fameuse phrase de principe de précaution, qui va devenir, si on n’y fait pas attention, le syndrome de précaution, est évidemment très grave. Pourquoi ? Parce que si vous le mettez dans la bouche de commerciaux et d’industriels, il y a beaucoup d’argent à gagner ou à perdre ; et si vous le mettez dans l’argent des politiques politiciens, il y a beaucoup d’élections à gagner ou à perdre ; et donc je préfère que ce soient ni les uns, ni les autres, mais que ce soit aussi une agence européenne de la sécurité sanitaire, reconnue par tous, qui puisse prendre ses responsabilités. Mais attendez, je voudrais dire un mot. Qui entend-on depuis maintenant deux mois sur ce sujet ? On entend beaucoup Monsieur Glavani, je le connais, ancien député des Hautes-Pyrénées. On entend Monsieur le Premier ministre. On entend Monsieur Chirac. On entend les partis politiques. Il y a une personne que l’on n’entend jamais…

Pierre-Luc Séguillon : Madame Gillot…

Philippe Douste-Blazy : Oui. Qui est Madame Gillot ? C’est le ministre de la santé. Alors ce n’est pas du tout une attaque ad nominen, je ne la connais pas. Elle est probablement très compétente, mais on ne l’entend pas et il est très grave de ne pas entendre le ministère de la santé, aujourd’hui dans cette affaire. Nous sommes en France, aujourd’hui, encore sous le choc. On ne s’est jamais remis du scandale du sang contaminé parce que il y a eu une triple faillite : la faillite politique, c’est vrai ; mais aussi la faillite administrative ; et la faillite médicale. Et depuis, on n’ose plus rien dire. On laisse faire ça à des agences. Le politique ne reprend plus le dessus. Et bien, il faut, en cette fin de siècle, surtout en ce début de 21e siècle, qu’il y ait des ministères de la santé qui parlent haut et fort. Franchement est-ce que vous croyez qu’il est normal de parler au plus haut niveau de l’État de syndrome, de principe de précaution alors que rien n’est fait sur le plan préventif en France pour diminuer l’incidence du cancer du sein chez la femme qui tue plus de 111 000 femmes de moins de 50 ans par an ? Est-ce que c’est normal qu’on ne fasse pas une mammographie obligatoire et gratuite à partir 50 ans en France ? Est-ce qu’il est normal qu’on fasse l’amalgame entre les trois cas de mort de l’encéphalopathie spongiforme bovine, la vache folle pour l’homme et l’amiante avec des millions d’étudiants aujourd’hui qui respirent l’amiante dans leurs universités ? Est-ce qu’il est normal de ne pas diminuer le prix du préservatif dans ce pays, alors qu’on sait que c’est la seule solution pour diminuer les épidémies de VIH, de SIDA et d’hépatite B. Enfin, on est fous ! Alors le principe de précaution, sachez que c’est très important. Je suis oui pour, mais oui à la rigueur, oui à la fermeté, non au fantasme et à la peur collective. Parce qu’il y a des Français qui nous écoutent, qui nous entendent et c’est trop facile de leur faire peur.

Pierre-Luc Séguillon : Vous avez l’impression qu’il y a eu un peu de démagogie politique dans cette affaire ?

Philippe Douste-Blazy : Évidemment. Alors je suis pour que les épidémiologistes se mettent au travail ; je suis pour qu’il y ait une agence européenne, d’ailleurs on parle de l’OMC beaucoup actuellement avec l’organisation mondiale du commerce, avec Seattle qui commence, mais la première des choses à faire aussi, c’est qu’il faudra faire une agence sanitaire mondiale parce que, sinon, ce seront des milliards de dollars derrière…

Olivier Mazerolle : II y a une guerre avec les États-Unis autour du bœuf aux hormones en particulier !

Philippe Douste-Blazy : Bien sûr, donc il faut qu’il y ait quand même des experts indépendants car sinon les lobbies feront en sorte qu’on mettra la santé des gens en France devant, on mettra les peurs collectives et ça c’est horrible. C’est prendre les gens pour rien, pour des animaux…

Olivier Mazerolle : Mais vous trouvez encore une fois que l’agence française, composée pourtant d’experts, a été soumise à une pression, est moins crédible par exemple ?

Philippe Douste-Blazy : Non, je n’ai pas dit ça !

Olivier Mazerolle : Non, mais pourquoi alors serait-elle plus ou moins crédible que le comité scientifique directeur de l’Union européenne qui, lui-même, est composé également de scientifiques ?

Philippe Douste-Blazy : Parce que c’est la Commission qui a dépêché le comité directeur scientifique européen, que ce n’est pas le Conseil européen qui l’a décidé et que l’agence de sécurité sanitaire européenne n’est pas encore définie. Le jour où elle sera définie, vous verrez qu’il n’y aura plus de problèmes.

