Interviews de Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État aux transports, dans "Le Parisien" du 16, à RTL le 17, RMC le 20, France 2 le 23, et dans "La Tribune" du 27 janvier 1997, sur la réforme de la SNCF, les transports en commun (notamment la revendication de la retraite à 55 ans pour les conducteurs de province) et l'application des accords récents en faveur des routiers.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC FR3 - Emission L'Invité de RTL - France 2 - La Tribune - Le Parisien - RMC - RTL - Télévision

Texte intégral

Date : 16 janvier 1997
Source : Le Parisien

Le Parisien : Les transports publics enregistrent en Île-de-France depuis quatre ans une baisse régulière de la fréquentation, de l’ordre de 1,5% à 2% par an. Quelles en sont selon vous les raisons ?

Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État aux transports : La fréquentation des transports en Île-de-France stagne en effet depuis quelques années et nous faisons tout pour enrayer ce phénomène qui a deux causes principales. Les transports collectifs ne sont pas encore assez adaptés à l’évolution des modes de vie, par exemple la dispersion de l’habitat hors des centres-villes, la diversité des horaires de travail ou la part croissante des déplacements liés aux loisirs. Par ailleurs, le sentiment d’insécurité dissuade certaines personnes, notamment les femmes, le soir, d’utiliser les transports collectifs. Ce sentiment a été malheureusement accentué par les odieux attentats qui ont lâchement frappé les passagers du RER en 1995 et en décembre 1996 à la station Port-Royal.

Le Parisien : L’augmentation régulière des tarifs des transports en commun met-elle aujourd’hui plus qu’hier en concurrence les transports publics et la voiture ?

Anne-Marie Idrac : Je pense que c’est sur la qualité du service, en particulier sur le temps de transport, la régularité et le confort, que se joue la concurrence entre les modes de transport. Sur le plan économique, prendre sa voiture pour un déplacement en Île-de-France coûte toujours beaucoup plus cher que l’utilisation des transports en commun si l’on compte l’essence, l’usure du véhicule, le stationnement… et les contraventions.

Le Parisien : Le sentiment d’insécurité ressenti par les voyageurs est fréquemment cité comme une cause de désaffection. De nouvelles mesures sont-elles prévues pour y remédier ?

Anne-Marie Idrac : Il s’agit avant tout de lutter davantage contre un sentiment d’insécurité, mais également contre les agressions verbales ou physiques, contre des voyageurs mais aussi contre des agents qui sont tout à fait inacceptables. La solution la plus efficace, c’est le renforcement de la présence humaine qui permet également de lutter contre la fraude. C’est pourquoi j’ai signé en 1996 avec les exploitants de transports urbains d’Île-de-France et de province une charte qui permettra la création de 3000 emplois de ville sur quatre ans. Par ailleurs, le nombre d’agents de la RATP déployés dans les stations ou à bord des véhicules a déjà augmenté de 1100 personnes depuis cinq ans. Nous réfléchissons également avec la RATP et la SNCF au renforcement des moyens de vidéosurveillance et je vais proposer une loi renforçant le pouvoir des contrôleurs.

Le Parisien : La baisse des recettes (la RATP annonce un déficit de 400 à 500 millions de francs pour l’exercice 1997) doit être comblée. Pour pallier ce manque à gagner, faut-il faire plutôt appel à l’usager qu’au contribuable ?

Anne-Marie Idrac : Il faut, à mon sens, contrairement aux pratiques de ces dernières années, que l’augmentation des tarifs soit moins uniforme, afin d’atténuer leurs effets dans les zones socialement fragiles ou pour les déplacements où la concurrence avec la voiture est la plus forte. Je pense en particulier à la grande banlieue.


Date : 17 janvier 1997
Source : RTL / Edition du matin

Olivier Mazerolle : Alain Juppé a déclaré que la réforme de la SNCF serait pour le contribuable. De quelle manière ?

Anne-Marie Idrac : Il faut comprendre comment cela se passe aujourd’hui. Aujourd’hui, comme on a laissé les choses, il y a une espèce de boule de neige de dettes qui s’accumulent, d’une part, et puis, d’autre part, personne ne sait finalement très bien ou cela va s’arrêter et qui paye quoi. Alors, ce que nous proposons, c’est que l’on clarifie les choses et qu’on sache maintenant que c’est à l’État qu’il revient de payer les infrastructures. On désendette la SNCF et, en quelque sorte, on met un fond au tonneau de cet endettement qu’on aurait dû de toute façon payer un jour où l’autre. Donc, plus tard ce sera, plus cher ce sera.

