Article de M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur, dans "Le Journal du Dimanche" du 16 février 1997, et interviews dans "La Lettre de la nation magazine" du 21, "Le Figaro magazine" du 22 et Europe 1 le 25, sur son projet de loi sur l'immigration clandestine.

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Média : Europe 1 - La Lettre de la Nation Magazine - Le Figaro Magazine - Le Journal du Dimanche

Texte intégral

Le Journal du Dimanche : 16 février 1997

Dans le tumulte que soulève aujourd’hui le projet de loi relatif à l’immigration irrégulière, pourrai-je disposer de quelques minutes d’écoute véritable qu’exigent le respect de la vérité et le rappel des principes ayant présidé à l’élaboration de ce texte. Que chacun ensuite de détermine en conscience.
Comment ne pas dénoncer d’abord l’amalgame tenté par certains entre l’affaire de Châteauvallon et le projet de loi. Peut-on être contre le Front national mais se déclarer pour l’immigration irrégulière ? C’est le sentiment que les lois en ce domaine sont hélas trop souvent bafouées qui nourrit l’extrémisme et ses conséquences racistes et xénophobes. Par ailleurs, ceux qui appellent à la désobéissance civile ont-ils exactement mesuré ce que représenterait ce mot d’ordre repris par d’autres et notamment par ceux qu’ils combattent.

Le deuxième rapprochement inacceptable vise à confondre l’effort de lutte contre l’immigration illégale et je ne sais quelle volonté de supprimer tout flux migratoire. J’ai dit et répété combien la France en avait besoin pour son rayonnement culturel, pour son développement économique et social et pour respecter ses traditions d’accueil et de fraternité.

Mais il s’agit là d’une immigration maîtrisée porteuse d’enrichissement pour notre nation et non pas des germes de sa désintégration. Regardons ensemble, en toute sérénité, de quoi il s’agit.

La lutte contre l’immigration irrégulière se heurte à l’évidence aujourd’hui en France à deux obstacles. Des difficultés juridiques et pratiques empêchent trop souvent l’application réelle de la loi et l’affaire dite de Saint-Bernard l’a clairement montré. Par ailleurs, il existe dans notre droit un certain nombre de situations qui interdisent de renvoyer chez elles des personnes que nous n’avons pas la possibilité juridique de régulariser.

C’est pourquoi le projet de loi se fixe deux objectifs pratiques et de bon sens. Mieux appliquer les textes tels qu’ils existent en se donnant davantage de moyens pour les faire respecter. Et, parallèlement, déplacer légèrement la frontière du droit de séjour pour mettre un terme à des situations humainement et juridiquement inextricables.

Quels sont les moyens dont nous avons besoin pour mieux faire respecter la loi ? Nous devons pouvoir, lorsque toutes les procédures juridiques qui garantissent les droits ont été menées à leur terme, faire partir les étrangers en situation irrégulière. Nous avons progressé ces deux dernières années en faisant passer de 20 % à 28% le taux effectif des reconduites à la frontière. Il reste néanmoins très insuffisant. La période de rétention administrative dont dispose l’administration pour procéder à ces reconduites est la plus courte de tous les pays d’Europe : sept jours en tout, durant lesquels il faut identifier les intéressés, obtenir des laissez-passer de consulats souvent peu coopératifs et enfin trouver un moyen de transport pour les raccompagner dans leur pays.

Aucun de nos voisins ne dispose d’une période aussi courte. Les délais y sont souvent de plusieurs mois, et parfois sans limite comme en Angleterre. Sait-on que la police ne peut, pour s’assurer qu’il ne transporte pas de clandestins, faire ouvrir un camion franchissant nos frontières et entrant sur notre territoire ? C’est à peu près la même chose pour la visite d’ateliers où l’on est susceptible de travailler irrégulièrement. C’est pour pallier ces déficiences que répond de façon pragmatique le projet de loi.

Parallèlement, des mesures sont proposées pour mieux ajuster les limites du droit au séjour. En donnant une carte de séjour d’un an sous réserve d’ordre public et d’absence de polygamie, elles visent à régler la situation des conjoints de français entrés régulièrement en France et après un an de mariage, celle des jeunes venus en France hors regroupement familial avant l’âge de 10 ans, celles des parents d’enfants français et enfin celle des étrangers résidant en France depuis plus de quinze ans. Cet ensemble de dispositions ne vise donc pas à bouleverser notre droit. Il l’améliore en permettant de l’appliquer mieux et en mettant un terme avec humanité à des cas difficiles.

