Texte intégral
Croissance exponentielle des services et du trafic, avènement du multimédia, alliances industrielles à l’échelle mondiale : une révolution est en train de bouleverser les télécommunications. Les enjeux de cette mutation sont tels que l’Europe devait s’y préparer à temps. L’idée de créer un marché unique des télécommunications s’est donc très vite imposée. Dès 1984, les États membres de l’Union européenne ont engagé le débat qui allait les conduire à la décision unanime d’ouvrir le secteur à la concurrence au 1er janvier 1998. Ainsi, la généralisation de la concurrence dans les télécommunications, qui est un phénomène que connaissent tous les grands pays à travers le monde et qui résulte de la formidable évolution des technologies qui se jouent des barrières nationales, oblige tous les gouvernements à revoir en profondeur leur cadre réglementaire et leur mode d’intervention dans le secteur pour adapter les vieux monopoles à un jeu désormais mondial.
La France n’échappe pas à ce phénomène. Comment le pourraitelle d’ailleurs ?
La France, comme les autres pays européens et la Grande-Bretagne, a montré la voie en la matière, a même beaucoup à gagner à ces évolutions si elle sait profiter de cette opportunité. En renforçant la productivité et la compétitivité de nos économies. En développant de nouveaux usages des moyens de communication. En favorisant la baisse des tarifs pour le bien du consommateur. En assurant le succès, sur l’ensemble des marchés, de nos opérateurs et industriels qui disposent d’atouts considérables dans ce secteur.
La question qui était posée au gouvernement français était donc au début de 1996 simple : la France seraitelle au rendezvous de la révolution des télécommunications ? Je veux vous prouver aujourd’hui qu’elle le sera et que la réforme que j’ai conduite cette année avait pour objectif de préparer la France à ces défis. Cette réforme comporte deux volets que je vais vous présenter : un nouveau cadre réglementaire établissant une concurrence généralisée dans le secteur ; une adaptation du statut de France Télécom, transformée en société anonyme dont le capital sera ouvert dès le printemps 1997.
1. Premier volet : Le nouveau cadre réglementaire de la concurrence
Contrairement à ce que j’entends parfois affirmer par des commentateurs peu au fait de la réalité, la France n’est pas réfractaire à la concurrence dans les télécommunications.
Nous avons, pour commencer, toujours fidèlement respecté nos engagements européens dans ce secteur, et je remercie M. Van Miert qui ne manque pas une occasion de rappeler que la France est, dans ce secteur, le bon élève de la classe européenne. La préparation à l’échéance de 1998 le démontre une fois de plus puisque nous sommes le pays le plus avancé – après le Royaume-Uni bien sûr – dans la définition des nouvelles règles du jeu, tant par l’adoption d’une nouvelle législation – l’Allemagne nous a suivi de peu – que par l’élaboration des textes d’application, qui en est aujourd’hui à un stade très avancé.
Nous avons même souvent anticipé les décisions européennes, par exemple dans les mobiles ou les télécommunications par satellite, et notre nouveau cadre réglementaire contient d’ailleurs des innovations et des avancées dont, j’espère, l’Europe pourra s’inspirer dans un proche avenir. J’aurai l’occasion d’y revenir.
La concurrence ne nous fait donc pas peur, et c’est résolument que la France poursuit – dans les textes mais aussi dans les faits – le processus de libéralisation engagé depuis 1990. Mais la libéralisation, ce n’est pas le loup libre dans la bergerie libre. C’est au contraire un marché organisé par des règles du jeu claires et transparentes, équitables pour tous les acteurs, et donnant aux investisseurs une visibilité suffisante pour qu’ils aient confiance dans le développement du marché et souhaitant y investir.
Plusieurs principes et objectifs m’ont guidé dans l’élaboration de ces nouvelles règles du jeu et y trouvent aujourd’hui leur traduction.
En premier lieu, créer une concurrence ouverte et effective sur l’ensemble du marché des télécommunications.