Olivier Mazerolle : Pour cette réforme, qui va être débattue au Sénat à partir de lundi prochain, vous vous heurtez à l’hostilité des deux syndicats majoritaires parmi les cheminots. Il y a un risque de confrontation avec les cheminots ?

Anne-Marie Idrac : Cette réforme de la SNCF, il faut savoir qu’elle a été très longuement concertée : il y a eu un an de débats, un an d’écoute, un an de rencontres et un an d’amélioration de toutes les idées sur la SNCF. Aujourd’hui, nous avons toutes les raisons de considérer, en conscience, qu’il s’agit d’une réforme qui est juste et qui est nécessaire. Elle est ressentie comme nécessaire par huit organisations syndicales sur huit et elle a été, encore une fois, faite avec un maximum d’écoute de tout ce que les cheminots avaient à nous dire.

Olivier Mazerolle : Oui mais tout de même, Bernard Thibault, responsable CGT des cheminots, disait au mois de décembre : « Si le Gouvernement impose cette réforme, on ira au clash. »

Anne-Marie Idrac : Cette réforme n’est pas imposée, cette réforme résulte d’un débat qui a duré un an, cette réforme garantit aux cheminots aujourd’hui, ce qui est tout à fait légitime, leur statut, l’unité de la SNCF, l’unité du réseau ferroviaire. Elle pose des bases de quoi ? D’une relance, d’un renouveau du transport ferroviaire et d’une nouvelle ambition pour la SNCF.

Olivier Mazerolle : Mais qu’est-ce qui vous fait penser qu’il n’y aura pas de clash comme en décembre 1995 ?

Anne-Marie Idrac : Le contexte est différent parce que les esprits ont mûri grâce aux débats que nous avons faits. Nous avons ouvert les fenêtres de la SNCF et nous avons ouvert peut-être pas mal de fenêtres dans l’esprit des Français sur ce sujet très important pour tout le pays. À la SNCF, il y a des ambitions d’aménagement du territoire de service public, d’environnement – on parle beaucoup de pollution ces jours-ci – et donc c’est quelque chose qui est maintenant beaucoup plus mûr qu’il y a un an.

Olivier Mazerolle : En décembre 1995, les députés de la majorité avaient abandonné le Gouvernement en rase campagne : cette fois-ci, s’il y avait des difficultés, ils le soutiendraient ?

Anne-Marie Idrac : Il n’y avait pas eu d’abandon du Gouvernement. La majorité a toujours été solide autour…

Olivier Mazerolle : On ne les a pas longtemps entendus.

Anne-Marie Idrac : La majorité a toujours été solide dans tous les votes autour d’Alain Juppé et de l’ensemble du Gouvernement.

Olivier Mazerolle : Oui dans les votes, mais dans la défense de la politique gouvernementale pendant la grève de décembre 1995, on ne peut pas dire que les députés étaient solidaires.

Anne-Marie Idrac : La solidarité s’est toujours exprimée dans les votes. Nous commençons par le Sénat et la Sénat a d’ailleurs beaucoup contribué à améliorer le projet avec un certain nombre d’amendements et de propositions qui ont permis de perfectionner et de consolider un dispositif français qui tient bien la route.

Olivier Mazerolle : Vous êtes gentille avec les députés. Est-ce que cette réforme de la SNCF constitue un test sur la capacité du Gouvernement à réformer la société française ?

Anne-Marie Idrac : Alain Juppé a eu l’occasion de dire à plusieurs reprises, ces derniers jours, que le temps de la réforme n’est pas derrière nous mais devant nous. Il y a la réforme de la Sécurité sociale qu’il faut mener à bien, il y a la réforme des armées, du service national, il y a la réforme de l’administration pour qu’elle soit plus proche des Français et puis il y un certain nombre de réformes nouvelles : la justice – le président de la République en a fait un enjeu très important à juste titre – et donc la réforme de la SNCF. Ce qu’il faut en retenir, encore une fois, c’est que les réformes, il faut qu’elles soient nécessaires, profondément nécessaires et ressenties comme telles, il faut qu’elles soient concertées et il faut qu’elles soient justes. C’est le cas de la réforme de la SNCF.

Olivier Mazerolle : Est-ce un test ?