En réalité, le débat tourne pour l’essentiel autour du certificat d’hébergement : de quoi s’agit-il ? Cela concerne les courts séjours, c’est-à-dire ceux d’étrangers voulant venir chez nous pour moins de trois mois. Pour ce faire, ils doivent dans certains pays, hors Union européenne, obtenir un visa délivré par nos consuls qui s’assurent, avant de leur accorder, que les intéressés ont des ressources suffisantes pour se loger et vivre durant cette période dans notre pays, ou qu’ils seront hébergés chez quelqu’un à même de les accueillir et s’y engageant. C’est cet engagement qui constitue le certificat d’hébergement et c’est une condition du visa. Il est demandé par l’hébergeant à la mairie de son domicile. C’est une formalité qui n’est pas créée par l’actuel projet de loi mais qui remonte à un gouvernement de gauche et qui s’applique donc depuis quinze ans.

Aujourd’hui, seuls deux ajustements sont proposés : le premier pour accorder aux maires davantage de possibilité pour faire vérifier la réalité de la capacité d’hébergement annoncée, le second pour demander à la personne qui accueille de signaler à la mairie le départ de celle qu’elle a reçue. Pourquoi cet ajustement ? Parce que, aujourd’hui, une part importante de l’immigration irrégulière découle de ces entrées avec visa de court séjour pour des personnes qui ensuite ne repartent pas chez elles. Nous savons que se développent de véritables filières d’immigration par ce biais avec des professionnels de l’hébergement factice qui monnayant la souscription de certificats d’hébergement au bénéfice d’étrangers qu’ils ne recevront en fait jamais.

Il s’agit donc de casser ces filières tout en faisant prendre davantage conscience aux signataires des certificats d’hébergement de leurs responsabilités à l’égard de la société s’ils s’associent volontairement au maintien illégal d’un étranger. Rien dans cette loi ne gênera les étrangers en situation légale et rien ne gênera ceux qui les hébergent. Pourquoi dont tant d’accusation et pourquoi ces allusions indécentes et injurieuses qui évoquent une des époques les plus noires de notre Histoire : celle de l’Occupation ? La capacité d’accueil des étrangers en visite privée en France ne saurait être gênée par une simple formalité déclarative d’autant qu’une négligence de bonne foi ou n’importe quelle justification personnelle doit permettre au terme même de ce projet de loi de s’en exonérer. Ce dispositif ne comporte aucune sanction pénale mais seulement la possibilité pour le maire de refuser pendant deux ans un nouveau certificat d’hébergement à celui qui se serait soustrait à cette obligation.

Contrairement à ce qui a été dit, aucun fichier d’hébergement n’est prévu et si des mairies souhaitent s’engager dans cette voie, elles resteraient impérativement soumises à un accord de la Cnil.

On cherche enfin à provoquer l’émotion en utilisant faussement le terme de délation. C’est l’ordonnance du 2 novembre 1945 qui a établi un délit d’aide au séjour irrégulier d’étrangers en France. Cela n’a rien à voir avec le texte actuel. À cet égard, il convient d’observer que le texte de 1945 suppose, pour s’appliquer et pour caractériser un délit, un élément intentionnel qui vise en fait les passeurs et ceux qui organisent délibérément en France la clandestinités d’étrangers en situation irrégulière. Rien de tout cela ne relève du projet de loi actuellement en discussion au Parlement. Notre seul objectif c’est la lutte contre l’immigration irrégulière.

Comment aujourd’hui laisser passer tant d’informations erronées sur un sujet aussi grave et qui mérite objectivité, responsabilité et sérénité. La France a accueilli sur son sol, dans le respect de la loi, plus de 120 000 personnes en 1995. Mais elle doit aussi se donner les moyens de faire partir ceux, qui, en ne respectant pas notre droit, constituent un grand obstacle à l’intégration des autres. Elle l’a fait pour près de 15 000 d’entre eux l’année dernière. Le projet de loi tel qu’il a été présenté par le gouvernement correspond à cet équilibre recherché d’humanité mais aussi d’efficacité dans le respect des libertés individuelles auxquelles tous ceux qui veulent une France généreuse et ouverte sont justement attachés.


La Lettre de la Nation Magazine : 21 février 1997

La Lettre de la Nation Magazine : Comment analysez-vous la polémique à propos de votre projet de loi ?