La concurrence en France en 1998 sera totale : elle touchera, sans restriction, l’ensemble des segments du marché, quelle que soit la clientèle visée – résidentiels ou professionnels – le service offert, ou la technologie utilisée. C’est un peu une première, et les pays qui ont déjà une expérience de la concurrence – comme les ÉtatsUnis ou le Royaume-Uni – ne se sont que très progressivement acheminés dans la même voie : sept ans de duopole au Royaume-Uni, avant une libéralisation graduelle qui vient tout juste de toucher les services internationaux ; maintien d’un monopole sur le téléphone local aux ÉtatsUnis, même si le développement de la concurrence est là aussi désormais programmé.
Un système ouvert et transparent de licences permettra à tous ceux qui en ont la capacité d’entrer sur le marché français, sans limitation a priori du nombre de licences, sauf dans le cas de pénurie des fréquences. Les opérateurs se verront allouer les ressources nécessaires à leur activité : fréquences, numéros et droits de passage sur le domaine public dont bénéficieront tous les opérateurs dans des conditions égales.
Et pour vous prouver que nous souhaitons une concurrence effective, j’ai le plaisir de vous annoncer que j’ai signé aujourd’hui la première licence d’opérateur d’infrastructure alternative en faveur de la société France Manche qui exploite le tunnel et fournira des liaisons louées entre Paris et Londres. Un beau symbole, n’estcepas ? Dans les prochains jours, je délivrerai des licences du même type à la SNCF, MFS et COLT.
Créer une concurrence ouverte et effective, c’est assurer que tout utilisateur pourra accéder simplement à la concurrence et en bénéficier. La loi a introduit plusieurs dispositions importantes, notamment dans les mécanismes de numérotation. La portabilité des numéros entre opérateurs sera possible dès 1998 – sur la base de techniques faciles à mettre en œuvre mais encore assez coûteuses – et la généralisation des réseaux intelligents permettra à partir de 2001 de l’étendre à la portabilité géographique et d’en diminuer le coût. La sélection du transporteur longue distance sera possible dès 1998 appel par appel (le premier chiffre de notre nouveau plan de numérotation a été réservé à cet effet), et au 1er janvier 2000 pour une présélection par abonnement.
Le deuxième principe qui m’a inspiré dans cette réforme, c’est d’intégrer d’une manière équitable pour les opérateurs concernés une conception moderne des missions de service public dans le nouveau cadre concurrentiel.
Le service public, ce n’est pas à mes yeux une conception archaïque et étatiste de l’organisation des marchés. Ce n’est pas davantage une manière de défendre visàvis de Bruxelles la place des monopoles ou des subventions publiques.
C’est tout simplement la prise en compte, dans une définition aussi claire et pragmatique que possible, des besoins de la société qui ne sont pas spontanément pris en charge par le marché. Quelques exemples pour illustrer la réalité de ces besoins et les solutions que nous y avons apportées.
L’accès de tous au téléphone est la marque d’un pays développé et démocratique. Je suis d’ailleurs frappé, en regardant la carte mondiale des taux de pénétration du téléphone, de la concordance que l’on peut y voir avec le degré de développement économique ou le régime politique des pays concernés. Mais pour assurer l’accès de tous au téléphone, encore fautil, pour les populations les plus défavorisées, prévoir des solutions répondant à leurs difficultés spécifiques. Dans une campagne publicitaire récente, France Télécom qualifiait le téléphone de « fil de la vie ». Coupez ce fil, et pour certains il ne restera plus grand-chose. Nous avons donc introduit dans la loi l’existence de tarifs spécifiques pour ceux qui rencontrent des difficultés particulières, en raison de leur handicap physique ou de leur faible revenu. Tous les opérateurs pourront proposer ces tarifs, dont le coût sera compensé par le fonds de service universel.
