Déclaration de Mme Anne-Marie Couderc, ministre délégué pour l'emploi chargé du droit des femmes, sur la réactivation du Conseil supérieur de l'information sexuelle (CSIS), son fonctionnement ses compétences et ses objectifs, et interviews dans "Le Parisien" le 10 octobre 1996 et dans "La Croix" le 12, sur la lutte contre la pédophilie et les violences sexuelles.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Réunion du Conseil supérieur de l'information sexuelle à Paris le 10 octobre 1996

Média : La Croix - Le Parisien

Texte intégral

Discours au Conseil supérieur de l'information sexuelle, le 10 octobre 1996

Mesdames, messieurs,

La relance du Conseil supérieur de l'information sexuelle était, je le sais, fortement attendu par nombre d'entre vous.

Je suis heureuse de le présider dans sa nouvelle formation et tout à fait consciente du rôle important qu'il est amené à remplir sur des sujets difficiles mais essentiels qui engagent fortement l'avenir.

Le Conseil supérieur doit être absolument un instrument d'aide à la direction publique par ses réflexions, ses recommandations, ses propositions concrètes, il oriente, il alerte les pouvoirs publics.

Cette fonction d'alerte m'apparaît primordiale car, en tant qu'acteur de terrain, vous êtes vraiment les premiers à ressentir l'émergence des problèmes de la vie quotidienne de nos concitoyens et notamment des jeunes. Cette capacité d'alerte – je dirai d'alarme – est donc une de vos missions capitales.

Je compte donc infiniment sur vous.

Le Conseil supérieur est également le lieu d'un partage des informations qu'il recueille et qu'il diffuse, le lieu d'une coordination qui doit s'exercer dans le respect d'une pluralité de sensibilité et de vues.

Ces textes récents qui vous ont été remis ont reformé sa composition et renforcé son fonctionnement.

I. – La réforme du CSIS : En quoi consiste-t-elle ?

Le Conseil supérieur est désormais présidé par le ministre chargé des droits des femmes, le ministre chargé de la famille et celui de la santé en assurent la vice-présidence, le service des droits des femmes assume le secrétariat.

Le nombre de ses membres s'est accru et respecte la proportion prévue par la loi soit 1/3 de représentants de l'administration, 2/3 d'associations, un troisième collège ayant voix consultative est composé de personnalités qualifiées.

Le CSIS constitue en son sein une commission permanente comprenant six associations élues pour trois ans ainsi que les trois représentants des ministres en charge de ce conseil. Cette commission nomme son président pour un an, elle est chargée de préparer et d'assurer le suivi des travaux du CSIS, d'établir un rapport annuel d'activités. Elle se réunira au moins une fois par trimestre.

Cette commission sera votre représentation permanente, votre structure de coordination c'est ce qui manquait fortement dans l'ancienne configuration du CSIS.

L'actualisation de la composition de ce conseil a conduit, pour l'essentiel, à renforcer la participation des associations féminines, des associations de professionnels intervenant auprès des familles, des femmes, des enfants et des jeunes ainsi que celle des grandes associations du secteur social.

La liste des personnalités qualifiées a été largement renouvelée : elle compte, aujourd'hui, onze experts impliqués dans les questions de santé et se sexualité sous l'angle des soins, de la prévention, de l'éducation, de la recherche ou des aspects démographiques.

Enfin, le conseil dispose de 26 représentants de l'administration et des organismes sociaux intéressés, ce qui devrait lui conférer un grand pouvoir de sensibilisation et d'alerte des pouvoirs publics.

Je souhaite donc la bienvenue, non seulement aux nombreux nouveaux membres de cette assemblée, mais également à tous ceux parmi vous qui ont, de longue date, siégé au Conseil supérieur et assure l'avancée de ses travaux.

Je compte fortement sur vous pour mettre définitivement le CSIS sur de bons rails et ceci de façon pérenne. C'est l'intérêt de nous tous.

La présidence de ce conseil

Le rattachement de ce conseil a varié dans le temps alors pourquoi avons-nous désiré un lien plus fort avec les droits des femmes aujourd'hui ?

Si cette décision avait besoin d'être justifiée, je dirais qu'elle me paraît pleine de sens. D'abord, les femmes occupent indéniablement, en France, comme dans le monde entier, un rôle central pour la planification familiale et pour l'éducation des enfants.

Cela ne signifie évidemment pas qu'il faille occulter toute l'importance de la place des hommes et des pères dont on ne peut que souhaiter la forte implication sur ces questions.