Jean-Louis Debré : Je crois qu’elle est le résultat d’un amalgame et le fruit d’un contexte. Amalgame parce que certains ont mélangé à dessein lutte contre l’immigration irrégulière et refus d’accueillir les étrangers. Dans un contexte marqué par l’élection de Vitrolles et à un degré moindre par l’affaire de Châteauvallon, les simplifications et les déformations de l’action gouvernementale ont suscité un écho incontestable.

Je suis, pour ma part, très préoccupé par ma montée de l’extrémisme. Mais nous n’y répondrons pas par l’esprit de démission ou par la faiblesse des attitudes et le manque de courage des comportements. Qu’on le veuille ou non, l’immigration irrégulière met en péril l’intégration des étrangers et l’équilibre social. Si l’on renonce à se donner les moyens d’y mettre un terme, nous allons au-devant de graves difficultés. Je demande à ceux qui souffrent sur les braises d’y réfléchir.

La Lettre de la Nation Magazine : Quels sont les grands principes qui guident ce texte ?

Jean-Louis Debré : Deux grands principes guident ce texte : la recherche d’une plus grande efficacité dans l’application des lois et dans la mise en œuvre des procédures de contrôle. C’est le sens des dispositions sur l’allongement de la rétention administrative de 24 heures, de la mesure prévoyant d’étendre les contrôles à la frontière en reconnaissant aux officiers de police judiciaires la faculté de procéder à une visite des véhicules, à l’exclusion des voitures particulières, dans une bande de 20 km au voisinage des frontières intérieures de notre pays. C’est également l’objet de la disposition contestée sur les certificats d’hébergement.

Mais le projet de loi comporte également des mesures qui permettent, de manière humaine, de résoudre un certain nombre de situations individuelles que les lois précédentes laissaient dans l’ambiguïté.

La Lettre de la Nation Magazine : Que répondez-vous à ceux qui parlent d’un projet attentatoire aux libertés individuelles et contraire aux droits de l’homme ?

Jean-Louis Debré : Je réponds que l’exploitation de la personne humaine par des filières d’immigration clandestine organisées est une des premières atteintes à la liberté individuelle et aux droits de l’homme. Je vois quotidiennement dans l’exercice de mes fonctions opérer un certain nombre d’entre elles. Monnayer à des prix dérisoires le travail de l’homme, enfreindre les droits les plus élémentaires du salarié, transporter dans des conditions invraisemblables des immigrés clandestins, n’est-ce pas se moquer de la dignité humaine ? J’aimerais que ceux qui sont prompts à dénoncer à pétitionner, à manifester, le fassent en connaissance de cause. Je souhaiterais qu’ils se rendent compte des réalités et des ravages de l’immigration clandestine.

La Lettre de la Nation Magazine : La disposition la plus contestée concerne les certificats d’hébergement. En quoi se justifie-t-elle ?

Jean-Louis Debré : Je voudrais vous précisez que les certificats d’hébergement ne sont pas nouveaux. Ils ont été instaurés il y a quinze ans par la gauche. Leur principe est simple : les ressortissants qui viennent de pays pour lesquels l’obtention d’un visa est nécessaire doivent justifier de ressources suffisantes pour demeurer en France ou bien faire la preuve qu’ils sont hébergés par une personne susceptible de les accueillir.

Or, ce certificat a été dans bien des cas détournés de son objet par des professionnels du faux hébergement, qui monnayent des certificats de complaisance. Se constituent ainsi des filière importantes d’immigration irrégulière. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité mettre un terme à cette dérive en apportant un certain nombre d’aménagement visant à contrôler le départ effectif de l’hébergé.

La Lettre de la Nation Magazine : On parle d’incitation à la délation et de création d’un fichier d’hébergements…

Jean-Louis Debré : Je suis profondément choqué par les comparaisons auxquelles certains ne craignent pas de se livrer. Je suis bien placé pour savoir ce qu’a représenté Vichy, la collaboration et son cortège de sinistres délations. Aujourd’hui, nous sommes en République et la France est un État de droit. Il faut une sacrée dose de mauvaise foi pour nous accuser de vouloir instaurer le soupçon généralisé. Il n’est naturellement question ni d’appeler à la délation ni de ficher qui que ce soit. Mais simplement de lutter contre les filières de l’immigration irrégulières. Pas plus, pas moins.

La Lettre de la Nation Magazine : Comment envisagez-vous la discussion du texte à l’Assemblée nationale la semaine prochaine ?