L’autre exemple que je voudrais citer, et il est assez remarquable car je crois que c’est une première mondiale, c’est la création d’un annuaire universel. Mécaniquement, la concurrence sur le téléphone doit conduire à créer, au domicile de chaque abonné, une « bibliothèque d’annuaires » qu’il sera contraint de consulter avant de trouver les coordonnées de la personne qu’il souhaite appeler. C’est ce que nous avons souhaité éviter, en créant, en un lieu unique, une base de données qui sera accessible par les éditeurs d’annuaires et les fournisseurs de services de renseignements.
Voici deux exemples qui montrent non seulement que service universel et concurrence ne sont pas incompatibles, mais même qu’ils s’enrichissent mutuellement. La loi définit précisément le contenu du service universel auquel tous doivent avoir accès à un prix abordable et qui pourra évoluer en fonction des progrès technologiques. Elle organise sa fourniture en chargeant France Télécom, seul capable d’assurer sa fourniture au 1er janvier 1998 sur l’ensemble du territoire, mais aussi en prévoyant que tout autre opérateur pourra demander à assurer également dès lors qu’il en accepte la charge sur l’ensemble du territoire national. Elle assure enfin son financement au travers de mécanismes de compensation entre les opérateurs qui assument ces charges et leurs concurrents.
Dernier principe que je voulais développer, assurer la confiance des investisseurs par une régulation indépendante et équitable du marché. La concurrence ne pourra réellement se développer que si la mise en œuvre des nouvelles règles du jeu est confiée à une autorité impartiale, séparée de la fonction d’actionnaire de France Télécom, et qui pourra afficher une doctrine et des lignes directives claires et stables dans le temps, à l’abri des alternances politiques éventuelles.
Une Autorité de régulation des télécommunications sera donc mise en place en France dès le 1er janvier 1997. Elle comprendra cinq membres, trois nommés par le gouvernement, deux par les présidents des deux assemblées parlementaires. Leur mandat sera de six ans et non révocable. Son budget sera individualisé par le Parlement, et elle pourra l’exécuter librement. Elle disposera de moyens importants, et la majorité des services actuels de mon ministère la rejoindra dès le 1er janvier prochain, ce qui lui permettra d’être opérationnelle à cette date. La loi lui donnera ainsi toutes les garanties statutaires d’indépendance qui sont nécessaires pour imposer sa crédibilité et son impartialité.
Elle disposera de trois leviers essentiels dans la conduite de la régulation du secteur.
C’est d’abord elle qui mènera le processus d’instruction des demandes de licences et qui allouera aux opérateurs les ressources en fréquences et en numéros nécessaires à leur activité. Elle aura donc un rôle essentiel dans la structuration du marché pendant la phase d’ouverture à la concurrence.
Elle sera ensuite compétente pour trancher les litiges liés à l’interconnexion entre opérateurs. En particulier, elle sera amenée à fixer le niveau des tarifs d’interconnexion qui sera l’un des paramètres essentiels de la concurrence. Sur ce sujet important, je pense que les tarifs d’interconnexion en France devraient être comparables à ceux pratiqués dans d’autres pays.
Elle pourra enfin imposer des sanctions financières aux opérateurs qui n’auront pas respecté leurs obligations réglementaires, ce qui lui permettra notamment d’assurer un contrôle effectif des licences des opérateurs.
Elle disposera également de compétences partagées avec le ministre des Télécommunications : dans le domaine des licences (suivant un schéma proche de celui appliqué au Royaume-Uni), du financement des obligations du service universel (elle mènera les évaluations qui seront approuvées par le ministre), ou des tarifs (elle sera associée à leur contrôle). Elle pourra, pour assurer une meilleure application du droit de la concurrence au secteur des télécommunications, saisir directement le Conseil de la concurrence de toute pratique contraire aux règles de la concurrence.
L’Autorité de régulation sera donc en mesure, dès sa création, d’assurer le développement d’une concurrence effective, innovante, loyale et bénéfique aux utilisateurs.