Anne-Marie Idrac : C’est une volonté de réforme et d’aller de l’avant avec toutes les concertations nécessaires.

Olivier Mazerolle : Lundi dernier, M. Bon, qui est le PDG de France Télécom, nous disait que la mise en concurrence de France Télécom avait été un élément déterminant dans le changement d’état d’esprit de son entreprise. Est-ce que la SNCF peut changer d’état d’esprit ? Les cheminots peuvent-ils changer d’état d’esprit sans être mis en concurrence ?

Anne-Marie Idrac : Cela n’a rien à voir. Dans le cas de France Télécom, il y a un système de concurrence ; dans le cas de la SNCF, la concurrence est avec les autres modes de transport. Donc, ce n’est pas comme cela la concurrence. Il y a des camions, des routes et des avions, donc pas de concurrence entre compagnies de chemins de fer. Ce que nous voulons, c’est que la SNCF puisse maintenant s’occuper de ses clients, ce qui est sa seule justification de service public et d’entreprise de service, et d’entreprise tout court. Pour pouvoir s’occuper de ses clients, s’occuper des gens qui prennent le train, qui ont besoin d’être mieux informés, que les trains soient plus confortables, que les tarifs ne soient pas trop chers, etc., il faut qu’on la débarrasse de ce boulet que représente la dette. C’est ce que nous faisons, et il faut qu’on la rapproche : plus de proximité, c’est ce qu’on appelle la décentralisation.

Olivier Mazerolle : Il reste, tout de même, une grosse partie de la dette à sa charge : environ 70 milliards de francs. Comment va-t-elle se débrouiller avec ce poids ?

Anne-Marie Idrac : Nous avons pris toute la dette qui correspond à l’infrastructure, c’est-à-dire la partie dont tout le monde peut considérer qu’il est normal que ce soit l’État qui la paye de même qu’il paye les routes. La SNCF va retrouver le dynamisme pour attirer des clients, le dynamisme pour trouver des nouveaux services aussi bien pour les voyageurs que pour les marchandises – c’est très important. De telle sorte qu’elle puisse, comme elle l’a été dans le passé, devenir la meilleure entreprise d’Europe.

Olivier Mazerolle : Les cheminots vous disent : « Avec ce qu’il reste de la dette – 70 milliards de francs – et les charges qui restent sur les bras de la SNCF, comment un certain nombre de dépenses et notamment les pensions de cheminots, qui coûtent quelque 18 milliards de francs par an, vont-elles être payées ?

Anne-Marie Idrac : Cela n’a strictement rien à voir. Le système de retraite des cheminots est pris en charge par un dispositif qui tient compte de ce qu’il y a beaucoup plus de cheminots à la retraite que de cheminots en activité.

Olivier Mazerolle : C’est la SNCF qui paye la plus grosse partie de ces retraites.

Anne-Marie Idrac : Il y a une partie qui est prise par la SNCF et une partie qui est prise – une partie très importante d’ailleurs et c’est parfaitement légitime – par de l’argent public. Mais le projet industriel de la SNCF, sur lequel se mobilise L. Gallois avec, là encore, tout un ensemble de concertations extrêmement dynamiques et positives, ce sont des choses très concrètes et pratiques pour qu’encore une fois, vous, moi, l’ensemble des auditeurs aient envie de prendre le train pour que cela soit plus pratique, plus agréable, plus sympathique et en meilleure concurrence avec les autres modes de transport.

Olivier Mazerolle : Dans d’autres pays où il y a eu ce type de réforme – en Allemagne notamment – il y a eu une relance du trafic, effectivement. Cette réforme conduit à la privatisation ?

Anne-Marie Idrac : Ce n’est pas le même choix. Chaque pays fait son choix. Nous, nous avons défini, B. Pons et moi, une opération à la française, une solution originale et qui est d’autant plus profonde et forte qu’elle est ancrée sur un débat que l’on a fait dans tout le pays. Une solution française qui n’a rien à voir avec des opérations de libéralisation européennes.

Olivier Mazerolle : Ni privatisation ni mise en concurrence et les cheminots seront de nouveaux cheminots ?

Anne-Marie Idrac : Les cheminots restent cheminots, cela fait partie des acquis de la société française. Privatisation : personne n’en a jamais entendu parler ; quant à la mise en concurrence, encore une fois, elle est avec les autres modes de transport. Il n’y a pas d’interférence de libéralisation dans cette affaire-là.