Jean-Louis Debré : Si les parlementaires veulent en deuxième lecture apporter au dispositif existant des améliorations, le gouvernement y sera très attentif. À condition que l’objectif que nous nous sommes assigné soit maintenu. Nous garderons le cap de la lutte contre l’immigration clandestine. Pour ce qui concerne les modalités, nous ne sommes pas bornés.

La Lettre de la Nation Magazine : Peut-on réellement lutter efficacement contre l’immigration irrégulière ?

Jean-Louis Debré : J’en suis convaincu. Il n’est certes pas possible, ni souhaitable, de tarir le flux d’immigration. La France doit demeurer un pays ouvert sur l’extérieur. Elle a une tradition d’accueil. Elle a une vocation à l’échange et au rayonnement. Elle a un devoir d’intégration de ceux qui acceptent nos lois. Mais c’est précisément au nom de cet héritage et de nos valeurs républicaines que nous devons contrôler les flux migratoires.

Comment ? En édictant des lois qui donnent à l’Administration les moyens d’agir efficacement pour démanteler les filières d’entrée illégales, pour reconduire à la frontière les étrangers indésirables. En agissant quotidiennement pour démontrer que notre pays n’est pas un espace ouvert à tous les vents. Depuis mon arrivée place Beauvau, les reconduites à la frontière ont considérablement augmenté. J’ai réalisé plus de trente opérations de reconduite groupées parfois en collaboration avec nos partenaires européens. Je continuerai dans cette voie. C’est la responsabilité du gouvernement qui passe par la maîtrise des flux migratoires. C’est la responsabilité du gouvernement de lutter contre les filières organisées de travail clandestin qui, elles, bafouent les droits de l’homme. Si certains veulent les ignorer, qu’ils sachent que le gouvernement, lui, a le courage de les combattre.


Le Figaro Magazine : 22 février 1997

Le Figaro Magazine : Vous n’abandonnez pas l’article incriminé de votre projet : est-ce pour mieux laisser l’Assemblée nationale assumer sa suppression à votre place ?

Jean-Louis Debré : Pourquoi voulez-vous que les députés et sénateurs abdiquent les prérogatives qu’ils ont reçues de la Constitution ? Ce sont eux, et eux seuls, qui en France font la loi. En réalité, tout le débat tourne autour du certificat d’hébergement et des quelques aménagements qui y sont apportés. Ceux-ci ont été imaginés par la gauche en 1982 et ils existent depuis quinze ans. Pourquoi faisons-nous des ajustements ? Uniquement dans le but de mieux lutter contre l’immigration illégale et les faux hébergements qui sont au cœur des filières qui se développent pour introduire illégalement, et souvent dans des conditions humainement inacceptables, un nombre croissant d’immigrés.

F.M. : Vous refusez donc, s’il vient devant d’Assemblée, un amendement supprimant le principe de déclaration de départ de l’étranger qui aura été accueilli sur notre sol ?

Jean-Louis Debré : Je viens de vous dire que le pouvoir législatif appartient au Parlement. La disposition sur les certificats d’hébergement a déjà été examinée en première lecture. Je me suis expliqué sur les raisons des ajustements proposés. C’est aux députés et aux sénateurs de dire, lors du nouvel examen du projet de loi, s’ils modifient les dispositions qu’ils ont adoptées. L’important, je ne cesse de l’indiquer, est de lutter plus efficacement contre les hébergements de complaisance. La nécessité d’un véritable contrôle à l’entrée et à la sortie de la France est un impératif pour ceux qui veulent lutter contre l’immigration illégale. L’objectif du gouvernement est clair et il n’a pas varié. Il n’est pas question de revenir dessus. Lors du débat, les députés vont proposer des amendements sur les modalités de contrôle, il faudra les examiner.

Le Figaro Magazine : Pourquoi n’a-t-on pas plutôt mis au point une mesure qui n’implique pas les citoyens mais seulement la police comme le visa triptyque ?

Jean-Louis Debré : Ce système est un peu lourd !

Le Figaro Magazine : Suffit-il de lutter contre l’immigration clandestine ou faut-il mettre en œuvre une politique de réduction de l’immigration régulière ? C’est ce que réclame Le Pen, mais aussi beaucoup de ses électeurs. Faut-il encourager l’aide au retour ?