Olivier Mazerolle : Bon alors…

Pierre-Luc Séguillon : Attendez, je peux poser encore une question là-dessus ? Quelle est la bonne méthode ?

Philippe Douste-Blazy : Vous mangez du bœuf, Monsieur Séguillon ? Ça vous intéresse !

Pierre-Luc Séguillon : Quelle est la bonne méthode ? Est-ce qu’il s’agit pour prévenir de démontrer l’innocuité ou de démonter le risque ? On voit bien qu’il y a deux approches : approche américaine, approche française, approche de l’agence française, approche des experts européens. Quelle est la position que vous avez, comme ancien ministre de la santé, sur ce sujet ?

Philippe Douste-Blazy : Moi, je voudrais pas devenir trop technique, là dans cette affaire, mais ça va être un peu technique et je m’en excuse. II y a aujourd’hui des immuno-tests qui sont évidemment développés – je ne voudrais pas faire la publicité pour l’un d’entre eux –, mais qui existent en Suisse, qui existent dans beaucoup de pays, en particulier l’Angleterre, qui n’existent pas encore en France. J’ai écrit, il y a quelques heures, au ministre de la santé, des affaires sociales, Madame Aubry qui est responsable et également à Monsieur Glavany : il faut que nous fassions le plus vite possible des tests sur les cerveaux des vaches qui sont importées parce que là on peut voir, il y a une fenêtre, en effet, où ils peuvent être séropositifs sans qu’on le sache, mais il y a aussi une grande partie de la fenêtre où on sait si ces vaches sont porteuses du prion. Alors je crois que c’est ça qu’il faut développer par l’intermédiaire de protéases et il faut exactement, comme à l’époque du sang contaminé, il y a des publications qui montrent aujourd’hui que, si on fait ces tests, on sait. Donc, je demande à ce qu’on les fasse.

Olivier Mazerolle : Parlons maintenant un peu d’économie et de social. On vient sur les stocks options de voir le cas de Monsieur Jaffre qui est parti, semble-t-il, avec beaucoup, beaucoup d’argent et beaucoup de stocks options et vous, vous vous préparez à faire une proposition demandant l’extension des stocks options. Est-ce que c’est vraiment le moment ?

Philippe Douste-Blazy : Oui, parce que nous changeons de monde. Je crois que, aujourd’hui, nous vivons le paradoxe de voir des entreprises qui n’ont jamais fait autant de bénéfices et, en même temps, qu’est-ce que voient les salariés ? Ils voient un gel de leur salaire et les salariés paient par leur salaire, et parfois par leur emploi, les exigences de la productivité de la rentabilité. En gros, il y a deux grands modèles dans le monde : le modèle américain, capitaliste et froid, qui sait très bien produire et qui ne sait pas distribuer ; et le modèle européen qui est socio-démocrate, en général aujourd’hui, et qui ne sait pas très bien produire, qui distribue beaucoup. Et bien moi, je vous dis aujourd’hui qu’il faut que nous nous lancions dans une grande loi de la participation, de l’intéressement et, en particulier, sur les stocks options. Très simple : ou un salarié travaille dans une entreprise privée qui est cotée en bourse, et alors là, au salaire doivent s’associer les actions ou les stocks options ; ou alors le salarié travaille dans une entreprise privée non cotée en bourse et alors il faut qu’il puisse s’affilier à un fond de pension. C’est cela qui va modifier les choses demain car, sinon, on vit le gel des salaires, avec les 35 heures on vit le gel des salaires et il ne pourra pas y avoir de possibilités pour les Françaises et les Français de participer aux fruits de la croissance. Ils voient que les fruits de la croissance sont formidables. Ils voient qu’il y a beaucoup de recettes fiscales en plus. Ils voient qu’il y a beaucoup plus de fonctionnaires, mais ils voient les salariés du privé qui ne partagent rien. L’UDF souhaite faire partager aux salariés du privé cette richesse.

Olivier Mazerolle : Oui, mais vous proposez ça à un moment où on constate également que les Français ne se précipitent pas vers la bourse. Au contraire même, ils ont tendance à moins s’engager en bourse que leurs voisins européens.

Philippe Douste-Blazy : Oui, c’est un drame de ce pays…

Olivier Mazerolle : C’est un drame, mais peut-être que ça ne les intéresse pas !