 

Date : 20 janvier 1997
Source : RMC / Edition du matin

Philippe Lapousterle : En tant que membre du Gouvernement, êtes-vous inquiète, Anne-Marie Idrac, quand vous voyez, comme nous, les sondages qui viennent de paraître, indiquant qu’un certain nombre de Français sont déçus de l’action du Gouvernement et de la majorité et sont tentés par un retour des socialistes ?

Anne-Marie Idrac. Non, moi ça ne m’inquiète pas. Ce sont les propositions des socialistes qui m’inquiètent pour le pays. Par contre, ce genre d’information, qu’il faut prendre d’ailleurs avec la circonspection que l’on sait, eh bien cela nous donne à tous, aux côtés d’Alain Juppé, l’envie de continuer tranquillement et de nous préparer à tirer bientôt les résultats de la politique que nous menons.

Philippe Lapousterle : « Continuer tranquillement » c’est une chose, et avoir la confiance des Français c’est quand même nécessaire pour un gouvernement, une majorité.

Anne-Marie Idrac : Oui, la confiance du président de la république est essentielle et puis le sentiment, très profond, que ce que nous faisons c’est pour les Français et pour pouvoir leur permettre, très vite, de retrouver la confiance et de retrouver l’emploi.

Philippe Lapousterle : Un an, ça suffira ?

Anne-Marie Idrac : Un an, c’est la période fixée par les institutions. Elle permettra effectivement, nous en sommes sûrs – et tous les conjoncturistes le disent –, dès cette année, de retrouver la croissance. Tous les moyens doivent être mis en œuvre pour l’emploi. C’est le plus important.

Philippe Lapousterle : Le président de la République interviendra ce soir sur la réforme de la Justice. Est-ce que c’est ce que les Français ont envie d’entendre ? Est-ce que c’est une grande priorité en France en ce moment ?

Anne-Marie Idrac : La réforme de Justice oui, c’est une grande priorité en France. Il y a des tas de domaines qu’il faut réformer : le service national, la Sécurité sociale, la SNCF et puis donc la Justice, les relations quotidiennes entre l’État, l’administration et les citoyens. Il faut réformer tout cela, car les Français se rendent bien compte que ça ne peut plus aller comme ça. Donc, le président de la République souhaite réformer la Justice. Ça ne va pas se faire du reste dans la précipitation puisqu’il a décidé de mettre en place une commission. Je crois que oui, c’est un sujet très important qui tient aux structures de notre pays et je dirais aussi au fait qu’on se sente bien dans notre pays et que les choses soient claires pour chacun.

Philippe Lapousterle : Avant de parler de la réforme de la SNCF, un mot, car SNCF ce sont des lettres qui rappellent un mauvais souvenir à certains Français qui ont été bloqués à la fin du mois de décembre dans des gares, un peu isolés : on ne leur a pas dit ce qui se passait. B. Pons, le lendemain, M. Gallois, avaient promis des réformes immédiates sur le fait que les Français ne seraient plus laissés seuls dans les gares. Des mesures ont-elles été prises ?

Anne-Marie Idrac : Oui, tout à fait. Des mesures ont été prises par le président de la SNCF, de telle sorte que l’information circule mieux et que surtout les agents chargés de l’information soient en mesure de la diffuser aux passagers et aux clients. Nous avons suivi cela de très près avec B. Pons. C’est un élément très important que l’information, bien sûr.

Philippe Lapousterle : Donc, ça n’arrivera plus ?

Anne-Marie Idrac : Ça ne devrait plus arriver. En tout cas, la SNCF aura maintenant tous les atouts, tous les moyens pour qu’elle n’ait plus qu’à s’occuper de ses clients.

Philippe Lapousterle : Demain vous allez présenter au Sénat – c’est très important – la réforme de la SNCF. Vous vous séparez dorénavant de l’exploitation des lignes, du maintien du développement, du réseau ferré lui-même. N’êtes-vous pas inquiète, à la veille de ce débat, quand vous entendez la CFDT – qui est un syndicat qui ne vous est pas absolument hostile au départ – déposer un préavis de grève et se prononcer, avec la CGT, contre ce projet avant le démantèlement de la SNCF ?

Anne-Marie Idrac : Démantèlement de la SNCF : vraiment, ceci ne correspond en aucun cas à cette réforme qui, au contraire, assure l’unité de la SNCF et lui confie à la fois la responsabilité de transporter les gens et de gérer l’infrastructure.