Jean-Louis Debré : Il est hors de question d’envisager, en France, une immigration zéro. La France – c’est sa tradition, son génie, son histoire – a tiré profit de l’arrivée sur son sol d’hommes et de femmes d’origines, de conditions, de couleurs de peau différentes. Il s’agit d’une immigration régulière porteuse d’enrichissements pour la France. Notre pays a besoin, pour son rayonnement culturel, pour son développement économique et social, de cet apport d’étrangers. Il faut donc continuer à les accueillir en France. En 1995, régulièrement et dans la stricte application de nos lois, nous avons reçu cent trente mille dont trente-cinq mille étudiants. Ils sont les bienvenus. Par contre, il faut tout faire pour limiter l’immigration irrégulière. Elle est porteuse de désintégration sociale et pour cela, l’année dernière, j’ai fait reconduire dans leur pays quinze mille personnes en situation illégale. En ce qui concerne l’aide au retour, utilisons les moyens existants dans le cadre de l’Office des migrations internationales. Je crois surtout à la nécessité – et la France à ce sujet, n’a aucune leçon à recevoir de personne – d’augmenter les aides au développement régional, pour mieux fixer dans certaines régions une partie de leur population.

Le Figaro Magazine : Vous attendiez-vous à ce déferlement de protestation. Les pétitionnaires sont-ils, à vos yeux, de mauvaise foi, inconscients, ou ont-ils lancé un débat utile ?

Jean-Louis Debré : Pour les plus sincères, ceux qui ne cherchent ni revanche ni calcul politique, pour les véritables républicains, il y a, me semble-t-il, une méconnaissance des dispositions précises du projet de loi et du cadre juridique dans lequel il s’insère. Il y a aussi peut-être l’addition d’une émotion, d’une inquiétude et d’une angoisse. Émotion, celle suscitée par l’affaire de Châteauvallon chez un bon nombre d’intellectuels. Inquiétude, celle née à la suite de l’élection de Vitrolles. Angoisse légitime, enfin, face au progrès de l’extrémisme en France. De cette addition est née une grande incompréhension à l’égard du projet de loi, et plus particulièrement vis-à-vis ces ajustements à apporter aux certificats d’hébergement. Permettez-moi de dissiper cette incompréhension. Lorsqu’un étranger veut venir en France pour moins de trois mois et quand il est originaire de certains États, il doit obtenir un visa. Ce visa est délivré par notre consul. Avant de l’accorder, il doit veiller à ce que le demandeur ait les ressources suffisantes pour se loger et vivre en France, ou puisse être hébergé chez quelqu’un en mesure de l’accueillir.

Sur quatre-vingts millions d’étrangers qui entrent chaque année dans notre pays, seul un million et demi est assujetti au visa. Et seuls cent cinquante mille doivent obtenir au préalable un certificat d’hébergement. Voici les précisions pour remettre à sa juste proportion l’objet du débat. Il ne s’agit pas d’empêcher les étrangers de venir en France. La réforme vise uniquement à lutter contre le développement de filières d’immigration illégales à partir de faux hébergements.

Et permettez-moi de dire mon indignation lorsqu’on évoque de façon odieuse une période noire de notre histoire marquée par une délation voulue, entretenue, et parfois même encouragée. La délation c’est la dénonciation à la police avec l’espoir d’une arrestation ou d’une condamnation pénale des personnes dénoncées. Or, dans les ajustements au certificat d’hébergement, il n’y a naturellement pas de sanctions pénales. L’indication du départ de l’hébergé du domicile de l’hébergeant ne peut être considérée comme de la délation.

Pourquoi considérer comme délation le fait de signaler le départ de la personne que l’on vient d’héberger et dont on avait officiellement signalé l’arrivée à la mairie ? Encore une fois, ce qui importe est d’éviter les certificats de complaisance. Nous avons proposé une solution technique pour ce faire. Si certains ont d’autres idées, pourquoi ne pas les examiner dès lors qu’elles atteignent l’objectif recherché qui est le contrôle à l’entrée et à la sortie de la France.

Le Figaro Magazine : Peut-on lutter contre l’immigration clandestine sans donner l’impression de courir derrière Le Pen ?

Jean-Louis Debré : Depuis que je fais de la politique, j’ai toujours lutté contre les extrémismes quels qu’ils soient et refusé de personnaliser mon opposition aux extrémistes. Je n’ai qu’une préoccupation, comme le premier ministre et le gouvernement : l’intérêt de la France.

Nous avons comme souci de restreindre l’immigration illégale tout en respectant les droits de l’homme. Je ne me détermine pas en fonction de tel ou tel parti, de telle ou telle idéologie, mais en fonction de ce que je crois bon et nécessaire pour mon pays.