Ensuite, le ministre et le service des droits des femmes ont des missions transversales qui paraissent bien adaptées à la vision large que j'ai des compétences du CSIS.

Je suis d'ailleurs assurée de la coopération étroite qui sera poursuivie avec les services des ministres chargés de la santé et de l'action sociale auxquels le CSIS a été précédemment rattaché.

Comme vous le savez pour aller vite, on parle le Conseil supérieur de l'information sexuelle et pour aller plus vite encore du CSIS sigle ou raccourci barbare que l'on trouve souvent dans notre administration française !

En réalité, la loi de juillet 1973 porte création du « Conseil supérieur de l'information sexuelle, de la régulation des naissances et de l'éducation familiale ».

Cette création, dont l'initiative revient à Lucien Neuwirth intervient quelques années après la loi Neuwirth de 1967 qui a libéralisé l'usage des moyens contraceptifs.

Le CSIS s'est alors inscrit dans un projet politique global visant à favoriser l'information sexuelle, une plus grande diffusion des techniques de régulation des naissances, le développement de structures habilitées à exercer des activités d'éducation familiale et à répondre aux besoins de la population en matière de consultation et d'information.

Le Conseil supérieur est devenu, quant à lui, un organisme consultatif, lieu de recherche, d'étude, de réflexion et de confrontation des points de vue et des initiatives.

II. – Quels peuvent être nos objectifs ?

Les missions du CSIS, telles qu'elles sont définies par la loi, demeurent inchangées et restent aujourd'hui pleinement d'actualité :

– comment informer, éduquer, offrir à tous, jeunes, femmes, familles, des réponses adaptées dans un contexte social qui a certes beaucoup évolué ces 20 dernières années ? La sexualité sous ses aspects les plus alarmants : pandémie de Sida, maladies sexuellement transmissibles, abus, violences, prostitutions, y occupe, il faut bien le reconnaître, un champ envahissant. Cette réalité nous a d'ailleurs trop conduits à masquer la dimension épanouissante d'une vie sexuelle et affective bien vécue ;
– comment mieux répondre à un important besoin de coordination et de partage des informations sur les politiques menées et les actions de terrain qui les accompagnent, qu'elles émanent des pouvoirs publics, des associations ou d'initiatives locales ?
– comment améliorer la visibilité, la complémentarité des moyens, l'utilisation des organismes habilités à dispenser une information sexuelle, une éducation familiale, une aide aux personnes, aux couples et aux familles ?

Il s'agit là de quelques thèmes récurrents que nombre d'entre vous ont déjà soulevé et dont le CSIS pourra très utilement se saisir.

Permettez-moi d'insister toutefois sur trois pistes de travail qu'il vous appartiendra de mettre en forme :

* Première piste

L'information et d'éducation sur les questions de sexualité en direction des jeunes :

Les actions d'information et d'éducation en matière de sexualité, menées en direction des jeunes ont évolué pour s'adapter au contexte du moment.

Axées à l'origine sur la contraception et la prévention des grossesses non désirées, elles ont pu successivement s'attacher à la prévention des abus sexuels, puis à celle du Sida, pour tendre aujourd'hui vers une approche plus globale.

Vous tous, intervenants de terrain, ne manquez pas de souligner qu'en dépit d'avancées certaines, il se saurait y avoir d'acquis définitif et que chaque génération doit pouvoir bénéficier d'une éducation « repensée » pour elle.

La relance du CSIS doit être l'occasion d'un état des lieux sur cette question incontournable :

– quel bilan tirer des actions engagées jusque-là ?
– comment adapter les contenus de cette information aux générations actuelles ?
– comment améliorer les synergies entre les différents partenaires concernés ?
– quels moyens complémentaires pourraient être envisagés (généralisation, campagnes d'information, formations de formateurs) ?

* Deuxième piste de travail

Les violences :

L'actualité dramatique impose de se pencher sur ce thème.

Sans ignorer le fait que la violence est un problème multidimensionnel, largement développe par les médias, je demande au conseil de mener une réflexion sur la violence à caractère sexuel, qu'elle s'exerce à l'encontre des enfants ou des adultes (pour l'essentiel des femmes).

Ces violences ne sont pas admissibles. Je ne les admets pour ma part ni en tant que femme, ni en tant que citoyenne d'un pays démocratique, ni en tant que responsable politique.

Il s'agit là d'un thème prioritaire de la direction de l'action sociale comme du service des droits des femmes.

Des politiques nationales sont menées qu'il me paraît utile de mieux faire connaître aux membres du conseil.