C’est la mission qui lui assigne la loi et l’objectif principal de cette réforme du cadre réglementaire français.
Je ne voudrais pas conclure sur ce sujet sans indiquer que le succès de cette réforme a largement reposé sur une méthode ouverte associant largement les acteurs économiques à la préparation des nouvelles règles du jeu. C’est ainsi qu’une large consultation publique a été conduite à l’automne 1995, afin de préparer la rédaction de la loi, dont la discussion par le Parlement a été ensuite largement facilitée. C’est une méthode que nous poursuivons actuellement sur la préparation du cadre réglementaire.
C’est une difficulté supplémentaire que de se plier à cette méthode de transparence lorsqu’il faut aller vite – 1998 c’est demain et il ne reste que très peu de temps pour s’y préparer – mais c’est aussi une exigence à laquelle je tiens pour créer et maintenir un climat de confiance autour de ce nouveau cadre réglementaire français, afin d’encourager l’investissement et donc la croissance du marché.
J’ajoute que les acteurs étrangers ont été à tous les stades largement associés à cette concertation. Sur la centaine de contributions reçues à la fin de l’année dernière préalablement à la rédaction de la loi (et qui représentent plus de mille pages de commentaires), un quart environ provenaient d’acteurs ou d’organisations étrangères. C’est à mon sens un signe d’intérêt, qui a préludé aux alliances conclues sur le marché français pour préparer efficacement plusieurs pôles concurrents de France Télécom : entre la Générale des Eaux, BT et Mannesmann ; ou entre Bouygues, STET et Veba. Cette ouverture est aussi un facteur de renforcement de la crédibilité de l’alliance conclue entre France Télécom, Deutsche Telekom et Sprint.
2. Deuxième volet : l’adaptation de France Télécom
Dans ce contexte, il était bien sûr essentiel de donner à notre champion national les mêmes armes que ses concurrents pour affronter cette compétition et jouer un rôle mondial dans ce secteur. Cela passait par la transformation de France Télécom en une société anonyme de façon à donner à cette entreprise les mêmes règles de gestion que ses concurrents.
En effet, les conditions de monopole qui avaient fondé la prospérité de notre opérateur national devant disparaître, son statut administratif, conçu dans un cadre protégé, devait être revu. Le fait de ne pas disposer d’un capital social dans un secteur hautement concurrentiel était un handicap évident et pouvait s’avérer pénalisant dans le cadre d’une stratégie de partenariat durable alors même que France Télécom a inauguré cette année son alliance stratégique avec Deutsche Telekom et l’américain Sprint pour conquérir un marché mondial.
Un tel changement suscitait des interrogations et des inquiétudes chez une grande partie des agents de France Télécom. Le gouvernement, selon la méthode que j’avais proposée en juillet 1995, a donc procédé à cette réforme, pas à pas, avec un souci permanent du dialogue et de la concertation. Après avoir éclairé l’ensemble des acteurs intéressés sur le cadre dans lequel se déroulerait la concurrence et avoir garanti la place accordée au service public et les missions de service public de France Télécom, le gouvernement a apporté des garanties au personnel afin de le rassurer sur son sort personnel : l’État conservera directement la majorité du capital ; les agents fonctionnaires demeureront fonctionnaires ; les retraites des fonctionnaires continueront à être versées par l’État.
Ainsi, nous avons pu faire adopter en juillet dernier une loi qui transforme à partir du 31 décembre 1996 France Télécom en société anonyme et le gouvernement français souhaite ouvrir dès le printemps prochain environ 20 % du capital de France Télécom aux investisseurs.
Ainsi, la France sera bien au rendezvous de la révolution des télécommunications. La France n’a pas peur de la concurrence. Elle n’a pas peur de s’insérer dans la mondialisation des échanges de télécommunications et d’ouvrir son marché. Et j’espère vous avoir convaincu que cette démarche est résolue et qu’elle va consolider dans notre pays un pôle d’excellence et d’attraction pour les télécommunications mondiales.