Permettez-moi de terminer cet entretien et m’adressant aux intellectuels et à ceux qui signent des pétitions contre ce projet de loi. Ils commettent une erreur grave. Ce n’est pas par des incantations, des discours, ou simplement avec de bonnes intentions, qu’on fera reculer en France le racisme et la xénophobie mais en luttant sans complaisance contre l’immigration irrégulière et ceux qui en sont à l’origine.


Europe 1 : 22 février 1997

Jean-Pierre Elkabbach : L’enquête sur l’attentat de Port-Royal, l’opération déclenchée par la police parmi les détenteurs de poudre noire : c’est qui, c’est quoi, ça aboutira à quoi ?

Jean-Louis Debré : N’attendez pas de moi que je vous donne la moindre indication sur les investigations qui sont en cours. Ce que je peux vous dire, c’est que nous ne laissons rien au hasard. Toutes les investigations sont faites et bien faites par la police scientifique et technique, comme nous l’avons fait pour les attentats de 1995. Nous mettrons le temps qu’il faudra, nous serons professionnels mais nous arriverons à interpeller les auteurs de cet attentat odieux.

Jean-Pierre Elkabbach : On ne doute pas de votre professionnalisme, mais vous avez interrogé combien de personnes ? Quel est le milieu concerné par la poudre noire ?

Jean-Louis Debré : Je ne vous le dirai pas. Vous comprenez parfaitement qu’en ce domaine, moins on parle, mieux on se porte. Et moi, je ne suis jamais de ceux qui bavardent pour faire échouer des investigations.

Jean-Pierre Elkabbach : Les détenteurs de poudre noire, ça touche combien de personnes ?

Jean-Louis Debré : Nous allons procéder à 150 à 200 auditions.

Jean-Pierre Elkabbach : Vous avez vérifié les empreintes digitales ?

Jean-Louis Debré : Tout a été fait. Nous avons systématiquement relevé les empreintes digitales, dans le métro, sur l’engin. Les investigations sont en cours et je peux vous dire qu’elles finiront pas aboutir plus vite qu’on ne le pense.

Jean-Pierre Elkabbach : Et les contrôles sont en place pour les éviter…

Jean-Louis Debré : Vigipirate est en place, fonctionne bien et il n’y a pas un instant où nous relâchons notre vigilance.

Jean-Pierre Elkabbach : Pourriez-vous renoncer cet après-midi à la loi Debré ?

Jean-Louis Debré : Il n’en est pas question.

Jean-Pierre Elkabbach : L’opposition estime que votre projet est contraire à une ou plusieurs dispositions de la Constitution, elle va vous en réclamer le retrait.

Jean-Louis Debré : Après avoir joué la grande muette lors du premier examen de cette loi il y a quelques mois, les socialistes ont décidé de parler. Je suis heureux qu’ils aient retrouvé la voix.

Jean-Pierre Elkabbach : Mais le retrait : oui ou non ?

Jean-Louis Debré : Non, je dis que non, il n’en est pas question.

Jean-Pierre Elkabbach : Et le renvoi en commission ?

Jean-Louis Debré : Il n’en est pas question non plu. La loi a été déjà examinée en première lecture par l’Assemblée nationale et par le Sénat. La moitié de la loi a déjà été adoptée, je ferai adopter l’autre moitié.

Jean-Pierre Elkabbach : L’article 1, qui a fait tant de bruit avant d’être supprimé et remplacé grâce à l’amendement de M. Mazeaud, était-ce finalement une faute, une erreur ou une maladresse ?

Jean-Louis Debré : Non, il y avait des certificats d’hébergement, dont je vous signale qu’ils avaient été créés par MM. Badinter et Defferre, par la gauche. Ces certificats d’hébergement avaient un rôle et une utilité. Les maires, à travers un certain nombre de propositions de loi, réclamaient le renforcement de leurs pouvoirs. J’ai pris ces propositions de loi et je les ai transcrites dans la loi. Maintenant, l’association des maires ou le bureau de l’association des maires fait marche arrière, vent changer le dispositif et ne veut pas associer les maires. Parfait. L’amendement de M. Mazeaud et de M. Pandraud me va parfaitement car il consiste à renforcer le dispositif et à donner aux préfets la délivrance des certificats d’hébergement. Ça me va parfaitement.

Jean-Pierre Elkabbach : Mais ce n’est pas simplement parce que l’association des maires s’est prononcée, il y avait aussi le Conseil d’État, vous avez aussi attendu et tenu compte de la manifestation de samedi et du mouvement déclenché par les intellectuels et les artistes ?