Comme vous le savez, le Premier ministre a confié à M. Xavier Emmanuelli, secrétaire d'État à l'action humanitaire d'urgence, le pilotage ponctuel, d'un projet de loi de lutte contre les abus sexuels fait aux enfants avec l'appui majeur du garde des sceaux Jacques Toubon et du ministre des affaires étrangères Hervé de Charrette des mesures seront annoncées le 20 novembre dans le cadre de la Journée nationale des droits de l'enfant.

Parallèlement en tant que ministre chargé des droits des femmes, j'ai décidé de renforcer les actions contre les violences faites femmes : aide aux permanences téléphonique, aux lieux d'accueil et de soutien et réactivation des commissions départementales d'actions contre les violences.

Mais, par ailleurs, des pistes nouvelles sont à ouvrir. Elles s'orientent vers les stéréotypes sexuels véhicules dans notre société et sur leur influence dans les comportements agressifs.

Je soumets donc à votre réflexion les mesures de prévention qui pourraient être envisagées pour désamorcer, peut-être, dès le plus jeune âge, en tout cas au moment de l'adolescence, les fondements des comportements violents.

Il faut qu'on puisse réintroduire chez les jeunes les valeurs humanistes et de tolérance et de liberté, de respect de soi et d'autrui.

Le troisième axe de travail que je vous propose est tout à fait lié avec le précédent. Comme vous le savez le nombre d'enfant en danger progresse en France, en raison, peut-être, de l'aggravation du phénomène mais surtout parce que le signalement des cas s'améliore pour plus de 94 %. Il s'agit de violence intra-familiale (famille proche et entourage) ! Il nous faut donc agir au niveau de la famille. Le troisième axe de travail est donc le soutien des parents dans leur tâche éducative, notamment au moment de la maternité, l'apprentissage du respect de l'autre dans le cercle de famille et enfin la prévention de la violence faite aux enfants.

Un état des lieux me paraît nécessaire : je souhaiterais que soient mieux évaluées les pratiques professionnelles ou associatives d'aide aux parents et que l'on réfléchisse également aux moyens de démultiplier des actions de proximité.

Bien évidemment je suis totalement à votre écoute pour connaître les thèmes que vous désirez aussi aborder.

III. – Quelle sera la méthode pour faire aboutir notre travail ?

Vous la connaissez : le CSIS constitue en son sein des groupes de travail.

Ces groupes peuvent faire appel à des spécialistes des questions traitées, procéder à des auditions.

Un centre de documentation spécialisé, installe ici au 1er étage, peut effectuer les recherches d'information nécessaires.

Je vous demande, et il appartiendra à la commission permanente d'y veiller, de poursuivre au sein de ces groupes des objectifs clairs et précis et d'établir un échéancier de vos travaux avec remise d'un rapport final, cette rigueur nous est d'autant plus indispensable que nous oeuvrons dans un domaine de compétences vaste et mobile.

Les personnalités qualifiées apporteront à ces travaux toute leur expertise et au besoin un cadrage méthodologique.

Il vous appartient enfin, d'inventer les modalités de travail, qui vous paraîtront les mieux adaptées, sous-groupes de réflexion, journées d'études ou d'information, circulation d'écrits, etc.

Je vous passe à présent la parole pour un tour de table, des commentaires, des suggestions, des réflexions qui peuvent vous paraître prioritaires.

Il appartiendra, in fine, à la commission permanente sortie des urnes, de remettre en forme tout ce qui s'est dit ce matin et d'établir pour les mois à venir un plan de travail.

Je serai, pour ma part, pleinement à votre écoute et je souhaite, dès à présent, à ce conseil une existence riche et productive.


Le Parisien : 10 octobre 1996

Le Parisien : Pourquoi réactiver le Conseil supérieur de l'information sexuelle ?

Anne-Marie Couderc, ministre délégué à l'emploi : Pour les femmes et tous les enfants victimes de violences et d'abus sexuels. Pour lutter contre ce fléau qui touche les plus faibles, dont souvent on refuse de parler, et je le déplore. Comme, du reste, je déplore que la pédophilie soit un sujet tabou. Bien sûr, l'actualité belge et l'affaire Dutroux ont aussi relancé notre volonté de réactiver le Conseil supérieur de l'information sexuelle. D'ailleurs, sans cette affaire, seriez-vous là aujourd'hui ?

Le Parisien : Quel est l'ordre du jour de votre première réunion, aujourd'hui ?