Philippe Lapousterle : Avec une société, vous en faites deux, quand même ?

Anne-Marie Idrac : Nous faisons deux établissements publics et pour quoi faire ? Pour pouvoir reprendre une dette de 154 milliards qui était indûment à la charge de la SNCF et pour pouvoir, à l’avenir, financer dans des conditions plus saines et plus sereines les infrastructures ferroviaires dans notre pays.

Philippe Lapousterle : Pourquoi faut-il faire deux sociétés pour ça, après tout ?

Anne-Marie Idrac : Nous avions entendu, M. Lapousterle, tous les syndicats et tous les acteurs du transport ferroviaire nous dire qu’on ne pouvait plus rester comme ça, qu’il fallait changer et qu’il fallait prendre conscience de ce que le statu quo est en quelque sorte suicidaire. On ne peut pas laisser la SNCF dans l’état où elle est, ni pour les cheminots ni pour les clients de la SNCF. Donc, il a été décidé de reprendre cette dette et par ailleurs de régionaliser, c’est-à-dire de rapprocher les services de la SNCF des clients, ce qui se fera dans six régions et en particulier la région Provence Côte-d’Azur.

Philippe Lapousterle : Le principal problème de la SNCF ce sont les comptes, ce déficit incroyable. Est-ce que vous allez augmenter les prix, diminuer les investissements ou abandonner les lignes ?

Anne-Marie Idrac : Le principal problème de la SNCF c’est qu’il n’y a pas assez de clients dans les trains. Ce qui se traduit effectivement par la dégradation des comptes. Alors, il faut jouer sur tous les leviers, je dirais, du rapport qualité-prix. C’est la responsabilité de M. Louis Gallois dans le cadre de son projet industriel. Ce qu’il pourra faire, dès lors que la SNCF aura été, grâce au projet de réforme que B. Pons et moi présentons au Sénat demain, débarrassée du boulet que constitue cette fameuse dette qu’elle traîne depuis des années et des années et qui fait boule de neige.

Philippe Lapousterle : Il y a un point qui est considéré comme dangereux par certains, c’est le problème de la régionalisation des lignes locales de la SNCF. Est-ce qu’il n’y a pas là un vrai risque qu’il y ait des régions riches et des régions pauvres, ce qui est le cas quand même en France, et donc qu’il y ait des régions avec des trains et des régions sans trains ? Est-ce que ce n’est pas là une vraie interrogation ?

Anne-Marie Idrac : La régionalisation se conçoit dans un esprit non pas du tout de retrait, de fermeture mais au contraire dans un esprit de relance et de renouveau du transport ferroviaire. Toutes les régions qui s’engagent là-dedans le font dans cet état d’esprit. Alors, par rapport au risque que vous dites, qu’il y ait un petit peu…

Philippe Lapousterle : D’inégalité.

Anne-Marie Idrac : D’inégalité, ça ne se passe pas comme ça, parce qu’il y a ce qu’on appelle une péréquation. Autrement dit, c’est l’État qui assure l’état des lignes, la qualité du chemin de fer, des lignes de toutes les régions de France. Et deuxièmement, lorsqu’il y a déficit – et c’est bien normal pour des transports de la vie quotidienne, de banlieue, etc., qu’il y ait un déficit –, eh bien c’est l’État qui le prend en charge. Donc, il y a pot commun d’argent national, qui évite de tomber dans l’inconvénient que vous dites.

Philippe Lapousterle : Donc, vous pensez pouvoir dire ce matin, Anne-Marie Idrac, qu’il n’y aura pas de fermeture de lignes déficitaires ?

Anne-Marie Idrac : Ce n’est absolument pas l’état d’esprit dans lequel…

Philippe Lapousterle : Ce n’est pas cet « état d’esprit » bien entendu, mais est-ce que ça ne sera pas le cas par exemple dans deux ou trois ans ?

Anne-Marie Idrac : Je ne vois pas du tout pourquoi ça serait le cas, parce que j’ai eu entre les mains les conventions qui ont été signées ou qui vont être signées avec les régions en question et partout, je crois qu’au contraire il s’agit de développer, d’avoir du meilleur matériel, d’avoir de meilleures correspondances, des tarifs plus adaptés aux conditions locales. Donc, ça ne paraît pas être du tout le contexte dans lequel on se situe.