Jean-Louis Debré : Non, après le débat au Sénat, il y a eu deux choses. D’une part, l’association des maires qui disait : les maires ne sont plus d’accord pour jouer ce rôle et deuxièmement, à partir du moment où le PS où certains prônaient la désobéissance civique…

Jean-Pierre Elkabbach : Pas tous les socialistes.

Jean-Louis Debré : Certains socialistes, ceux qui s’expriment au nom du PS. À partir du moment où ils prônaient la désobéissance civique, ça voulait dire que certains maires ne voulaient pas appliquer la loi, j’en prends acte et par conséquent, je donne cette attribution au préfet.

Jean-Pierre Elkabbach : Donc, les intellectuels n’ont pas eu tort ?

Jean-Louis Debré : Personne n’a tort. Je crois qu’il faut, dans cette affaire, accepter la critique, la controverse. Ce que je n’accepte pas, ce sont les procès d’intention.

Jean-Pierre Elkabbach : La loi Debré a fait resurgir des démons et des cauchemars d’autrefois. À l’initiative des artistes, on a manifesté samedi à Paris. Qu’est-ce que ça vous fait ?

Jean-Louis Debré : Je crois que tous ces gens qui manifestent ont la chance de vivre en France où on accepte les manifestations. Je vous l’ai dit, j’accepte parfaitement la critique, la contestation, ce que je n’accepte pas, c’est le mensonge, l’hypocrisie, la manipulation.

Jean-Pierre Elkabbach : Entre nous, est-ce que l’immigration clandestine augmente aujourd’hui ?

Jean-Louis Debré : Oui. Je vais vous dire pourquoi cette loi. C’est ça l’important.

Jean-Pierre Elkabbach : Mais était-elle si utile et si urgente ?

Jean-Louis Debré : Il y a huit raisons principales à cette loi. D’abord aujourd’hui, on ne reconduit à la frontière que moins d’un étranger en situation illégale sur trois. L’État n’a pas les moyens juridiques pour faire appliquer la loi. Deuxième raison, les filières d’immigration illégale se développent au grand profit financier de certains professionnels du passage de frontière. Ce n’est pas humainement acceptable. Le travail clandestin, au noir comme on dit, doit être combattu plus vigoureusement. Les étrangers en situation irrégulière sont une manne pour certains employeurs peu rigoureux. Ils vont travailler au mépris des lois sociales. Je ne peux pas le tolérer et nous ne pouvons pas le tolérer, notre société ne peut pas le tolérer. Quatrième raison, se développe une fraude considérable aux détenteurs de visas de court séjour. Cinquième raison : si nous voulons intégrer, assimiler à la communauté nationale des étrangers, si nous voulons faire, dans ce pays, reculer le racisme, la xénophobie, il faut combattre l’immigration en situation irrégulière pour éviter l’assimilation avec l’étranger. Laisser se développer l’immigration irrégulière, cela aboutit au rejet de l’étranger en général et je ne peux pas l’accepter. La République, enfin, suppose le respect des lois. Et c’est très important parce que, ne pas le voir, c’est se cacher la réalité. Nous sommes passés, depuis plusieurs années, d’une immigration de travailleurs de gens qui voulaient s’intégrer à la communauté nationale, à une immigration d’ayants droits, de gens qui veulent profiter de notre système social et qui ne veulent pas s’intégrer à la communauté nationale.

Jean-Pierre Elkabbach : Il y a un danger en France ?

Jean-Louis Debré : Il y a un danger raciste et je le combats en montrant qu’il faut accepter, parce que c’est une tradition française, l’étranger. L’étranger a apporté quelque chose à la France mais il ne faut pas accepter l’étranger que si lui-même accepte les lois de la République. Ce que je conteste, parmi les socialistes, c’est leur mensonge. Ils font croire que cette loi est contre les étrangers. Ce n’est pas vrai. Il y a en France, chaque année, 80 millions d’étrangers qui viennent chez nous. Cette loi ne les concerne pas. Il y a en France, chaque année, un million et demi de personnes qui demandent un visa de court séjour, cette loi ne les concerne pas.

Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce que la loi Debré est une loi anti-clandestins ou une loi anti Le Pen ?