Anne-Marie Couderc : La priorité sera, forcément, la pédophilie. Nous allons travailler sur l'information, notamment dans les écoles. Comment apprendre aux petits et à leurs aînés à connaître leur corps et à la respecter. Apprendre que leur corps leur appartient et que personne ne peut en disposer, pas même leur papa. Nous aimerions aussi élargir cette information à l'environnement de l'enfant, le sensibiliser pour qu'il sache écouter l'enfant victime, et qu'il sache lui répondre. Enfin, nous allons créer de nouveaux réseaux réservés exclusivement aux enfants victimes d'abus sexuels. Les lignes téléphoniques d'écoute et d'aide aux femmes victimes de violences sexuelles sont de plus en plus utilisées par des mineurs, garçon ou filles.

Le Parisien : Dans quel délai cela sera-t-il effectif ?

Anne-Marie Couderc : Je veillerai personnellement à ce que les projets que nous lançons soient appliqués par nos structures départementales. D'ici à mars 1997, nous serons bien au point et nous couvrirons l'ensemble du territoire. D'ici là, nous voulons présenter, lors de la Journée de l'enfance en novembre prochain à Paris, un ensemble de mesures pour lutter contre la pédophilie. Par ailleurs, nous allons également penser à une thérapie pour les auteurs d'abus sexuels. Sur ce dernier point, tout est à faire.

Le Parisien : À ce propos, que pensez-vous de la législation concernant les auteurs de violences sexuelles contre les mineurs ?

Anne-Marie Couderc : Nous disposons d'un arsenal législatif très complet mais ce que je déplore, c'est qu'il soit rarement utilisé. Avec cette affaire belge, nous donnons l'impression de découvrir la pédophilie alors que cela a toujours existé, mais on refuse d'en entendre parler. Ce n'est pas dans notre culture. C'est un sujet qui me tient à coeur, pour moi, et pour la dignité de la France.


La Croix : 12 octobre 1996

La Croix : Le Conseil supérieur de l'information sexuelle va-t-il devenir plus actif

Anne-Marie Idrac : Il va devenir un véritable lieu d'information, de coordination et de sensibilisation aux problèmes des violences faites aux femmes et aux enfants. Il permettra de trouver des solutions concrètes. Plusieurs groupes de travail vont être constitués. Ils seront l'occasion, pour les fonctionnaires de plusieurs ministères, de se confronter à des acteurs de terrain, des médecins, des travailleurs sociaux, des associations…

La Croix : L'actualité, notamment l'affaire Dutroux en Belgique, est-elle à l'origine de ce regain d'intérêt pour les phénomènes de violence ?

Anne-Marie Idrac : Tout au contraire, il faut traiter ces problèmes de façon permanente et pas seulement lorsqu'un drame survient. Les violences sont désormais un véritable problème de société. Il faut dépasser le côté scabreux et sensationnel et réaliser un travail de fond, notamment par l'éducation. On doit inculquer dès l'enfance le respect et la reconnaissance de l'autre. Si la famille ne s'en charge pas, l'école doit sans doute le faire. D'autre part, il faut développer le traitement des auteurs de violences, à l'instar de ce qui se fait au Québec.

La Croix : Quelles mesures concrètes allez-vous prendre ?

Anne-Marie Idrac : Pour être efficace, il faut coordonner tous les réseaux de collecte d'information. Il existe trois services téléphoniques nationaux, « violences conjugales femmes info-service », « viols femmes informations » et « SOS enfance maltraitée ». Ils sont gérés par des associations et financés par l'État. Les téléphones sont souvent saturés. Nous avons dégagé des crédits pour former et multiplier le nombre d'écoutants et élargir les places horaires pour assurer à terme un service 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 (1).

La Croix : Le dispositif d'assistance aux victimes en France est-il performant ?

Anne-Marie Idrac : Il existe à ce jour des lieux d'accueil et d'hébergement pour les femmes et leurs enfants dans près de 70 départements. D'ici à six mois, tout le territoire sera couvert. Ces lieux doivent répondre aux situations d'urgence, soigner et mettre les victimes à l'abri de représailles tout en les aidant à trouver des solutions : il faut parfois retrouver un travail, un hébergement et la plupart du temps des repères sociaux. Une assistance juridique leur est apportée. Aujourd'hui, les femmes victimes d'agressions hésitent moins à porter plaine, cela traduit une évolution des mentalités, ce qui est positif.


(1) « Violences conjugales, femmes infos services », tél. : 40 08 08 33.
À noter également, le numéro vert du collectif contre le viol : 08 08 96 96.