Philippe Lapousterle : Alors, il y a un problème qui resurgit : c’est le problème des routiers. On pensait que l’affaire était réglée, même si ça avait été réglé chèrement. Voilà que les syndicalistes FO disent que les acquis, qui semblaient acquis en décembre de l’an dernier, ne sont pas respectés, que les primes exceptionnelles ne sont pas versées et, ensuite, que la retraite à 55 ans est encore une promesse et pas une réalité.

Anne-Marie Idrac : Je voudrais rappeler quels étaient les engagements en question : d’abord, la question de la durée du travail, des heures payées qui devaient donner lieu à un accord et faute d’accord nous devions prendre des textes et ces textes, deux décrets, ont été pris l’un et l’autre dans deux conseils des ministres avant Noël. Il y avait un engagement concernant la circulation le dimanche, ce texte a été pris. Il y avait, signé dans un protocole par toutes les organisations syndicales, le fait qu’on se donnait jusqu’au mois de mars pour mettre au point un dispositif de…

Philippe Lapousterle : La retraite.

Anne-Marie Idrac : Non, ce n’est pas la retraite, c’est la cessation anticipée d’activité pour les gens qui ont conduit pendant 25 ans, et avec une intervention publique à partir de 57,5 ans. Les partenaires sociaux ont signé le fait qu’ils se donnaient jusqu’au mois de mars pour mettre au point le dispositif et je n’ai pas connaissance que ces discussions ne marchent pas bien. Donc voilà.

Philippe Lapousterle : La prime ?

Anne-Marie Idrac : J’ai entendu les organisations patronales, à la fin du conflit, émettre une recommandation de verser cette prime, il n’est pas impossible qu’elle soit diversement versée. À mon avis, elle doit l’être puisqu’il y a eu recommandation des organisations patronales. Je voudrais rajouter un mot : cette affaire des transports routiers, on l’a bien vu pendant le conflit, concerne en fait toute l’économie nationale. Et en ce moment, les entreprises de transport routier renégocient avec leurs clients les tarifs, les prix, et nul ne peut ignorer qu’il y a eu un certain nombre d’avancées sociales, comme on dit, qui ont…

Philippe Lapousterle : Qui coûtent cher.

Anne-Marie Idrac : Qui ont un certain coût et qui doivent donc s’intégrer dans les prix. Je crois que tout ceci est important. Ça fait partie des charges que l’ensemble de la société, pour des raisons de sécurité, pour des raisons de modèle social, pour des raisons d’environnement, doit prendre en compte.

 

Date : 23 janvier 1997
Source : France 2 / Edition du matin

G. Leclerc : Le débat sur la réforme de la SNCF bat son plein avec déjà plus de 200 amendements déposés. Le texte prévoit la création d’un nouvel établissement : RFF. Comment rembourser les dettes et éviter de nouvelles dérives ?

Anne-Marie Idrac : Ce que nous avons voulu faire, c’est à la fois traiter le passé, donc cette dette qui était indûment à la charge de la SNCF. Elle a été évaluée de manière transparente et sérieuse à 134,2 milliards de francs. Donc, nous la reprenons, ce qui, en clair, veut dire qu’elle sera prise par l’État et, encore plus clair, demandera un effort long et coûteux de la part du contribuable. Mais en même temps, on met un fond au tonneau et on évite que cette espèce de boule de neige de dettes continue à s’accumuler avec les investissements qu’il faut faire. Il faut faire des choses nouvelles comme le TGV-Est, mais aussi investir dans le réseau existant et ceci avec cet établissement public qui aura les deux fonctions, mais que ces deux-là.

G. Leclerc : Et la SNCF garde quand même 70 milliards de dettes. Elle aura les moyens de rembourser ?

Anne-Marie Idrac : Oui, la SNCF n’aura plus qu’un seul souci à se faire et une seule préoccupation dans la vie : s’occuper de ses clients et des marchandises, car le transport de fret est très important. Et je suis persuadée qu’avec le projet industriel que prépare L. Gallois, on retombera effectivement dans une nouvelle dynamique auprès des clients de la SNCF.

G. Leclerc : Il y a tout de même un soupçon qui existe, c’est que la création de deux établissements soit déjà la première étape vers la privatisation.