Jean-Louis Debré : Je ne comprends pas cela. Ma position à l’égard du FN, à l’égard de l’extrémisme, a toujours été claire. Ce n’est pas moi qui ai favorisé le FN. J’ai toujours condamné les extrémismes. Et je me détermine en fonction de ce que je crois bon pour mon pays. Face aux tentations de repli sur soi, face au racisme, face à la xénophobie, notre réponse est de bien distinguer les étrangers en situation irrégulière, qui n’ont pas à demeurer sur notre sol, et ceux qui sont en paix avec nos lois et qui sont les bienvenus chez nous. Chaque année, nous accueillons, je prends un exemple, 35 000 étudiants en France, ils sont bienvenus.

Jean-Pierre Elkabbach : Ce n’est pas ça qui fait problème, c’est cette impression qu’on emprunte des idées au FN et qu’on lepénise les esprits, comme dit R. Badinter.

Jean-Louis Debré : Mais, je ne lepénise rien du tout. C’est à force de ne pas voir les problèmes dans ce pays qu’il y a une coupure entre les élites, les responsables et le peuple. Moi, je suis tous les jours sur le terrain, je vois bien ce que disent les gens. Ils disent : nous aimons les étrangers mais nous n’acceptons pas que les étrangers viennent chez nous et violent nos lois.

Jean-Pierre Elkabbach : D’après les prévisions du ministre de l’Intérieur, que pèse aujourd’hui le FN ?

Jean-Louis Debré : Beaucoup trop. Je ne rentrerai pas dans des chiffres. Pour moi, il faut combattre toutes les idées extrémistes. Et vous savez, ce n’est pas A. Juppé ou le Gouvernement qui a joué avec le feu en jouant avec le FN. C’est la gauche.

Jean-Pierre Elkabbach :  Madame Mégret a dit, au Berliner Zeitung, croire aux différences génétiques entre les races, etc.

Jean-Louis Debré : C’est honteux, abjecte et condamnable.

Jean-Pierre Elkabbach : Il n’y a pas de poursuite contre elle ?

Jean-Louis Debré : Il faut voir exactement dans quelles circonstances ça a été dit.

Jean-Pierre Elkabbach : Comment jugez-vous l’attitude de L. Jospin : ambiguë ou responsable ?

Jean-Louis Debré :  Je suis très sévère à l’égard de M. Jospin ou des dirigeants socialistes. Ils disent des mensonges, des contrevérités et sont hypocrites. Ils disent que cette loi va empêcher les étrangers de venir en France, je viens de vous le dire, ça ne touche pas les 80 millions, ça ne touche pas un million et demi de gens qui viennent avec des visas de courts séjours, ça touche 150 000 personnes. Hypocrisie quand la gauche fait semblant de découvrir les certificats d’hébergement. C’est quand même MM. Badinter et Defferre qui les ont faits. Rocard n’a-t-il pas dit que la France ne pouvait accueillir toute la misère du monde ? Le projet de loi revient en seconde lecture, ils étaient absents en première lecture. Enfin, les amis de M. Jospin et de M. Hue devraient se souvenir, il n’y a pas si longtemps, du temps où ils envoyaient les bulldozers contre les foyers d’immigrants clandestins.

Jean-Pierre Elkabbach : Pourquoi faites-vous preuve de combativité alors qu’il faudrait rassembler tous les Français contre un problème de cette ampleur ?

Jean-Louis Debré : Mais je rassemble tous les Français. Ce que je n’accepte pas, je viens de vous le dire, ce sont les faux procès, les faux-semblants, les mensonges et l’hypocrisie.

Jean-Pierre Elkabbach : Est-ce que vous avez le soutien total du Premier ministre dans ce que vous faites ?

Jean-Louis Debré : Ce projet de loi est le projet du Gouvernement.

Jean-Pierre Elkabbach : Et le soutien du Président de la République ?

Jean-Louis Debré : J’ai le soutien du Gouvernement, du Premier ministre et du Président de la République car ce projet a été discuté en conseil des ministres.

Jean-Pierre Elkabbach : M. Baumel a peut-être la nostalgie de l’après mai 1968 : il réclame un grand rassemblement place de la Concorde pour vous soutenir, vous le souhaitez ?

Jean-Louis Debré : Je ne souhaite qu’une chose, c’est que les hommes politiques comprennent que le peuple attend cette loi et qu’il faut lutter en France contre l’immigration irrégulière pour mieux intégrer à la communauté les étrangers en situation régulière.

Jean-Pierre Elkabbach : Vous ne m’avez pas répondu. Vous voulez une grande manif à Paris ?

Jean-Louis Debré : Mobilisons-nous sur autre chose.