Philippe Douste-Blazy : Non, mais parce qu’il n’y a pas suffisamment, culturellement, de communication dans ce pays sur le problème des actions. Nous avons en France, une, toute l’épargne va vers la dette de l’État. L’épargne ne va absolument pas vers les entreprises. C’est une des caractéristiques de ce pays dans l’Union européenne. Pourquoi il faut changer ? Parce qu’aujourd’hui, il y a une mondialisation de l’économie, vous le savez mieux que moi, et qu’est-ce que font les Américains ? Non seulement ils font un système par répartition de retraite, mais ils font aussi un système de capitalisation. Tous les mois, ils mettent 400, 500 FF de côté, et quand ils mettent 500 FF de côté, non seulement eux les mettent de côté, mais leur entreprise abonde de 500 FF. Ça leur fait 1 000 FF. Et qu’est-ce qu’ils font ? Ils achètent des actions dans les entreprises américaines et maintenant ils ont acheté toutes les entreprises américaines, alors où ils viennent ? Ils viennent en Allemagne, en Italie, en France. Et bien aujourd’hui, Saint-Gobain est à 43 % sous contrôle des fonds de pension américains et Usinor à 43 % aussi. Et bien, je dis que j’aimerais autant que les cadres et les salariés, les ouvriers d’Usinor et de Saint-Gobain travaillent pour eux, plutôt que pour le retraité du Milwaukee, du Texas et de Washington. C’est une idée qui me paraît quand même normale.

Patrick Jarreau : Est-ce que, dans votre esprit, dans ce cas-là, s’agissant des fonds de pension, est-ce que les salariés français continueraient à cotiser naturellement au régime de retraite principal, mais aussi au régime complémentaire, et donc les fonds de pension viendraient s’ajouter à ça ? Et donc vous imposeriez ça aux salariés français en leur disant : il faut que vous cotisiez au régime général, au régime complémentaire et, en plus, que, enfin sauf que ce sera pas obligatoire, vous mettiez de l’argent de côté pour votre retraite ?

Philippe Douste-Blazy : Oui, c’est-à-dire que, si vous présentez les choses comme ça, en effet c’est difficile. Moi, je peux vous présenter aussi les choses de la manière suivante : si rien n’est fait, il faut trouver 300 milliards de francs dans quinze ans pour financer notre système de retraite par répartition. Où vous trouver les 300 milliards ? Soit vous multipliez par trois les cotisations – je crois qu’on crève aujourd’hui des prélèvements obligatoires –, ou alors vous baissez par trois les pensions. Moi, je connais des gens dans mon département qui vivent avec 2 500 FF par mois. Donc on ne peut pas diminuer les pensions des retraités. Donc à mon avis, la seule solution plutôt que de trouver 300 milliards, il faut en trouver 100 et puis vous faites travailler par les marchés financiers les 100 qui deviennent 300. II y a aucune raison que le monde entier le fasse et pas nous. Je vous signale que l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Grèce maintenant, l’Angleterre évidemment ont un système de fond de pension.

Pierre-Luc Séguillon : Alors d’un mot, je reviens aux problèmes de santé avec un problème qui est posé au ministère de la santé aujourd’hui, qui est celui de rétablissement des études de gynécologie. Je crois que le ministère a aussi…

Philippe Douste-Blazy : Gynécologie médicale…

Pierre-Luc Séguillon : Médicale, il y a eu une pétition signée par 400 000 personnes souhaitant ce rétablissement. Quel est votre sentiment sur ce sujet, vous qui avez été aussi ministre de la santé ? Est-ce qu’il s’agit, comme on le dit, de se suivre une discipline européenne, là aussi ?

Philippe Douste-Blazy : Non, il faut garder les études de gynécologie médicale parce que les femmes sont très attachées à leur gynécologue et, d’ailleurs, disent des choses à leur gynécologue qu’elles ne diraient pas à un médecin qui ne serait pas gynécologue. Vous savez, aujourd’hui le problème, c’est qu’il y a une filière qui est de gynécologie obstétrique et on ne fait plus que des gynécologues obstétriciens, donc des chirurgiens et des gens qui accouchent, mais la gynécologie médicale. Alors tout ça part d’une idée d’économie de santé qui me paraît être tout à fait ubuesque dans cette affaire. C’est vrai que pour demander la poursuite d’une contraception, par exemple, il y a beaucoup de gens qui disent : « c’est pas la peine d’aller chez le gynécologue qui coûte plus cher, puisqu’il est spécialiste, que le généraliste ». Mais moi, je crois qu’il y a un rapport de confiance entre une femme et son gynécologue qui est particulier, qu’il faut garder, qu’il faut conserver, et d’ailleurs un rapport de conscience entre le gynécologue et cette femme. Donc je suis pour. Je fais partie de ceux qui souhaitent que la gynécologie médicale en France perdure.

Olivier Mazerolle : Merci Monsieur Douste-Blazy, c’était votre « Grand Jury » que nous finissons donc en s’adressant à vous comme médecin. La semaine prochaine, nous recevrons Laurent Fabius. Bonne soirée à tous !