Anne-Marie Idrac : Quand j’entends ça, j’ai l’impression qu’on parle d’un autre texte que le nôtre ; qu’on fait de la politique fiction. Qu’est-ce qu’il y a dans cette réforme ? Il y a un socle de garanties qui sont le modèle français : le statut des cheminots, l’unité de la SNCF, l’intégrité du réseau national et l’absence de concurrence ; c’est écrit. Ce n’était pas écrit avant, maintenant, ce sera écrit dans le texte. Il y a ensuite ce que nous avons dit pour la dette du passé et les infrastructures de l’avenir. Et puis il y a enfin, et je dirais surtout, une ambition pour les chemins de fer avec des dotations budgétaires accrues et la réaffirmation des valeurs de service public, d’environnement et d’aménagement du territoire.

G. Leclerc : Il n’empêche que la CGT, la CFDT et Sud-Rail appellent à un mot d’ordre de grève pour le 30 janvier. Vous comprenez leurs craintes et vous craignez un nouveau conflit grave à la SNCF ?

Anne-Marie Idrac : Je crois vraiment profondément que cette réforme est juste parce que cette affaire de dette ne pouvait plus durer et cette espèce d’abandon dans lequel on laissait la SNCF et les cheminots n’était pas juste ni concevable vis-à-vis du pays, ni du chemin de fer, ni des cheminots. Cette réforme a été très longuement concertée. B. Pons et moi-même avons reçu de très nombreux partenaires et en particulier beaucoup les organisations syndicales. Tous les cheminots et toutes les organisations syndicales disent qu’il faut changer, que la réforme est nécessaire même s’il y a des interrogations, il est vrai, sur cette réforme-là.

G. Leclerc : Il y a une grève aujourd’hui dans la région de Marseille sur des problèmes d’arrêt de travail. Il y a quelques jours c’était à Paris-Nord. Ces grèves à répétition ne sont-elles pas la plaie essentielle de la SNCF ?

Anne-Marie Idrac : Je souhaite vraiment de tout cœur que dans ce pays et donc à la SNCF en particulier puissent se développer des formes de dialogue social plus négociées, plus profondes finalement et qu’on aboutisse à des choses « plus pacifiées » – j’emploie l’expression du président de la République –, et je le souhaite d’autant plus que dans le transport public, il est certain que les grèves ne sont certainement pas un bon moyen d’attirer des clients dans les chemins de fer.

G. Leclerc : Alors grève, il y en a également demain dans les transports urbains. La retraite à 55 ans c’est justifié ?

Anne-Marie Idrac : Dans le des routiers il a été admis par tous les partenaires que la pénibilité du travail, les problèmes de sécurité routière, etc., justifiaient une cessation anticipée d’activité à laquelle l’argent public contribuait, à partir de 57 ans et demi. Je laisse, bien entendu, les partenaires sociaux s’entendre dans le cadre des transports urbains. Je n’ai pas le sentiment qu’on soit exactement dans le même cadre de conditions de travail.

G. Leclerc : Les routiers sont mécontents et disent qu’on ne leur verse pas la prime ni le paiement intégral des heures travaillées. Ça pose problème ?

Anne-Marie Idrac : Oui, j’ai entendu qu’il y avait des interprétations mitigées ou divergentes sur l’application des accords. Il y avait plusieurs choses là-dedans. En ce qui nous concerne nous, Gouvernement, nous avons – et A. Juppé nous l’avait demandé très précisément à B. Pons et à moi – complètement tenu ce qu’il fallait faire. Il fallait prendre des décrets sur les temps de travail et le paiement des heures de travail, malheureusement parce que les partenaires sociaux n’avaient pas pu s’entendre entre eux. Donc ces décrets ont été pris avant Noël. Il fallait interdire le travail, la circulation des camions le dimanche, l’arrêté a été pris…

G. Leclerc : On va dire aux chefs d’entreprise de satisfaire maintenant…

Anne-Marie Idrac : Sur l’affaire de cessation d’activité, ce sont les partenaires qui avaient décidé d’en discuter jusqu’au 31 mars donc moi je n’ai pas d’informations selon lesquelles les réunions qui se sont tenues ne permettront pas d’aboutir dans les délais que les partenaires se sont fixés. Quant à l’affaire de la prime, c’est une recommandation que l’organisation patronale avait faite à ses adhérents. Bien entendu, je souhaite qu’elle soit appliquée. Mais je souhaite aussi, et je le dis également avec une certaine force, que ce secteur économique qui est dans une période difficile et dont nul ne peut ignorer, après le conflit du mois de décembre, qu’il connaît effectivement des problèmes, et en particulier des problèmes de prix, que dans l’ensemble de l’économie nationale on prenne en compte les coûts d’environnement, les coûts de sécurité et les coûts sociaux du transport routier.

G. Leclerc : Justement, il y a eu des pics de pollution à nouveau atteints. Au-delà des exhortations, ne faut-il pas faire quelque chose pour favoriser davantage le transport public ?

Anne-Marie Idrac : Là on s’est rendu compte qu’on avait bien eu raison de faire une loi sur l’air. Certains ont quelquefois ironisé, mais je crois que la loi sur l’air se justifiait pleinement et nous en sommes heureux. Sur le transport public, effectivement, il faut que l’on développe le transport public. Et quand je dis développer le transport public c’est l’utilisation du transport public. Dans certains cas, il y a des investissements à faire, mais ce n’est pas nécessairement partout dépenser des milliards. Et moi je crois qu’en prônant le transport public ou en retrouvant l’usage des transports publics, on peut lutter concrètement contre la pollution et pas simplement se lamenter. On peut positiver pour l’ensemble de la collectivité.

 

Date : 27 janvier 1997
Source : La Tribune

La Tribune : Dans les transports urbains, les conducteurs réclament la retraite à 55 ans, ce que les chauffeurs de la RATP ont déjà. Estimez-vous que la pénibilité de cette profession justifie cette demande ?

Anne-Marie Idrac : Le débat sur un éventuel départ à la retraite généralisé à 55 ans montre la sagesse des Français qui se rendent compte de son coût économique et social pour la nation et des risques que cela fait courir pour les prochaines générations. Pour ma part, j’ai toujours été opposée à l’idée de tirer des traites sur les générations futures. Pour les routiers, le dispositif de cessation anticipée d’activité, arrêté par les partenaires sociaux en décembre, est financé par la profession elle-même de 55 ans à 57 ans et demi, l’État intervenant à partir de 57 ans et demi. Il faut rappeler que cette décision a été prise en raison du caractère particulièrement éprouvant du métier de chauffeur routier et aussi pour des raisons de sécurité routière. L’un des problèmes majeurs dans le transport urbain est celui de la sécurité, à commencer par celle des personnels. Un certain nombre de dispositions ont déjà été prises pour renforcer la sécurité, notamment la mise en place des emplois de ville qui permettent de renforcer la présence humaine, ou le subventionnement des installations de sécurité, cabines anti-agression dans les bus, caméras… que j’ai décidé. Dans ce secteur comme dans d’autres, et comme Alain Juppé lui-même en a exprimé le souhait, le dialogue et la négociation doivent permettre de trouver des solutions adaptées à la réalité et à la diversité des situations.

La Tribune : Ressentez-vous actuellement un regain de tension dans le monde des transports ?

Anne-Marie Idrac : Le transport est une activité de service au cœur de la vie économique du pays et de la vie des citoyens. Il est donc logique qu’il ressente directement les évolutions de toute nature de la société et soit en permanence contraint de s’adapter ; cela est parfois difficile, d’autant plus que l’on a souvent trop tardé. Mais évitons les amalgames : la situation est très différente d’un secteur à l’autre et les voies de progrès pour consolider, en les modernisant, les atouts de nos systèmes et de nos entreprises de transport relèvent de dynamiques différentes entre l’aérien, le ferroviaire, le routier ou encore le transport urbain. La réponse dans chaque secteur doit être adaptée et spécifique mais il y a un facteur commun au moins deux choses : sans doute la nécessité d’une meilleure rémunération du transporteur, car le prix du transport me semble sous-payé en regard des coûts qu’il doit supporter, et certainement la nécessité d’un dialogue social modernisé.

La Tribune : Quel message adressez-vous aux entreprises de transport routier qui n’ont pas versé à leurs chauffeurs la prime annoncée de 3000 francs ?

Anne-Marie Idrac : J’invite les fédérations professionnelles, qui ont toutes recommandé le versement de cette prime, à s’assurer que l’ensemble des entreprises respectent bien les engagements pris. Il est important en effet que chacun honore sa parole. Le gouvernement a tenu ses engagements en prenant les textes réglementaires relatifs aux équivalences, au temps de travail et à l’interdiction de circuler le dimanche. Il continuera de le faire en veillant à leur application, et en accentuant son action de contrôle et de sanction des comportements de concurrence déloyale.